1 Introduction En guise d`intro., on va se demander quel est l`objet

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Introduction
En guise d’intro., on va se demander quel est l’objet du cours : qu’est-ce qu’un cours
portant sur l’épistémologie des sciences physiques ?
Série de distinctions à introduire :
1. Théorie de la connaissance et épistémologie d’une science particulière
2. Epistémologie française et philosophie de la science anglo-saxonne
3. De la physique, ou plus exactement des sciences expérimentales
1. Théorie de la connaissance et épistémologie d’une science particulière
Si l’on considère l’étymologie du terme « épistémologie », l’épistémologie est un discours
sur le savoir ou sur la connaissance en général, la connaissance étant distinguée d’autres
manières de se rapporter au réel, qu’on peut quant à elles rassembler sous le terme « cognition ».
En ce sens, lorsque Socrate demande dans le Théétète quelle est la différence entre science et
opinion, ce que c’est que connaître, comment nous pouvons justifier les connaissances que nous
avons, il fait de l’épistémologie. De même, quand Locke affirme que toutes les connaissances
viennent de l’expérience ou quand Kant pose qu’il existe des connaissances a priori, ils ont des
positions « épistémologiques ».
Cependant, notre idée commune de l’épistémologie peut être plus précise que cela —
quand nous parlons d’épistémologie, nous n’entendons pas toujours un discours sur la
connaissance en général, mais plutôt l’idée que nous allons, en philosophes, accompagner une
science particulière, pour comprendre quels sont les problèmes particuliers qu’elle rencontre ou
pour dégager la spécificité des méthodes auxquelles elle recourt. Cela peut valoir pour toutes
espèces de sciences, pour les sciences physiques ou pour les sciences humaines. C’est ainsi
qu’on parle d’épistémologie de l’histoire, d’épistémologie des sciences naturelles ou
d’épistémologie des mathématiques.
Autrement dit, si l’on considère l’étymologie et notre idée commune, l’épistémologie
semble être ou bien une théorie générale de la connaissance, ou bien un ensemble de théories qui
se rapportent spécifiquement à certaines sciences.
Cette hésitation se rencontre également dans les premiers usages qui furent fait du terme :
1
— Conformément à l’étymologie, J.L. Ferrier, Institutes of metaphysics, 1854 : première
occurrence du terme « epistemology », qui est opposé à « ontology », et assimilé à la théorie de
la connaissance en général.
C’est l’usage le plus courant dans les pays de langue anglaise, qui, par ailleurs, désigne
l’étude des philosophique des sciences par l’expression « philosophy of science »
— introduction en français du terme au début du XXe siècle, plus précisément dans une
traduction d’un ouvrage de Russell, l’Essai sur les fondements de la géométrie (1901).
Définition qui est alors donnée par Couturat, p. 257 : « l’épistémologie est la théorie de la
connaissance appuyée sur l’étude critique des sciences ». Le terme est intronisé dans ce sens là
lors des séances de la Société de Philosophie du 18 mai et du 8 juin 1905.
On voit bien dans cette définition quel était le projet des philosophes freançais du début du
XXe siècle : donner une théorie de la connaissance en général à partir de l’étude d’une espèce de
connaissance particulière, mais néanmoins tenue pour exemplaire, à savoir la connaissance
scientifique. On reviendra sur ce projet et ces enjeux en 2), il s’agit pour le moment de spécifier
notre objet à partir des premiers usages du terme « épistémologie ».
L’usage le plus courant en français : « épistémologie » ne désigne pas la théorie de la
connaissance en général, mais l’étude philosophique des sciences en particuliers, éventuellement
guidée par l’idée que cette étude va nous donner des renseignements sur la connaissance en
général.
On peut récapituler ce qui vient d’être dit en faisant une première distinction :
i) la « théorie de la connaissance » en général qui se demande, par exemple, comment
distinguer le savoir de la croyance, comment définir en général l’acte de connaître ou ce qu’il
suppose.
ii) l’épistémologie ou la philosophie des sciences, qui porte sur l’espèce particulière de
connaissance qu’est la science, voire se diversifie selon les sciences particulières. Les questions
sont ici variées selon qu’on regarde les sciences en général, ou telle ou telle science particulière ;
on peut par exemple se demander :
— si toute science a préférentiellement une structure formelle déductive,
— ce que veut dire l’énoncé que toutes les sciences traitant d’objets naturel sont
réductibles à la physique (les mêmes lois ? les mêmes objets ?),
— d’où vient que les mathématiques rendent si bien comptent du réel (le miracle : que ça
marche)
2
— quel est le statut des objets mathématiques,
— ce que signifie fonder une science sur l’expérience, etc.
Ce dont il sera question dans ce cours, c’est donc non pas de théorie de la connaissance,
mais d’épistémologie ou de philosophie de la science.
