ACTUALITES 2006 DE PHARMACOVIGILANCE
Pr J.L. MONTASTRUC, Dr H. BAGHERI, Dr V. GARDETTE, Dr G. DURRIEU, Dr P. OLIVIER
Service de Pharmacologie Clinique, Centre Midi-Pyrénées de PharmacoVigilance, de
Pharmacoépidémiologie et d'Informations sur le Médicament
Faculté de Médecine
37 Allées Jules-Guesde
31000 TOULOUSE
Tél : 05 61 25 51 12
Fax : 05 61 25 51 16
Site internet : www.bip31.fr
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L'année 2006 a été riche en actualités de PharmacoVigilance. Les textes ci-dessous regroupent en
différents chapitres les principales acquisitions concernant l'évaluation du rapport bénéfice – risque des
médicaments nouveaux et anciens. Ces observations illustrent, une fois encore, le fait que, au moment de
sa mise sur le marché, le médicament reste nécessairement méconnu, par suite de l'insuffisance
(obligatoire) des essais cliniques. C'est dire que le médecin praticien se DOIT de notifier au Centre
Régional de PharmacoVigilance, les cas d'effets indésirables qu'il observe dans sa pratique quotidienne.
Selon une étude de notre équipe, 1% de l'activité d'un médecin généraliste concerne les conséquences
d'un effet indésirables d'un médicament. Ces effets indésirables médicamenteux sont par ailleurs
responsables de près de 4% des hospitalisations : à ce titre, ils représentent la première cause d'entrée
dans le système hospitalier.
Vous trouverez, à la fin de ce texte, une fiche de déclaration, rappelant également les services que peut
apporter le Centre Régional de PharmacoVigilance. Celui-ci, outre sa mission de collection des effets
indésirables médicamenteux, doit être pour le médecin praticien une source d'informations indépendantes,
fiables et validées sur tout ce qui concerne le médicament et sa prescription. N'hésitez pas à faire appel au
CRPV de Toulouse (tél : 05 61 25 51 12, fax : 05 61 25 51 16 ou mail : [email protected]).
Vous pouvez également retrouver régulièrement toutes les actualités sur le médicament (nouveaux
médicaments, PharmacoVigilance, interactions…) sur notre site internet Uwww.bip31.frU
1. MEDICAMENTS HYPOLIPIDEMIANTS
1.1. Facteurs modifiant le risque d'effets indésirables musculaires des statines
Le risque musculaire des statines (myalgies, myopathies, et plus rarement rhabdomyolyse) est commun à
toutes les statines commercialisées. Certains facteurs favorisent la survenue de cet effet indésirable (EI),
expliqué par une inhibition de l'HMG Co-A réductase : posologie quotidienne élevée, insuffisance rénale
(ou hépatique), pathologie musculaire préexistante, hypothyroïdie, consommation excessive d'alcool, âge
supérieur à 80 ans. Parmi ces situations, on peut également citer la période péri-opératoire ou encore le
genre féminin. Un certain nombre de médicaments potentialise ces EI musculaires : autres
hypolipidémiants (fibrates ou ézétimibe, dont l'association avec les statines doit être prudente) ;
médicaments diminuant le métabolisme hépatique (cytochrome P450) des statines (la pravastatine est peu
métabolisée par ce système, ce qui fait prévoir un risque d'interaction pharmacocinétique peu élevé) :
ainsi, les inhibiteurs du CYP3 A4 [macrolides, antifongiques azolés, antirétroviraux ("navir"), certains
cardiotropes (amiodarone, diltiazem, verapamil)], freinent la dégradation des statines et majorent donc le
risque d'EI musculaires. La ciclosporine agit dans le même sens par un mécanisme mal connu. Les
associations médicamenteuses aux statines doivent rester réfléchies ! (Rev. Med. Suisse, 2005, 1, 24,47, 24, 52).
1.2. Reste-t-il encore une place aux fibrates?
Les fibrates sont des hypolipidémiants, activateurs du catabolisme lipidique : par action sur les PPAR
alpha, ils majorent la lipolyse et activent la lipoprotéïne lipase. La question de leur réelle efficacité
clinique reste cependant discutée. L’essai FIELD (10 000 patients de 50 ans à 75 ans) a comparé sur 5 ans
le fénofibrate LIPANTHYL® au placebo sur la morbi-mortalité cardiovasculaire. Au terme de 5 ans de
suivi, la mortalité n’a pas différé entre les deux groupes : 7,3% sous fénofibrate ; 6,6% sous placebo. On
n’a trouvé non plus aucune différence sur les autres critères : mortalité cardiovasculaire, mortalité
coronaire ou incidence des AVC. Bien plus, les évènements indésirables graves (pancréatites, embolies
pulmonaires, thromboses veineuses profondes) ont été plus fréquents sous fibrate (3,7%) que sous
placebo (2,6%) ! (Lancet, 2005, 366, 1849). Ainsi, pas plus que le gemfibrozil LIPUR® ou le clofibrate (ex.
