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2. DETERMINANTS DU PROJET PROFESSIONNEL
DES FILLES DE TERMINALE C : CAS DES FILLES
DU LYCEE CLASSIQUE D’ABIDJAN ET DU LYCEE
MAMIE FÊTAI DE BINGERVILLE
Ouattara kanndanan Insiata1, [email protected]
RESUME
Les disparités entre les effectifs des lles et ceux des garçons dans les lières
scienti ques de l’enseignement supérieur ont conduit à s’interroger sur les
choix de lières des élèves. Cet article sur les lles de terminale C et leur projet
professionnel a pour objectif de déterminer les facteurs qui gouvernent le choix
de leurs projets professionnels.
L’enquête menée auprès de 118 lles du lycée classique d’Abidjan et du lycée Mamie
fêtai de Bingerville montre qu’elles optent majoritairement pour les études médicales et
pharmaceutiques, la nance comptabilité et les études commerciales.
Les choix de lières diffèrent en fonction de la catégorie socioprofessionnelle des
parents. On note en effet, que les lles dont les parents ont un statut social élevé sont plus
ambitieuses dans les choix de lières. Les lles des bas milieux sociaux s’autocensurent des
lières d’étude comme le génie civil, la pétrochimie. Les résultats indiquent également que
lles et garçons de la série C n’opèrent pas les mêmes choix de lières. Ces différences de
choix de lière s’expliquent par la représentation sexuée que chaque groupe a des métiers
scienti ques. Plus du tiers des lles de l’échantillon pensent que les métiers scienti ques
sont des métiers où les femmes ont plus de dif cultés à s’imposer et elles sont 23 sur 118
à considérer les métiers scienti ques comme des métiers qui laissent peu de temps libre à
l’individu. Ainsi, les lles de terminale C tiennent compte des rôles sociaux liés au statut de
femme en opérant les choix de lière d’étude dans le supérieur. De plus, les représentations
qu’elles se font des métiers scienti ques in uencent leurs choix de lière. Ce sont les métiers
qui leurs permettent de gagner en temps pour se consacrer à leur future vie de couple qui
semblent les attirer le plus. Il faut cependant noter qu’une lle de parents cadres supérieurs
à une représentation moins sexuée des lières d’étude de sorte qu’elles opèrent.
1 Doctorante et Enseignante, Ecole Normale Supérieure d’Abidjan
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INTRODUCTION
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la communauté
internationale a proclamé l’égalité entre les humains, hommes et femmes.
L’école s’est vue démocratisée et la mixité a permis aux lles et aux
garçons d’accéder à tous les domaines de formation.
Cependant partout dans le monde, des disparités au détriment des
femmes ont pu être observées. Ces observations ont conduit l’UNESCO en
2001 à stipuler dans l’article 3 de la déclaration mondiale sur l’éducation:«
la priorité absolue devrait être d’assurer l’accès des lles et des femmes à
l’éducation et d’améliorer la qualité de la formation qui leur est dispensée
ainsi que de lever tous les obstacles à leur participation». Aujourd’hui, les
inégalités d’accès à l’école entre lles et garçons se sont considérablement
réduites. Le nombre de lles scolarisées et celles qui se dirigent vers
les lières scienti ques ont augmenté. En outre, si la réussite des lles
est incontestable, leurs bonnes performances à l’école ne se traduisent
malheureusement pas encore par un égal accès à toutes les lières de
l’enseignement supérieur.
En effet, on assiste à une non diversi cation des choix d’orientation
des lles. Elles continuent d’être majoritaires dans les lières littéraires
et tertiaires tandis que les lières scienti ques et technologiques sont
dominées par les garçons. Ce constat suscite l’interrogation suivante: Les
lles qui s’introduisent au secondaire dans ces lières conquises par les
garçons poursuivent-elles après le BAC C des études dans les lières où les
mathématiques et les physiques sont des disciplines dominantes? Qu’est
ce qui motive les choix de lières de l’enseignement supérieur des lles de
terminale C?
Etant donné que chaque lière d’étude débauche sur un métier donnée,
les lles Optent-elles pour des projets professionnels en tenant compte
des critères objectifs ou opèrent-elles des choix stéréotypés ? Il s’agit en
fait, d’analyser les déterminants des choix professionnels des lles de
terminale C à travers leurs souhaits de lières d’études dans le supérieur
pour comprendre la faible diversi cation de leur projet professionnel.