Pour compléter ce premier point, deux remarques :
— Question de vocabulaire : certains auteurs français, influencés par l’usage anglais
d’« epistemology », en viennent à désigner par « épistémologie » la théorie de la connaissance en
général. D’où l’idée que d’autres désignations seraient préférables pour en français « théorie de
la connaissance » : gnoséologie, épistémie.
théorie de la connaissance
français
anglais
Gnoséologie, épistémie
Epistemology
étude des principes d’une Epistémologie
Philosophy of science
science (au sens large)
— L’essentiel n’est pas les mots. Le rapport entre i) et ii), autrement dit encore entre
connaissance en général et sciences en particulier, est lui-même l’objet de questions
philosophiques. On voit par exemple bien qu’il y a deux positions extrêmes possibles, selon
qu’on pense que les procédures à l’œuvre dans les sciences sont analogues aux procédures qui
nous permettent de connaître en général ou bien qu’elles sont radicalement différentes. On peut
se demander aussi si une théorie de la connaissance indépendante de toute science constituée est
possible, si finalement cela a un sens de se demander « à vide » ce que c’est que connaître.
2. Epistémologie française et philosophie de la science anglo-saxonne
A ce point, on pourrait avoir l’impression que « épistémologie » et « philosophy of
science » sont équivalents. En fait, il faut introduire une seconde distinction, qui n’est pas tant
une question d’extension qu’une question d’histoire et, pour ainsi dire, de style national :
i) l’épistémologie ou la philosophie des sciences française. Elle naît avec Auguste Comte
et le positivisme ; quelques noms qui reviendront :
A. Comte (1798-1857)
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P. Duhem (1861-1916)
E. Meyerson (1859-1933)
G. Bachelard (1884-1962)
G. Canguilhem (1904-1995)
* Comme on l’a dit, l’objectif au début du siècle était de comprendre la connaissance en
général à partir des sciences. Cette manière de procéder venait d’une opposition à l’idée qu’on
pourrait comprendre ce qu’était la connaissance par introspection (Etym. = se tourner vers
l’intérieur soi-même. L’âge d’or de l’introspection « scientifique » : Maine de Biran et Co.)
A cette idée, des auteurs comme Comte ou Meyerson opposent que rien n’est plus vague,
plus indéterminé et moins « scientifique » que l’introspection psychologique. Pour comprendre
ce qu’est la connaissance, il vaut mieux procéder selon ce qu’ils appellent « méthode a
posteriori » (= méthode à partir des effets, qui va remonter des effets aux causes plutôt que de
prétendre saisir ces dernières d’elles-mêmes) : saisir les actes de connaître en tant qu’ils sont
objectivés, matérialisés dans l’histoire des théories scientifiques.
Comte, Cours de philosophie positive, leçon 1 : « L’étude de la philosophie
positive, en considérant les résultats de l’activité de nos facultés intellectuelles,
nous fournit le seul vrai moyen rationnel de mettre en évidence les lois logiques
de l’esprit humain qui ont été recherchées jusqu’ici par des voies si peu propres à
les dévoiler (…). Regardant toutes les théories scientifiques comme autant de
grands faits logiques, c’est uniquement par l’observation de ces faits qu’on peut
s’élever à la connaissance des lois historiques ».
Meyerson, Identité et réalité, “Nous analysons la science (...) comme la
matière brute du travail, comme un spécimen saisissable de la pensée humaine et
de son développement” (Préface de la deuxième édition, p. viii). “Il convient de
contrôler ses assertions celles du savant] en s’adressant non pas à la pensée
individuelle, mais à la pensée collective, en recherchant la genèse des
conceptions dans l’histoire, leur évolution” (Avant-Propos, p. xv).
L’idée est donc de remonter, pour ainsi dire, du produit à la production, du résultat au
processus lui-même. La manière de procéder dans les sciences constitue un terrain d’observation
pour le philosophe de la connaissance ; il pense trouver dans les sciences, éventuellement dans
les sciences du passé, de quoi comprendre comment nous connaissons en général.
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* Ce qu’on appelle parfois la tradition épistémologique française, qui va de Comte à
Canguilhem n’est pas une école à proprement parler, il y a des divergences et des oppositions
terme à terme sur un certain nombre de thèses :
— Comte soutenait que l’existence de lois caractérise les sciences achevées : dans une
science comme la physique mathématique, il n’y a plus d’enquête sur les causes des
phénomènes, mais seulement des équations, autrement dit des fonctions qui mettent en rapport
plusieurs espèces de grandeur. Meyerson soutient au contraire que la légalité n’est pas le tout de
la science, et que les sciences ne progressent que parce qu’elles recherchent à expliquer, à
expliciter certaines causes, ou, plus généralement, à poser des identités. Lien identité/causalité
pour Meyerson : trouver une cause, c’est retrouver une identité fondamentale derrière la diversité
de deux évenements.
— Meyerson juge qu’il y a continuité entre théorie de la connaissance et philosophie des
sciences, que le savant, lorsqu’il entre dans son laboratoire, ne change pas sa raison d’homme
contre une raison de savant comme il troque sa chemise contre une blouse d’expérimentateur. En
particulier, pour Meyerson, les procédures qui conduisent les hommes en général à construire, à
partir des données immédiates de la sensation, les choses du sens commun (une salle avec des
individus assis, l’un d’eux a une mine partibulaire et s’approche de moi, un revolver à la main)
sont les mêmes procédures qui conduisent le savant à construire des choses de savant. Bachelard
s’oppose à Meyerson explicitement sur ce point et il insiste sur la discontinuité — discontinuité
entre le sens commun et la science, mais aussi, et c’est lié, entre différentes sciences particulières
ou entre différents épisodes dans les sciences particulières.