LIPAVLONN®), le fénofibrate n’a démontré d’efficacité sur le seul critère intéressant nos patients : la
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mortalité totale. Un bel exemple de Pharmacologie, distinguant des effets biologiques sur des critères
« intermédiaires » (ici les triglycérides) et l’action attendue sur un critère clinique « pertinent ». Non, il ne
reste aucune place pour les fibrates en 2006 !
1.3. Quels risques, quels bénéfices des oméga 3?
On connaît l’effet bénéfique des acides gras oméga 3 à longue chaîne décrit sur la mortalité
cardiovasculaire. Le mécanisme en reste mal connu : on l’a attribué aux actions hypotensives,
bradycardisantes, hypotriglycéridémiantes, anti-thrombotiques, anti-inflammatoires, antiarythmiques ou
encore aux améliorations de la fonction endothéliale, de la sensibilité à l’insuline ou de la stabilité des
plaques d’athérome, décrites in vitro avec ces oméga 3 (et dont la transférabilité clinique reste inconnue).
Une méta analyse récente remet en question ces données en envisageant, non plus la seule mortalité
cardiovasculaire, mais l’effet global sur la morbi-mortalité (BMJ, 2006, 332, 752). Les auteurs ont inclus 48
essais comparatifs (avec un suivi supérieur à 6 mois) et 41 études de cohortes. Ils ne retrouvent aucune
réduction de la mortalité totale, du risque de survenue d’évènements cardiovasculaires, de cancer ou
d’accident vasculaire cérébral, qu’il s’agisse des oméga 3 à courte (acide linoléique…) ou longue (acides
docosapentaenoique, docosahexaenoique, eisosapentaenoique…) chaîne. Finalement, ils recommandent la
réalisation de nouveaux essais cliniques prospectifs et comparatifs, de meilleure qualité que ceux
actuellement disponibles.
2. PSYCHOTROPES
2.1. Risque hémorragique sous antidépresseurs sérotoninergiques
A la suite de nombreuses notifications spontanées, plusieurs études pharmaco-épidémiologiques ont
démontré une majoration du risque de saignement digestif chez les patients traités par antidépresseurs
sérotoninergiques (fluoxétine PROZAC® et dérivés). Le rapport de côte de saignements avec ces
médicaments varie de 1,38 à 3,6. Ces antidépresseurs multiplient par plus de 3 le risque de transfusion au
cours d'une chirurgie orthopédique ou encore les saignements utérins. Le risque hémorragique retourne au
niveau basal à l'arrêt de ces médicaments. Le mécanisme de cet effet indésirable diffère de celui des
AINS. Alors que les AINS affectent directement la muqueuse gastro-intestinale, les antidépresseurs
sérotoninergiques interfèrent avec les étapes de la coagulation. La sérotonine, libérée des plaquettes en
réponse à un traumatisme vasculaire, détermine une vasoconstriction et une modification de la forme des
plaquettes, ce qui favorise l'agrégation plaquettaire. Ainsi, les antidépresseurs sérotoninergiques (qui sont
des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, IRS) diminuent les concentrations plaquettaires de
sérotonine, et diminuent les mécanismes conduisant à la formation des caillots. Le risque absolu de
saignement sous IRS seul a été évalué à 1/300 patients/année. Il est de 1/200 sous AINS seul! En l'état
actuel des connaissances, il n'existe aucune donnée suggérant l'utilité d'une gastroprotection chez un
patient traité par IRS (N Engl J Med 2005, 331, 529).
