même si Qom reste le refuge de la plupart des l e a d e r s c h i i t e s
contestataires et un lieu central.
La présentation et les interviews de plusieurs penseurs chiites
iraniens contemporains (Shariati, Eshkevari, Sorush, Kadivar,
Malekian) donne un éclairage tout à fait original aux études plus
politiques qui précèdent. Elles montrent - ce qui est rarement perçu
par le public - combien malgré la répression et les rivalités, un débat
intellectuel, religieux, politique tout à fait original s’est construit en
Iran et donne une nouvelle dimension à « l’exportation » de la
révolution islamique, non pas du point de vue politique mais
religieux, humaniste ou intellectuel. On trouve dans la lecture de ces
pages tout à fait originales qui ne tombent pas dans l’érudition
orientaliste, des clés de bien des questions sur les dynamiques, les
limites et les potentialités de l’islam politique.
Sabrina Mervin montre fortement l’importance de ces « débats
intellectuels transnationaux » qui traversent les mondes chiites mais
touchent aussi les mondes sunnites. On pourrait d’ailleurs reprocher
à l’auteur de ne pas avoir eu plus d’ambition et d’avoir fait de ce
chapitre la conclusion de ce livre qui reste néanmoins le meilleur
pour comprendre la géographie du chiisme, ses pôles, ses réseaux,
ses voies, ses territoires. On peut également regretter que d’autres
communautés chiites ne soient pas traitées (Inde, Afrique du Nord,
Indonésie...) sinon dans une note trop rapide sur l’évaluation du
nombre de chiites par pays, mais le mieux est souvent l’ennemi du
bien, et ce livre - doté d’index et glossaires - s’impose comme la
première mise au point claire et incontestable sur la diversité des
chiismes, de leurs territoires, et leur dynamique, notamment face au
«géant » iranien. Il rappelle aussi que les Iraniens ne forment qu’une
minorité parmi les chiites, que les nationalismes et les faits ethniques
s’imposent souvent plus que l’unicité de l’islam, notamment dans les
pays arabes, de Koweït à l’Arabie en passant par l’Irak, qui
n’entendent pas laisser à l’Iran le monopole du l e a d e r s h i p sur le
chiisme contemporain.
Bernard H O U R C A D E
UMR Mondes iranien et indien
(CNRS, Paris III, INALCO, EPHE), Paris
À une époque où le chiisme est systématiquement lié à l’Iran
( « exportation de la Révolution », « conflit Israël Hezbollah »,
émergence d’un « arc chiite »...) ce livre n’esquive pas ces
problèmes, mais en fait au contraire sa problématique. Sabrina
Mervin et ses 18 collègues ne sont pas de trop pour analyser avec
nuance l’histoire et l’actualité politico-religieuse spécifique des divers
territoires du chiisme du Pakistan au Sénégal, tout en gardant en
perspective le rôle majeur joué par la révolution islamique d’Iran et
le poids spécifique de l’Etat iranien où le chiisme est depuis cinq
siècles religion d’État. Aucun chercheur ne peut traiter seul, avec les
nuances et la profondeur nécessaires, une question aussi complexe,
passionnelle et qui est parfois au cœur de plusieurs guerres ou
conflits armés, sauf s’il s’agit d’un propos militant. Le grand mérite
du livre est de combiner cette diversité avec une très forte cohésion.
Le réseau de chercheurs réunis par Sabrina Mervin était donc
indispensable pour bien prendre la mesure de la pluralité des
mondes chiites. Parlant de l’islam, ce pluriel qui peut choquer a déjà
été utilisé ; il s’impose aussi pour le chiisme.
Les première et seconde parties exposent comment « l’exportation
de la révolution iranienne » a permis aux nombreux mouvements
nationaux de contestation chiite qui existaient depuis longtemps
dans tous les pays de la région (al-Dawa en Irak, Shiraziya dans les
pays du Golfe persique, Amal au Liban...) de s’exprimer avec force
tout en rêvant d’un chiisme transnational magnifié par l’Iran
révolutionnaire. Tous les auteurs s’accordent cependant pour
montrer comment ces mouvements sont rapidement redevenus
nationaux (O. Roy, F. Louër) ou ethniques comme chez les Hazars
d’Afghanistan (A. Monsutti), même quand l’influence iranienne reste
forte comme pour le Hezbollah Libanais (J. Alagha). La présentation
des communautés chiites de Turquie, Azerbaïdjan, Ouzbékistan et
du Sénégal confirme ce renforcement de l’identité encore fragile de
ces communautés marginales, comme les limites des ambitions
i r a n i e n n e s .
Les troisième et quatrième parties du livre abordent directement la
question des relations idéologiques, théologiques et politiques de
l’Iran avec les mondes chiites. Le cas de l’Irak analysé par P.-J.
Luizard permet de rappeler que ce pays est le centre historique du
chiisme avec la présence des grands lieux de pèlerinage sur le
tombeau des imams (Karbala) et surtout le siège des grandes écoles
de théologie (Nadjaf). Il souligne que le mouvement sadriste est à la
fois une contestation de l’occupation américaine et du magistère
(m a r j a ’ i y y a ) des grands ayatollahs souvent quiétistes et de l’Iran,
164 Compte rendu d’ouvrage
VOL 83-2/2008
Les mondes chiites et l’Iran
M e r vin S. (dir.), 200 7, Paris / Bey r outh, Ka r t h a l a / I F P O, 484 p.