— Bachelard avait privilégié la physique mathématique, et vu dans la mathématisation
d’une discipline le signe qu’elle avait atteint ce qu’il appelait un « seuil de scientificité ».
Canguilhem fait une place à des disciplines qui n’étaient pas vraiment mathématisées à son
époque, la biologie et la médecine, et réaménage conséquemment certains aspects de
l’épistémologie bachelardienne que par ailleurs il affirme respecter.
Canguilhem, “Le rôle de l’épistémologie”, in Idéologie et rationalité dans
l’histoire des sciences de la vie,, p. 23-24 : Canguilhem note que Bachelard a
principalement travaillé sur l’histoire de la physique mathématique, dans laquelle
théorie et mathématique sont identifiées. Puis il ajoute « La méthode [prônée par
Bachelard] doit être élargie plutôt que généralisée. Elle ne saurait être étendue à
d’autres objets de l’histoire des sciences sans une ascèse préparatoire à la
délimitation de son nouveau champ d’application ».
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— Une autre différence entre Bachelard et Canguilhem : dans certains passages de
Bachelard pointe un certain scientisme (Déf. : croire qu’il n’y a pas d’autres valeurs que celles
de la science, que les valeurs des sciences sont partout exportables, que toutes les valeurs
peuvent se réduire à celles de la science. Ex. Penser qu’on peut mesurer la vertu d’un homme
comme on mesure sa taille). Pour Canguilhem, les valeurs sont d’emblée plurielles, non
seulement parce que les vivants sont divers, mais parce que le vivant humain pose différentes
valeurs : parmi toutes les valeurs de l’individu humain, la recherche de la vérité qui caractérise la
science est seulement une possibilité parmi d’autres. Un problème central dans son œuvre de
Canguilhem est dès lors celui de l’articulation des valeurs. Voir le « Et pourquoi pas le nonvrai ? » de Nietszche.
— Le projet de Comte était normatif. D’une part, il avait cru dégager une loi dans
l’évolution des sciences, d’après laquelle toutes les sciences passeraient successivement par trois
états : état théologique, métaphysique, positif. D’autre part, il s’agissait de fonder une science de
la société analogue aux sciences dures, donc de dégager des sciences existantes des normes à
étendre aux sciences à venir. Meyerson au contraire souligne la radicale imprévisibilité de
l’histoire, le fait qu’on ne peut pas dire ce que sera la science de demain ; Canguilhem insiste sur
l’aventure que constitue la science en des termes nietzschéens :
Canguilhem, La Formation du concept de réflexe au XVIIe et XVIIIe siècles, p.
155 « Tout jugement scientifique est un événement. Ce que le savant cherche, il
ne sait pas comment il le trouvera ».
La science toute faite, celle qui est enseignée, se présente comme un ensemble de réponses
parfaitement balisées à des questions parfaitement définies : c’est un ensemble de résultats déjàlà, déjà vrais, dégagés du brouillard où l’on se demande selon quels principes établir quoique ce
soit. Ce dont Canguilhem cherche à rendre compte lorsqu’il parle d’événement, c’est de la
science en train de se faire, de la science comme invention, comme ce qui advient sans avoir été
prévu ni avoir être prévisible. Or, dans le cas de cette invention, nous ne baignons pas dans le
vrai, nous sommes en train de faire le partage entre le vrai et le faux, plus exactement encore de
dessiner une certaine espèce de vrai et une certaine espèce de faux. D’où le travail de l’historienépistémologue selon Canguilhem : non pas restituer objectivement une enchaînement de faits
vrais, mais reconstituer une aventure au pays des valeurs.
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Bref, il y a des différences non négligeables, et la tendance à parler aujourd’hui
d’épistémologie française comme s’il s’agissait d’une catégorie bien claire participe d’une
entreprise nationaliste un peu douteuse et pas toujours déterminée intellectuellement.
* Un point commun néanmoins chez tous ces auteurs : ils cherchent à trouver dans les
sciences telles qu’elles se font ou telles qu’elles se sont faites de quoi nourrir la réflexion
épistémologique. Ce que nous avons présenté initialement comme une réaction à l’introspection
est aussi la caractéristique principale de cette manière de concevoir l’épistémologie.
C’est ainsi que, paraphrasant Kant, Canguilhem écrit que, si l’épistémologie sans histoire
des sciences est vide, l’histoire des sciences sans épistémologie est aveugle :
Canguilhem, « L’objet de l’histoire des sciences », in Etudes d’histoire et de
philosophie des sciences, pp. 11-12 : « La raison proprement philosophique [de
pratiquer l’histoire des sciences, par opposition à l’intérêt pour les historiens ou
pour les scientifiques] tient à ceci que sans référence à l’épistémologie une
théorie de la connaissance serait une méditation sur le vide et que sans relation à
l’histoire des scienes une épistémologie serait un doublet parfaitement superflu
de la science dont elle prétendrait discourir ».
