Le tutorat : un outil d`accueil et d`intégration des nouveaux salariés

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Le tutorat : un outil d’accueil et d’intégration des
nouveaux salariés en entreprise.
Annabelle HULIN
CERMAT – IAE de Tours
Université de Tours
Le tutorat : un outil d’accueil et d’intégration des nouveaux salariés en entreprise.
Résumé :
Les organisations mettent actuellement en place des outils, tels que le tutorat d’entreprise, afin
d’exploiter le capital de compétences de l’ensemble de leurs salariés, et, plus spécifiquement
les débuts et fins de carrières. Les questions du transfert de compétences et de l’adaptation
aux évolutions du marché du travail deviennent centrales.
Cet article propose une clarification des principes et enjeux du tutorat dans sa logique de
fonctionnement la plus connue en gestion des ressources humaines : l’accueil et l’intégration
des nouvelles recrues.
Mots clés : tutorat, intégration, nouveaux salariés, socialisation,
Guidance : a tool of reception and integration of the newcomers in company.
Abstract :
Organizations set up at present tools, such as the guidance in company, to exploit the capital
of skills of all their employees, and, more specifically the debuts and the ends of careers.
The questions of the skills transmission and the adaptation to the evolutions of the labour
market become central.
This article proposes a clarification of the principles and the stakes in the guidance in its logic
of functioning the most known in management of human resources : the reception and the
integration of the new recruits.
Key words : guidance, integration, new employees, socialization.
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INTRODUCTION
L’évolution démographique est une réalité pour de nombreuses entreprises. Les
générations du baby-boom, nées après la Seconde Guerre mondiale, atteignent
progressivement l’âge de la retraite et cèdent la place aux jeunes générations. Les départs en
retraite, conjugués aux difficultés de recrutement que doivent affronter les entreprises de
certains secteurs d’activités, tels que les travaux publics, l’artisanat ou encore la métallurgie,
vont placer les organisations face à des difficultés importantes si ces phénomènes ne sont pas
anticipées. En effet, par exemple, recruter 100 000 jeunes dans les 10 années à venir1, tel est
l’enjeu auquel vont devoir répondre les entreprises du secteur des travaux publics afin de faire
face à une demande en croissance régulière. Chaque année plus de 2500 jeunes font défaut
aux entreprises de ce secteur d’activité2. Les causes de ces difficultés, pour recruter et
fidéliser les salariés, émanent de plusieurs constats : une image peu attrayante des métiers, des
filières de formation professionnelle dévalorisées et des conditions d’accueil et d’intégration
insatisfaisantes.
Du point de vue stratégique, il est désormais admis que les savoirs doivent être gérés comme
des ressources matérielles (Prax, 2005). Dans une économie fondée sur la connaissance, le
capital humain occupe une place essentielle qu’il est nécessaire de valoriser. Il est impératif
de disposer d’outils, de techniques et de méthodes pour gérer ces savoirs en tant qu’actifs
stratégiques, afin de les faire fructifier.
Les dispositifs de formation professionnelle ont de plus en plus souvent recours aux situations
de travail comme moyen de formation, en complément des situations scolaires (Veillard,
2004). Il apparaît que le travail est un élément clé de la transmission et de l’acquisition des
compétences (Conjard, Devin, Olry, 2006). Au moment où les marchés du travail s’inversent
et où une « pénurie de compétences » émerge dans certains secteurs d’activités, la conception
de la pédagogie intégrée à la situation de travail qu’est le tutorat peut s’appliquer à toutes les
populations et à tous les âges.
Cet article propose une clarification des principes majeurs structurants l’utilisation du tutorat,
dans une perspective d’accueil et d’intégration des nouvelles recrues dans les organisations.
En effet, une fois énoncée l’évidence de l’intention pédagogique de tutorat, subsistent
toujours de nombreux problèmes de mise en œuvre. Ces difficultés tiennent en partie au fait
que les représentations dominantes des acteurs concernés par le tutorat sont en décalage avec
les pratiques réelles et les conditions contextualisées de leur développement (Wittorski, 1996).
Le tutorat recouvre des situations et des pratiques variées. « Il n’existe pas de tutorat type et
pas davantage de tuteur type » (Gérard, 1997 : 94). Il est vrai que les frontières entre les
termes de tuteur, mentor, maître d’apprentissage, compagnon, parrain, référent, maître de
stage sont extrêmement floues.
Notre première partie est consacrée à la définition de la notion de tutorat dans une perspective
d’accueil et d’intégration des nouvelles recrues. La seconde partie de cet article nous
permettra de positionner le tutorat d’intégration par rapport aux caractéristiques et aux enjeux
de la socialisation organisationnelle. Par ailleurs, nous illustrerons ces différents éléments
grâce à des extraits d’entretiens exploratoires menés auprès de différents responsables
d’organisations publiques et privées3.
1 Ces chiffres sont donnés par la Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP), dans le cadre de ses
différentes campagnes communications. Cf. site internet de la FNTP : www. fntp.fr
2 40% des chefs d’entreprise interrogés en janvier 2006 lors de la dernière enquête trimestrielle d’opinion
FNTP/INSEE, sur le marché intérieur, déclarent le manque de main-d’œuvre comme facteur limitant la
production.
3 Cf. annexe : liste des entretiens exploratoires effectués et méthodologie.
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1. TUTORAT D’ENTREPRISE ET INTEGRATION
Le dictionnaire Le Robert donne deux définitions du tuteur qui sont éclairantes sur les
différentes acceptations, aussi chargées de sens, quant au choix de ce terme :
« 1 - Personne chargée de veiller sur un mineur ou un incapable majeur, de gérer ses
biens et de le représenter dans les actes juridiques.
2 – Tige, armature de bois ou de métal fixée dans le sol pour soutenir ou redresser des
plantes. »
Nous retenons, pour notre part, la définition de Boru et Leborgne (1992 : 21) qui considèrent
le tutorat comme « un ensemble de moyens, en particulier humains, mobilisés par une
entreprise pour intégrer et former à partir de la situation de travail ».
Dans cette première partie, après avoir présenté les intérêts et particularités de la notion
globale de tutorat, nous nous intéresserons à l’exercice du tutorat dans une logique spécifique
d’intégration.
1.1. Le tutorat : un outil aux multiples perspectives
Le contexte socio-économique actuel est paradoxal : des jeunes sont sans emploi et des
entreprises sont en pénurie de personnel, et cela alors que le « choc démographique » n’a pas
encore véritablement produit ses effets. Ainsi, face aux difficultés de recrutement,
l’amélioration de l’accueil et de la prise en charge des nouveaux salariés est devenue une
véritable nécessité professionnelle.
Au moment où les marchés du travail s’inversent et où certaines organisations doivent faire
face à une « pénurie de compétences », la conception de la pédagogie intégrée qu’est le tutorat
s’applique à toutes les populations et à tous les âges. Mais peut-on penser le tutorat en dehors
des contextes qui le promeuvent, des ressorts qui l’animent, des fonctions qu’il joue dans une
évolution plus globale et probablement conjointe des systèmes de formation et des systèmes
de travail ? Le tutorat, considéré par certains comme une valorisation sociale forte,
s’accompagne toutefois d’une lisibilité encore faible, sur le plan de l’analyse, des pratiques,
des processus et des situations désignées sous ce vocable.
La notion de tutorat est très présente dans la littérature relative aux sciences de l’éducation
(enseignement supérieur (Annoote, 1998), accompagnement, suivi des étudiants (Danner,
Kempf, Rousvoal, 1999)4, soutien des élèves…). Néanmoins, les sciences de gestion
s’intéressent de plus en plus à cet outil à travers des travaux relatifs, entre autres, à
l’ingénierie de formation, l’accompagnement à la création ou à la reprise d’entreprises, le
management par les compétences. Un des intérêts de notre recherche est ainsi d’étudier le
tutorat dans la perspective des sciences de gestion.
1.1.1. Le tutorat : éléments de définition
De façon globale, nous tendons à parler de tutorat « chaque fois que l’on constate auprès
d’agents dont ce n’est précisément pas la fonction principale, et pour une durée qui reste
4 Annoote E. (1998), « Tutorat et ressources éducatives : la question étudiante », Perspectives documentaires en
éducation, Institut National de Recherche Pédagogique, n°43, pp. 59-72.
Danner M., Kempf M., Rousvoal J. (1999), « Le tutorat dans les universités françaises », Revue des sciences de
l’éducation, vol. 25, n°2, pp. 243-270.
4
généralement limitée, la présence d’activités qui contribuent directement à la survenance
chez d’autres agents de transformations identitaires correspondant au champ même de cette
fonction principale » (Barbier, 1996 : 8).
L’analyse des modes de fonctionnement du tutorat en entreprise montre que cette fonction
reste souvent peu formalisée dans le sens où les activités du tuteur ne font pas l’objet d’une
définition précise (Wittorski, 1996). Il s’agit généralement d’actes informels qui suivent une
logique de formation par la situation de travail : se développent alors des situations d’échange
ou des rencontres en situation de travail où sont activés, mobilisés, transmis et produits des
savoirs et savoir faire. Ces situations sont généralement prévues dans leur principe mais non
planifiées, et elles sont déterminées par des objectifs de formation pratique (notamment dans
des dispositifs d’insertion) (Agulhon, Lechaux, 1996).
De façon générale, le tutorat se décline en trois dimensions principales :
9 La dimension professionnelle : les tuteurs sont porteurs de compétences, de savoirs et
de savoir-faire qu’ils vont partager progressivement (Boru, Leborgne, 1992).
9 La dimension pédagogique : les tuteurs font bénéficier leurs apprenants de leurs
compétences en les confrontant au travail. Cette dimension porte sur la communication
interpersonnelle mais aussi sur la relation d’apprentissage et la présentation des
savoirs (Barbier,1996 ; Bartoli, 1997).
