1 Réflexions sur les futures orientations possibles de la recherche

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Réflexions sur les futures orientations possibles de la recherche en marketing
par
Stefano Podestà et Michela Addis
A paraître dans :
Silva, F. Carù, A. et Cova, B. (eds.)
Marketing Méditerranéen et Postmodernité
Euromed, Marseille
2005
1
Résumé
Par l’examen de l’histoire du marketing et l’analyse épistémologique suivante, cet article
fait ressortir quelques limites concernant l’expression traditionnelle de la recherche. A partir
de cette évidence, l’adoption du postmodernisme provoque quelques effets stupéfiants dans le
domaine du marketing et plus particulièrement pour la recherche afférente au marketing.
Selon cette nouvelle perspective, il convient de reconsidérer un grand nombre de concepts
entérinés, parmi lesquels figurent la connaissance, le progrès scientifique, la méthodologie et
la rigueur. Ainsi apparaissent les plus probables orientations futures de recherche avec la
proposition d’une interprétation postmoderne de la recherche marketing : la recherche fondée
sur l’expérience.
Mots clés
Research, postmodernism, science
2
Introduction
Depuis que le « postmodernisme » a fait son apparition chez les chercheurs en tant que
nouveau concept philosophique et scientifique, un débat a également commencé dans le
secteur de l’économie d’entreprise, avec toutefois des divergences d’opinion entre les
intervenants, concernant une nouvelle interprétation du marketing et des thèmes évoqués,
ouvrant de nouveaux horizons aux chercheurs et des possibilités de développements
intéressants, comme cela se produit également dans d’autres domaines. Dans un cas extrême,
il se pourrait que la force de son impact nécessite de reconsidérer le contexte de l’économie
d’entreprise dans sa dimension académique ainsi que sa théorie et les méthodes de recherche
en vigueur. En effet, la prise en compte d’une vision postmoderne du monde met en
discussion le concept de vérité et de toute autre certitude ayant préalablement servi de base au
« modernisme » et nécessite une redéfinition complexe du processus de recherche.
Cette étude a pour objet une interprétation épistémologique du domaine particulier
d’entreprise « marketing », à partir de l’analyse de la littérature correspondante publiée
jusqu’à présent en créant régulièrement des liens entre le plan de conception philosophique et
celui de la recherche marketing.
L’examen de la littérature marketing et de son évolution depuis le début des années
Cinquante fait ressortir une nette tendance « moderne » – étant entendu que « moderne » se
réfère à une vision du monde bien précise, sans aucune signification positive habituellement
attribuée à ce terme – dont l’acceptation génère les principes et les concepts du marketing qui
sont à présent acceptés d’une manière générale. Bien que quelques auteurs se soient
distingués en critiquant les principes fondamentaux du marketing au fil des ans – les premiers
d’entre eux étant les chercheurs du marketing relationnel et ceux du marketing fondé sur
l’expérience –, leurs observations portent encore sur l’aspect principal d’une vision du monde
3
« moderne ». En effet, l’étude épistémologique du marketing offre l’occasion d’approfondir le
courant de pensée actuellement prédominant – précisément le « modernisme » - et du nouveau
courant de pensée « postmoderne ». La critique virulente de ces modes de pensée permet de
mieux en aborder les fondements épistémologiques en vue de proposer quelques premières
réflexions concernant leur impact dans le domaine du marketing, en considérant que
l’adoption d’un mode de pensée – qu’il soit moderne ou postmoderne – implique également
l’adoption de son épistémologie.
En effet, dans le cas où le postmodernisme s’affirmerait, le marketing ne pourrait plus
assumer ses principes actuels ni sa teneur tout en continuant à défendre ses positions qui se
sont renforcées lors des cinquante dernières années. Cette discipline s’est développée en
essayant d’apporter régulièrement aux entreprises les aides adéquates pour définir des
stratégies de marché gagnantes. Les concepts du marketing, perfectionnés au fil du temps,
étaient surtout destinés à servir de support à la gestion.
La présente analyse fait ressortir comment l’extrême sophistication du marketing a
partiellement détourné l’attention des chercheurs de la théorie, celle-ci étant surtout orientée
vers la méthode : il s’est ainsi développé un mécanisme pervers par lequel le caractère
scientifique de la discipline était garanti avec l’utilisation de méthodes scientifiques réputées
universelles et immuables. Le noyau de la méthode, découlant de la nécessité de faire du
marketing une discipline à caractère académique, a créé une distinction de plus en plus grande
entre une littérature de marketing destinée à la gestion et une littérature de marketing destinée
à l’environnement académique. Si la première tend à mettre en évidence les implications
managériales (donc opérationnelles et concrètes) de l’aide, par contre, la seconde insiste
principalement sur l’adoption d’une méthode scientifique qui, dans des contextes très
complexes, est souvent assortie d’une spécialisation excessive, bien que soutenue par une
modélisation sophistiquée. Donc, en poussant à l’extrême, l’adoption du postmodernisme
4
pourrait se traduire par une critique d’aspects importants du « caractère scientifique » du
marketing en tant que domaine d’enquête, au moins dans le sens admis jusqu’à présent. Une
telle critique, loin de menacer l’existence du marketing, génèrerait plutôt une singulière
réflexion de la discipline. En effet, la pensée postmoderne souligne le rôle de l’expérience
dans l’élaboration de la théorie : la méthode redevient un support de la théorie mais pas le
contraire. Ce rééquilibrage des rôles se traduit, pour les chercheurs, par une perte de
nombreux critères consolidés concernant l’évaluation et le jugement d’une théorie ; il s’avère
aussi nécessaire de reconsidérer la signification de leur travail et – non le moindre – de
redéfinir leurs responsabilités. Même lorsque le marketing change d’habit, il perd de son
prestige scientifique pour devenir un corps de connaissance créé par l’homme pour l’homme.
Les rôles respectifs du chercheur et de la discipline sont très risqués et représentent
parallèlement un grand challenge.
La non-considération de toute référence objective – ô pseudo-objective – de la méthode
dans le cadre de référence utilisée par le chercheur pour l’évaluation de toute recherche
implique la non-considération de tout support standard extérieur à l’activité de recherche. Le
chercheur, se trouvant ainsi privé d’ancrage à un standard, est impliqué dans un défi risqué.
En effet, l’ancrage à la méthode, à son caractère scientifique et à sa rigueur, a toujours
constitué un filet de protection pour le chercheur : le respect des filières standard, bien
considérés par la communauté académique, donnait une garantie de la qualité du travail
effectué et de son acceptation par le public de référence. Toutefois, ce même filet de
protection devenait aussi la cage du chercheur, au-delà de laquelle il ne pouvait pas aller, sous
peine de déconsidération académique du chercheur.
Par contre, le fait d’embrasser complètement le postmodernisme signifie l’abandon de tout
filet et de toute cage ; ainsi, il est demandé au chercheur de risquer davantage mais également
5
d’être – enfin – libre : libre de toute contrainte, de toute dichotomie, même du choix entre le
vrai et le faux et donc capable de faire l’expérience qu’il veut, comme il veut.
Par conséquent, il existe un seul critère pour évaluer la recherche : l’enrichissement des
connaissances du simple particulier et de la collectivité procuré par l’expérience de la
recherche, également vécue par le chercheur. Il est évident que le processus de génération de
connaissance est infini et intarissable, car plus l’homme (et la collectivité) s’enrichit, il
apprend au sens large, et plus il se rend compte de son ignorance. La connaissance « incite » à
la connaissance.
1. Le corps de la discipline du marketing
L’origine du marketing peut être située dans la littérature d’entreprise américaine de la fin
des années Cinquante et du début des années Soixante, quand quelques membres d’académie
commencèrent à s’interroger sur certaines méthodes de gestion et, en particulier, sur l’origine
du succès de l’entreprise. Ces articles, actuellement considérés comme les pierres miliaires du
marketing, ont fixé les concepts de base de son développement pendant plusieurs décennies ;
aujourd’hui on accepte encore ce domaine de connaissance humaine. Par exemple, Felton
(1959) dénonça l’absence de conscience dans les entreprises américaines concernant les
processus leur permettant d’atteindre les objectifs commerciaux envisagés. En commençant
par l’examen des entreprises ayant fait faillite après avoir tenté de se positionner sur le
marché, l’auteur indique quelques suggestions pour créer un « marketing concept » de
réussite, défini en tant que formulation mentale fondée sur la coordination et sur l’intégration,
avec l’activité correspondante, des fonctions destinées à optimiser les profits à long terme.
Ensuite, Borden (1964) a rendu ce concept opérationnel, dont le comportement mental initial
a été transposé en un ensemble d’éléments – outils – à disposition du « marketing manager »
6
permettant l’élaboration des stratégies marketing. Ces outils permettent de détailler en
dernière analyse chaque programme d’action marketing. Ainsi est défini le concept de
marketing-mix qui sera ensuite souvent pris en considération du fait de sa simplicité et de la
possibilité d’associer le concept de valeur économique (fondamental dans l’esprit marketing)
à l’action concrète de gestion, en tant que pilier portant de la discipline1.
Au fil des ans, ces conceptions ont fait l’objet d’un processus continu de rationalisation et
de perfectionnement. Les activités reconductibles dans le cadre du marketing ont évolué dans
le temps, en s’inspirant souvent d’autres disciplines : comme, par exemple, le cas de la
segmentation du marché dont la méthode résulte de la psychologie et des statistiques, puis
celui de l’étude du comportement de l’acheteur et du consommateur, qui s’est fondé sur des
principes et des modèles psychologiques, sociologiques, économiques, et bien d’autres
encore2. Outre les cas particuliers, tout le corps de la discipline a fait l’objet d’un
perfectionnement continu en vue de définir les outils et les méthodes utiles pour répondre aux
besoins du marché ainsi qu’à ceux des managers. Ce processus a largement contribué à la
divulgation de la discipline, par la création d’un langage bien accepté et universellement
identifié – par la communauté académique, par les professionnels et, non les moindres, par les
étudiants de deuxième et troisième cycle – en tant que principes de Gestion Marketing. Ces
principes d’origine doivent naturellement se retrouver dans le « marketing concept » qui a
également fait l’objet d’un perfectionnement continu au fil du temps. A partir des premières
ébauches de définitions du début des années Soixante, le concept de marketing est devenu un
ensemble de principes de base, illustré par l’expression « orientation vers le client » (Kotler,
1972). L’orientation vers le client – ou vers le marché selon une acception différente
1
Le terme, suggéré initialement par J.W. Culliton, a fait l’objet d’une étude approfondie et a été introduit dans la
littérature pour la première fois par Borden N.H., Marshall M.V. (1959).
2
Burton (2002) a souligné que la pluridisciplinarité est plus une déclaration d’intention qu’un comportement
concret des spécialistes de marketing, tant par la difficulté de gérer une très ample littérature hétéroclite aux
limites incertaines que par l’absence de mécanismes stimulants.
7
seulement dans la forme – fait du client une référence fondamentale et dominante de
l’entreprise : c’est seulement en fonction de ses besoins que l’entreprise projette et réalise son
offre destinée, par conséquent, à satisfaire le mieux possible ses clients. L’orientation vers la
satisfaction du client apparaîtrait effectivement comme étant la meilleure solution à long
terme, car elle permet de guider l’entreprise dans l’incertitude du futur (Oliver, 1996;
Reichheld, 1996; Costabile, 2001). Ainsi, l’orientation vers le client est la philosophie de
gestion qui rend les actions de marketing légitimes et l’ensemble cohérent et harmonieux.
C’est seulement en lui-même que le processus de marketing a une signification, depuis l’étude
de l’environnement et de ses éléments (y compris la concurrence et le marché), pour assumer
les décisions stratégiques – segmentation et positionnement – qui trouvent enfin une
application concrète dans les décisions opérationnelles : en fait, ledit « marketing-mix ».
Cette définition du marketing a vite fait l’objet d’un consensus croissant et général, déjà
depuis les années Soixante-dix, ainsi transposé en un véritable « evergreen » (Troilo, 1993)
ou – selon l’expression formulée par les plus critiques – en un « marketing mégalomane » ou
encore en une « Kotlerite » (Brown, 2002). La grande simplicité d’utilisation du marketingmix, créé initialement pour transposer in termes opérationnels le « marketing concept », a été
une des principales causes de la grande diffusion du marketing en tant que discipline3 et de
l’ample crédibilité obtenue. Toutefois, il en est résulté une stagnation indubitable des
recherches et des études marketing. En effet, les projets de recherche ont été effectués presque
exclusivement dans le domaine du cadre de référence précité, en développant uniquement
dans ce contexte des modèles théoriques et des références opérationnelles en vue d’orienter
l’entreprise vers des meilleures performances économiques. Le cadre de référence est resté le
même, sans aucun changement pendant les décennies suivantes : le marketing-mix a été
3
Troilo (1993) faisait déjà ressortir comment le succès du marketing-mix était imputable à la possibilité de
planifier les activités et à la rationalité économique qui lui sont propres. Par contre, selon Brown (2002), le
8
tellement considéré en tant que réalité révélée et indiscutable que, pendant très longtemps et
dans la condescendance générale, aucune critique n’a été enregistrée à propos de sa
pertinence. Ce phénomène d’homologation généralisée pourrait certainement résulter de la
très grande netteté, simplicité, utilité et applicabilité des principes du marketing de gestion.
Toutefois, il existe d’autres explications résultant de l’interprétation sociologique de la
connaissance (Bloor, 1976), connue également en tant qu’épistémologie sociale (Schmitt F.,
1999). Dans ce sens, la connaissance représenterait « ce qui est collectivement considéré
comme tel » (Bloor, 1976: p. 9). Par conséquent, la science ne serait pas vraiment objective,
mais plutôt intersubjective (Toraldo di Francia, 1993). Dans cette perspective, le processus
continu d’amélioration de la discipline devient une déclaration d’appartenance à un groupe
social – l’académie internationale de marketing – et un processus de reconnaissance sociale de
ses membres, ou plutôt en dernière analyse, rien d’autre qu’un exemple d’isomorphisme.