En fait, quand on connaît un peu les auteurs de langue française, on s’aperçoit qu’il n’y a
pas du tout là quelque chose de propre à Canguilhem, c’est justement cette attention au passé
de la science qui constitue leur point commun.
Comte, Cours de philo positive ; Paris 1877, vol. II p. 312 : « La philosophie
des sciences ne saurait être convenablement étudiée séparément de leur histoire,
sous peine de ne conduire qu’à de vagues et stériles aperçus ; comme, en sens
inverse, cette histoire isolée de cette philosophie serait inexplicable et oiseuse ».
Meyerson, Déduction relativiste, pp. 385-386 : « Le rôle de l’épistémologue
(…) consiste (…) à suivre la science en son développement, non point sans doute
pour la régenter, mais pour accomplir une œuvre essentiellement différente de
celle du savant lui-même, en essayant de préciser les processus de pensée qu’il
met en œuvre ».
Ce qui est promu par cette formule : une épistémologie qui accompagnent les savants, du
passé ou du présent, qui n’entend pas leur indiquer de l’extérieur ce qu’il devrait faire, quelles
sont les normes de la scientificité en général, mais comprendre leur démarche, telles qu’elles ont
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été, y compris lorsque toutes ne se ressemblent pas. Pour prendre les choses d’assez loin et
d’assez haut : l’épistémologie à la française a été beaucoup plus sensible à la diversité des
différentes disciplines scientifiques, mais aussi à leur variation historique.
Bachelard, Le Rationalisme appliqué, p. 121 : « Les régions du savoir
scientifique sont déterminées par la réflexion. On ne les trouve pas dessinées
dans une phénoménologie de première prise ».
—> Notion d’épistémologie régionale. Ce dont le scientifique s’occupe, ce n’est pas des
phénomènes de la nature en général, et il ne le fait pas avec des instruments matériels ou
intellectuels (et par là on veut dire des techniques de calcul, des méthodes, etc.) qui seraient
valables partout. Ce dont il s’occupe, c’est du phénomène particulier qu’il a construit. Dès lors, il
n’y a pas une épistémologie générale, valable également dans toutes les sciences, mais des
épistémologies régionales, spécifiques à chaque science, qui vont décrire la manière dont chaque
science est amenée à construire son objet, à définir sa problématique.
Bachelard, La Philosophie du non, p. 144-145 : « L’arithmétique n’est pas
fondée sur la raison. C’est la doctrine de la raison qui est fondée sur
l’arithmétique. Avant de savoir compter, je ne savais guère ce qu’était la raison.
En général, l’esprit doit se plier aux conditions du savoir. Il doit créer en lui une
structure correspondant à la structure du savoir. (…) La raison doit (…) obéir à la
science. La géométrie, la physique, l’arithmétique sont des sciences ; la doctrine
traditionnelle d’une raison absolue et immuable n’est qu’une philosophie. C’est
une philosophie périmée ».
—> Si on pense à la préface de la Critique de la raison pure, on y voit une alternative, ou
bien ce sont les objets qui déterminent la connaissance, ou bien c’est la connaissance qui règlent
l’objectivité. Il s’agit ici d’introduire un troisième terme, la pratique scientifique, qui va d’une
certaine manière constituer les deux autres : constituer le phénomène, parce que ce à quoi nous
avons en fait affaire en science, ce n’est pas un fait naturel, mais un phénomène produit par la
science. Constituer la raison, parce que la pratique scientifique, dans le texte considéré,
l’arithmétique, va forger ce que Bachelard appelle une « structure de savoir », on pourrait dire
une certain schème, une certaine manière de penser. Autrement dit encore, pour Bachelard, ni les
choses ni la raison ne sont données, elles se forment à l’école des pratiques scientifiques.
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Il s’agit donc, contre une philosophie de la connaissance fondée sur l’idée que la raison est
une, identique à elle-même, première, de mettre en place une épistémologie attentive aux
diversités que manifestent les pratiques scientifiques considérées en tant qu’elles sont distinctes
les unes des autres et en tant qu’elles ont changé au cours de l’histoire.
Le dilemme ou le destin de l’épistémologie française. L’objectif initialement posé par
Comte et Meyerson était, pour le premier, de trouver les « lois » de l’esprit humain, pour le
second, de comprendre le fonctionnement de l’esprit humain en général, d’identifier les principes
selon lesquels nous pensons et nous faisons de la science. On peut se demander si cet objectif est
conciliable avec l’attention à l’histoire, surtout si l’on a renoncé à ce que prétendait Comte :
avoir une loi du développement historique, avoir atteint le moment où les connaissances étaient
« positives ». En tout cas, à force de se tourner vers les positivités empiriques et de s’apercevoir
qu’elles sont toutes différentes les unes des autres, la question qui était initialement posée, à
savoir celle de la connaissance humaine en général, semble être passée au second plan, puis
avoir été oubliée. Certains français continuent de se dire « épistémologues » ou « philosophes
des sciences », mais ils ne parlent plus de la connaissance scientifique en général, ils sont
historiens des concepts scientifiques — ce n’est pas un défaut d’être historien, on peut même
tout à fait valablement soutenir que la question de la connaissance en général ne peut aboutir
qu’à des platitudes ou à des distinctions dignes de la scolastique tardive, bien moins amusantes et
stimulantes que ce que font les scientifiques d’aujourd’hui ou d’hier. Mais ce serait plus simple
d’appeler un chat un chat.
ii) La philosophie des sciences anglo-saxonne.