9 La dimension organisationnelle : le tutorat est souvent considéré comme un projet
d’entreprise. Il s’agit d’un ensemble de moyens humains et organisationnels qu’une
organisation met en œuvre pour intégrer et former, en situation de travail, un ou
plusieurs apprenants. Cela correspond à un espace d’interactions où interviennent une
multiplicité d’acteurs : le tuteur, le tutoré, le responsable des ressources humaines, le
responsable formation, la direction, le supérieur hiérarchique, les organismes de
formation, les autres étudiants, les autres stagiaires, les autres tutorés, les enseignants,
les formateurs, les pouvoirs publics, les équipes de travail (Geslin, Lietard, 1993 ;
Agulhon, Lechaux, 1996 ; Gérard, 1997).
Schéma 1 : les trois dimensions de la fonction tutorale
Racine (2000 :8)
Le tutorat correspond à une période de transition dans la vie du salarié : arrivée dans
l’entreprise, adaptation à un nouveau poste de travail, parcours de formation. Il présente
différentes logiques de fonctionnement, non exclusives les unes des autres. Six types d’enjeux
sont identifiés dans la littérature :
Dimension
professionnelle
Produire une
référence sociale
Dimension
individuelle
Produire une
référence métier
Assurer une ingénierie
pédagogique
Dimension
organisationnelle
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- La qualification : nous assistons aujourd’hui à un large développement des formations
en alternance. La littérature sur le sujet, ainsi que les nombreuses expériences de
terrain, reconnaissent l’importance de la période en entreprise. L’alternance constitue
le mode le plus développé de tutorat de qualification. Ce dernier se caractérise par
l’objectif explicitement qualifiant de la personne dont le tuteur a la charge, celle-ci est
entrée dans un processus de qualification reconnue, prépare un diplôme ou se prépare
à un poste précis dans l’organisation (Gérard, 1997).
- L’insertion : le tutorat d’insertion recouvre les situations de formation non qualifiantes
dans lesquelles se trouve le tuto (Gérard, 1997). Pour l’essentiel, « ces dispositifs
sont mis en place à l’intention de publics menacés et désignés comme « prioritaires »
dans l’action des pouvoirs publics, jeunes « sortis sans qualification du système
éducatif », chômeurs, etc. […] on constate que plus encore que le tutorat, c’est
l’immersion en situation de travail qui constitue la pièce essentiel de ces dispositifs »
(Barbier, 1996 : 15). L’objectif principal est le développement de l’employabilité des
individus concernés. Le tuteur est un acteur privilégié susceptible de soutenir ces
individus dans leur construction identitaire professionnelle.
- L’adaptation : les organisations qui doivent faire face à des évolutions technologiques
et organisationnelles, cherchent à adapter les compétences de leurs salariés par la mise
en place du tutorat. Le tuteur « tend alors à intervenir à la fois comme modèle
professionnel facilitant le développement et le transfert de compétences en situation de
travail réelle, et comme agent d’intégration dans l’entreprise » (Geslin, Liétard,
1993 : 122).
- Le transfert : le tuteur est l’artisan d’une démarche visant à transférer des compétences
en situation de travail (Bartoli, 1997). Les publics concernés sont des populations dont
l’activité joue un rôle stratégique dans l’organisation. Par la mise en place du tutorat,
l’entreprise veut conserver les compétences clés qui composent sa mémoire collective.
- La mobilité : l’organisation souhaite alors accompagner les parcours professionnels,
en préparant les salariés concernés aux exigences des fonctions qu’ils vont ou qu’ils
viennent d’intégrer (Wittorski, 1996).
- L’intégration, que nous allons analyser dans les paragraphes suivants.
Le tutorat n’est pas une réalité nouvelle, il existe dans la continuité d’outils anciens, tels que
le compagnonnage et l’apprentissage, et ne rompt pas avec eux. L’accompagnement et la
relation d’aide renvoient à une multiplicité d’appellations (tuteur, parrain, référent, maître
d’apprentissage, moniteur…) qui implique des conceptions et des approches différentes,
comme l’ont évoqué les professionnels rencontrés lors des différents entretiens :
« on dit tuteur, parrain, maître d’apprentissage, peu importe pour moi le processus
est le même » (Organisation A).
« le tuteur, c’est plus dans le sens de parrainage, parrain, je te suis dans l’entreprise,
je vais te transmettre les connaissances que j’ai, mais, pour moi, le tuteur, c’est pas le
supérieur hiérarchique » (Organisation F).
Le tutorat peut être compris comme l’une des modalités formatives qui existe dès lors que la
situation de travail est organisée afin de faciliter l’apprentissage progressif du métier dans le
cadre d’une relation individualisée et formalisée. Il constitue un élément majeur de
socialisation, de transmission des valeurs, d’appropriation des savoir-faire opérationnels et de
développement des compétences (« la richesse de l’entreprise, ce sont ses hommes, ce sont
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