2.2. "Blackbox"pour les médicaments du syndrome d'hyperactivité avec déficit de l'attention
Le 9 février dernier, le Comité de PharmacoVigilance (PV) de la FDA a voté pour l’ajout d’une mise en
garde (« Blackbox ») pour les médicaments du syndrome d’hyperactivité avec déficit de l’attention. Ces
produits [diverses amphétamines (ADDERALL® et autres, non commercialisées en France) et
methylphenidate (dans notre pays : RITALINE®, CONCERTA®)] sont largement consommés aux USA,
tant chez les enfants (2,5 millions, soit 1 sur 10 enfants âgé de 10 ans !) que chez les adultes (1,5 millions,
dont 10% de plus de 50 ans !). Dans ces deux populations, on a rapporté aux structures de PV américaines
de nombreux infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux ou encore morts subites (NEJM, 2006,
354, 1445). Rien d’étonnant quand on connaît les propriétés de base du methylphenidate, qui n’est rien
d’autre qu’un dérivé amphétaminique, majorant (comme toute amphétamine) la libération de
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noradrénaline (et autres monoamines) des terminaisons nerveuses périphériques et centrales. Ainsi, on
attendra avec le methylphenidate des effets sympathomimétiques : hausse tensionnelle (ADERRAL®
élève la pression sanguine artérielle de 5 mmHg en moyenne), tachycardie, troubles du rythme cardiaque,
décompensation d’insuffisance cardiaque, hyperglycémie… En Europe, la consommation de
methylphenidate s’avère moindre qu’aux USA. Devons nous tout de même accepter la généralisation de
telles pratiques contraires à toute logique pharmacologique ? Est-il raisonnable de laisser des organismes
en développement ou des adultes toute une vie sous sympathomimétique ? Les exemples récents de PV
des autres sympathomimétiques [le « décongestionnant nasal » phenylpropanolamine (PPA) ou les
ephedrine, pseudoephedrine, ma huang utilisés pour perdre du poids] plaident, évidemment, formellement
contre cette possibilité. Un nouvel exemple de « médicamentation » (lire à ce sujet
HTUwww.prescrire.org/editoriaux/medicamentation/pdfUTH) de la société avec un médicament non dénué de
risque…
2.3. Acné et Médicaments : les antidépresseurs sérotoninergiques aussi !
Les médicaments constituent la première cause des acnés (ou éruptions acnéiformes) survenant après
l’âge habituel de l’acné vulgaire. On a imputé de nombreux médicaments : corticoïdes, ACTH, dérivés
halogénés (iode, brome, fluor, chlore, halothane), vitamines (B12), antiépileptiques (barbituriques,
hydantoïnes), antituberculeux (isoniazide, rifampicine), immunosuppresseurs (ciclosporine, azathioprine),
certains antinéoplasiques. Parmi les psychotropes, on a rapporté des cas avec le lithium ou certains
neuroleptiques. A partir de Banque Nationale de PharmacoVigilance, le CRPV de Bordeaux a récemment
décrit la survenue de 31 cas d’acné avec les antidépresseurs sérotoninergiques. Dans cette liste, on
retrouve, tous les produits: fluoxétine Prozac®, paroxétine DEROXAT®, sertraline ZOLOFT®,
citalopram SEROPRAM®, fluvoxamine FLOXYFRAL®. Le tableau régresse généralement à l’arrêt de
l’antidépresseur en cause (Thérapie, 2006, 61, 71). A connaître et à déclarer au CRPV.
2.4. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) peuvent-ils engendrer des troubles
glycémiques?
Les données expérimentales, montrent chez la souris la survenue d’hypoglycémie et d’hyper insulinémie
dose-dépendante après administration de sérotonine. Plusieurs cas de troubles glycémiques sont rapportés
dans la littérature avec les IRS. Le CRPV de Montpellier a analysé les cas de troubles glycémiques
suspectés sous IRS déclarés à la pharmacovigilance française. Au total, 87 cas concernant 57 femmes et
33 hommes (moyenne d’âge : 61,3 ans) ont été notifiés (Fundam Clin Pharmacol, 2006, 20, 191) Il s’agit
d’hypoglycémie dans 69 cas et d’hypoglycémie dans 18 autres cas. Au total, 36 patients recevaient aussi
des antidiabétiques. Les cas concernent tous les IRS : fluoxétine (35), paroxétine (19), citalopram (12),
sertraline (9 cas), venlafaxine (7) et fluvoxamine (5). Dans 47 observations, l’IRS a été considéré comme
suspect. Comme autres médicaments associés suspects, on retrouve les ß-bloquants (8 cas), les corticoïdes
(5 cas), le dextropropoxyphène (dans DIANTALVIC®, 5 cas), la clozapine (LEPONEX®, 3 cas) et la
cibenzoline (CIPRALAN®, 2 cas). Les auteurs concluent sur la concordance de ces données avec celles
rapportées dans la littérature. Compte tenu des interactions des IRS avec les CYP450 à l’origine
d’inhibition enzymatique, une interaction pharmacocinétique avec les hypoglycémiants pourrait être à
l’origine de cette dysrégulation glycémique sous IRS. La prescription avec surveillance des IRS chez les
sujets à risque, (diabétiques, poly médicamentés), pourrait prévenir la survenue de ce type d’effet
indésirable.
