LA BEAUTE DU VISAGE EN ASIE DU SUD ET DE L`EST : une

Session 3 - 20
LA BEAUTE DU VISAGE EN ASIE DU SUD ET DE L’EST : une
contribution socio-sémiotique à la Théorie des cultures de consommation
(CCT).
François Bobrie, MdC IAE POITIERS, CEREGE,
Directeur du CEPE (Centre Européen du Packaging)
186, Rue de Bordeaux
16000-Angoulême
Résumé : Cette communication présente la synthèse des résultats de plusieurs études des
stratégies marketing-communication d‟un échantillon de firmes majeures de cosmétiques,
internationales et nationales, dans le domaine des produits de soins du visage, « fairness » et
« whitening », en Asie, de l‟Inde au Japon, entre 2006 et 2009.
A partir d‟un volumineux corpus de plusieurs centaines de packaging-produits, de spots
publicitaires, d‟annonces presses et de pages de sites web, nous avons dégagé les valeurs de
consommation et les représentations culturelles associées à ces gestes de beauté et la façon
dont celles-ci ont été mises en récits de communication, (storytelling), par les grandes
marques mondiales. Ces informations ont été recueillies selon une méthodologie d‟analyse
socio-sémiotique. Puis par enquêtes ethnographiques, ont été mises en miroir les
représentations des consommatrices en Inde, Thaïlande, Chine et Japon.
L’enjeu de cette démarche est de valider l‟intérêt de la Théorie Culturelle de la
consommation, (CCT), pour « éclairer le cycle de la consommation » (Arnould, Thompson,
2005), des produits de beauté du visage, dont la compréhension « explique » les stratégies de
marques et les conceptions des offres qui en découlent sur les marchés asiatiques, tant pour
les grands opérateurs multinationaux que pour les acteurs locaux.
L’apport théorique de cette communication est de mettre en évidence, au moyen dune étude
empirique multiculturelle, les contenus conceptuels de « valeurs de consommation » et de
« culture du consommateur » (consumer culture). Il s‟agit ensuite d‟en préciser à la fois les
significations voisines, voire superposables, mais aussi les contenus de sens différents, et
finalement les présupposés épistémologiques que révèlent ces écarts.
Mots clés : Cosmétiques, Culture de Consommation, Ethno-marketing, Fairness, Marketing
interculturel, Sémiotique, Skincare, Valeurs de consommation, Whitening.
Session 3 - 21
ABSTRACT
This paper summarises the findings and outcomes of several research studies on the marketing-
communication strategies of a sample of major national and international cosmetic companies in
the field of “fairness” and “whitening” facial skincare products, in Asia, from India to Japan,
from 2006 to 2009.
From a large selection of several hundred product packagings, TV-commercials, press
advertisements, and web pages, we identified the consumption values and the cultural
perspectives associated with these beauty treatments and how they are described (storytelling) by
the most famous “global” brands.
The information was collected using a socio-semiotic analysis methodology. Then through
ethnographic surveys we compared the findings with the views of consumers in India, Thailand,
China and Japan.
The aim of this approach is to assess the value of the Consumer Culture Theory (CCT), as an
appropriate tool for « clarifying the consumption cycle » (Arnould, Thompson, 2005), of facial
skincare products, in order to understand and explain the strategies of brands and the concept
behind their promotions in Asian markets, with regard to both large multi-national operators and
their national competitors.
Through this cross-cultural empirical research, the theoretical objective of this paper is to set out
how we can conceptualise the “consumption values” and the “consumer cultures”.
We then aim to specify their closest, even super-imposable, meanings and the different meaning
contents, and finally the epistemological presuppositions which create these differences.
Keywords: Cosmetics, Consumer Culture, Ethno-marketing, Fairness, Cross-cultural Marketing,
Semiotics, Skincare, Consumption values, Whitening.
Session 3 - 22
INTRODUCTION
L‟apport croissant des sciences humaines aux recherches académiques sur la consommation
marchande fait aujourd‟hui l‟objet d‟un consensus partagé des deux côtés de l‟Atlantique
(Arnould et Thompson, 2005), (Filser, 2008), (Badot et alii,2009). De même, tant en Europe
qu‟en Amériques et en Asie, les firmes mobilisent, parfois massivement, des études conduites
selon des méthodologies inductives, sociologiques, ethnologiques, et sémiotiques (Bergadaà et
Nyeck, 1992),(Mariampolski, 1999,2006), (Maggio-Muller, Evans, 2008). On constate partout
un ample et gulier mouvement qui déplace progressivement, année après année, la perspective
des chercheurs et des managers des questions des « prises de décisions et comportements
d‟achats » vers celles du « pourquoi de la consommation », du « Why of Consumption », selon le
titre d‟un ouvrage qui fit à l‟époque référence (Ratneshwar, Mick, Huffman, 2000). La Théorie
des Cultures de Consommation (CCT) devient désormais un cadre théorique usuel pour la
recherche et l‟application des méthodes du marketing. Cependant il a encore été peu observé, à
notre connaissance, comment les entreprises, notamment celles de l‟offre des biens de
consommation, ont su utiliser ces outils dans leurs démarches opérationnelles pour déterminer
leurs produits et leurs gammes et pour en assurer la communication sur des marchés particuliers.