Le besoin ressenti d’améliorer les effets des stratégies marketing, dans un contexte
d’évolution toujours plus rapide et de moins en moins compréhensible, a nécessairement porté
les chercheurs à surévaluer leur spécialité ; ainsi ils apparaissent souvent comme des grands
spécialistes d’outils et d’aspects particuliers du marketing4. Cette tendance évolutive des
contributions du marketing est également alimentée par les articles parus dans les
« A Journal » qui publient généralement des contributions à caractère très spécialisé, étayées
par une copieuse analyse empirique, mais peu consistante. Pour cette raison, ces publications
ont été également dénommées par la critique « Journal of Marketing Obscurity » (Piercy,
2000 ; Baker, 2001).
succès du « marketing-concept » s’explique par le besoin ressenti par les spécialistes marketing de croire en
quelque chose, indépendamment de son contenu.
4
La tendance vers la spécialisation des sciences a commencé à se développer en Francia au début du XIXe siècle
et, partant de là, elle s’est étendue aux économie de pointe (Geymonat, 1972).
9
Si d’une part, cette tendance spécialise les compétences et permet à la discipline de
progresser de façon « scientifique »5, d’autre part, il existe un grand risque de perdre de vue le
cadre conceptuel de référence dans le domaine duquel ces compétences s’inscrivent. C’est
aussi probablement à cause de cette tendance que le marketing a fait l’objet d’importantes
critiques au fil du temps, mais celles-ci n’ont pas pour autant entraîné de changement de la
théorie générale initiale, ayant seulement influencé l’évolution ultérieure du marketing. Cette
approche du marketing relativement simpliste a transformé en victimes aussi bien la théorie
générale du marketing que les consommateurs eux-mêmes, réduits généralement à de simples
numéros (soit des données quantitatives) par les spécialistes marketing, sans parler des
étudiants universitaires qui ont été contraints d’apprendre les principes marketing comme un
simple livre de cuisine avec des ingrédients à mélanger et des formules (presque toujours
assez rigides) à appliquer en toutes circonstances. Aujourd’hui encore, dans la plupart des
entreprises, les tâches marketing sont l’apanage de spécialistes, considérés par ailleurs comme
les derniers responsables de l’orientation stratégique de l’entreprise, qui n’ont rien d’autre à
faire que d’appliquer des formules et des recettes apprises pendant les études et perfectionnées
dans la pratique (dont on reconnaît le dynamisme et l’hétérogénéité partielle)6.
Le malaise de cet état de fait a commencé à se manifester sous plusieurs formes : la
tendance à la consommation, le féminisme, les incursions sociologiques et ainsi de suite. Il
s’agit d’une manière générale de filières très segmentées et peu systématiques, à l’exception
de deux filières qui ont assumé leur propre identité : le marketing relationnel et le marketing
fondé sur l’expérience.
5
La signification traditionnelle de la science est acceptée pour le moment ; dans les pages suivantes l’argument
sera approfondi.
10
2. Les critiques sur la discipline du marketing
2.1. Deux critiques importantes sur le marketing
Le progrès scientifique se situe dans le domaine de la connaissance humaine à travers un
processus désormais standardisé : théorie, critique et nouvelle théorie. Le marketing suit
également cette approche générale. Concrètement, cela signifie que chaque contribution
marketing – comme pour tout autre discipline – débute par l’analyse de la littérature, puis
repère un point critique résultant d’une faible correspondance entre la théorie et la réalité pour
procéder ensuite à la reconstruction de la connaissance de cette partie spécifique, tout en
contribuant à l’amélioration des connaissances de la société.
Dans le domaine de la littérature marketing, il est possible de trouver quelques approches
critiques avec des points communs qui génèrent une réelle mouvance de reconstitution de la
discipline. En particulier, deux principales filiales ont soumis la discipline du marketing à une
critique virulente : la filière du marketing relationnel et la filière du marketing fondée sur
l’expérience. Les deux filières ont accusé la discipline de s’être fourvoyée en se concentrant
sur la modélisation de schémas interprétatifs de la réalité qui se sont révélés trop éloignés par
rapport à celle-ci et donc non capables de donner une explication exhaustive pouvant être
généralisée.
Dans l’ordre chronologique, la première filière qui a mis la discipline en situation de crise
est celle qui a été plus connue par la suite sous l’appellation de marketing relationnel. Dans
les années Soixante-dix, une partie de la littérature marketing a commencé à s’interroger sur
l’objet de la discipline et sur son extensibilité à d’autres cas de la réalité (Ferrero, 1992). En
particulier, l’Ecole Suédoise de Marketing Industriel et l’École Nordique des Services ont
constaté en même temps que le marketing s’adaptait bien aux rapports d’échanges afférents au
marché des biens de consommation de masse, pour lesquels il était initialement projeté ; mais
6
Le phénomène apparaît aussi clairement par l’analyse de livres de texte qui proposent des grandes « checklist »
11
elles l’ont accusé de perdre son efficacité analytique et interprétative du moment qu’il était
utilisé tel quel dans d’autres cas de figure, dont en particulier le secteur des biens industriels
et celui des services.
Le marché des biens de consommation de masse se distingue par une demande fortement
atomistique, dans laquelle les aspects personnels de l’acheteur perdent toute importance
laissant la place à l’anonymat et à l’homogénéité des attentes, analysables dans l’hypothèse la
plus sophistiquée au moyen de techniques de segmentation également très fines dans certains
cas. Selon ce schéma, le consommateur est tout à fait passif et il subit la politique de
l’entreprise sans jamais avoir la possibilité de l’influencer de quelque manière que ce soit ; la
seule réaction qui lui est permise consiste à choisir entre des offres alternatives préconstituées. La balance du pouvoir d’échange est asymétrique et déséquilibrée : le simple
acheteur n’a pas de pouvoir de décision étant donné que sa force contractuelle est
proportionnelle au poids – en pourcentage – de son achat par rapport au chiffre d’affaires
global de l’entreprise, donc quasiment nulle.
Selon le point de vue des partisans de l’aspect « relationnel », la situation exposée est en
grande partie différente de celle constatée pour les marchés des biens industriels ou les
services qui, par contre, présentent encore tellement de particularités spécifiques qu’ils
peuvent être considérés comme des marchés à part où le client apporte une participation
particulièrement active, en tant que consommateur, producteur et agent de production. Pour
cela, il devenait nécessaire d’aborder une nouvelle réflexion du marketing. Si, en ce qui
concerne le marché des biens de masse, la littérature avait situé l’échange au centre du rapport
entre la demande et l’offre, et par conséquent au centre de l’analyse, les nouvelles idées
exprimées vers la fin des années Soixante-dix et le début des années Quatre-vingt remplacent
le concept d’échange par le concept relationnel : c’est-à-dire que le rapport instauré (de façon
(Gummesson, 2002) généralement de nature prescriptible (Burton, 2001).
12
plus ou moins continue) entre l’acheteur et le vendeur , plus important pour l’analyse que le
simple acte d’échange (souvent sporadique). Tant l’École Suédoise de Marketing Industriel
que l’École Nordique des Services soulignent le rôle décisif de la perspective du long terme
pour la gestion de ces marchés. A partir de ce dénominateur commun, les deux écoles
développent leurs propres orientations : les chercheurs des marchés industriels se concentrent
surtout sur les rapports entre les entreprises, en se référant en particulier à la notion de
confiance et au concept de réseau de relations (Håkansson, Östberg, 1975; Håkansson, 1982 ;
Jackson, 1985 ; Hallén, Sandström, 1991; Ganesan, 1994 ; Morgan, Hunt, 1994 ; Doney,
Cannon, 1997 ; Smith, Barclay, 1997 ; Duncan, Moriarty, 1998) ; les chercheurs des services
se concentrent sur les différences de services par rapport aux biens et plus particulièrement
sur l’interaction continue et nécessaire entre le producteur et le consommateur (Berry, 1980 ;
Normann, 1985 ; Turnbull, Valla, 1985 ; Grönroos, 1990 ; Grönroos, 1991 ; Grönroos, 1994 ;
Vavra, 1995). En outre, au fil du temps, vu l’importance de l’approche relationnelle, celle-ci a
aussi été prise en considération pour les marchés de consommation où il apparaît nécessaire
de considérer également la vision du consommateur dans toutes les orientations marketing
(Busacca, Grandinetti, Troilo, 1998). En vertu des particularités des nouveaux contextes pris
en considération, ces auteurs font ressortir les faiblesses de la position traditionnelle du
marketing, qu’ils définissent « marketing traditionnel » ou « paradigme traditionnel » du
marketing, qui ne semble pas adaptée aux contextes dans lesquels l’entreprise peut repérer et
traiter son interlocuteur de façon individuelle.
La seconde critique importante du marketing « universel » est survenue quelques années
plus tard par la filière du marketing fondé sur l’expérience. L’interprétation fondée sur
l’expérience du comportement du consommateur fait son apparition au début des années 80
en contradiction avec la filière traditionnelle et hégémonique d’études sur le « consumer
behavior », dont les premières contributions remontent aux années 60, constituant la filière
13
utilitariste ainsi dénommée par les auteurs de la position fondée sur l’expérience (représentant
encore actuellement la plus importante filière de recherches dans le domaine du « consumer
behavior ».
Vers le milieu des années Quatre-vingt, quelques chercheurs ont commencé à proposer une
interprétation élargie du « consumer behavior », en faisant ressortir quelques limitations
spécifiques de la filière d’études utilitaristes, dont en particulier la théorie de la rationalité
distincte de l’individu. En se concentrant sur le simple acte d’achat, la filière utilitariste a mis
en évidence la matrice rationnelle qui guide l’acheteur pour résoudre le problème décisionnel
– un problème de choix entre plusieurs produits – auquel il est confronté. En effet, la
résolution du problème décisionnel est un aspect qui permet une bonne interprétation
rationaliste de la consommation et, en particulier, une modélisation sophistiquée, parfois
exagérée. Si d’une part les chercheurs de « consumer behavior » ont ainsi accumulé une
quantité consistante de connaissances sur l’argument, ils ont, d’autre part, négligé totalement
les autres aspects de la consommation sans matrice rationnelle, dont en particulier
l’interaction entre le consommateur – et non l’acheteur – et le produit : c’est-à-dire la réelle et
propre expérience de consommation, dont la définition est, par sa nature, incertaine et
difficile. La nécessité d’associer des disciplines différentes – devenues réputées incompatibles
au fil du temps – pour avoir une vision plus complète de l’homme et de ses choix a même été
reconnue récemment, par l’attribution du Prix Nobel 2002 d’Economie à Daniel Kahneman
qui a introduit des éléments de recherche psychologique dans les sciences économiques.
Bien que la filière du marketing fondé sur l’expérience ait formulé, seulement en 1999, ses
critiques explicites sur le marketing traditionnel (Schmitt B., 1999), l’attaque remonte
effectivement à l’année 1982, quand Hirschman et Holbrook effectuent la première
confrontation entre l’approche traditionnelle et l’approche fondée sur l’expérience de l’étude
du comportement du consommateur. Les deux chercheurs, précurseurs de cette filière
14
d’études qui a, au fil des ans, patiemment recueilli les avis favorables et partagés, ont
reformulé les différences entre les deux approches concernant les structures mentales
utilisées, les catégories de produits analysés, l’utilisation du produit et considéré les
différences individuelles existantes. Par conséquent, cette comparaison souligne les
caractéristiques essentielles de l’interprétation fondée sur l’expérience du « consumer
behavior ». L’attaque portée contre l’approche traditionnelle concerne plus particulièrement
les théories de la rationalité et de l’utilitarisme du consommateur. Selon les théoriciens
traditionnels du « consumer behavior », concepteurs de la position traditionnelle (Nicosie,
1966 ; Engel, Blackwell et Kollat, 1968 ; Howard, Sheth, 1969; Holloway, Mittelstaedt et
Venkatesan, 1971 ; Walters, Gordon, 1970), le comportement du consommateur est régi par
une rationalité générale qui permet de résoudre aisément tout problème décisionnel, dont en
particulier la décision d’achat, afin de repérer l’offre la plus utile pour le consommateur.
Ainsi, l’objet de l’étude pris en considération par ces chercheurs est le processus décisionnel
qui conduit un individu à se prononcer pour un choix d’achat déterminé et l’objectif final
consiste à élaborer, par le même processus, un modèle universel de référence (Zaltman,
Wallendorf, 1979). Il est évident que l’on peut faire remonter l’origine de cette interprétation
du « consumer behavior » à la matrice utilitariste de la théorie économique générale (Busacca,
1990 ; Sherry, 1991).
Dix-sept ans après, Bernd Schmitt (1999) reprend le même schéma de comparaison
analytique en modifiant légèrement les catégories de comparaison, en faisant surtout ressortir
de nouveau le contraste entre la filière traditionnelle et la filière fondée sur la nouvelle
expérience7. Toutefois, la comparaison de Schmitt implique le marketing traditionnel, dont
l’expression semble définir l’ensemble des principes, des modèles et des outils du marketing
7
Le grand espace temporel entre les deux articles cités dans le texte (dix-sept ans) et la grande similitude au
niveau des contenus (comparaison entre les deux théories) montrent les difficultés rencontrées par la filière
fondée sur l’expérience dans son processus d’affirmation dans le monde académique international.
15
de gestion. De toute façon, la filière fondée sur l’expérience se développe d’abord de façon
antithétique à la filière hégémonique, en constituant une réelle réaction au modèle traditionnel
de « consumer behavior » et en laissant augurer une révision des modèles et outils afin de
mieux coller à la réalité. En effet, c’est justement dans le but d’étudier les comportements de
consommation de produits hédonistes (catalogués en tant que produits non purement
« rationnels ») qu’est défini le concept d’expérience qui souligne l’importance des émotions
individuelles (Carù, Cova, 2002).