Sans vouloir tout trouver dans les origines, il faut en indiquer suffisamment pour
comprendre que la différence entre les projets initiaux de i) et ii) a pu induire des styles
différents.
L’origine de la philosophie des sciences anglo-saxonne, c’est principalement ce qu’on
désigne spatialement par l’expression « cercle de Vienne ». Cercle informel qui regroupe dans
les années 1920 des mathématiciens (Hans Hahn, Kurt Gödel), physiciens (Philipp Frank),
sociologue (Otto Neurath), philosophes (Rudolph Carnap, Moritz Schlick, Hans Reichenbach),
historiens (Hartmann, Edgar Zilsel). Cela commence en 1924, « Manifeste » en 1929, dont le
titre exact est « La Conception scientifique du monde ». Sympathisants ou en tout cas en contact
avec : Russell, Wittgenstein, Einstein, Popper. Engagement social et politique dans Vienne la
rouge.
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Autres manières de désigner le même groupe de personnes : « empirisme logique »,
« positivisme logique », « néo-positivisme » — à chaque fois on a la composante « empiriste » à
l’ancienne, et la composante nouvelle, la connaissance de la logique mathématique. Il s’agit donc
d’allier deux choses : empirisme (longue tradition philosophique, par ex. Locke, Berkeley,
Hume) et nouvelle logique (Frege, Russell, Wittgenstein). Se revendiquer de l’empirisme, cela a
une valeur polémique contre les spéculations métaphysiques qui dominaient alors dans les
universités de langue allemande. Pour la logique symbolique fondée par Frege et Russell, elle ne
constitue pas seulement un « modèle à distance » d’expression rigoureuse, mais un instrument de
travail qui devrait servir à mieux analyser les propositions en général.
Avec l’arrivée des nazis au pouvoir, une autre histoire commence : l’émigration dans les
pays anglo-saxons. Assassinat de Schlick sur les marches de l’université de Vienne en 1936 par
un étudiant certes déséquilibré en un sens psychologique, mais également pro-nazi ; après
l’Anschluss, postes universitaires fermés aux juifs en Autriche comme ils l’étaient en
Allemagne. Autrement dit, assassinat qui peut servir d’emblème du mouvement qui a conduit à
l’émigration massive en Angleterre ou aux Etats-Unis : Popper en Nouvelle-Zélande puis à
Londres ; Carnap, Reichenbach et Feigl aux Etats-Unis ; Wittgenstein était déjà à cheval entre
l’Autriche et Cambridge, UK. Modifications profondes : affaiblissement de la dimension
politique — institutionnalisation, cela donne lieu sinon à des manuels, du moins à des synthèses
moins provocatrices (Hempel et Nagel) — rencontre de la philosophie américaine.
* Comment caractériser intellectuellement ce groupe ? Comme pour l’épistémologie
française, comme à chaque fois qu’on fait des catégories, la caractérisation va être une
simplification. Cette précaution une fois prise, on peut dire que l’objectif du cercle de Vienne est
de se débarrasser de la métaphysique grâce à une analyse du langage.
Manifeste de 1929, in Soulez p. 115 : « La clarification des problèmes
philosophiques traditionnels conduit en partie à les démasquer comme de similiproblèmes (Scheinprobleme), à les transformer en problèmes empiriques (…). La
méthode de clarification est celle de l’analyse logique ».
Carnap, « Le dépassement de la métaphysique par l’usage logique du
langage » (1931), in Soulez, p. 173 : « On peut ranger les énoncés (doués de
sens) de la manière suivante : en premier lieu, ceux qui sont vrais en vertu de leur
seule forme (ou tautologies » d’après Wittgenstein. Ils correspondent à peu près
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aux « jugements analytiques » kantiens). Ils ne disent rien sur le réel. A cette
espèce appartiennent les formules de la logique et de la mathématique ; elles ne
sont pas elles-mêmes des énoncés sur le réel, mais servent à leur transformation.
En second, viennent les négations des premiers (ou « contradictions ») qui sont
contradictoires, ie. fausses en vertu de leur seule forme. Pour décider de la vérité
ou de la fausseté de tous les autres énoncés, il faut s’en remettre aux énoncés
protocolaires, lesquels (vrais ou faux) sont par là même des énoncés
d’expérience, et relèvent de la science empirique. Si l’on veut construire un
énoncé qui n’appartient pas à une de ces espèces, cet énoncé sera
automatiquement dénué de sens ».
Texte du Manifeste :
— il faut clarifier les problèmes philosophiques.
