Item 300 : CONSTIPATION CHEZ L’ENFANT (et l’adulte*) AVEC LE TRAITEMENT Objectifs pédagogiques : - Devant une constipation chez l’enfant argumenter les principales hypothèses diagnostiques et justifier les examens complémentaires pertinents Argumenter l’attitude thérapeutique et le suivi du patient Objectifs de l’auteur : - Décrire les mécanismes physiopathologiques mis en jeu dans l’enfance. Enumérer les signes évocateurs de constipation chez le nourrisson et l’enfant. Reconnaître une constipation fonctionnelle et une constipation de cause organique Indiquer les investigations paracliniques selon l’âge et la situation clinique. Détailler les mesures hygiéno-diététiques et les principes du traitement Auteur : Professeur J-P. OLIVES Référent : Professeur J-P. OLIVES ( [email protected] ) Points importants : - La constipation n’est pas une maladie mais un symptôme Il convient de différencier constipation fonctionnelle et constipation organique Fréquence : la prévalence de la constipation fonctionnelle est estimée à 30-40 % des enfants d’age scolaire, celle de la maladie de Hirschsprung à 1/5000 Les constipations fonctionnelles se caractérisent par un rectum plein (rétention) alors que la majorité des constipations organiques ont un rectum vide (défaut de propulsion) Les médicaments à base de macrogols (Poly Ethylène Glycol : PEG) sont très efficaces dans le traitement de la constipation fonctionnelle, ils peuvent être utilisés chez l’enfant à partir de l’âge de 6 mois, *Ce chapitre ne traite que ce qui concerne l’enfant PLAN Introduction 1- Diagnostic positif 2- Examen clinique 3- Orientation diagnostique 4- Constipations d’origine fonctionnelle 5- Constipations organiques 6- Principes du traitement 7- Tableau résumant les principaux signes La constipation chez l’enfant peut se définir par une émission trop rare des selles, habituellement difficile et douloureuse. Le plus souvent d’origine fonctionnelle, l’interrogatoire et l’examen clinique doivent chercher à éliminer l’hypothèse éventuelle d’une cause organique qui nécessiterait des examens complémentaires. POINT IMPORTANT A COMPRENDRE La constipation n’est pas une maladie mais un symptôme. Même « opiniâtre » et installée depuis longtemps, cet état est transitoire si des mesures thérapeutiques et/ou diététiques simples sont suivies. DIAGNOSTIC POSITIF 1. Définition a) Le caractère douloureux et difficile de l’exonération des selles est un élément facile à apprécier à l’interrogatoire des parents ou de l’enfant. Par contre, l’intervalle entre deux selles chez l’enfant reste difficile à définir, mais l’on peut retenir en fonction de l’âge, pour porter le diagnostic de constipation : chez le nourrisson moins de 3 selles par semaine chez le grand enfant, moins de 2 selles par semaine Le volume des selles peut également être retenu comme critère de diagnostic : selles très volumineuses (véritables moules coliques) ou au contraire minuscules (petites billes dures). 2. Circonstances de découverte Le plus souvent, la constipation est le motif de la consultation, et les parents exposent la symptomatologie consistant en l’émission tous les 2 à 3 jours, voire moins, de selles le plus souvent dures dans un contexte parfois douloureux. La présence de quelques stries sanglantes sur la selle est également parfois signalée. Parfois le diagnostic peut être moins évident, l’enfant étant amené en consultation pour une fissure anale une encoprésie (pertes de selles, souillures dans la culotte) une diarrhée (colite réactionnelle, fausse diarrhée des constipés) des douleurs abdominales un prolapsus rectal récidivant des douleurs anales ou un état sub-occlusif avec fécalome EXAMEN CLINIQUE 1. Interrogatoire Il est fondamental et doit orienter d’emblée vers une étiologie organique. les antécédents familiaux, notamment de colite spasmodique, doivent être recherchés, de même que les antécédents personnels doivent être détaillés avec notamment la notion d’une intervention chirurgicale digestive (cure de malformation anale). le régime doit être détaillé également concernant les farines, les épaississants, les fibres. la notion de traitement ou d’automédication, pouvant paraître anodine pour les parents (sirop antitussif), doit être systématiquement recherchée. la date d’apparition de la symptomatologie est précisée, de même que les circonstances déclenchantes si celles-ci sont rapportées par les parents. En effet, une constipation à début très précoce doit d’emblée faire envisager une cause organique digestive (date d’élimination du premier méconium). l’aspect des selles est noté, des selles en « ruban », très fines peuvent en effet faire évoquer une sténose du canal anal. la recherche à l’interrogatoire de sang dans les selles doit être également systématique. Les signes associés tels qu’un ballonnement abdominal, une alternance de diarrhée/constipation, des douleurs abdominales ou une asthénie doivent également être soigneusement notés, de même que d’éventuels troubles mictionnels. le contexte psychologique familial et de l’enfant est appréhendé. 