2.2. Une lecture critique des critiques du marketing
A première lecture superficielle, les deux grandes critiques précitées semblent n’avoir rien
en commun. Mais il est indubitable qu’il existe des différences importantes : d’abord, la
culture qui les a vues naître est différente – alors que le marketing relationnel est originaire du
Nord de l’Europe, le marketing fondé sur l’expérience est de source nord-américaine – ;
ensuite, l’objet de la critique est différent comme, par conséquent, le décalage avec la théorie
traditionnelle – le marketing relationnel attaque l’élargissement du marketing traditionnel à
l’ensemble des secteurs ; par contre, le marketing fondé sur l’expérience porte son attaque sur
la théorie de la rationalité du consommateur sur laquelle est traditionnellement fondé le
développement du « consumer behavior » – ; enfin, la terminologie utilisée est différente, le
concept de marketing traditionnel évoqué précédemment étant évident.
Pourtant, malgré ces différences flagrantes, le marketing relationnel et le marketing fondé
sur l’expérience ont quelques points communs. Les deux filières d’études ont attaqué le
marketing avec des argumentations très similaires. Le marketing relationnel s’est développé à
partir de l’analyse de l’applicabilité des modèles traditionnels de marketing à des réalités
originales, comme le secteur des services et le secteur des biens industriels. De la même
16
manière, les premières études connues concernant le marketing fondé sur l’expérience ont
souligné que les modèles consolidés d’étude du comportement du consommateur ne
s’appliquent pas correctement à l’étude de situations spécifiques, dont en particulier les
produits hédonistes qui présentent par leur nature une forte composante émotive. Au fil du
temps, la vision de ces chercheurs s’est élargie pour inclure une plus ample variété de
produits, même non purement hédonistes (Addis, Holbrook, 2001). De toute façon, tant les
services et les biens industriels que les produits hédonistes (et d’autres encore) représentent
des réalités spécifiques, dont l’approfondissement n’est pas possible en utilisant des modèles
et des outils consolidés (qui avaient une vocation universelle et une applicabilité rationaliste).
Autrement dit, ces réalités présentent un comportement différent de celui qui est codifié,
décrit et prescrit par les modèles marketing « passe-partout ». Par conséquent, le scientifique
ne peut négliger cette discordance entre la réalité et la théorie et il doit intervenir pour
combler l’écart constaté, aussi parce que, comme cela se comprend aisément, les « réalités
spécifiques » anomales sont désormais plus nombreuses que celles considérées jusqu’à
présent dans la littérature.
Cette première affinité est suivie d’une autre, non moins importante : le type
d’argumentation. En effet, les deux filières commencent à dénoncer l’hétérogénéité de la
réalité pour suggérer ensuite l’élargissement des modèles et des principes, c’est-à-dire de la
théorie, en tant que voie unique permettant au marketing d’adhérer suffisamment aux
différentes situations étudiées. L’écart peut être comblé en intervenant sur la théorie : seule sa
redéfinition permet d’agrandir le spectre des modèles et des outils pour que la théorie
devienne un outil de lecture valable et d’interprétation de la réalité. Dans cette perspective, la
réalité est considéré comme un fait avéré, étranger à la science sur lequel elle ne peut
intervenir ; le devoir de la science consiste seulement à être capable de lire la réalité pour
l’interpréter et pour la connaître. Le processus de connaissance est ainsi complètement
17
assimilable au processus d’appropriation : connaître suppose faire quelque chose et par
conséquent posséder le « savoir-faire » ; avec le processus scientifique, la théorie fait sienne
la réalité environnante et la maîtrise, par le biais de la connaissance.
Ces deux premiers points communs se réfèrent au processus scientifique de la découverte,
mais pas aux contenus de la discipline. En effet, les deux filières adoptent, de la même
manière que le marketing traditionnel objet de leurs attaques, le processus traditionnel de
découverte scientifique.
Un troisième et dernier point commun entre les deux filières concerne le type de critique
adressé à la discipline. En effet, les deux filières contestent des aspects spécifiques et
particuliers de la discipline : le marketing relationnel conteste l’utilisation dogmatique et
l’absence fréquente de logique du modèle de marketing-mix qui devient ainsi une recette
simpliste pour gérer une réalité bien plus complexe que celle assumée par la théorie ; le
marketing fondé sur l’expérience conteste le développement du modèle traditionnel de
marketing en général et de « consumer behavior » en particulier pour en dénoncer plusieurs
points faibles et surtout les théories irréalistes8.
C’est-à-dire que les deux filières ont critiqué l’implémentation et le développement de la
discipline – dans le premier cas, c’est l’implémentation du « marketing concept » qui a été
contestée, dans le cas du marketing fondé sur l’expérience, la critique a porté sur
l’implémentation de l’étude du « consumer behavior » – mais l’élément responsable effectif
de la différence de théorie n’a pas fait l’objet de discussion : il s’agit du système de pensée ciaprès. Le marketing traditionnel se développe à partir d’une vision du monde néo-positiviste,
alors que le marketing relationnel comme le marketing fondé sur l’expérience ont (peut-être
inconsciemment) une source, plus ou moins exagérée, d’origine postmoderne. En effet, le
marketing relationnel discrédite l’entreprise, en lui enlevant ce pouvoir démesuré que le
18
marketing de masse lui avait attribué. Le rééquilibrage de la balance du pouvoir entre
l’entreprise et le consommateur épouse justement l’interprétation postmoderne de l’absence
de toute hiérarchie. Le marketing fondé sur l’expérience est encore plus postmoderne, étant
donné que – mise à part la considération du consommateur et de l’entreprise comme parties
opposées exerçant une interaction paritaire – il porte un coup dur à la théorie de la rationalité
du consommateur et à celle de son caractère univoque.
Par conséquent, le marketing relationnel comme le marketing fondé sur l’expérience se
situent en nette opposition par rapport à la filière hégémonique car leur configuration générale
est postmoderne. Toutefois, malgré leurs différences de base, les trois théories sont fondées
sur une méthode scientifique analogue. Il semble alors opportun de s’interroger sur le rôle
caché de la méthode de recherche utilisée dans le domaine du marketing et sur la contribution
à « caractère scientifique » de la discipline, pour pouvoir étudier ensuite si, et jusqu’à quel
point, il est possible de soutenir que le corps des connaissances de marketing est scientifique.
La question qui se pose à propos du chercheur marketing peut avoir des effets destructeurs sur
son identité (Piercy, 2002) en permettant à la fois la liberté de pensée et d’action.
3. Le modernisme et le postmodernisme
3.1. Le modernisme
Bien que le terme modernisme corresponde au système de pensée qui s’est développé au
cours des quatre derniers siècles, il peut être considéré que sa définition effective a été établie
lors des dernières décennies, quand un nouveau mode de pensée – le postmodernisme – a fait
8
Pour une étude approfondie de la confrontation entre approche traditionnelle et approche fondée sur
l’expérience, il convient encore une fois de se référer à Holbrook, Hirschman, 1982 e Bernd Schmitt, 1999.
19
son apparition en s’opposant au précédent9. C’est donc seulement à partir du modernisme
qu’il est possible de comprendre le système de pensée postmoderne qui propage ses effets
stupéfiants dans tous les domaines de la connaissance humaine.
Le modernisme est la vision du monde sur laquelle s’est basée l’action humaine pendant
l’ère de la modernité qui a débuté conventionnellement avec la Révolution Industrielle et qui
a atteint son apogée vers la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Tout au long des siècles
concernés, les sociétés occidentales ont connu un développement exceptionnel : à partir de la
seconde moitié du XVIIIe siècle l’Europe a traversé une période de grande stabilité et de bienêtre. Les multiples innovations, les grandes découvertes scientifiques et géographiques, les
mouvements démographiques constatés pendant cette période donnèrent une nouvelle
impulsion à l’économie (de l’industrie à l’agriculture) en facilitant la propagation généralisée
du bien-être et en stimulant la croissance et l’évolution des populations. La 1ère Révolution
Industrielle et encore plus la 2e activèrent en Europe un processus de bien-être et
d’amélioration des conditions générales de vie qui paraissait intarissable. La machine était
représentée comme la solution aux problèmes de l’humanité qui, malgré sa libération de la
servitude du travail physique, était louée pour un afflux de bien-être représenté par la
possession de biens dont le caractère physique représentait la preuve de leur existence. Dans
un climat géopolitique de stabilité et de prospérité économique, la conviction de l’optimisme
a pris la place des atermoiements de l’espérance. Les philosophes des lumières et, par la suite,
les positivistes étaient convaincus que seule la rationalité, en tant que support et modèle,
permettrait à l’humanité d’atteindre le plus haut niveau de bien-être économique et social et,
par conséquent, de bonheur, en construisant une société équitable et en maîtrisant la nature
(Best, Kellner, 1997). Tout cela prenait forme dans un processus continu et linéaire de progrès
9
Le lecteur doit considérer qu’un accord parfait n’a pas encore été conclu à propos de la signification des termes
« modernisme » et « postmodernisme » ainsi que sur leurs caractéristiques : parfois les termes sont utilisés pour
indiquer les périodes historiques et d’autres fois les systèmes de pensée qui leurs sont rattachés.
20
de la société que la rationalité rendait désormais possible et justifié. La pensée de l’homme a
évidemment été influencée par cette théorie, résumée dans le « modernisme » qui regroupe
l’ensemble des filières philosophiques du néopositivisme, de l’empirisme logique, du
positivisme logique et du néo-empirisme : en remontant jusqu’à Descartes et Kant, les
philosophes Smith, Locke, Hume et les positivistes sont généralement considérés comme les
fondateurs du modernisme qui a pu se développer également grâce à l’importante contribution
des recherches de Newton (Cobb, 1990 ; Abbagnano, 1995). Dans la pensée moderne, la
machine et la science jouent le même rôle : ces deux outils sont au service de l’homme, la
machine pour accéder au bien-être économique, la science pour accéder au bien-être social. Ils
apparaissent tous deux guidés par la raison, ou plutôt par une rationalité omnisciente, capable
de générer des certitudes avec, en plus, la connaissance de la réalité et donc de la vérité.
L’homme, par son aptitude reconnue à comprendre la nature, la réalité et ses vérités, était
capable, dans la perspective moderne, d’intervenir sur la matière pour la transformer et
l’améliorer. L’intérêt des penseurs et des chercheurs consistait donc à trouver les lois
régissant les phénomènes économiques et scientifiques pour en comprendre les applications et
surtout pour en permettre la répétitivité et l’amélioration (Chiurazzi, 1999). Dans ce sens,
l’histoire était perçue comme une évolution linéaire de la société qui évoluait au travers d’un
processus continu d’accumulation et, par conséquent, de progrès. Par contre, tout ce qui était
étranger à la logique évolutive ne contenait aucun secret intéressant à découvrir et était donc
de ce fait négligé. Un pragmatisme finalisé gouvernait l’analyse scientifique et ses disciplines,
la connaissance s’orientait vers la réalité et la vérité, génératrices de lois répondant à des
phénomènes itératifs pouvant être améliorés, puis de règles de conduite appropriées. La
connaissance était orientée vers le « bien », avec la certitude de la vérité du réel.
La volonté d’atteindre des niveaux de bien-être de plus en plus élevés a forcément étendu
le concept de science à chaque discipline du savoir : la simple application de la méthode
21
« scientifique » transposait ainsi chaque discipline en Science. C’est effectivement au début
du XXe siècle, avec l’apparition de la psychologie, de la sociologie et de la psychanalyse, que
la rationalité de l’homme – en tant que capacité d’atteindre la connaissance « réelle » et par
conséquent « véritable » – a été encore plus portée aux nues en devenant excessive ; pendant
ces années, le modernisme s’est imposé en tant que système de pensée hégémonique et en tant
que référence incontestée pour toutes les sciences.
C’est justement en vertu des conquêtes de l’humanité que le terme « moderne » a acquis de
fortes significations positives, en concordance avec le terme « avancé » ; par contre
aujourd’hui, le terme « moderne » se réfère plutôt à une époque passée en train de se terminer,
au moins pour ceux qui sont plus sensibles aux changements sociaux (Cobb, 1990)
3.2. Du modernisme au postmodernisme
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, quelques philosophes – Kierkegaard, Nietzsche et
Heidegger entre autres – commençaient à douter de la foi inflexible que leurs contemporains
manifestaient pour la rationalité ainsi que de leurs capacités à définir, cerner et connaître la
vérité (Jackson, 1996 ; Best, Kellner, 1997). Cette même signification de vérité perdait son
sens immanent – heuristique, holistique et salvateur – propre à la pensée précédente. Bien
qu’il s’agisse d’une époque d’opinions controversées, leur pensée est réapparue et s’est
développée lors des réflexions d’un groupe de philosophes français associés au poststructuralisme – dont les plus connus sont Derrida, Foucault, Lyotard et Baudrillard –,
actuellement reconnus comme les premiers théoriciens postmodernes (Best, Kellner, 1991 ;
Williams, 1998 ; Chiurazzi, 1999). Toutefois, c’est seulement pendant les années 80 que cette
pensée a été diffusée dans le monde entier, en faisant de nouveaux adeptes, parmi lesquels le
philosophe américain Rorty.
22
Déjà, la pensée de Kierkegaard lance une dure attaque contre la confiance dans la
rationalité humaine et toute réflexion destinée à connaître la réalité et la vérité : concepts qui
emprisonnent l’humanité, en lui donnant l’illusion de posséder des certitudes et en
neutralisant les sentiments, l’inspiration et la spontanéité qui constituent au contraire une
partie essentielle de l’être humain et de son aspiration vers Dieu. Dans cette perspective,
Kierkegaard revendique le rôle joué par l’irrationalité, la spontanéité et la subjectivité dans le
processus de réalisation de l’être humain que la pensée dominante réduit, par contre, à une
série de règles et de normes qui en limitent les possibilités, par conséquent à l’origine de
frustrations et d’aliénation spirituelle. Kierkegaard invoque ainsi la renaissance de la passion
et de la spiritualité intérieure qui motive les actions individuelles et qui unit les hommes. La
référence à la Passion spirituelle du Christ est évidente en tant que force unificatrice de toute
l’humanité toujours régnante et, de toute manière, supérieure à la rationalité. Et c’est
justement la référence à la religion chrétienne qui permet au philosophe de situer la passion
subjective en tant que concept différent de vérité, modifiée dans l’existence quotidienne ; la
rédemption religieuse selon Kierkegaard remplace la vérité exacerbée du réel en tant que
principe de vie. Kierkegaard oppose ainsi la passion et la rationalité, les sentiments et le
calcul, l'instinct et le raisonnement : en résumé, l’homme et la machine, l’esprit et la
matérialité (de l’homme et des biens).