Pourtant, un vaste champ d‟observation empirique, celui des stratégies dites « interculturelles »
(crosscultural marketing) (Usunier, Lee, 2009), permet de confronter les constructions
conceptuelles et méthodologiques de « la Théorie des Cultures de consommation » avec la façon
dont les entreprises traitent la dynamique des marchés appartenant à différentes aires de
civilisations, aux caractéristiques ethnologiques et linguistiques particulières. Bien qu‟évoquées
rapidement par Arnould et Thompson, (2005, p 874 et p 876), et surtout dans l‟optique de sous-
marchés « ethniques » au sein d‟un marché national, les questions posées par le développement
d‟offres culturellement différentes par rapport au marché d‟origine de la firme sont peu étudiées
sur un plan théorique. D‟autre part la littérature du marketing international s‟est assez
logiquement centrée sur les questions opérationnelles de l‟adaptation ou du maintien de l‟offre
initiale, selon un raisonnement « global/local », pour conclure le plus souvent à la pertinence des
stratégies « glocal ». (Usunier, 1992), (Douglas, Craig, Nijssen,2001), (Hsieh,2002),
(Croué,2006). En revanche, l‟étude des conditions sous-jacentes et des moyens employés pour
conceptualiser une offre nouvelle et adaptée à ces nouveaux segments de la demande est en
général peu approfondie. Souvent ressortent simplement de cette littérature à vocation
actionniste des descriptions d‟un heureux « bricolage » à partir d‟essais et erreurs empiriques des
responsables du développement international et/ou de la zone concernée.
L‟objectif premier de cette communication sera, à contrario, à travers l‟étude des opérateurs
internationaux et nationaux des marchés asiatiques du skincare, de montrer que non seulement
leurs succès et leurs avantages concurrentiels ne doivent rien au hasard, mais que leurs
démarches illustrent très souvent dans la pratique les nombreux résultats théoriques acquis dans
d‟autres domaines de recherches sur les cultures de consommation.
En effet, pour l‟entreprise confrontée à une culture et à une langue nouvelle, l‟enchâssement
(Polyani, 1957) de la consommation dans un contexte social et ethnologique devient non
seulement une évidence, mais une série de problèmes concrets à résoudre. Particulièrement en
Session 3 - 23
matière de soins cosmétiques, la consommation apparaît d‟emblée comme un acte culturel
emboité dans un ensemble complexe de pratiques qui l‟englobent, l‟orientent et la déterminent
selon des objectifs de formes de vie plus généraux que des bénéfices physiques immédiats, et
aux significations cessairement multiples. Ceci vaut tant au niveau de l‟analyse des
motivations de l‟individu lui-même que de la prise en compte de constantes associées aux
usages de son groupe d‟appartenance social et familial. L‟ambition est ici de réexaminer de
manière théorique des outils du marketing international interculturel des soins du visage pour en
évaluer la pertinence et leur possible apport à l‟épistémologie de la Théorie des Cultures de
Consommation (CCT). La problématique choisie, à titre de champ d‟expérience, est celle des
grandes marques mondiales de cosmétiques qui déclinent des stratégies de produits, de marques
et de communication, en Asie, de l‟Inde au Japon.
Il ne s‟agira pas dans cette démarche de vérifier empiriquement des capacités à transformer
des stratégies marketing « globales » en actions « locales », donc en approches « glocales »,
mais maintenant d‟étudier comment les positionnements défendus témoignent d‟une flexion
sur les dimensions anthropologiques et ethnosociologiques de la consommation des produits
proposés. Les objectifs sont d‟observer et d‟identifier une prise en compte, par ces acteurs
majeurs, d‟une différentiation du sens à donner à leurs offres, dans des espaces culturels
considérés comme spécifiques, selon la façon dont les utilisatrices se représentent la beauté en
général, et celle du visage en particulier.
Le choix comme terrain d‟observation de ces produits de skincare pour le visage a été motivé
par leur altérité totale par rapport à ceux utilisés dans le monde occidental. Les groupes
mondiaux voulant investir ce segment de marché en Asie doivent y repenser entièrement leurs
propositions. L‟intérêt de notre recherche tient principalement à l‟observation de stratégies
marketing-communication car celles-ci ne peuvent être des reproductions, ni même des
adaptations, des politiques d‟offres conduites en occident. La façon dont elles ont été
repensées et actualisées est dès lors une source d‟information irremplaçable sur la
compréhension des cultures de consommation par les acteurs de l‟offre.