2.5. Délire, agitation et anxiété sous aripiprazole
La schizophrénie associe des symptômes dits « positifs » (hallucinations, idées délirantes) et des
symptômes « négatifs » (émoussement affectif, apragmatisme….). L’aripiprazole ABILIFY®,
commercialisé en France depuis 2005, est un antipsychotique atypique, dérivé des quinolinones. Son
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mécanisme d’action reste inconnu, mais il possède une activité agoniste partielle sur les récepteurs
dopaminergiques D2 et sérotoninergiques 5HT1A ; ainsi qu’une activité antagoniste des récepteurs
sérotoninergiques 5HT2A. Plusieurs cas d’aggravation des symptômes positifs ont été rapportés, avec
agitation et anxiété, en particulier lors de l’association ou en relais d'un autre neuroleptique (J Clin Psychiatr
2004, 65, 132 ; Am J Psychiatr 2004, 161:1308 ; Int Clin Psychopharmacol 2004, 19, 45 ; Pharmakritik 2004; 26, 34). Ces
effets paradoxaux s’expliquent par l’activité agoniste partielle de l’aripiprazole. L’instauration de ce type
de médicament doit donc s’assortir d’une surveillance accrue du patient durant les premiers jours de
traitement. Sa prescription doit être adaptée à la symptomatologie présentée et l’association à d’autres
neuroleptiques prudente.
2.6. Les neuroleptiques "atypiques" sont-ils véritablement atypiques?
Les neuroleptiques "atypiques" (olanzapine ZYPREXA®, risperidone RISPERDAL®…) sont présentés
comme déterminant moins d'effets indésirables de type parkinsonien que les produits conventionnels
(haloperidol HALDOL®…). Une étude de cohorte réalisée dans l'Ontario, chez les sujets de plus de 65
ans, a comparé le risque de développer une symptomatologie parkinsonienne sous neuroleptique classique
et neuroleptique dit "atypique". Par rapport aux patients sous atypiques, les malades traités par
neuroleptiques classiques ont 30 fois plus de chances de développer une symptomatologie
extrapyramidale. Cette différence, retrouvée aux posologies standards, disparaît aux fortes posologies.
Ainsi, la prescription des "nouveaux" neuroleptiques à fortes doses ne semble apporter aucun gain de
sécurité par rapport aux produits conventionnels (Arch Int Med, 2005, 165,1811).
2.7. Le rapport bénéfices-risques des hypnotiques chez le sujet âgé pourrait être défavorable
Une étude canadienne (BMJ, 2005, 331, 1169) rediscute des avantages et inconvénients des hypnotiques
prescrits chez le sujet âgé. Dans une méta-analyse de 24 essais cliniques comparatifs avec tirage au sort
incluant plus de 2400 sujets de plus de 60 ans recevant un hypnotique, les auteurs ont montré une
efficacité marginale (majoration du temps de sommeil total de 25 minutes en moyenne, réduction du
nombre d’éveils nocturnes de 0,63) pour une élévation franche des effets fâcheux [altérations cognitives
(x 4,78), troubles psychomoteurs dont les chutes (x 2,61), fatigue diurne (x 3,82)] par rapport au placebo.
L’article se termine ainsi : « chez les sujets de plus de 60 ans, le bénéfice de ces médicaments pourrait ne
pas justifier l’élévation du risque d’effets indésirables, en particulier si le patient présente des facteurs de
risque comme une altération psychomotrice ou cognitive ».
3. MEDICAMENTS ET CONDUITE AUTOMOBILE
L'AFSSAPS a revu la classification concernant les effets des médicaments sur la conduite automobile.
Les nouveaux pictogrammes classent les médicaments en trois niveaux :
- Niveau 1 : "Soyez prudents. Ne pas conduire sans avoir lu la notice". Ce groupe comprend
notamment les antiémétiques antagonistes de la sérotonine (5HT3), la plupart des analgésiques et
antipyrétiques, l'ergotamine, les antitussifs (opiacés ou non), les anti-inflammatoires (stéroïdiens
et non stéroïdiens), les anti glaucomateux (sympathomimétiques, inhibiteurs de l'anhydrase
carbonique, ß-bloquants ou encore analogues de la prostaglandine).
- Niveau 2 : "Soyez très prudents. Ne pas conduire sans l'avis d'un professionnel de santé". Ce
niveau inclut les autres antiémétiques, l'insuline et les antidiabétiques oraux, les anesthésiques
locaux, la morphine et les opioïdes, les antimigraineux de fond (y compris les triptans), les anti-
épileptiques par voie orale, les antiparkinsoniens (dopaminergiques et anticholinergiques), les
neuroleptiques par voie orale, les benzodiazépines anxiolytiques par voie orale (sauf pour les
formes les plus fortement dosées), les antidépresseurs (imipraminiques, sérotoninergiques,
IMAO), les anticholinestérasiques utilisés dans la démence, les médicaments des phénomènes de
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