L’attaque de Nietzsche contre la pensée moderne est encore plus dure, n’ayant aucun
rapport avec une quelconque foi religieuse. Nietzsche loue l’individualité, son pouvoir et son
autonomie qu’il oppose fermement à toute forme d’idéologie préconçue, immanente,
rationnelle et définitive, en tout cas salvatrice. Dans la perspective du philosophe, toute
idéologie est une faible et inutile tentative de l’homme en vue de se défendre contre les
vicissitudes de la vie quotidienne, une source erronée de vérité et de sécurité. Avec la
révélation de l’illusion idéologique, même Dieu meurt, c’est-à-dire que toute foi disparaît se
23
réduisant à une reconduction du tout sur une base unique (Chiurazzi, 1999). La rationalité, la
science moderne et son utilité dans la vie des hommes, la recherche de la vérité, l’objectivité –
concepts glorifiés par les philosophies des lumière et du positivisme – font l’objet de fortes
critiques de la part du philosophe et qui trouveront ensuite leurs solutions dans le
postmodernisme. Il n’existe pas de vérité éternelle, de vérité démontrable et univoque, tout
doit se situer dans le contexte géographique et historique : la métaphysique, l’idée d’une
connaissance permanente et d’une réalité transcendantale sont des représentations créées
seulement pour alléger les souffrances humaines et qui empêchent l’homme d’utiliser
pleinement ses aptitudes et d’expérimenter par lui-même le sentiment d’accomplissement de
sa propre vie faite de forces et de passions opposées. En même temps, il n’existe pas une
seule vérité absolue, mais seulement des perspectives (visions) ressenties par chaque individu
concernant différents évènements, chacune d’entre elles devant être relativisée en fonction de
la personne, du moment et du contexte historique et social. Le philosophe considère la vraie
connaissance en tant qu’existence simultanée d’une multitude d’interprétations, chacune
d’elles étant le résultat d’une perspective particulière présentant un caractère essentiel
méritant par conséquent d’être valorisée ; cette connaissance multiple conduit les hommes à
apprécier la différence, mais c’est aussi le fruit d’un long processus qui nécessite de gros
efforts et une grande soif de connaissance, un désir humble et insatiable de connaître, où
l’intelligible est sans fin car toute connaissance est la source de recherches et de
connaissances ultérieures. La connaissance génère de la connaissance. Nietzsche reconsidère
également le concept de sujet et il l’interprète comme une simple construction idéalisée qui
comprend une multitude d’émotions, de pensées, d’idées et de stimulations, créée par les
penseurs modernes pour donner à l’homme l’illusion d’avoir sa propre identité, en l’extrayant
fictivement de la masse anonyme dans laquelle il vit. Dans cette situation, l’humanité peut
progresser, mais uniquement grâce aux efforts d’hommes libres et ouverts à la connaissance,
24
capable d’exprimer librement leur personnalité et leur créativité, sans avoir peur de ne pas
posséder la vérité. La vérité n’existe pas, il existe des interprétations individuelles de la
réalité, mais la non-possession de la vérité – lorsqu’elle est perçue et acceptée – représente la
force et la pointe de la connaissance. En prenant connaissance du nouveau, l’homme se met
en question, il prend des risques, mais il se réalise.
Heidegger est le troisième fondateur du postmodernisme ; il constitue un point de référence
fondamental dans la plus récente pensée postmoderne. En effet, Heidegger, est un des plus
grands critiques des théories de base du modernisme, et un des philosophes qui ont le plus
influencé la philosophie contemporaine. Sa pensée se développe autour du problème de l’être,
un thème qui lui permet d’aborder de nombreuses questions et de marquer ainsi son
détachement de la pensée moderne hégémonique. Ce n’est pas par hasard s’il choisit de
s’occuper de thèmes négligés par la philosophie de son époque, considérés comme acquis,
presque évidents. Dans sa pensée, Heidegger prend ses distances par rapport au concept
traditionnel de vérité – ce qui correspond à la réalité est vrai – et considère par contre la
liberté en tant que vérité première. La notion moderne de connaissance et d’être apparaît donc
en tant que fruit de la domination et du pouvoir de l’homme sur l’homme. Heidegger critique
l’interprétation de la conceptualisation théorique en tant qu’unique possibilité de
connaissance, en faisant ressortir comment la connaissance primaire de l’homme n’est
absolument pas conceptuelle et comment il n’est pas possible d’expliquer complètement ce
que l’homme sait. L’art et la poésie, négligés entièrement par la pensée moderne, représentent
pour lui une signification particulière justement parce que ce sont des moyens alternatifs de la
connaissance, c’est-à-dire du savoir. Parallèlement, Heidegger nie l’existence de la distinction
moderne entre le sujet et l’objet, parce que même l’objectivité est le fruit d’une interprétation.
Ensuite, il nie que la métaphysique soit une branche spécialisée de la philosophie, parce
qu’elle est plutôt une perspective globale qui concerne toutes les activités de l’homme. Ainsi,
25
il considère que le langage prime l’homme, car ce n’est pas un simple outil de communication
tel que le veut le modernisme, mais la manifestation privilégiée de l’être. Le langage est
l’extension de l’être, il est donc un mode d’être en lui-même.
Du point de vue social, Heidegger attaque ensuite la modernité en l’accusant d’avoir
transformé les populations en de véritables masses amorphes, en nivelant leurs goûts, leurs
idées, leurs langages et leurs habitudes, au travers d’un processus continu d’homogénéisation
qui élimine toute manifestation de personnalité. La vérité et la connaissance poursuivent leur
chemin au prix de la perte des caractéristiques de l’individu en tant qu’expression et richesse.
Cette évolution a largement été influencée par le développement technologique moderne qui,
selon la perspective du philosophe, crée seulement de puissants outils de domination des
individus, considérés comme simples ressources facilement remplaçables (Best, Kellner,
1997), ou mieux encore, remplaçables par les machines auxquelles ils sont réductibles.
En conclusion de ses idées et de ses critiques contre le modernisme, Heidegger ne fournit
pas un système de pensée uniforme, mais juste des développements partiels de certains
arguments (Clark, 2002), partant d’une vérité à inventer et non pas à découvrir.
3.2. Le postmodernisme
Les pensées parfois partielles des philosophes qui, au XIXe siècle, représentaient des
opinions à contre-courant sont devenues un véritable système de pensée au siècle suivant,
quand les évènements historiques ont mis en évidence la caducité des certitudes humaines.
Les conflits et les crises politiques, les guerres mondiales, la chute des blocs politiques et des
états nationaux, l’affaiblissement des groupes sociaux et de la famille, la prolifération des
technologies de communication impersonnelles et standardisées, l’inquiétude sociale sont tous
des phénomènes caractéristiques de la post-modernité qui ont sapé l’idée de stabilité politique
26
et d’une possibilité de convergence univoque de nombreux intérêts différents. En même
temps, ceux-ci ont renforcé les critiques des différents philosophes précurseurs et ont marqué
le début d’un processus de révision de l’idée de progrès, étant évident que l’objectif d’un
niveau minimum de bien-être commun à toutes les classes sociales ne peut pas être appliqué
et qu’il est plutôt le fruit d’un concept situé dans un contexte historique relatif et tout à fait
discutable, certainement pas absolu : le post-modernisme « refers to the consistent
deconstructing of the entire program of early modernism » (Cobb, 1990, p. 150).
Malgré les bénéfices induits par le développement généré par les applications de
biotechnologies, par la globalisation de l’économie, par les autoroutes d’informations et par
les nouvelles technologies génétiques, la situation actuelle reste instable et discriminante,
avec une petite quantité de population riche côtoyant une grande majorité de pauvres, sans
travail et aliénés. Le monde apparaît riche en contradictions, toujours plus instable, inquiet,
manquant de certitudes : la sécurité devenant un bien en soi. Dans les années 60, les voix de
Gilles Deleuze, Roland Barthes, Jean Baudrillard, et Julia Kristeva commencent à s’élever à
l’unisson contre les certitudes de la rationalité, en dénonçant la faillite de la philosophie des
Lumières et du sujet cartésien (Best, Kellner, 1997). La dénonciation des post-structuralistes
convergera quelques années après vers le postmodernisme, terme attribué à Charles Jenks.
Bien que le mot « postmodernisme » n’ait pas encore une signification précise, il se réfère
tout de même à de nombreux phénomènes culturels partiels – étant donné que certains
philosophes jugent nécessaire d’utiliser le pluriel et par conséquent de parler de
« postmodernismes » selon le meilleur état d’esprit postmoderne (Featherstone, 1991; Brown,
1994 ; 1995; 1997 ; Chiurazzi, 1999)10 – ; toutefois, il est possible de reconnaître dans la
revendication de la complexité et de la segmentation ainsi que de la méconnaissance de la
réalité, niée jusqu’à présent par le modernisme, l’élément central de la nouvelle philosophie
27
(Cova, 1996). En fait, le concept de réalité est contesté de même que celui de vérité. D’une
manière générale, il est possible d’affirmer que le postmodernisme met en doute toute
certitude du modernisme (Cobb, 1990). En effet, chaque philosophe a orienté sa pensée dans
une direction spécifique : les philosophes adeptes de la déconstruction, comme Derrida et
Lyotard, vantent le concept de différence et en font ressortir le lien avec le langage afin que
cette même différence soit complémentaire du langage et réciproquement11 (Chiurazzi, 1999 ;
Best, Kellner, 1997). Lyotard évoque en détail la relation entre segmentation et globalisation
pour souligner en conséquence les caractéristiques de la situation postmoderne (Williams,
1998). Vattimo (1983) concentre son attention sur la critique de la rationalité pour nier en
conséquence la possibilité d’identité en choisissant de vanter la différence et la tolérance, soit
une « pensée faible ». Bocchi, Ceruti, Morin et d’autres encore développent la théorie de la
complexité, c’est-à-dire la glorification de l’aspect multiforme en tant que base du monde
dont l’ambiguïté et la confusion ne permet pas à la science de développer un schéma
d’interprétation valable dans l’absolu et pour toujours (Bocchi, Ceruti, 1985). Foucault se
concentre sur le sujet et conteste son assujettissement à la société ainsi que ses constructions
erronées, en le considérant seulement comme une construction marquant son unité et son
identité, telle qu’elle résulte des logiques et des règles sociales. Rorty analyse la philosophie
occidentale en réfutant l’existence de tout rôle dans la vie politique sociale, qui apparaît
dépourvue de conscience interprétative critique en allant ainsi à la recherche de certitudes
initiales.
Tous ces courants de pensée, même dans leurs particularités respectives, revendiquent la
validité des différences effectives entre les époques historiques, les lieux géographiques et les
10
Par contre, d’autres auteurs contestent le bruit suscité par le postmodernisme et soutiennent qu’il s’agit
seulement de la découverte de certains aspects du modernisme (Bouchet, 1994).
11
En effet, le langage – en tant qu’objet de construction sociale – est parallèlement le fruit des différences entre
les communautés ainsi que l’alimentateur continu de telles distinctions. Dans ce cas, le langage n’est rien d’autre
28
simples individus. L’idée de l’existence d’un développement linéaire de l’histoire qui conduit,
au fil du temps, vers une situation d’amélioration du bien-être et de l’émancipation de
l’homme est fortement réfutée : il n’existe aucun centre, aucune structure de connaissance,
mais chaque chose cohabite avec les autres, sans précise signification aprioriste et absolue.
C’est la fin de l’universalisme, des fondamentalismes, de la hiérarchie, des frontières, alors
que, dans le même temps, la contingence et la diversité sont glorifiées (Firat, Venkatesh,
1993 ; 1995). L’homme s’enthousiasme en pensant dominer la machine et en croyant que la
machine l’a libéré de l’esclavage du travail, mais en réalité c’est la machine qui domine
l’homme, en lui refusant toute originalité et en lui ôtant la liberté d’être différent, c’est-à-dire
d’être lui-même. L’homme n’a pas de qualité spécifique tant qu’il est assujetti à la machine.
Les concepts de Vérité, d’Histoire, des Valeurs, de l’Objectivité, de l’Être, du Sujet
perdent, dans la perspective postmoderne, toute valence absolutiste et sont insérés dans leurs
formes contextuelles et relatives et, par conséquent, sujets à des interprétations qui peuvent
même être opposées, mais cette opposition, c’est-à-dire la diversité, est la véritable richesse
de l’homme. Les idéologies qui créent les dictatures sont donc seulement le fruit du concept
absolutiste de la modernité, sans aucune justification politique, contingente et finalisée.
Si le modernisme répond aux grandes interrogations de l’humanité – telles que celles qui
concernent la croissance, le bien-être, les problèmes sociaux – le postmodernisme non
seulement ne fournit aucune réponse, mais suscite de nouvelles interrogations : on s’interroge
pour savoir si la connaissance est une richesse qui génère de la richesse suscitant des
interrogations qui génèrent des nouvelles recherches et, par conséquent, une nouvelle
connaissance qui vient s’ajouter à la précédente en l’enrichissant de nouveaux aspects et de
nouvelles nuances. L’intelligible étant non-fini, les possibilités d’enrichissement de l’homme
n’ont pas de limites, les frontières étant différentes de celles de son aptitude et de sa volonté
qu’une chaîne infinie de signifiés ; si le langage n’est pas univoque par sa signification, il est donc toujours
29
de connaître. En faisant ressortir les limites du moderne, le postmodernisme ne propose pas
encore de nouvelles réponses ni de vérités générales et universelles car celles-ci n’existent pas
dans l’absolu. De plus, il n’existe même pas d’interrogations universelles partagées justement
parce qu’il n’existe pas de valeurs super-ordonnées, aprioristes. Il n’existe pas un début, parce
qu’il n’existe pas une fin ; le concept de fin est une limite que l’homme ne peut se permettre.
Le postmodernisme stimule la réflexion continue des individus, surtout en ce qui concerne les
principaux thèmes, tels que le progrès scientifique, technologique et social, le rapport de
connaissance et de domination de l’homme sur la nature ainsi que la rationalisation exagérée
du monde (Chiurazzi, 1999). Tout ceci dans un contexte incertain, mais générateur de
résultats de connaissance, c’est-à-dire de véritable richesse.
Les implications postmodernes sur les disciplines sont multiples et stupéfiantes
(Featherstone, 1991), mais celles concernant le concept de science représentent un des
arguments les plus intéressants et les plus importants.
4. Quelles sont les possibilité pour une science postmoderne ?
4.1. Du caractère scientifique de la méthode au caractère scientifique de la discipline
La philosophie de référence du modernisme est surtout basée sur l’empirisme logique, qui
était la philosophie prédominante au XXe siècle. Cette philosophie – très semblable au
positivisme logique dont elle partage les premières phases de développement depuis les
travaux du Cercle de Vienne – trouve la source de ses principes fondamentaux dans le
positivisme et dans la promotion de la recherche scientifique en tant que méthode à utiliser,
puisque selon les penseurs qui expriment le mieux cette position (in primis Carnap et
Hempel), l’analyse logique et la méthode sont les bases d’élaboration de la connaissance
argotique, allusif : c’est un lien entre deux.
30
tandis que la physique représente la science par excellence. Un tel concept génère deux
grandes conséquences : la première impose à toutes les autres sciences, même les sciences
sociales, d’adopter la méthode de la physique, car cela les sublime (Rosenberg, 2000 ;
Salmon, 2000) – voir le slogan significatif associé au positivisme logique « La signification
d’une affirmation est la méthode de sa vérification » dénommé précisément le Principe de
Vérification (Ray, 2000) – ; la seconde conséquence est que, en agissant ainsi, toutes les
sciences appliquent une même méthode et cela semble suffisant pour affirmer l’aspect unitaire
de la science (Hooker, 2000). Encore une perte de différence, un appauvrissement de la
pensée, un affaiblissement de la connaissance. Les volontés d’uniformiser la réalité et, par
conséquent l’homme, sont à l’affût.
Le principe de dépassement et d’évolution linéaire et progressive de la science nécessite
que la connaissance évolue par avancées et strates successives. La nouvelle connaissance
intègre et perfectionne la suivante, la rend plus véritable, mais non différente. Il ne peut pas
exister de connaissances différentes par rapport à une même réalité. La réalités est objective,
le sujet peut seulement observer, sans modifier, formuler ses points de vue et ses valeurs, la
réalité même. L’observation ne crée pas la réalité qui est préexistante et objective.
L’observateur est neutre, substitut de la machine, et qui plus est imparfait ; ses observations
successives peuvent améliorer les précédentes (mais pas s’ajouter à elles).
Une correcte et rigoureuse application de la méthode « scientifique » à une discipline rend
celle-ci automatiquement « scientifique ». La validité de la méthode scientifique s’exprime,
en effet, par le dépassement du patrimoine de connaissance précédemment accumulé. Le fait
de réfuter correspond à celui de savoir, en donnant au « non valable » le même poids qu’au
« valable » – par l’absurde, la connaissance pourrait être constituée seulement de « nonconnaissance » –. En effet, un chercheur digne de ce nom est celui qui observe la réalité –
quel que soit le fait – et il confronte cette réalité avec les schémas d’interprétation, déjà
31
codifiés par la connaissance, pour tester si ceux-ci sont aptes à comprendre le fait en tant
qu’objet de l’analyse. L’éventuelle découverte d’une divergence par rapport à ces schémas
rend légitime l’action du chercheur pour en trouver des nouveaux, hypothétiquement plus
appropriés que les précédents, sauf en cas de vérification, pour analyser la réalité. Il s’agit de
la Théorie de la Correspondance de la Vérité, d’origine aristotélicienne, devenue la théorie
commune de l’épistémologie moderne (Lynch, 2001). En résumé, nous sommes en présence
des conceptions « modernes » de la méthode de découverte scientifique. C’est en fait, une
découverte scientifique en tant que fruit du désir de l’être humain de connaître et de dominer
l’environnement puis de « se surpasser » lui-même dans l’intention de faire progresser
l’ensemble des connaissances dans le cadre d’un inépuisable (mais malheureusement
hypothétique) processus de développement. En effet, la pensée moderne retient que le but de
la recherche consiste à augmenter petit à petit la connaissance humaine de la réalité, en
s’approchant par approximations successives de la Vérité. Il s’agit du principe de
Vraisemblance, selon la définition de Popper (Brink, 2000 ; Shapere, 2000). Une telle
interprétation épistémologique des sciences représente en soi toute la confiance spontanée visà-vis des capacités de l’homme à faire tôt ou tard le « meilleur des mondes possibles ». Dans
sa soif de certitudes, l’homme révèle ainsi toutes ses faiblesses, son incertitude et ses limites.
L’homme, sans le savoir – et donc sans l’accepter consciemment –, reste ainsi humain, bien
qu’il veuille être « scientifique ». Puis, en y regardant bien, ceci explique pourquoi l’homme
préfère découvrir la « vérité » dans la réalité extérieure plutôt qu’en lui-même. L’homme se
sent « un autre » par rapport à la réalité, alors qu’il en fait partie, mais il est plutôt lui-même
l’unique réalité existante à priori ne nécessitant pas de recherche vraiment scientifique.
L’acceptation
de
la
méthode
décrite
comporte
deux
importants
appendices :
(1) l’application de la méthode scientifique qui établit la différence entre science et non-
32
science ; (2) les nouvelles théories sont par leur nature meilleures que les anciennes (étant
entendu qu’elles les dépassent, en les ayant tout simplement reniées).
La première implication trouve son origine ultime dans la catégorie de la rationalité, base
du développement du modernisme (Giere, 2000). C’est effectivement l’idée de rationalité qui
est la source de la méthode scientifique moderne : selon les empiristes et les positivistes
logiques, la véritable connaissance est celle fondée sur la « logique » rationnelle, et donc sur
la raison (Salmon, 2000). L’utilisation de la raison, et par conséquent l’emploi de la méthode
scientifique, définit la frontière entre science et non-science ou bien, en d’autres termes, elle
est capable de transformer une quelconque discipline en science. La science est une discipline
rationnelle et une discipline rationnelle est la science. Et la rationalité de la discipline se
distingue dans son procédé, dans sa méthode (scientifique), dans ses processus de
développement. Selon l’expression de Popper, est science la discipline qui répond au critère
de falsifiabilité. C’est donc grâce à la rationalité que l’homme connaît ce qu’il connaît. Et peu
importe s’il connaît seulement des non-connaissances car la méthode scientifique a été
appliquée et par conséquent le travail est par définition lui-aussi scientifique. La « Vérité »
peut attendre.
La seconde implication de la méthode scientifique est liée à l’interprétation linéaire du
développement de la connaissance. Si le développement de la nouvelle connaissance doit
commencer par celle qui est déjà codifiée pour la dépasser ensuite, il est implicite qu’elle lui
sera supérieure, vu sa capacité d’expliquer une partie supplémentaire – même minimale – de
réalité ou bien de « mieux » l’expliquer. Ce qui est nouveau est, par définition, plus avancé et
dépasse donc en qualité ce qui a déjà été acquis.
4.2. La déconstruction du concept de caractère scientifique
33
L’interprétation postmoderne de l’épistémologie conteste autant le concept de méthode
scientifique que ses deux accessoires. Evidemment, la lecture critique de l’épistémologie
moderne par des philosophes postmodernes se réfère à leur vision du monde. Parmi les
principaux concepts du postmodernisme c’est la critique de la vision moderne du monde en
tant que réalité objective qui est « là-dehors » et qui attend patiemment et passivement que
l’homme la connaisse et en prenne donc possession. La réalité postmoderne est tout autre :
c’est seulement un contexte dans lequel l’homme agit, en même temps que des millions
d’autres créatures, et par son action il contribue activement à créer (c’est-à-dire à échanger
ladite réalité ou bien sa vision de celle-ci), en se servant aussi bien de sa rationalité que de son
intuition, en exploitant aussi corrélativement les conditions fortuites. Par conséquent, la
tentative moderne d’identifier la vérité et les valeurs absolues – des idéaux valable n’importe
quand et n’importe où – est jugée absurde car tout résulte d’une donnée contestée. Et puisque
la connaissance appartient au monde, le monde change à partir du moment où on fait sa
connaissance. L’isolement du contexte est un acte dénué de sens qui néglige la véritable
richesse du monde – la différence et la complexité irréductible – et qui, par conséquent, ne
génère aucun résultat définitif et global. Le système de pensée moderne doit donc être
« déconstruit » et il faut effectivement en rejeter toutes incohérences dangereuses et fausses
oppositions pour donner naissance et laisser place à de nouveaux concepts ultérieurs. S’il
n’existe aucune Vérité à comprendre et à découvrir dans l’absolu, la science ne peut pas
prétendre à l’objectivité, à la compréhension totale des phénomènes, mais elle doit procéder à
des expériences et des essais en se contentant de connaissances partielles et transitoires. Plus
précisément, selon Cobb (1990), le terme « vérité » devrait être remplacé par l’expression
« approfondissements et compréhension » qui reprend la portée relative et l’ambiguïté du
concept exposé plus loin (p. 157).
34
En définissant le postmodernisme (selon l’idée initiale de Lyotard) telle que « la défiance
vis-à-vis de tout méta-récit », étant entendu par méta-récit une théorie transcendantale ou un
cadre de référence utilisé pour évaluer et juger toute autre théorie ou tout cadre de référence
(Lynch, 2001), il apparaît nettement comment le concept de stratification de la connaissance
perd toute signification, vu que la connaissance passée n’est pas forcément nécessaire pour la
connaissance future (elle pourrait même l’entraver). Par conséquent, le concept de vérité ne
peut pas avoir d’origine transcendantale, mais il est nécessairement lié à la contingence. Le
type de contingence auquel il est possible de se référer est variable d’un observateur à l’autre,
d’un analyste à l’autre, d’un « scientifique » à un autre « scientifique ».
Foucault considère la contingence en tant que groupe socio-politique dans lequel la
connaissance a été développée. Selon sa pensée, le concept moderne de vérité est politique par
nature car il est intrinsèquement lié à un groupe social et politique ; la connaissance, étant
asservie au pouvoir, n’est pas une forme d’émancipation et de liberté des individus, mais c’est
un subtil outil de domination fondé sur des dogmes et des certitudes générées ad hoc. Par
contre, il affirme que toute expérience de l’homme mérite une digne considération, même
sous ses formes les plus transgressives parce qu’elles sont aussi, peut-être plus que les autres,
des manifestations et des expressions de la nature humaine. Parallèlement, Foucault réfute
l’idée que l’homme puisse voir objectivement la réalité : tant l’objet que l’individu font partie
intégrante d’un contexte déterminé et comme l’objet est le fruit de son environnement et de sa
période historique, les schémas mentaux du sujet résultent également du contexte et sont
conditionnés par la société. Le fait de qualifier un phénomène vrai ou faux implique
simplement l’affirmation de son appartenance à un groupe social et, par conséquent, de son
intérêt politique. Tout est relatif et les comparaisons perdent leur signification absolue. La
recherche conduite par la pensée moderne concernant ce qui est juste, vrai et absolu, en vue
d’évaluer une fois pour toutes les évènements historiques, est dénuée de sens car elle se base
35
sur des illusions qui limitent la liberté des hommes, en leur faisant perdre le goût des
différences et des contradictions. Une fois de plus, le concept de différence ressort au premier
plan. Ainsi, l’attaque portée par le philosophe à l’ère moderne se propage sur le plan
politique, car la vérité, le pouvoir et la connaissance sont étroitement liés.
Par contre, Lyotard considère que le langage est le contexte dans lequel se développe la
connaissance. Opposé à toute domination « terroriste » d’une théorie sur les autres théories
existantes dans une discipline, qu’elle soit philosophique, sociologique, esthétique ou autre,
Lyotard défend fermement l’hétérogénéité des discours et des positions et réfute l’idée de
théorie unificatrice et totalitaire. Le philosophe vante la différence et la pluralité de
l’épistémologie et il souhaite la naissance d’une nouvelle épistémologie, construite de façon
cohérente par rapport aux conditions de la connaissance postmoderne – contraire à tout
fondamentalisme et méta-récit – en évitant tout grand schéma de légitimation et en
recherchant le pluralisme, l’hétérogénéité, l’innovation constante et la construction
pragmatique des règles spécifiques et contingentes sur lesquelles les participants s’accordent
en toute liberté. Il revendique donc la dignité de l’ignorance et de la superstition, précocement
condamnée par le modernisme. Selon la perspective de Lyotard, le scientifique élimine
effectivement, depuis le début tout ce qui n’est pas cohérent avec la formalisation et la
quantification, ou bien avec les limites rigides de son langage. Mais un changement de
langage fait changer la perspective et donc également les critères de jugement pour déterminer
le vrai ou le faux. Par conséquent, l’universalisme et l’absolutisme ne sont pas admis dans le
système de pensée (postmoderne) de connaissance de Lyotard, étant donné que même le
consensus par lequel il est possible d’atteindre l’universalité génère une fausse universalité
qui ne respecte pas la multiplicité des langages spécifiques. C’est par le dissentiment, la
différence et les contradictions que sont préservés les différents langages, tandis que le
processus continu d’innovation génère la nouvelle connaissance qui vient s’ajouter en premier
36
lieu à la précédente et non la remplacer tout simplement. Le langage (en tant que codification)
est donc interprété comme la force définitoire de la réalité : les discours définissent tant l’être
humain que l’ensemble de la communauté ; toute connaissance est le fruit du langage et du
discours propre à une communauté déterminée.
