De la Perse à l’Iran. J’ai déjà, ici, exprimé la curiosité qui m’anime pour tout ce qui contribue à comprendre l’origine de notre civilisation contemporaine, plus particulièrement la pensée humaine qui s’est transmise depuis l’origine des temps. Aussi loin que remontent les traces écrites ou dessinées de nos ancêtres, la preuve est faite que le ou les Mystères, au sens de questionnement auquel l’esprit humain ne peut apporter de réponse cartésienne (pour reprendre une expression plus contemporaine), ont depuis des lustres forgé la pensée humaine Quand Reza a parlé dans sa conférence du cylindre de Cyrus et de la religion mazdéiste, mon ignorance du moment devait être rapidement comblée et je vous ai proposé de vous embarquer dans mes recherches afin que nous soyons moins idiots, en tout cas plus sachant, aux yeux de notre conférencier. Le cylindre de Cyrus est tout bêtement un cylindre d’argile sur lequel est inscrite une déclaration du roi Cyrus après sa victoire militaire à Babylone sur le souverain local Nabonide. Nous sommes en -539 avant JC. Pour faire un lien avec la religion, cette victoire a été dédiée aux dieux et il fallait du point de vue de Cyrus, marquer cet événement qualifié de surnaturel auprès du peuple conquis. Dans sa grande libéralité, je laisse cette expression à votre jugement vu le contexte guerrier qui a précédé cette décision, Cyrus commence par critiquer son prédécesseur, je serais tenté de dire rien de nouveau sur le plan politique, si on se reporte à ce que nous connaissons aujourd’hui. Puis il édicte un certain nombre de droits nouveaux pour le peuple, à commencer par le respect des lieux sacrés existants, principe de tolérance puisque dicté par un souci de liberté dans le choix des croyances, la fin des corvées, et l’application de tous les nouveaux droits aux peuplades dispersées ou exilées dans un souci de cohésion sociale. Ces grands principes de gouvernance politique, qu’il faut naturellement resitués dans leur contexte historique, sont considérés comme la base de nos déclarations des droits de l’Homme, qu’elle soit française et consécutive à la Révolution ou universelle et reconnue par une très grande partie des pays, du moins dans l’énoncé des principes, pour ce qui est de leur application chacun aura son propre jugement. Puisqu’il est question de religion la transition est plutôt aisée pour parler, après Reza, du mazdéisme, religion polythéiste du peule perse, réformé en 224 pour devenir le zoroastrisme, religion monothéiste dont Ahura Mazdâ est le dieu. Il est intéressant de noter que le prophète Zoroastre (d’où le nom de religion zoroastrisme) prêchait un dualisme entre le bien et le mal, la lumière et les ténèbres, dualisme présent dans l’islam chiite. La conversion à l’islam imposée par l’envahisseur vers 642, s’est traduite par l’adhésion du peuple perse au chiisme, plutôt minoritaire comparée au sunnisme. Reza y voit là une forme de rébellion du peuple perse, dans la mesure où ce choix le distinguait des autres croyants en l’islam. Mais on pourrait rajouter que la similitude des croyances avec le zoroastrisme a également dû jouer un rôle non négligeable. Qu’est ce que le chiisme. Dans les religions monothéistes, la connaissance de la parole de dieu, s’est transmise par la prophétie. Moïse, Mahomet sont les prophètes les plus connus. Pour les chiites, le prophète Mahomet, l’élu du Dieu Allah, a choisi Ali pour lui succéder. En effet, Mahomet choisissait les imams et leur donnait le rôle de lui succéder dans sa mission prophétique. A la mort de Mahomet, celui qu’il avait désigné comme Calif, Ali, pendant qu’il était occupé à la préparation des funérailles, s’est fait piquer le pouvoir par Abu Bakr,. Si dans un premier temps Ali s’est rangé aux côtés de l’usurpateur, le conflit de succession à Mahomet ne tarda pas à surgir, engendrant de facto une scission fondamentale au sein de l’islam. D’un côté les chiites qui se rallient à Ali et de l’autre les sunnites, fidèles à la révélation prophétique de Mahomet. Ces deux courants religieux se sont donc construits sur un socle politique. Premier indice qui pourrait contribuer à la thèse de Reza, historiquement les perses ont choisi le rebelle Ali aux yeux des sunnites majoritaires, comme référent spirituel. Fondamentalement, (outre la similitude exposée ci-dessus) les perses auraient pu également choisir le chiisme, mais ce n’est qu’une interprétation de ma part, parce qu’il laissait une grande part de liberté individuelle dans la volonté de chacun d’étudier le coran qui, selon ce courant de pensée, aurait un sens caché qu’il faut rechercher et un sens évident, l’existence de dieu. Si on se replace dans le contexte historique on peut comprendre, par exemple, l’adhésion du peuple perse, certes forcée, à l’arrivée du Messi (le Mahdi en arabe) qui, selon le coran, comblera la terre de justice et d’équité autant qu’elle est remplie d’injustice et de tyrannie. Par contre, les chiites sont très attachés à la hiérarchie religieuse, de manière plus importante que les sunnites qui élisent leur calife, alors que la communauté chiite ne peut être dirigée que par des imams qui tirent leur autorité directement de Dieu et qui sont désignés par la hiérarchie religieuse (le calife). De même, le martyre est pour eux un symbole de la lutte contre l’injustice : c’est donc le culte des martyres, que l’on retrouve aujourd’hui dans le djihad qui s’est internationalisé. Pourquoi l’adhésion perse, aujourd’hui iranienne, à cette affection particulière pour les martyres. Serait-ce dû à une assimilation à cette catégorie de l’humanité, prise sous le joug d’une domination subie ? Mon interrogation grandit lorsqu’on sait que les chiites considèrent que l’intellect humain est inné, qu’une connaissance intuitive du bien et du mal est donnée par dieu lui-même et que, par conséquent, elle est indépendante de l’instruction. Seul le prophète et ses successeurs désignés par lui sont garants de l’évolution intellectuelle des fidèles. Alors que la civilisation perse accordait une extrême importance aux philosophes et aux savants cette conversion au chiisme constitue une véritable rupture culturelle. En effet, comment comprendre qu’un peuple éclairé et en avance sur son temps ait pu se laisser enfermer dans un processus de non évolution intellectuelle destiné à maintenir les fidèles ignorants dans la religion. Aujourd’hui encore, l’Iran est le grand centre du chiisme, non pas dans une version iranienne à part, mais dans une parfaite orthodoxie à la soumission à l’imam, le gardien du sens caché de la révélation de dieu. Contrairement à l’Irak, qui pratique une variante du chiisme, où les musulmans font la distinction entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel, même si le chiite irakien ne peut se démettre de l’autorité spirituelle. J’en arrive à la conclusion, qui n’en sera pas une mais plutôt des interrogation : en choisissant le chiisme lors de leur conversion forcée à l’islam, les Iraniens ne se sont-ils pas enfermés dans un carcan religieux duquel il leur sera difficile de sortir aujourd’hui ? Et dans la mesure où le pouvoir temporel se confond avec le pouvoir spirituel, est-ce qu’une solution politique est encore possible pour revenir à plus de démocratie ? Est-ce que l’émancipation du religieux impulsée par la jeunesse, notamment féminine, en Algérie, en Tunisie, en Egypte, en Jordanie mais aussi en Iran comme nous l’a révélé Reza lors de sa conférence, au nom d’une réelle liberté revendiquée, est-ce que cette émancipation du religieux sera la clé d’un espoir nouveau pour les populations trop longtemps brimées par les dictatures religieuses. Ce pourrait être une condition préalable pour obtenir la neutralité de la communauté internationale dans ces transitions démocratiques, dans la mesure où le soutien aux pouvoirs politiques en place n’est justifié, officiellement, que par la crainte d’une radicalisation religieuse. Radicalisation religieuse de moins en moins probable ou toujours possible ? L’avenir proche nous le dira.