— Cette clarification ne consiste pas à choisir entre une réponse positive et une réponse
négative (par ex. « Dieu existe-t-il ? » ou « La vie est-elle irréductible à la matière ? »), mais à
analyser ces problèmes en tant qu’énoncés. C’est cette analyse que permet la logique.
— Dans un certain nombre de cas, on va s’apercevoir qu’il s’agit de simili-problèmes, de
problèmes qui ont l’air de problèmes, mais qui n’en sont pas vraiment, tout simplement parce
que les énoncés qui les décrivent ne sont pas des énoncés doués de sens.
Le texte de Carnap permet de préciser ce que sont les simili-énoncés. Reprenant une
distinction du Tractatus de Wittgenstein, Carnap distingue plusieurs catégories d’énoncés :
— les énoncés analytiques ou tautologiques, qui sont ceux de la logique et des
mathématiques. Ils n’ont pas de contenu empirique. Si on les dit « vrais », ce n’est pas parce
qu’ils correspondent à quelque chose qui effectivement se produit, mais « en vertu de leur seule
forme ». (Exemples : si je pose que tous les corbeaux sont verts et que les lézards sont des
corbeaux, alors les lézards sont verts. Si j’admets le principe qu’on peut substituer à une chose
une autre qui lui est identique, et que j’ai établi que 3+3 = 4 et que 3 = 2+0, alors 3+3 =
2+0+2+0 = 4). Inversement les énoncés contradictoires sont ceux qui, sont faux en vertu de leur
seule forme. (Exemple : n’importe quel énoncé de la forme p et non-p.) Comme ces énoncés
n’ont pas de contenu empirique, on peut dire qu’ils sont dénués de signification (sinnlos), si on
entend par « signification » la capacité à se rapporter à quelque chose d’empirique.
— les énoncés empiriques, qui sont ceux dont non seulement la vérité ou la fausseté, mais
aussi la signification, sont déterminés par une confrontation à l’expérience. (Exemple : « Le
chien est bleu », l’expérience intervient par deux fois, pour indiquer la signification des termes
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contenus dans cette phrase, pour nous permettre de décider si, oui ou non, le chien est bleu. On
pourrait dire que l’on connaît la signification de « chien » en regardant dans un dictionnaire, et
en apprenant qu’il s’agit d’un quadrupède domestique, etc., mais il va bien falloir sortir du cercle
des mots, et revenir au moment où on nous a montré un chien) Ceux-ci ont bien une
signification, et on voit que « vrai » et « faux » n’est pas seulement dans leur cas une question de
forme, mais de rapport avec un contenu donné expérimentalement. C’est cette idée qu’exprime
ce qu’on appelle le principe vérificationniste selon lequel la signification d’un énoncé, c’est sa
méthode de vérification = un énoncé n’a de sens que si l’on peut expliciter par quelle méthode il
peut être confornté à l’expérience
— Dès lors, le problème des énoncés comme « Dieu existe » ou « Dieu n’existe pas »,
c’est de ne rentrer ni dans une catégorie, ni dans l’autre. Ce sont, dit Carnap, des simili-énoncés,
parce que rien ne peut permettre leur vérification, ni leur forme ni leur contenu empirique. Ce
sont des non-sens, ils sont unsinnig. Sans trop entrer dans le détail, deux remarques :
° différentes manières pour les énoncés d’être des non-sens. Les termes, les énoncés.
° radicalité de cette partition. En 1931, Carnap ne nie pas qu’il soit humain d’avancer des
énoncés qui ne sont ni logiques, ni empiriques, mais alors, écrit-il, il faut assumer ce qu’on fait, à
savoir avancer des énoncés qui n’ont pas une valeur cognitive, mais plutôt une vertu expressive
et poétique, les présenter comme tels et se donner les moyens de ses ambitions — par exemple
Nietszche, dans le Zarathoustra, fait ouvertement de la poésie. Le vrai problème qui va se poser
cependant : est-ce que dans les sciences, on a vraiment affaire soit à des tautologies, soit à des
énoncés dont la signification procède d’une vérification expérimentale ?
* D’où, plus généralement, le deuxième point que l’on peut préciser : quel rapport entre
l’entreprise de se débarrasser de la métaphysique par l’analyse du langage et notre cours sur
l’épistémologie des sciences physiques ?
Deux raisons au moins d’aller de l’une à l’autre :
i) Le dépassement de la métaphysique est aussi une purgation interne à la science. Ainsi,
études sur un certain nombre de concepts utilisés dans les sciences, mais que l’on veut soit
démystifier, soit épurer de significations annexes malencontreuses.
exemple 1 : des notions néo-vitalistes, supposées expliquer par exemple la régénération des
membres chez certaines espèces animales. « dominante » chez Reinke, « entéléchie » chez
Driesch. Elles sont critiquées comme n’étant pas définies précisément et surtout, comme ne
donnant lieu à aucune prédiction bien déterminée.
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exemple 2 : le concept de cause. Il ne s’agit pas de bannir le mot, mais de distinguer
différentes acceptions concrètes et positives du mot, en l’occurrence :
— ce que signifie « cause » dans une phrase comme « Jules est cause de la mort de sa
grand-mère » : « Jules en est juridiquement responsable, il mérite des sanctions appropriées ».
