Scelsi, Le pouvoir universel du son sphérique Par Alvaro Martínez León Scelsi est né en 1905 à Spezia, (Italie) au sein dʼune famille noble, origine qui lui confère le titre de Comte dʼAyala Valva. Après avoir suivi des études de musique auprès de professeurs privés et de composition avec Giacinto Sallustio à Rome (où il côtoie de même Virginia Wolf et Jean Cocteau entre autres), il jouit dʼun certain succès dans le monde de la musique contemporaine européenne grâce à sa pièce Rotativa crée à Paris en 1931. Il mène une vie mondaine, gagnant des concours dʼélégance et même un prix de danse amateur à Monte-Carlo. Sa production musicale continue en même temps quʼil se forme avec Egon Koheler sur le travail de Scriabine et plus tard avec Walter Klein, élève de Schoenberg qui lʼintroduira au dodécaphonisme. Cette époque est caractérisée par les différentes influences quʼil reçoit de ses maîtres, en plus de son goût par certains courants esthétiques tels que le premier Stravinsky, Honneger ou Debussy. Ces influences sont palpables dans Rotativa, tant du point de vue rythmique quʼharmonique, lʼintention du compositeur étant de représenter lʼacte sexuel avec un mouvement continu de montées harmoniques et accélérations rythmiques. Des exemples dʼœuvres influencés par le sérialisme sont le 1er quatuor à cordes et la colossal La Nascita del Verbo pour chœur et orchestre, dans laquelle on peut entrevoir la vocation universaliste que Scelsi mûrira plus tard dans sa dernière phase créative. Peu de temps après avoir terminé de composer La Nascita del Verbo, Scelsi tombe en 1948 dans une crise nerveuse qui lui retiendra dans un centre psychiatrique pendant 4 ans de manière intermittente. Le compositeur déclare dans plusieurs entretiens et notes autobiographiques que cette crise est provoquée parce quʼil ʻpensait tropʼ, son engagement dans la composition était disproportionné. Très critique des méthodes traditionnelles psychiatriques de lʼépoque, il explore pendant ces années la méditation transcendantale dans plusieurs versants. Lʼun de ces versants est la contemplation du son, quʼil soit produit par la voix humaine (avec des longs Ohm) ou par des objets extérieurs au corps humain. Lui même raconte les heures quʼil a passé à jouer une seule note sur un piano, pour arriver progressivement à découvrir toutes ses facettes, son énergie intérieure et en fin sa force cosmique, révélatrice de lʼImmobile. La première pièce quʼil écrit après son séjour dans la clinique (« Bot-Ba, une évocation du Tibet avec ses monastères sur les hautes montagnes – Rituels tibétains – Prières et danses ») est une suite pour piano dont chaque mouvement est guidé par une ou plusieurs notes répétées inlassablement. Cʼest ainsi que Scelsi entame la voie de la transcendance, influencé par des multiples courants philosophiques orientales et mystiques. Cette direction nʼest pas née spontanément puisquʼon voit dans ses écrits antérieurs à sa crise nerveuse (début des années 40) que le compositeur se questionne fortement sur le pouvoir inégalable des musiques provenant de cultures non occidentales. Il y évoque la supériorité au niveau rythmique des musiques orientales et africaines, en attribuant à cette dernière la capacité pour faire rentrer les hommes dans un rythme collectif, tellurique, cosmique. Sa nature cosmopolite, de même que ses nombreux voyages et sa vie mondaine lui confèrent une culture universaliste, que lʼon peut constater dans plusieurs de ses écrits. Dans un recueil de conversations sur lʼart datant de 1953, il considère que « il y a des œuvres remarquables qui appartiennent à chacune de ces catégories (art populaire, art folklorique, art fantastique, art visionnaire, art magique, art religieux) ce qui montre que lʼart nʼest pas limité à certains schémas, règles ou doctrines esthétiques ». Il sʼen suivra une étape dʼexpérimentation qui aboutira en 1959 avec les 4 pièces pour orchestre, chacune sur une seule note. Le développement musical de cette œuvre ne se trouve plus dans lʼharmonie, les motifs mélodiques ou le rythme, mais dans les textures possibles quʼun seul son peut démontrer, les subtilités timbriques de mélanges entre différents instruments, les vibrations provoqués par les frottements provoqués par de notes très proches entre elles, les différences dʼampleur dʼespace acoustique crées par le dépliement des octaves dʼun même son, toujours en se servant des longues durées, qui rappellent aux lentes respirations du yoga. Le but principal de Scelsi est de montrer la profondeur dʼun seul son, ce quʼil appelle le son sphérique, en nous proposant un temps dʼécoute contemplatif. Les œuvres écrites âpres les 4 pezzi per orchestra, témoignent de lʼévolution philosophique du compositeur vers la connaissance de lʼImmobile. Scelsi ne se considère plus un compositeur, mais un simple medium entre la divinité et les hommes. Il rejette désormais le mode de composition traditionnel occidental, qui se concentre sur la forme (le cadre), pour générer des constructions quʼil considère généralement vides. Ce néant est à cause du manque de pensée créatrice, qui prend en compte avant tout lʼénergie fondamentale du son. Le quart de siècle qui suivra dans son travail créatif sera toujours imprégné de cette force créatrice qui connecte le corps humain à lʼImmuable, donnant naissance à des pièces tels que Kon-Om-Pax, Anahit, Aion et tant dʼautres.