CONTEXTE ET JUSTIFICATION DE L’ÉTUDE
«Sans une participation véritable et consciente des femmes et des
hommes dans tous les secteurs de la vie, l’humanité ne saurait survivre
ni relever les dé s de l’avenir » déclaration de Hambourg (1997). Malgré
cet appel, l’analyse de la participation des femmes dans les professions
liées au domaine de la recherche scienti que et aux différentes étapes de
l’enseignement supérieur, indique que le pourcentage de lles reste encore
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faible dans ces domaines. En effet, d’après le bulletin de l’Institut de la
Statistique de l’Unesco S-T N°3, sur 89 pays ayant des données disponibles,
les femmes représentent moins de 30% des chercheurs scienti ques.
La Côte d’voire, consciente de l’importance de la science et de la
technique dans le développement a exprimé dans le Plan National de
Développement du secteur Education/Formation (1998/2010) qui couvre
tous les niveaux d’éducation et de formation, sa volonté de réduire toutes
les disparités en matière d’éducation. Ce plan prévoit entre autre action
le développement d’une culture scienti que et technologique nationale
dans la période 1998-2010.
Ainsi, la mise en place de ce plan a permis d’améliorer l’accès des
lles à l’école et surtout aux lières scienti ques. Le nombre de lles en
terminale C qui était de 208 en 1999 a connu une nette amélioration depuis
cette date. En effet, en 2006, sur un total de 3739 élèves de terminale
C en Côte d’Ivoire, on déchiffrait 3109 garçons et 630 lles. On a donc
enregistré en huit(8) années scolaires 422 lles en plus à ce niveau de
l’enseignement secondaire. Quant au dernier annuaire statistique qui
date de 2007, sur un total de 3774 élèves on dénombre 769 lles soit une
hausse de 139 lles en une (1) année scolaire.
Malgré cette volonté, les filles sont minoritaires dans les filières
scienti ques de l’Enseignement Supérieur en Côte d’Ivoire. En effet, le
dernier annuaire statistique du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de
la recherche scienti que (2007-2008) indique que les lles sont présentent
à hauteur de 6, 84% à l’UFR Mathématiques et Informatiques et à 6,87% à
l’UFR Sciences des Structures de la Matière et Technologie. Par ailleurs, on
note que dans les UFR portées sur la science et la technologie, les femmes
ne représentent que 6% des enseignants-chercheurs à l’Unité de Formation
et de la Recherche mathématiques et Informatiques; 10% à l’Unité de la
Formation et de la Recherche Sciences des Structures de la Matière et
Technologiques (Université de Cocody, faits et chiffres 2007).
En outre, la comparaison de la performance des lles et des garçons
dans la série C indiquent que les lles obtiennent de meilleurs résultats
au Baccalauréat C que les garçons ces deux dernières années: en 2006
72,44% de lles contre 69,41% de garçons réussissent au baccalauréat;
en 2007 ce sont 66,29 % de lles contre 59,44% de garçons qui ont obtenu
le BAC C en côte d’Ivoire.
Face à ces constats de meilleure réussite des lles dans la série C et
de leur présence faible dans les lières scienti ques de l’enseignement
supérieur où les mathématiques et/ou la physique sont les disciplines
dominantes, les femmes ne seront absentes aux postes de responsabilités
dans les secteurs d’avenir fondés sur la technologie. Or, la force d’un pays
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jeune comme la Côte d’Ivoire se mesurera entre outre par le nombre de
scienti ques et de chercheurs.
Tous ces faits nous interpellent et amènent alors à s’interroger
sur la faible orientation des lles de terminale C dans les domaines
scienti ques et techniques de l’enseignement supérieur malgré leurs
bonnes performances au baccalauréat. Pour les élèves à la sortie de
l’enseignement secondaire, le projet professionnel est conditionné en
amont par le choix de lières dans l’enseignement supérieur. Ainsi,
cette étude cherche à analyser les facteurs qui in uencent les choix de
lières des lles dans l’enseignement supérieur a n de comprendre les
motivations qui sous-tendent leur projet professionnel.
REVUE DE LITTÉRATURE
Ce chapitre va s’attacher à examiner les travaux et les théories
concernant l’inégalité des chances dans l’éducation. Il s’intéressera
précisément la question de l’inégalité entre lles et garçons par rapport
aux lières scienti ques et technologiques.