La démarche méthodologique
Une série d‟études, alisées entre 2007 et 2009, ont permis de dégager les valeurs de
consommation, et les dimensions culturelles exprimées dans leur communication, par un
échantillon de plus de 130 grandes marques internationales et nationales de skincare,
présentes en Asie, du monde indien au Japon. L‟analyse a porté sur un corpus de plus de 1000
packaging-produits, de 300 spots publicitaires, de 150 annonces presses et de pages de 200
sites web. Elle a été conduite selon une méthodologie socio-sémiotique, (Floch, 1988,1990,
1995), (Bobrie 2008). Ces informations ont été classées, hiérarchisées et les représentations
misent en récits (storytelling), ont été déconstruites pour comprendre les stratégies des acteurs
« globaux » ainsi que celles de leurs principaux concurrents « locaux ».
Ces recherches ont consisté à mettre en évidence les figures, les thèmes, les structures
narratives et discursives utilisées par ces grandes marques de cosmétiques pour raconter de
façon particulière la valeur de beauté du visage et les logiques avec lesquelles elles
conçoivent les produits cosmétiques susceptibles d‟en optimiser la perfection, pour des
Session 3 - 24
utilisatrices asiatiques réparties dans différents pays1. Les résultats obtenus par l‟analyse
sémiotique permettent de comprendre différents concepts de cultures de consommation
mobilisés et d‟expliquer la pertinence de ces choix, tant pour les stratégies de communication
suivies que pour la définition du « panier des caractéristiques » des produits.
Dans une première partie sont exposés les principaux résultats de ces recherches socio-
sémiotiques, complétées le plus souvent par ceux d‟enquêtes qualitatives ethnographiques auprès
des utilisatrices2, afin d‟évaluer la pertinence, en réception, de ces récits de communication émis.
Ils montrent ce qu‟il y a de commun et ce qu‟il y a de différent dans les présentations de produits
de soins du visage dénommés « fairness » dans le monde indien et « whitening » dans le monde
de l‟Asie du Sud-est, de la Chine et du Japon et comment les mêmes marques internationales
mettent en scène des concepts marketing différenciés dans leur communication packaging et
publicitaire, selon les pays elles sont présentes. Puis, une comparaison avec les stratégies
marketing-communication des marques locales permet d‟éclairer une dynamique concurrentielle
inédite, fertilisant les offres de tous les acteurs, tant locaux que globaux, par la prise en compte
de nouveaux niveaux de culture de consommation.
Dans une seconde partie conclusive sont discutés les apports du marketing interculturel explicitement
ou implicitement mobilisés par les stratégies étudiées pour mieux définir les concepts de « valeur de
consommation » et de « culture de consommation ». Il s‟agira d‟en préciser à la fois les significations
voisines, voire superposables, mais aussi les contenus de sens différents, et finalement les
présupposés épistémologiques que révèlent ces écarts.
L’expression de la beauté du visage en Asie, de l’Inde au Japon, dans la
communication des marques de skincare.
En Asie du Sud, du Sud-est et en Extrême-Orient, pour toutes les marques de cosmétiques,
internationales et locales, un bénéfice central détermine l‟effectivité du résultat promis de la
beauté du visage féminin : l‟éclat lumineux d‟une peau au teint uniforme. Cette qualité est
reconnue et recherchée par toutes les populations, de la vallée de l‟Indus au nord du Japon,
quelle que soit la diversité ethnique et le niveau de développement économique des sociétés
des différents pays de cette zone. Ces préoccupations de la consommatrice asiatique sont
aujourd‟hui bien appréhendées par les études d‟usages et d‟attitudes et confirmées par nos
études ethnologiques ad-hoc conduites en Inde, Thaïlande, Chine et Japon.
Alors que l‟Occident accorde une importance majeure à la préservation d‟une peau lisse et à
la fermeté des traits, ce qui détermine l‟importance économique et marketing prédominante
des produits antirides et anti-âge dans l‟offre des produits de soins de la peau, l‟Orient
s‟attache avant tout à la clarté rayonnante du visage.
En conséquence, l‟offre des soins de la peau minore, voire oblitère les problèmes de défauts
physiques, des rides et autres signes mécaniques du vieillissement des populations
1 Inde, Pakistan, Bangladesh, Indonésie, Thaïlande, Philippines, Chine, Japon.
2 Réunions de groupes de consommatrices et observations et interviews individuelles ethnographiques à
domicile
1 / 27 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !