Etude prospective des facteurs prédictifs de dépression post-AVC La prévalence de la dépression après un accident vasculaire cérébral (AVC) est élevée (20 à 65%) quel que soit le moment de sa survenue par rapport à l’AVC. Sa présence a un effet négatif sur la récupération motrice et cognitive, ainsi que sur la mortalité. Plusieurs études se sont penchées récemment sur les liens existant entre la survenue d’une dépression post-AVC et les régions cérébrales touchées par l’AVC, la plupart du temps avec des résultats contradictoires. Le rôle de certains facteurs, comme l’aphasie et la négligence, dans l’évolution des déficits moteurs et cognitifs, est bien connu mais reste totalement inexploré en ce qui concerne la dépression postAVC. Ceci est dû en partie à la grande variabilité interindividuelle dans l’expression des symptômes dépressifs. Le rôle joué par la perte de l’estime de soi, de la réalisation familiale et professionnelle, est aussi important, bien que non lié directement à une dysfonction cérébrale. Cette étude visait à explorer la relation possible entre le développement d’une dépression dans l’année qui suivait un AVC et la localisation des lésions, les changements cognitifs et les troubles de l’humeur présentés dans les premiers jours après l’AVC. L’hypothèse initiale était que les symptômes dépressifs manifestés peu après l’AVC pourraient être déterminés par des facteurs neurobiologiques spécifiques, aussi impliqués dans la physiopathologie de la dépression post-AVC et pourraient donc prédire la survenue d’une dépression post-AVC. Pour explorer cette association entre les conduites dépressives précoces après un AVC et la survenue d’une dépression post-AVC à 3 et 12 mois d’évolution, une étude observationnelle a été réalisée dans l’unité neurovasculaire aiguë de l’hôpital universitaire de Lausanne (Suisse). Tous les patients admis pour un AVC dans cet hôpital étaient hospitalisés dans ce service pour une durée de 4 jours environ, sauf s’ils nécessitaient une réanimation médicale. Dans ce service, les données administratives, anthropologiques, les antécédents et les traitements en cours étaient répertoriés pour chaque patient. L’autonomie était mesurée par l’index de Barthel et une imagerie cérébrale était réalisée dans les 3 jours (TDM ou IRM). L’estimation de l’humeur était faite grâce à l’Emotion Behavior Index Form (EBIF), adapté aux patients avec des déficits sévères de la communication (pleurs, tristesse, apathie) et rempli quotidiennement par les infirmières. Chaque item était coté 0 (=absent) ou 1 (=présent). Parallèlement l’aphasie et les troubles de la compréhension étaient évalués. Après 3 et 12 mois, le diagnostic de dépression post-AVC était réévalué avec les critères du DSM IV et l’application de l’échelle de dépression de Hamilton. Cette étude prospective a inclus 326 patients entre janvier 1995 et décembre 1999, dont 53 ont été exclus rétrospectivement du fait de facteurs confondants (complications, alcool, maladie de Parkinson…). Parmi les 273 patients restants (53% d’hommes), l’âge moyen était de 64,4 ± 15,9 ans (19 à 90 ans). L’index de Barthel (BI) à l’admission était de 80 ± 20. Après 3 et 12 mois d’évolution, 246 patients ont été évalués. Les 27 patients n’ayant pas eu de suivi étaient plus âgés (69,5 ± 15 ans) et plus déficitaires à l’admission (BI = 76,2 ± 17,4). Cinq étaient décédés, 15 ne sont pas revenus, 7 avaient des troubles de la compréhension tels que toute évaluation était impossible. Dans l’unité neurovasculaire aiguë, 19,8% des patients présentaient des pleurs, 50,5% une tristesse et 47,6% une apathie. Parmi les 52 patients pleurant, 4 présentaient un pleurer pathologique (provoqué par une émotion neutre, ne correspondant pas à l’affect subjectif), 19 une hyperémotivité (provoquée par un stimulus significatif avec un affect adapté) et 12 une réaction anxieuse (au moins 3 facteurs : pleurs, agressivité, refus, déplacement, en réaction à une tâche que le patient ne peut pas réaliser). Les pleurs et la tristesse étaient associés à une sensation subjective de tristesse (p<0,05) mais pas l’apathie. Trente (58%) des 58 patients pleurants, 12 (63%) des 19 patients avec une hyperémotivité et 5 (41%) des 12 patients avec une réaction anxieuse, ont développé une dépression post-AVC dans l’année suivante. L’analyse multivariée a montré que les seuls facteurs prédictifs de développement d’une dépression tardive postAVC étaient un handicap initial sévère (OD 4,31 ; IC à 95% : 2,41-7,69), les pleurs (OD 2,66 ; IC à 95% : 1,35-5,27) et un âge inférieur à 68 ans (OD 2,32 ; IC à 95% : 1,30-4,13). Aucune corrélation n’a été trouvée entre les localisations cérébrales de l’AVC et la présence de pleurer pathologique ou d’hyperémotivité. En revanche, la corrélation entre la réaction anxieuse et les lésions de l’hémisphère gauche était frappante (6/12 présentaient une lésion de l’aire insulaire gauche). L’avantage d’une évaluation continue par les infirmières de l’unité a permis de montrer que l’apathie était dissociée de la tristesse, des pleurs et de la sensation subjective de tristesse à la phase aiguë de l’AVC. Les pleurs sont plus souvent présents chez les femmes, ce qui est également observé dans les autres formes de dépression. Le fait que certains patients semblent tristes alors qu'ils n’ont pas de sensation subjective de tristesse, laisse suggérer une « anosognosie de la dépression », d’autant plus que certains de ces patients étaient déjà anosognosiques de leur hémiparésie. L’hyperémotivité et les réactions anxieuses semblent être des réponses stéréotypées plutôt que conscientes, directement liées aux lésions cérébrales (œdème et hypoperfusion). Sophie Moulias Hôpital Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt Carota A, Berney A, Aybek S, Iaria G, Staub F, Ghika-Schmid F, Annable L, Guex P Bogousslavsky J. A prospective study of predictors of post-stroke depression. Neurology. 2005; 64: 428-433. ©2005 Successful Aging SA Af 323-2005