— ce que signifie « cause » dans une phrase comme « le passage d’un son d’un milieu plus
dense dans un milieu moins dense cause une augmentation de la vitesse de sa propagation » : « il
y a une corrélation nécessaire, autrement dit une loi entre la vitesse de la propagation du son et la
densité du milieu où il se propage ».
Une fois qu’on a identifié ces deux acceptions, la causalité comme responsabilité et la
causalité comme légalité, il n’y a plus de place pour quoique ce soit, en particulier, on n’a pas à
supposer dans les agents physiques des pouvoirs ou des forces qui les feraient agir de telle ou
telle manière.
ii) la partition entre trois espèces d’énoncés suppose qu’on soit capable de distinguer les
énoncés des sciences expérimentales et ceux de la métaphysique. Cette distinction est fondée sur
l’idée que, dans le premier cas, il y a une vérification (confrontation, mise en rapport) empirique
(observationnelle, expérimentale, on n’a pas encore distingué ces termes), dans l’autre non. Il est
donc naturel de se demander ce que c’est exactement que l’on entend par « vérifier
expérimentalement ». Or cela est problématique :
° Structure déductive des sciences — comment donc faire intervenir dans une structure
déductive de l’observation brute, de l’observation qui nous met en contact avec les choses
mêmes du monde ou en tout cas les choses du monde telles que nous les percevons ?
° Au premier abord, on pense bien voir la différence entre, par ex., la proposition « le chien
est bleu » et la proposition « Dieu a une odeur de rose », en quoi la signification de l’un peut être
lié uen vérification expérimentale, l’autre non. Mais en fait, c’est très compliqué. D’une part, que
faire d’énoncés faisant intervenir des concepts élémentaires comme ceux de force, d’énergie, de
champ ? On ne les rencontre pas dans la rue comme les chiens bleus. D’autre part, qu’entend-on
exactement par vérification ? Faut-il effectivement réduire les énoncés à des des faits
expérimentaux premiers ? La vérification doit-elle être effective ou simplement possible ?
Sans aller plus avant, on voit bien qu’il ne s’est pas agi pour les néo-postivistes de faire
une théorie de la connaissance reposant sur une analyse des sciences du passé, mais de poser,
dans le contexte d’une entreprise plus générale visant à « dépasser la métaphysique », d’utiliser
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les ressources fournies par l’analyse du langage pour délimiter ce qui faisait la particularité de la
science en général. Titre significatif, Nagel, The Structure of Science, c’est la science, c’est une
structure universelle, pas une histoire des sciences.
* Comme on l’a fait dans le cas de l’épistémologie française, il faudrait insister sur les
différences d’individu à individu, d’ouvrage à ouvrage, etc. Le positivisme logique est une vaste
ombrelle qui regroupe des auteurs ayant soutenu des thèses opposées et ayant, si on les prend un
par un, évolué. Cette remarque vaut d’abord contre une caricature qui est souvent donnée,
comme s’il avait fallu attendre Kuhn et Feyerabend pour comprendre les limites d’un
programme utopique et dogmatique. En fait, dès les années 30, il y eut discussions, critiques,
contestations, remises en cause de tel ou tel point.
On en donnera ici qu’un exemple, qui n’a pas trait directement à l’épistémologie, mais qui
est éminent : y a-t-il encore une place pour la philosophie, et laquelle, une fois la métaphysique
dépassée ? Bien évidemment, on a pu reprocher aux empiristes logiques de vouloir détruire la
philosophie, comme on a reproché à Kant par ex. de vouloir détruire la métaphysique. Une
première réponse est immédiate : il ne s’agit pas de la détruire, mais de la transformer, de la
réformer une fois pour toutes. Mais cette première réponse ne dit évidemment pas tout, parce
qu’il reste à savoir quelle est, de manière plus constructive, la place et le statut de la philosophie
si l’on partage les énoncés doués de sens entre d’un côté les énoncés empiriques et de l’autre les
énoncés analytiques. A l’intérieur même du cercle de Vienne à proprement parler, au moins trois
conceptions sur ce que peut faire la philosophie (outre sa tâche ménagère, consistant à éliminer
de faux problèmes). Pour aller du rôle le plus faible au rôle le plus fort :
— selon Neurath, les sciences produisent elles-mêmes leur propre théorie, ce que peut tout
au plus faire la philosophie, c’est les coordonner
— Schlick, ce qui définit l’activité philosophique, c’est sa capacité à élucider et clarifier
les concepts (conséquences : on peut donc faire de la philosophie sans être philosophe ; il n’y a
pas de connaissance spécifiquement philosophique).
— selon Carnap, « La tâche de la logique de la science » (1934), la philosophie a une
tâche logique : il s’agit de reconstruire le discours de la science dans un système logique formel,
plus précisément de dégager la syntaxe logique du langage scientifique.