Enfin, Rorty considère que la connaissance doit s’inscrire dans le contexte espace-temps :
les vérités sont valables dans le cadre de leur position géographique et temporelle. La théorie
n’est donc pas capable de fournir des bases objectives de connaissance et d’axiologie. Rorty
vient ainsi critiquer le concept courant d’épistémologie, en attaquant la métaphysique et la
théorie avec sa thèse de la « mort de la philosophie » dont résulte celle de l’épistémologie. Le
placement des vérités dans un contexte conduit à placer les langages dans ce même contexte :
il n’est pas possible d’utiliser un seul langage pour reproduire chaque phénomène (Vattimo,
1991). Le philosophe critique donc toute théorie qui s’arroge le droit d’utiliser un langage
affirmant mieux décrire la réalité que les autres. Aucune théorie en général, et aucun
philosophe en particulier, ne peut donc envisager de critiquer quelque chose ou quelqu’un
dans l’absolu car il n’existe pas de paramètres des valeurs absolues ; la seule voie ouverte est
celle consistant à utiliser un nouveau langage pour décrire les anciens concepts et les rendre
plus attrayants et plus utiles pour la société. Selon l’opinion de Rorty, la philosophie ne doit
donc pas être empreinte de réalisme, mais se limiter à être utile à la société (Moser, 1999). Si
le langage occupe le rôle le plus important, la littérature devient le terrain de prédilection pour
cette expérimentation car à travers l’utilisation de nouveaux langages elle propose des
nouvelles descriptions utiles pour le progrès social12. En contestant et en vantant les
différences de la réalité – indépendamment de leurs origines –, le postmodernisme pousse à
12
La pensée de Rorty a généré la “social constructionist theory” qui interprète le rôle du langage non en tant que
descripteur de la réalité mais en tant que créateur du monde historiquement déterminé.
37
l’extrême ces différences entre groupes sociaux dont la dénégation a constitué la base de la
recherche d’universalisme et de lois unificatrices conduites par le modernisme13.
En attaquant durement le concept de vérité absolue, les postmodernes attaquent également
l’épistémologie de Popper, devenue aujourd’hui le lieu commun de toutes les sciences. Selon
Popper, cette vérité existe mais elle ne peut pas être parfaitement connue par l’homme qui
doit accepter un processus de continuité et d’amélioration de l’approche d’un asymptote de
connaissance ; pour l’homme postmoderne cette vérité n’existe pas et ne peut pas exister car
elle donnerait une dimension limitée de la connaissance qui représente la plus évidente
contradiction du même concept de connaissance (et d’étude). Il est donc évident que la pensée
postmoderne n’accepte aucun processus de stratification « d’amélioration » de la
connaissance. Les conséquences de tout cela sont destructrices pour les sciences
« modernes ». D’abord, le critère moderne d’évaluation et de mesure des théories est
abandonné. Ainsi, comme l’homme postmoderne a perçu l’histoire complexe et tortueuse,
dynamique et en même temps non modifiable, l’idée du progrès de la science peut également
être contestée. La complexité de la réalité est tellement paradoxale et controversée – mais
aussi véritable et authentique – qu’il n’est pas possible de déterminer une échelle hiérarchique
des valeurs des théories scientifiques : il n’est pas possible d’affirmer qu’une théorie
scientifique est meilleure que les autres, ni plus ni moins que les nouvelles théories sont par
définition meilleures que les précédentes14. Chaque théorie scientifique est destinée à
connaître seulement une partie ou un moment de la réalité qui est, de toute manière, tellement
dynamique, complexe et même élaborée à l’initiative du chercheur, que sa connaissance est de
toute manière toujours limitée. C’est pratiquement le signe de la négation de l’idée de progrès
scientifique, selon l’acception « moderniste » du terme. Jackson (1996) affirme que le
13
En ce qui concerne le concept de différence et de vérité socialement relative, voir entre autres Nozick, 2001.
En particulier, les premières observations embryonnaires dans ce sens se retrouvent déjà dans la pensée de
Nietzsche et de Heidegger (Vattimo, 1991).
14
38
positivisme scientifique n’est rien d’autre qu’une métaphysique différente, une donnée
inconditionnée, ou bien un autre paradoxe, « scientism unscientific ».
Les conséquences des négations du processus de stratification rejoignent celles résultant de
la critique de la rationalité. En effet, le concept de rationalité perd toute notion d’absolutisme
et de priorité ; par conséquent, la définition de science doit être revue. Il n’existe aucune
prédominance établie de la rationalité sur l’émotivité de l’homme, ni davantage sur sa partie
obscure, ni sur le chaos. La place de premier plan attribuée à la rationalité par la pensée
moderne s’explique seulement par la relative facilité de son intelligibilité et par le souhait de
l’homme de dépasser ses limites et de s’approcher du transcendant supposé « parfait ».
Autrement-dit, la rationalité serait seulement la pointe de l’iceberg des possibilités de
connaissance de l’homme, la plus visible mais peut-être aussi la moins importante. C’est-àdire que la rationalité est bien plus limitée – et donc moins utile – que ce que beaucoup
d’épistémologues croyaient (Moser, 1999). La théorie herméneutique de Heidegger et ses
développements dans la pensée de Derrida et de Gadamer peuvent effectivement être
considérés en tant que louange de l’herméneutique comme une forme d’épistémologie, vu que
les deux traitent de la connaissance humaine (Westphal, 1999)15.
En tout cas, l’homme postmoderne ne cherche pas à comprendre quel outil – ou quelle
méthode – le porte à connaître, car la valeur de la connaissance est de toute manière bien
différente de celle que lui attribuait l’homme moderne. L’homme étant l’une des nombreuses
créatures présentes sur la Terre, il n’a aucun droit (et probablement aucune possibilité ni
aucun intérêt) à dominer la nature : ainsi, il n’a aucun droit – ni aucune possibilité – de
dominer la réalité. La connaissance ne signifie pas possession ni domination de la réalité. Il
est ensuite précisé qu’il s’agit d’une connaissance de non-domination, mais de relation
15
Le même auteur considère que Rorty n’attaque pas vraiment l’épistémologie en général, mais seulement
l’épistémologie moderne, caractérisée par la recherche de la certitude absolue et des principes absolus ainsi que
39
(Zagzebski, 1999) ; dans cette relation, le chercheur n’est pas le seul sujet actif, mais il l’est
avec cette même réalité en tant que partie intégrante et irremplaçable de celle-ci, car la réalité
« naît » avec l’essence du chercheur. La méthode scientifique moderne ne constitue donc pas
un critère de référence pour tracer la frontière entre science et non-science. Cela signifie
qu’une science postmoderne peut exister, mais selon une acception différente de la science
moderne. D’abord, la science n’est pas guidée uniquement par la rationalité qui n’est pas un
outil limité de connaissance, la science qui en résulte ne peut en aucun cas représenter une
valeur absolue, mais seulement une valeur de référence à un certain contexte, de toute
manière relatif. Le postmodernisme n’entraîne donc pas, comme on le craignait, la mort de la
science ou le « désastre de l’espérance » selon l’expression de certaines personnes (Petitot,
1993) ; le postmodernisme rend plutôt l’homme potentiellement libre, en lui renvoyant
toutefois, et à lui seul, pour la première fois, toute la responsabilité de cette liberté. En outre,
même en admettant le binôme limitatif science-rationalité, il est évident que de nombreux
domaines de la connaissance humaine ne sont pas régis par la rationalité et c’est pour cela
qu’ils ne sont pas considérés comme science.
5. Le passé moderne du marketing
Les visions de réalité moderne et postmoderne, dont les principales caractéristiques
préalablement évoqués, trouvent également leur application dans la discipline du marketing.
En effet, une analyse de la littérature marketing existante permet de souligner les
caractéristiques « modernes » de la discipline, résultant d’un intense finalisme de cette
dernière. Le développement actuel de la discipline du marketing plonge effectivement ses
racines dans des fondements consolidés à forte connotation moderne. Le débat sur
par le concept de neutralité, vu que même l’herméneutique, appréciée par le philosophe, est un type
40
l’opposition entre marketing moderne et marketing postmoderne s’insère dans le sillage du
débat précédent sur la nature du marketing, entre art et science (Hunt, 1976 ; Anderson,
1983 ; Brown, 1997). Toutefois, dans cette étude il apparaît qu’un tel débat a un rôle marginal
car l’objectif est l’analyse de l’impact de la vision postmoderne sur le marketing avec une
référence particulière aux implications marketing.
Bien que, depuis environ une dizaine d’années, quelques illustres chercheurs se soient
prononcés pour invoquer un réexamen complet des théories du marketing dans l’optique
postmoderne (Firat, Venkatesh, 1993 ; Firat, Shultz II, 1997 ; Brown, 1999), tout le système
de pensée du marketing est encore nettement de conception moderne, étant entendu par
« moderne » les fondements historiques et philosophiques déjà évoqués à plusieurs reprises
(même en opposition au concept postmoderne).
Le marketing qui, dans sa déclinaison « managériale » est transposé sur un support destiné
aux entreprises pour la définition et la réalisation de leurs approches du marché, offre des
leviers de manœuvres du management pour gérer la valeur de l’offre pour le client et celle du
client pour l’entreprise. En fait, la théorie de la discipline situe l’entreprise en position
centrale dont l’introduction est le contact et l’action – de n’importe quel type – avec un
marché, composé de la demande et de la concurrence. Il ressort par conséquent de la théorie
générale de la discipline une nette opposition entre un sujet central – l’entreprise – qui doit
accomplir une certaine action vis-à-vis du marché et un objet de contexte – le marché – aux
dynamiques duquel l’entreprise doit réagir en s’efforçant d’en anticiper les évolutions puis de
les déterminer et de les dominer.
Tous les thèmes de marketing étudiés en littérature – que ce soit le comportement d’achat
du consommateur, l’analyse de la concurrence, les politiques de produit ou celles de
d’épistémologie.
41
distribution, etc. – sont fondés sur le binôme entreprise-marché16. Il s’agit en réalité d’un
binôme de nature duale ou moderne évidente, dont le premier terme – l’entreprise – se voit
attribué un rôle individuel et une valeur positive, tandis que le second terme – le marché –
reçoit un rôle complexe avec des connotations souvent négatives. Le but de la discipline
marketing consiste à aider la fonction « marketing » de l’entreprise en particulier puis
l’ensemble de l’entreprise en général à intervenir sur le marché, en fournissant des structures
conceptuelles permettant de créer des outils opérationnels. La connaissance ainsi générée par
les chercheurs marketing est finalisée pour améliorer la domination de l’entreprise sur le
marché : connaissance et domination sont, même dans le marketing moderne, des concepts
étroitement interdépendants. Le principe fondamental est axé sur le rapport entre la
domination, la part de marché et le profit. Ainsi, le marketing assume une connotation de
discipline économique, connotation qui peut être « axée » sur l’entreprise, mais qui devient
extrêmement réductrice vis-à-vis du consommateur dont l’aspect multidimensionnel est
essentiel pour bien comprendre son comportement.
Si la recherche pure et la recherche appliquée sont généralement considérées comme deux
catégories corrélées de recherche, la discipline marketing semble être privée de phase « pure »
de recherche17. Tout au plus, en relativisant le concept de finalisation – sans l’éliminer – il
peut être fait une distinction pour les sciences managériales entre la recherche destinée à
générer de la connaissance indépendamment de son applicabilité au monde managérial et la
recherche explicitement destinée au développement d’implications managériales.
16
Il est évident qu’au fil du temps, de nombreux chercheurs ont essayé de contribuer à combler l’écart entre la
théorie et la pratique ou, selon une autre perspective, l’écart entre le producteur et le consommateur (pour plus de
détails, voir le numéro spécial de European Journal of Marketing , vol. 36, numéro 3, consacré à “Bridging the
Divide”), mais il s’agit d’un débat a latere du problème précité.
17
Il est utilisé ici la définition traditionnellement admise de recherche pure et de recherche appliquée : étant
entendu par recherche pure « celle destinée à la découverte des secrets de la nature » et par recherche appliquée –
ou technique – « celle permettant de trouver les solutions aux problèmes de la vie quotidienne (Geymonat, 1971,
p. 9).
42
En tout cas, la finalisation trop stricte de la discipline, qui tend à justifier sa propre
existence, risque – dans une lecture postmoderne – de mettre en doute son « caractère
scientifique”. Pour éviter le danger de contradiction terminologique – une discipline qui
prétend relever de la science et dont la finalité de l’existence représente toutefois un outil pour
l’entreprise, et rien d’autre – des études importantes ont été généralement réalisées afin
d’affiner les méthodes de recherche en les perfectionnant au maximum et en les assimilant à
celles des sciences naturelles (le problème de l’unicité de la science réside sur le fond, nonrésolu et, d’une manière générale, non abordé). L’attention des chercheurs de marketing sur la
méthode s’est déplacée dans le temps en essayant de donner une connotation « scientifique »
à la discipline et, de ce fait, cette légitimité académique et sociale normalement non justifiée
par son seul contenu. Naturellement, la littérature comprend également des opinions
contradictoires soutenant que le marketing est une science également capable de produire
« knowledge for knowledge’s sake », c’est-à-dire dépourvue d’aspect pratique et utile pour
quelqu’un (Hunt, 2002, p. 306). Il s’agit des partisans du caractère scientifique du marketing,
qui ont souvent défendu cette thèse en essayant de supprimer la finalisation du marketing en
la taisant tout simplement. Il paraît probable que la raison de la défense de cette opinion se
distingue au niveau de l’identification entre le marketing et le chercheur : la promotion du
premier implique la promotion du second ; la critique du premier implique la critique du
second.