Plusieurs travaux dont ceux de Duru-Bellat (1997), de Christian Baudelot
et Roger Establet (1992), de Nicole Mosconi (1994) ont porté les rapports
que les lles entretiennent avec la lière scienti que et partante avec les
mathématiques. Duru- Bellat en ré échissant au rôle de l’école dans la
production des inégalités écrit: «le système scolaire contribue à produire
et à légitimer les différences entre garçons et lles et ces différences sont
perçues par les intéressés comme innées. Les lles pensent devoir leur
orientation littéraire à leur «don» bien connu dans ce domaine».2
Pour l’auteur, du fait du système scolaire, les lles elles mêmes ont
ni par accepter que les mathématiques et par conséquent les lières
scienti ques sont l’apanage des garçons. Cette idée qui considère les
lières scienti ques comme réservées aux garçons est partagée par
Baudelot et Establet. En effet, ils af rment que: «situées au point les
plus élevés des capacités intellectuelles et des performances scolaires,
les mathématiques sont souvent entendues comme une mesure des
qualités intellectuelles plus pures et plus abstraites et comme le terrain
de prédilection des intelligences supérieures. Il y aura un grand avantage,
pour perpétuer la hiérarchie des sexes et à en faire un apanage masculin
naturel». 3
Ces différentes af rmations font allusion à ce qu’ils ont appelé le
stéréotype des sexes. Cette notion se dé ni comme le sentiment qu’une
2 Marie duru-bellat, Le monde de l’éducation ; juillet-août, 1990, p.20
3 Chiristian Baudelot, Roger Establet ; Allez les lles, Editions Seuil, janvier 1992
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lle ou un garçon a de construire son identité personnelle en prenant
position par rapport à ces attentes sociales traditionnelles se rapportant
à son sexe. Le stéréotype des sexes explique pourquoi l’on assiste à la
non diversi cation des choix d’orientation des lles et des garçons. Or, il
existe une multitude de professions qui vont des niveaux inférieurs aux
niveaux supérieurs. L’insertion et l’épanouissement de l’individu dépend
d’une manière générale du choix de lières d’étude et de formation. La
diversi cation des lières d’étude a amené Pierre Merle à dire qu’il s’agit
d’une hiérarchisation, donc d’une catégorisation. Certaines séries plus
convoitées que d’autres car porteuses d’avenir sont recherchées par les
élèves et leurs parents.
Ainsi, les sociologues comme Baudelot et Establet (1992) ont af rmé:
« La série scienti que et particulièrement la série C, parce que conduisant
aux fonctions prestigieuses est majoritairement choisie par les élèves
issus de milieux sociaux favorisés».
En outre depuis 1969, les enquêtes menées par Institut National
Orientation Professionnel en France ont montré que les parents sont
moins ambitieux pour les études de leurs lles que celles des garçons.
C’est alors que Bourdieu et Passeron (1985) soutiennent que la différence
des lières empruntées par les lles et garçons issues de catégories
socioprofessionnelles identiques trouvent son fondement dans le fait
que:«les parents et les lles elles mêmes continuent à adhérer à l’image
dominée par le modèle traditionnel de la division du travail entre les
sexes»4
La différence de projet professionnel des lles et des garçons à travers
le choix des lières seraient en rapport avec l’organisation familiale
et les structures sociales. Les théories con ictualistes et celles de la
reproduction permet d’expliquer les choix de lières et partant les projets
professionnels des lles et des garçons. Elles amènent à dire que les
inégalités scolaires sont basées principalement sur le capital culturel et
le poids de la socialisation.
Toutefois d’après Raymond Boudon, la différence d’orientation ne peut
s’expliquer que par le seul poids du capital culturel. Raymond Boudon
(1979) à travers la théorie de l’acteur signale que les lles sont des acteurs
qui opèrent des choix objectifs. L’école est un espace où chaque acteur
fait un usage objectif de sa formation dans la vie professionnelle ou dans
la vie familiale. Raymond Boudon considère les lles comme des acteurs
conscients et rationnels dont les choix méritent d’être considérés.5
4 Bourdieu et Passeron ; Les Héritiers, Editions minuit, Paris, 1985, p 69
5 Raymond Boudon (1979), La logique du social, Paris, hachette
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