[Ce qu’on entend en général par « syntaxe d’une langue » : les règles de formation et de
transformation des propositions d’une langue, indépendamment de la signification et de la
référence des termes effectivement employés (formation : comment faire une phrase correcte
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avec des verbes, des noms, quelle espèce de noms il existe — transformation : comment déduire
correctement une phrase d’une autre). De même, dans le cas de la syntaxe logique, il s’agirait de
s’abstraire du contenu particulier des propositions scientifiques et d’énoncer des règles formelles
permettant de reconnaître, par exemple, une proposition bien formée scientifiquement ou de
savoir si elle est déductible d’une autre proposition.]
Donc, pour récapituler sur i) et ii) :
Epistémologie à la française
Philosophy of science
Descriptive
Normative
Au pluriel : il y a des sciences
Au singulier : il y a une norme de la science
Mettre en valeur l’historicité des sciences
Dégager la structure de toute science
Comme toujours, il ne faut pas caricaturer, il y eut des exceptions, mais en gros tout de
même jusque dans les années 80-90, situation d’ignorance réciproque.
Pourquoi la situation a évolué :
— du côté anglo-saxon. Entrée en force de l’histoire avec Kuhn et Feyerabend — tous
deux s’opposent à l’idée que cela a un sens de parler de la science en général ; ils y opposent
l’idée d’une pluralité et d’une historicité des sciences.
— du côté français. Connaissance de plus en plus sérieuse de la pratique de la philosophie
anglo-saxonne ; un certain nombre de traductions.
Cela ne veut pas dire que la différence entre les deux styles a été résorbée ou absorbée ; il y
a bien une manière de s’intéresser aux sciences de manière plus descriptive, qui se rapportent
aux sciences telles qu’elles se sont constituées, et une manière, sinon plus normative, du moins
plus abstraite.
Il ne s’agira pas ici de choisir, mais de faire un peu des deux.
Il est plus simple de poser des questions philosophiques générales que d’entrer dans le
détail de l’histoire, qui appelle un certain nombre de précisions historiques, et des connaissances
scientifiques détaillées.
Cela dit, des études de cas historiques, souvent tirées du XVIIe siècle, à la fois parce que je
connais bien et parce que ce n’est pas compliqué. Bénéfice attendu de ces études de cas :
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— pour les historiens de la philosophie moderne, avoir un peu de contexte, comprendre
que la philosophie n’est pas séparée des sciences à l’époque comme elle peut l’être aujourd’hui.
— pour les philosophes, avoir un peu de matière, ne pas parler à vide ou de manière
seulement formelle.
— pour les scientifiques, s’éloigner un peu de la science toute faite qu’ils connaissent bien,
celles des manuels, et se rendre compte que le processus historique de la constitution des
connaissances est plus compliqué qu’ils ne l’imaginaient.
Insister : ces études de cas ne sont pas supposées illustrer comme le feraient des cas
particuliers les généralités qui sont dites dans les parties plus philosophiques. Ce sont deux
choses indépendantes, et, s’il y a une moralité à tirer, c’est plutôt que cela ne se rejoint pas.
3. De la physique, ou plus exactement des sciences expérimentales
Un certain nombre des choses qui vont être dites dans ce cours ne vaut pas seulement des
sciences physiques, mais de toutes les sciences expérimentales. Sciences physiques définies par
leur objet (la nature…), expérimentales par leur méthode (comment est-ce qu’on constitue cet
objet en objet scientifique).
En simplifiant, les sciences physiques se trouvent dans un entre-deux peu confortable
qu’on peut comprendre si on analyse l’espèce de propositions qu’on y trouve :
— contrairement aux mathématiques ou à la logique, elles ne sont pas fondées sur des
tautologies, ou sur des propositions analytiques. Ce n’est pas en restant à son bureau qu’on fait
de la physique, il faut à un moment ou à un autre retrouver l’expérience.
— contrairement aux énoncés tirés plus ou moins immédiatement de la vie quotidienne,
par ex. « aujourd’hui…, je fais cours », « hier à 17.00, j’ai vu un vol d’étourneaux bleus », uen
affirmation comme « des morceaux de matière s’attirent proportionnellement à leur masse et
inversement au carré de la distance qui les séparent » prétend avoir une portée qui n’est pas
seulement celle de l’ici et du maintenant, mais qui a une certaine généralité. Et encore, pas
n’importe quelle généralité : « tous les mercredis je fais cours » ou même « tous les mercredis il
y a cours » ≠ « entre tous les corps il existe une attraction douée de telle et telle caractéristique ».
C’est pourquoi (≠ épistémologie des mathématiques : problème du statut des entités
mathématiques) le problème central de l’épistémologie de la physique est d’élucider la manière
dont on peut élaborer, à partir de données d’expériences ou d’observations, quelque chose
comme des propositions scientifiques.
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— Comment passer d’une expérience au sens le plus subjectif (ma perception sensible, pas
encore mise en mots) à un énoncé objectif, exprimé d’un langage formel ?
— Quelle est la fonction des expériences en physique ?
— Que veut dire « expliquer » en physique ? Qu’est-ce qui caractérise une loi, une
théorie ?
— Pourquoi avons-nous l’idée que toute science passe par les mathématiques ? Qu’est-ce
que qu’ajoutent ou enlèvent les mathématiques ?
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