Le principe de base consiste à adopter une méthode rigoureuse et scientifique, dans le sens
initial des sciences expérimentales, qui donne automatiquement un caractère scientifique à la
contribution générée par cette méthode. Autrement-dit, il est probable que l’attention se soit
déplacée, même inconsciemment, du contenu vers la méthode. Vu la difficulté d’attribuer une
étiquette de caractère scientifique au marketing en rapport au contenu abordé, il a été tenté d’y
remédier avec celle de caractère scientifique d’un méthode rationnelle et « aseptique ». Par
43
conséquent, la recherche d’une identité distincte dont Levy (2002) affirme qu’elle est
commune à d’autres disciplines et que, dans le cas du marketing, elle s’est transformée en un
mécanisme pervers qui assujettit l’objet de la recherche et ses caractéristiques aux choix
méthodologiques, alors que ça devrait être le contraire (Piercy, 2002).
L’attention consacrée à la méthode de recherche a été tellement stimulée par la finalisation
du marketing qu’il en est résulté un excès de modélisation. La nécessité de fournir un support
stable à l’entreprise dans la définition et la réalisation de son approche du marché a
effectivement obligé le marketing de s’enraciner fortement dans la réalités et de devoir, par
conséquent, être confronté à une complexité de l’environnement en croissance constante (la
connaissance génère la connaissance, mais aussi des questions). Pour réussir effectivement a
faire face à la complexité croissante des liens « entreprise-marché », perceptibles tant au
niveau des concurrents qu’à celui de la demande, les chercheurs de marketing se sont inspiré
d’autres disciplines pour essayer de prendre en considération au-moins les éléments de base
de la dynamique des marchés. C’est ainsi que le marketing a traditionnellement eu recours,
sous différentes formes et mesures, à l’économie politique, à la psychologie, à la sociologie,
aux statistiques, à l’anthropologie, aux mathématiques, et ainsi de suite. Toutefois,
l’élargissement des frontières du marché et l’insertion de nombreux phénomènes complexes
dans les réflexions marketing se sont, à l’évidence, révélés difficilement compatibles avec
l’exigence de fournir un support concret et immédiat aux entreprises : répondre à la demande
ou préparer des recettes rapides ? Dans cette situation de fortes contradictions, le chemin
emprunté consistait à essayer d’analyser la complexité, en cherchant naturellement les
logiques respectives de cette complexité et en la décomposant en blocs qui, considérés
individuellement, seraient plus simples à gérer. Autrement-dit, on a essayé de rationaliser, en
réduisant cette complexité à l’essentiel, ce qui génère un gain en termes de possibilités de
gestion – le thème de la connaissance en tant que domination réapparaît – et une perte en
44
termes de richesse du contexte considéré. Évidemment, l’avantage obtenu par les entreprises a
été surévalué par rapport à l’appauvrissement de la recherche afférente au chercheur. Il s’agit,
évidemment, d’une politique à court terme, destinée à former de bons managers et des
chercheurs serviles, au lieu de développer la capacité critique de raisonnement et d’évolution
de la pensée (Burton, 2002). La tentative de réduire la complexité à des éléments identifiés et
donc gérables s’est transposée dans l’élaboration de modèles mathématiques et statistiques
sophistiqués avec l’objectif évident des chercheurs de marketing d’être encore utiles aux
entreprises, malgré l’intensification de la complexité du contexte. Par conséquent, le
marketing, devant analyser une réalité de plus en plus complexe et dynamique dans l’objectif
explicite de fournir des idées utiles à l’entreprise, s’est progressivement rapproché des
modèles abstraits qui, paradoxalement, se révèlent être souvent mieux adaptés à un exercice
académique qu’à une étude de la réalité. C’est ainsi que là-même où les chercheurs se
promettent d’étudier des phénomènes complexes, ils règlent la complexité dans un lot de
variables servant à étudier les corrélations et les impacts. Par exemple, c’est le cas de
l’insertion des émotions dans la consommation (Bagozzi, Gopinath, Nyer, 1999) qui a permis
une rationalisation sophistiquée de leur rôle dans la consommation au travers de modèles
statistiques ad hoc : paradoxalement, les émotions ont été rationalisées et répertoriées comme
des objets. La possibilité d’appliquer les modèles et par conséquent de gérer les variables
qu’ils contiennent est toutefois payée au prix d’une extrême focalisation du champ de
l’enquête et de théories souvent irréalistes. Étant donné que la possibilité de gérer les
variables est associée à des modèles aussi déterministes qu’irréalistes, la finalité recherchée
d’être au service de l’entreprise s’est transposée en une véritable abstraction paradoxale de la
réalité. Autrement-dit, le modèle semble avoir perdu son rôle d’outil de représentation des
concepts, pour assumer lui-même celui de concept, de contenu en soi. C’est-à-dire qu’il s’est
instauré un mécanisme pervers qui a poussé les chercheurs de marketing à imaginer des
45
modèles de plus en plus rigoureux sous l’aspect mathématique-statistique et en même temps
de plus en plus abstraits et théoriques, en transformant les mêmes chercheurs en experts
quantitatifs, « measurement technicians » selon l’expression de Gummesson (2001 : p. 44).
Les écoles de commerce internationales ainsi que les revues et journaux de marketing,
stimulés par une paradoxale concurrence, cherchant davantage à vérifier des hypothèses plutôt
que de comprendre la nature et la signification de ces mêmes hypothèses, ont évolué
logiquement vers ces nouvelles tendances du marketing, en les entretenant à leur tour. Le
développement du marketing a donc privilégié les méthodes quantitatives, en cantonnant les
méthodes qualitatives à un rôle de support spécifique dans une phase préliminaire au véritable
test de toute nouvelle théorie. Le niveau d’abstraction atteint par cette évolution du marketing
– mais il serait peut-être plus correct de parler d’involution – se conjugue mal avec la finalité
purement instrumentale du marketing « moderne » et selon certaines opinions, il augmenterait
encore l’écart existant entre la théorie et la pratique, en conduisant les chercheurs vers une
spécialisation très pointue « knowing everything about nothing » (Wensley, 2002, p. 392) qui
les enferment encore plus dans leur château d’ivoire. Il apparaît donc, à propos du marketing,
une attitude de blocage mental qui ne concerne pas seulement les autres domaines de la
connaissance humaine comme on le craignait pour toutes les disciplines spécialisées
(Geymonat, 1972), mais aussi un blocage vis-à-vis des autres positions appartenant à la même
discipline.
La nécessité de reprendre les études sur l’applicabilité des pratiques managériales de
l’entreprise a engendré un processus de « traduction » de ces mêmes concepts exprimés sous
la forme de difficiles formule mathématiques dans les publications académiques, en
implications managériales plus simples, donc plus abordables, concernant l’usage et la
consommation du management des entreprises. Ce processus semble donc avoir généré une
duplication de la discipline et de son langage : d’une part, un langage mathématique-
46
statistique créé pour et dans le cadre de la communauté internationale des chercheurs ; d’autre
part, un langage managérial développé spécialement pour les dirigeants et leurs entreprises. Il
est donc constaté une duplication du langage due au besoin de vouloir associer deux objectifs
différents : (1) l’acquisition d’une légitimation académique et sociale du marketing en tant
que science ; (2) le développement d’apports de propositions en tant que support aux
entreprises pour leurs approches du marché.
La double personnalité du marketing apparaît aussi dans la différentiation des revues de
marketing, avec à côté des A journal (ou des revues scientifiques plus spécialement dédiées à
la recherche marketing), des revues à caractère plus managérial destinées, par conséquent, à
un plus grand public mais également plus orientées vers les implications pratiques. Cette
double personnalité apparaît aussi dans le cadre d’articles spécifiques qui tentent – souvent
avec peu de succès – d’être « appealing » tant vis-à-vis des chercheurs qu’à l’intention des
managers en exprimant des idées susceptibles d’intéresser les deux parties (pour les
chercheurs, précisément une vaste analyse de la littérature et un clair projet de recherche; pour
les manager, des implications managériales pragmatiques en conclusion de l’article).
C’est bien de faire ressortir l’exagération de l’évolution de la discipline précitée tant sur le
plan de la méthode qui a généré des modèles et des logiciels sophistiqués par la tentative
désespérée d’arriver par cette même méthode à une phase de recherche pure, ce qui est
impossible à cause des contenus, que sur le plan des implications en fournissant des listes
d’« ingrédients » à mélanger selon les instructions d’une simple « recette » didactique. Les
deux résultats obtenus posent toutefois le même dilemme : est-ce bien de la théorie ? Il
semble, en effet, qu’aucune nouvelle théorie ne soit développée dans les deux cas, mais plutôt
de la connaissance appréciable en fonction de son utilisation. En effet, il ne s’agit pas de
savoir si la connaissance produite est vraie ou fausse, mais seulement si elle peut s’appliquer
en référence au modèle créé (le modèle est-il bien développé et cohérent par lui-même ?) ou
47
bien en référence à la réalité (les implications managériales peuvent-elles s’appliquer à la
réalité et donner des résultats positifs ?).
Le goût de la recherche pour la recherche, stimulé par la capacité de raisonnement et de
critique, apparaît donc voilé par une technicité poussée presque jusqu’au niveau de
l’ingénierie ou par une recherche finalisée sur les intérêts de l’entreprise. Si la situation
décrite ci-dessus est celle du marketing actuel, il semble donc justifié de s’interroger sur le
caractère scientifique du marketing et sur son avenir. C’est justement pour répondre à cette
interrogation qu’il est possible de se référer au postmodernisme.
6. Réflexions sur l’avenir postmoderne du marketing
Le cercle vicieux dans lequel est tombée la discipline semble la conduire vers une
régression sans alternative. S’il est vrai, selon l’affirmation de Brown (1997), qu’avec le
postmodernisme nous sommes entrés dans l’ère de l’anti-science, l’avenir du marketing paraît
obscur et difficile à percevoir. C’est seulement à partir d’une prise de conscience responsable
de la part des chercheurs de marketing que l’on pourra envisager un courageux
repositionnement de la discipline.
Les chercheurs qui ont tenté de s’occuper du marketing postmoderne (dont en particulier
Sherry, 1991 ; Brown, 1993 ; Holbrook, 1993 ; Thompson, 1993 ; Bouchet, 1994 ; Brown,
1994 ; Elliott, 1994 ; Brown, 1995 ; Firat, Venkatesh, 1995 ; Brown, 1997 ; Uusitalo, 1998 ;
Brown, 1999 ; Cova, Cova, 2001) ont conclu leurs développements en invitant les chercheurs
de marketing à considérer les limites de la philosophie du marketing moderne en adhérant
ainsi au « marketing-is-not-working manifesto » (Brown, 2002) et à porter leur attention sur
les nouveaux thèmes du marketing liés à la vision postmoderne du monde. Les plus radicaux
ont annoncé la mort de Kotler (Smithee, 1997) ainsi que celle de son modèle de marketing qui
48
est par ailleurs déclaré en faillite (Brown, 2002). Il est souhaitable qu’une version
postmoderne de la réalité situe l’individu au centre du marketing, tant dans son rôle de
consommateur que dans celui de chercheur, qu’elle laisse de la place à l’imagination sous
toutes ses formes (Brown, 2002). C’est peut-être cette direction qui semble la plus probable
pour le futur développement du marketing. Il s’agit, toutefois, d’un individu différent du type
du marketing moderne : la nouvelle perspective du consommateur et du chercheur ne modifie
pas radicalement les rôles. D’une part, le consommateur ne limite plus ses rapports avec
l’entreprise au simple acte d’achat ni ceux avec le produit par sa consommation. D’autre part,
le chercheur de marketing ne limite plus l’étude de la réalité à sa simple observation ni à la
connaissance générée par les modèles ou les implications. Les deux fonctions sont en relation
avec le contexte en y acquérant de l’expérience ; la connaissance devient relation, nondomination. Il est également fait mention de « interactive research » (Gummesson, 2002)
pour donner de l’importance à l’interaction qui s’instaure entre le chercheur et l’objet de ses
études et les autres acteurs ainsi qu’entre tous les autres éléments du programme de recherche.
Toutefois, il y est préféré le concept d’expérience à celui d’interaction, non pas que l’on réfute
sa validité, mais pour en amplifier la portée. En effet, le concept d’interaction semble être lié à
une idée momentanée de la recherche, quasiment statique. Par contre, selon notre opinion, la
recherche est un apprentissage continu qui débute par l’interaction ma qui ne se limite pas à
cette seule interaction. En même temps, l’interaction prévoit l’interférence d’au moins deux
entités ; par contre, le concept d’expérience, bien que plus nébuleux, permet davantage de
rendre les nombreuses nuances de la connaissance. En effet, la perspective fondée sur
l’expérience est basée sur le simple particulier et se réfère à ce dernier en tant que paramètre
d’ évaluation de l’expérience. Il s’agit d’une nette opposition à l’interprétation moderne qui
voit, par contre, la référence principale dans le groupe, concept qui s’étend souvent à celui de
masse. Cela ne signifie pas que le contexte social dans lequel a lieu une expérience ne soit pas
49
important, mais qu’il représente un élément d’influence de l’expérience du simple particulier,
celle-ci se déroulant dans le présent et dans le futur en termes d’apprentissage.
C’est effectivement l’expérience qui constitue le cœur de la consommation et
corrélativement celui du marketing, pour une simple raison : l’expérience représente la
décomposition de la vie-même de l’individu. C’est-à-dire que la perspective fondée sur
l’expérience est une perspective totalisante qui peut être appliquée partout ; par exemple, la
perspective fondée sur l’expérience est évoquée même en pédagogie où s’est développée la
filière de l’« experiential learning theory » qui prend sa source dans la pensée de Dewey,
Lewin et Piaget (Walter, Marks, 1981 ; Kolb, 1984 ; Merriam, Caffarella, 1991 ; Frontczak,
Kelley, 2000 ; Hamer, 2000). Étant donné le domaine d’enquête du marketing de
consommation, la perspective fondée sur l’expérience a été étudiée en se référant au moment
où celle-ci a été effectuée, mais seulement parce que le domaine d’enquête est relativement
limité. L’importance de l’expérience apparaît effectivement en se référant à tous les autres
domaines de la vie, parce que l’individu vit de nombreuses expériences en apportant à
chacune d’elles sa propre histoire, faite d’expériences précédentes et donc de son propre
apprentissage.
