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comme égal en intelligence et Ricoeur parle-t-il de restituer l’égalité de parole entre le
patient et le médecin.
Dans cette optique, la discussion à visée philosophique dans un cadre scolaire permet
de faire une expérience de recherche authentique. L'accent est alors mis sur la
réflexivité, sur la capacité de l'élève à faire retour sur ce qu'il sait ou croit savoir, sur ce
qu'il pense ou expérimente et à affiner son jugement et son discours dans l'échange
avec d'autres. Pourtant, il ne s'agit pas d'opposer schématiquement réflexion et
connaissances car on risquerait de tomber dans un dialogue ou un jugement qui
tournerait "à vide". Le lien entre la pratique du dialogue et l'enseignement des humanités
est étroit dans la mesure où celles-ci transmettent des langages, des façons de vivre,
des discours faisant écho à nos expériences subjectives et permettant de les mettre en
forme pour les évaluer, les juger, les confronter et les discuter avec d'autres.
Cette expérience du dialogue adossé aux humanités se révèle également pertinente
dans un contexte d'enseignement ou de formation d'adultes. L’un de ces contextes est
celui de l’enseignement adressé aux médecins. Les médecins et leurs patients, plus que
toutes autres personnes, en raison de la crise existentielle qu’ils éprouvent à travers la
maladie, la souffrance et la mort doivent justement exercer leur jugement à propos des
meilleures décisions à prendre en regard du sens de l’existence.
C’est la raison pour laquelle l’apprentissage de la délibération ou du dialogue doit se
faire en classe sous la forme d’atelier pratique afin que les futurs médecins puissent
mieux saisir les enjeux et mieux accompagner par la suite leurs patients devant leur
désarroi. Pourtant, devant l’incompréhensible et notre ignorance, notre langage fait
souvent défaut. C’est la raison pour laquelle les humanités peuvent devenir un baume
sur notre difficulté à entendre ce qui cherche à se dire dans ces expériences de vie.
Celles-ci donnent une autre dimension au langage et à nos présupposés. Elles
nourrissent le dialogue et, par le fait même, évitent que celui-ci devienne une simple
expression d’opinions. Hegel et Vygotsky soulignent la consubstantialité de la pensée et
du langage. En ce sens, la pensée ne peut s’élaborer hors des humanités qui justement
nourrissent notre langage, et permettent un dédoublement, c’est-à-dire une distance
dans le rapport à soi et à autrui comme à l’ensemble de notre société. C’est pourquoi,
lorsqu’il s’agit de l’enseignement des humanités, il ne s’agit pas de culture de
divertissement, mais de culture d’émancipation.
Si le dialogue peut exercer un pouvoir d’émancipation, il faut que celui-ci s’émancipe
des faux dialogues. Dès lors, il serait peut-être plus juste de parler de dialogue
herméneutique qui devient un processus qui permet la médiation entre une approche
centrée sur le maître et une approche centrée sur l’élève dans la mesure où nous
sommes tous égaux devant l’ignorance. Comme le note le philosophe américain Richard
Rorty, la philosophie permet l’acquisition d’une culture élargie ou la création de
nouveaux langages.