En limitant l’analyse au marketing, la valeur de la consommation a également son origine
dans l’expérience vécue par le consommateur, tant pour l’entreprise que pour ce même
consommateur ; c’est aussi de l’expérience qu’est issue la valeur du marketing en tant que
discipline, tant pour le simple chercheur que pour la société. L’expérience vécue par
l’individu en tant que consommateur permet la consommation de symboles et de
significations de valeur individuelle créés de différentes manières par la société et par le
contexte du domaine dans lequel cette expérience est vécue. Une interprétation similaire laisse
place aux plus diverses expressions de la personnalité et de l’état d’âme du consommateur, en
50
tant que fruit de son histoire passée, de sa créativité personnelle et de son état d’âme du
moment.
La diversité et l’hétérogénéité des expériences de consommation ressortent potentiellement
des études de marketing postmoderne non seulement parce que le chercheur donne de
l’importance à la diversité de l’individu et par conséquent aux expériences de consommation
qui ressortent dans ses études, mais aussi parce qu’il donne de l’importance en même temps à
sa propre personnalité. Il s’agit donc d’une double source de diversité : le [consumo ?]
consommateur et le chercheur lui-même. Les deux sources sont l’expression de personnalités
particulières, créées également par les interactions sociales, et elles sont toutes les deux
impliquées dans des expériences très consistantes : le consommateur fait l’expérience de la
consommation, le chercheur fait l’expérience de la recherche. L’étude du marketing et la
recherche sont elles-mêmes des expériences ; le postmodernisme rend le chercheur conscient
de l’humanité de sa recherche. C’est justement par sa reconnaissance que la recherche devient
expérience et qu’apparaît le besoin de reconsidérer le « caractère scientifique » du marketing.
Le caractère expérimental de la recherche semble effectivement proposer une nouvelle
manière de considérer ce qui est scientifique. S’il était effectivement établi qu’il n’existe pas
de réalité « du dehors » à découvrir par approximations successives, il ne serait donc pas
possible de recourir au principe « vrai/faux » pour juger le caractère scientifique d’une théorie
justement à cause de la disparition du paramètre de référence de cette évaluation : la Réalité
qui, de toute manière, change continuellement tant par elle-même qu’aux yeux de
l’observateur. Parallèlement, même le principe d’« utile/inutile » ne peut pas être appliqué
dans l’évaluation à caractère scientifique d’une théorie parce que son adoption conduirait à
considérer comme « scientifique » ce qui est pragmatique et « non-scientifique » et qui n’a
pas d’implication immédiate. Mais la même opposition « vrai/faux » n’est pas scientifique :
que signifie « vrai » ? Que signifie « faux » ? Comment doit-on considérer le partiellement
51
vrai ? Le monde est fait de nuances, comme l’âme humaine. L’application d’une méthode
plutôt qu’une autre est le fruit d’un choix du chercheur qui génère toujours une seule partie de
la connaissance possible. Ainsi se manifeste la caducité de toute dichotomie qui est par
définition très claire et simple à appliquer sans toutefois en saisir la diversité en parallèle
(Baker, 2002).
Par contre, en interprétant la recherche de marketing selon la logique fondée sur
l’expérience – de source postmoderne – il est possible d’évaluer le caractère scientifique
d’une théorie en fonction de l’enrichissement généré par cette expérience : si l’expérience de
la recherche enrichit – même si ce n’est que dans une moindre mesure – le corps de
connaissances déjà codifiées, la recherche est considérée comme étant scientifique. Alors, le
problème consiste à savoir ce que l’on entend par enrichissement. Pour tenter de formuler une
réponse, on peut dire qu’une recherche enrichit la connaissance précédemment codifiée quand
il y est ajouté quelque chose de différent ou quelque chose de nouveau ; en tout cas, lorsque
cette recherche la modifie et la rend plus charpentée. La comparaison entre deux théories
(précisément l’ancienne et la nouvelle) pour établir laquelle d’entre elles est la meilleure perd
sa raison d’être : le seul critère d’évaluation d’une théorie est l’enrichissement vis-à-vis du
corps de connaissances déjà codifiées. Par conséquent, la différence entre science et nonscience ne réside pas dans la méthode, mais plutôt – encore une fois – dans la capacité
d’enrichissement généré par la connaissance.
À ce point, apparaît évidente la désuétude de toute référence à la rigueur de la recherche
opposée à son importance pratique. Il est effectivement très dangereux d’utiliser le concept de
rigueur d’une théorie pour en évaluer la qualité et surtout son caractère scientifique. Encore
une fois, le caractère scientifique d’une théorie résulte en effet de la méthode utilisée – dans
ce cas, surtout par son caractère rigoureux – alors que l’on perd de vue le véritable objet
potentiellement « scientifique » : la théorie. Piercy (2002) illustre bien l’inadéquation
52
concernant l’utilisation de cette référence en polémiquant sur la compatibilité des concepts de
rigueur et d’importance de la recherche.
Le fait de porter attention à la rigueur de la recherche signifie que l’on considère
l’adéquation du travail au schéma conseillé pour l’application de la méthode utilisée. Mais,
encore une fois, ces considérations enlèvent toute possibilité au chercheur de faire valoir son
humanité, son expérience et sa connaissance, cette possibilité étant fondamentale pour générer
de la connaissance. La rigueur peut contribuer à générer de la connaissance, mais seulement si
elle est associée à trois qualités du chercheur : honnêteté intellectuelle, curiosité et humilité.
L’enrichissement de l’expérience fait ressortir la différence, l’hétérogénéité, les multiples
aspects des théories en se situant donc en nette opposition au concept d’appauvrissement de la
connaissance – typique du modernisme –, étant entendu comme réduction de la multiplicité
du réel et de l’expérience à une série de constantes et de variables auxquelles tout doit être
rattaché. La modélisation est nettement une tendance résultant de l’appauvrissement qui
contribue ensuite à l’accroître. La perspective postmoderne du marketing diminue
l’importance décisive de toute recherche de généralisation et de modélisation, parce que les
particularités et les contingences sont plus différentes et valables que toute abstraction. La
généralisation est utile, mais ce n’est jamais « le tout ». Les conséquences pour le marketing
pourraient être stupéfiantes : d’une part, la modélisation perdrait toute crédibilité ; d’autre
part, le marketing risquerait de perdre toute capacité didactique parce que le réel est tellement
hétérogène qu’il n’est pas possible de proposer des recettes faciles univoques, bonnes pour
toute occasion et pour tout commensal. Il en résulte une augmentation sensible de la
responsabilité professionnelle aussi bien du chercheur que du manager.
L’interprétation fondée sur l’expérience de la consommation et de la recherche reporte
donc l’attention des chercheurs vers la théorie, c’est-à-dire vers la véritable essence du
marketing, en la détournant de la méthode (qui est seulement un outil de la théorie) et des
53
implications managériales (soit les conséquences opérationnelles de la même théorie). En
agissant ainsi, le postmodernisme rend la parole à la théorie, c’est-à-dire la connaissance, en
rééquilibrant le poids des éléments. À ce point, il est évident que la mise en valeur des
différences distinguant chaque vision de la réalité, constitue la source du caractère scientifique
du marketing, tandis que selon la règle de la perspective moderne, la répétitivité génère la
science. Ce changement de perspectives a un impact sur tous les éléments du projet de
recherche. D’abord, le domaine d’enquête s’amplifie énormément : dans la vision moderne le
chercheur enquête légitimement dans un certain domaine où il aperçoit quelque chose de
nouveau ou d’inexploré – ou parce que la réalité a changé ou bien parce que de nouveaux
outils permettent d’en apercevoir des nouvelles – ; par contre, dans la perspective
postmoderne le chercheur de marketing peut s’occuper de tout ce qui suscite son intérêt et
qu’il peut mettre en application grâce à sa connaissance acquise, c’est-à-dire son savoir. En
effet, ce n’est pas le choix d’un domaine d’enquête qui génère, au-moins potentiellement, une
nouvelle théorie, mais c’est plutôt le fruit de l’enquête elle-même qui doit être considéré pour
en évaluer le caractère scientifique. Cela signifie qu’un chercheur peut aussi approfondir des
domaines déjà étudiés auparavant. Lorsque le chercheur adopte une perspective différente ou
s’il parvient à exposer des conclusions différentes ou même plus approfondies que les
précédents résultats, il produit alors une nouvelle connaissance scientifique. Il s’agit d’une
interprétation révolutionnaire : le modernisme invitait les chercheurs à enquêter seulement sur
ce que l’on connaissait déjà, alors que le postmodernisme ne prête pas attention au domaine
de la recherche, mais seulement à la théorie générée. C’est une question de choix, entre
l’ordre pauvre en connaissance et le chaos riche en idées créatives. Le postmodernisme
accepte cette dichotomie comme un défi, mais avec humilité : la vérité n’appartient à
personne, la réalité est inintelligible sur le plan collectif.
54
Cette implication relative au domaine d’enquête est étroitement corrélée aux effets du
postmodernisme sur les méthodes possibles d’enquête adoptées. Étant donné que ce n’est pas
l’adoption d’une méthode particulière qui rend scientifique une discipline, mais plutôt la seule
théorie générée, le chercheur a alors le droit d’utiliser n’importe quelle méthode. Bien sûr, les
méthodes quantitatives restent valables, mais les méthodes qualitatives peuvent être
appliquées conjointement à celles-ci, de l’ethnographie à la narration, à la « discorse
analysis » et ainsi de suite, y compris également les plus instinctives et les plus déstructurées
ainsi que les moins rationnelles. La science n’est pas nécessairement rationnelle (rationnelle
par rapport à quoi ?). Ce n’est pas, en effet, l’application en soi d’une méthode qui rendra
scientifique la théorie, mais c’est l’enrichissement obtenu par la nouvelle connaissance. Il
n’existe pas une méthode plus scientifique que d’autres (y compris la méthode « scientifique »
de Popper), mais toutes, sans exclusion aucune, peuvent générer des théories scientifiques,
c’est-à-dire de la connaissance incrémentielle.
Il est donc évident que le caractère scientifique est un concept relatif, non absolu. Si, en
effet, l’étiquette « scientifique » est attribuée à la connaissance générée dans le cadre d’une
expérience de recherche, il devient alors clair que le paramètre d’évaluation est représenté par
la connaissance déjà considérée comme scientifique et qui a donc, à son tour, enrichi la
connaissance précédente. La science n’est donc ni objective ni absolue.
Toute certitude absolue disparaît dans ce nouveau concept qui ne se transpose pas dans le
nihilisme de la science (le soi-disant « désastre de l’espérance », très craint par qui s’oppose
au postmodernisme), mais les possibilités de créer des théories sont multipliées à l’infini, dans
un processus d’apprentissage sans fin. Une théorie qui ne sera jamais scientifique dans
l’absolu, mais seulement par rapport au contexte dans lequel elle est considérée et où elle
prend de la valeur ainsi qu’avec ceux qui en prennent connaissance. Les caractéristiques de
chaque expérience de recherche s’expriment aussi dans l’impossibilité d’en définir une fois
55
pour toutes le caractère scientifique, ce dernier étant un concept relatif à une situation
particulière de la connaissance : un contexte, une société, un langage, un moment et un
espace. En effet, la modification des conditions de cette évaluation peut entraîner le
changement d’attribution de la qualification scientifique. Par conséquent, pour aborder
correctement la question du caractère scientifique de la théorie, il convient d’indiquer
clairement les conditions qui en définissent la contingence. Contrairement aux sciences
physiques, les sciences sociales amplifient cette condition de relativité : dans les sciences
sociales, les conditions du contexte dans lequel apparaît la connaissance sont sujettes à des
changements continus, tandis que dans les sciences physiques la stabilité (relative) du
contexte rend plus acceptable l’idée d’un principe de caractère scientifique (de toute manière
conventionnel) ayant une valeur absolue.
À ce point, il est évident que les considérations exposées sur la génération de la théorie et
sur son caractère scientifique représentent seulement une première réflexion, provisoire et
relativement imprécise, des implications du postmodernisme dans la science. Toutefois, ces
considérations sont tout de même suffisantes pour réfuter toute accusation éventuelle de
nihilisme envers le postmodernisme. La nature n’est pas l’ordre, et personne ne peut prétendre
le créer. En même temps, tout le monde doit faire la lumière sur sa complexité : peut-être que
le chaos n’est pas aléatoire. Brown (1999) avait déjà réfléchi sur l’éventualité de voir le
postmodernisme marquer la fin du marketing et concluant son analyse par la nécessité de
considérer la signification de la connaissance du marketing et de le redéfinir. Par contre, le
présent document veut porter la discussion un peu plus loin. En effet, bien que l’on soit
conscient des limites de ces réflexions et bien qu’il soit nécessaire d’approfondir
ultérieurement les argumentations, il s’agit de toute manière de réflexions alternatives qui
tentent d’adopter une approche constructive.
56
Il faut effectivement considérer que l’application du postmodernisme au marketing est un
exercice très difficile, ni simple ni automatique, puisqu’il en conteste tout apriorisme. En
particulier, le chercheur assume une plus grande responsabilité qu’il peut affronter seulement
avec une attitude de curiosité et d’humilité. Mais si la recherche est guidée par la curiosité et
modérée par l’humilité, elle devient une expérience d’enrichissement. Le postmodernisme
pourrait ainsi tuer la machine, et restituer à l’homme sa liberté et sa responsabilité.
57
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