2. Examen Physique l’étude du poids et de la taille exprimée en déviations standard ainsi que l’analyse de la courbe de croissance staturo-pondérale de l’enfant et l’appréciation de son état nutritionnel sont fondamentales, toute anomalie devant faire évoquer d’emblée une cause organique. l’examen de l’abdomen recherche dès l’inspection un ballonnement, et la palpation permet de retrouver éventuellement la présence de fécalomes dans le côlon. La palpation peut également retrouver une corde « colique » évocatrice d’une colopathie fonctionnelle. l’examen de l’anus permet, d’une part, de noter la position (l’anus est habituellement à midistance entre la pointe du coccyx et les organes génitaux. Une anté-position est souvent associée à la constipation) et, d’autre part, de mettre en évidence une inflammation locale, voire une fissure. Le toucher rectal doit être systématique et permet d’apprécier le diamètre du canal anal, le tonus du sphincter et, enfin, d’objectiver la présence de selles ou d’un éventuel fécalome dans le rectum (constipation à rectum plein). l’examen clinique doit être complet (tonus musculaire, développement psychomoteur, signes neurologiques). ORIENTATION DIAGNOSTIQUE Ainsi, à l’interrogatoire et l’examen clinique on peut schématiquement opposer deux tableaux. Le plus fréquent concerne un enfant ayant une constipation apparue après plusieurs années d’un transit normal, en parfait état nutritionnel, sans ballonnement abdominal et présentant éventuellement des douleurs abdominales ou une alternance diarrhée/constipation et fait évoquer en premier lieu une constipation fonctionnelle. En dehors, éventuellement, d’un cliché de l’abdomen sans préparation, aucun examen complémentaire n’est nécessaire . Le second concerne un enfant se présentant avec une constipation apparue dès les premiers jours de vie avec ballonnement abdominal et mauvaise croissance staturo-pondérale et doit faire évoquer d’emblée une cause organique (surtout si le rectum est vide au toucher rectal). Les principaux signes permettant de différentier les constipations fonctionnelles et les constipations organiques sont résumées dans le tableau 1 ( fin du texte). Néanmoins, cette description est schématique et, bien que les causes fonctionnelles soient les plus fréquentes, la vigilance doit rester de mise. CONSTIPATIONS D’ORIGINE FONCTIONNELLE Ce sont les plus fréquentes. 1. Erreurs diététiques C’est à l’interrogatoire détaillé que ces erreurs seront mises en évidence. Ces dernières peuvent être en rapport avec un régime pauvre en résidus et/ou trop riche en féculents. Ailleurs, c’est une insuffisance dans les apports hydriques qui peut être en cause. Enfin, une anorexie, voire une sous-nutrition, peuvent être à l’origine de la constipation. Citons enfin les erreurs de dilution dans la préparation des biberons. 2. Constipations iatrogènes Ici encore, c’est l’interrogatoire qui permet de retrouver un éventuel traitement parfois négligé par les parents à l’origine de la constipation. Outre les sirops antitussifs à base de codéine, citons la cholestyramine, les phosphates d’alumine, la smectite, les diurétiques, les atropiniques, les épaississants et les antispasmodiques. 3. Constipations fonctionnelles et tableaux symptomatiques Ce sont les plus fréquentes, et différents facteurs peuvent intervenir dans la génèse de ces états de constipation. La constipation de l’enfant nourri au sein : La constipation de l’enfant nourri au sein est bien connue ; elle est à l’origine d’une diminution du volume et du nombre des excrétions fécales et peut inquiéter les parents. Il s’agit en réalité d’une « fausse constipation », liée au faible volume des résidus intestinaux, s’accompagnant d’une prise pondérale normale, de l’absence de ballonnement ou de douleurs abdominales. Dans le cadre du syndrome du côlon irritable, les antécédents familiaux du même ordre sont souvent retrouvés. Ailleurs, des facteurs psycho-affectifs ou socio-éducatifs paraissent prédominants et sont à l’origine du phénomène initial fondamental consistant en une opposition à la défécation. La crainte de l’éxonération (ou syndrome de refus du pot) peut être en rapport avec une douleur à la défécation (fissure et création d’un cercle vicieux), attitude rigide de la mère avec éducation sphinctérienne trop précoce, difficulté de la relation mère-enfant ou, enfin, retenue de l’éxonération du fait de contraintes particulières (peur des toilettes à l’école, jeu....). Cette rétention fécale volontaire, en rapport avec une contraction du sphincter externe au moment où le besoin apparaît, abouti à la longue à une distension du rectum et peu à peu à un émoussement du réflexe initiateur de la défécation qui pérennise le trouble et entretien ainsi le cercle vicieux. Cette constipation primitive se voit habituellement chez l’enfant âgé de quelques années mais peut se voir également chez le très jeune enfant. L’état général est conservé, l’état nutritionnel est parfait et l’examen clinique normal, sans ballonnement, retrouve parfois une fissure anale qui pérennise le trouble. Aucun examen complémentaire n’est justifié dans la majorité des cas. Seul l’échec d’un traitement symptomatique bien conduit devra motiver la prescription d’un bilan (manométrie anorectale, lavement baryté, voire biopsie rectale). Encoprésie L’encoprésie est l’émission régulière de selles formées ou semi-formées dans les sousvêtements ou des endroits « inhabituels » (sur le sol...) après l’âge de 4 ans. Dans la grande majorité des cas, ce symptôme résulte de la conjonction d’un terrain de constipation ancienne et d’un comportement rétentionnel. CONSTIPATIONS ORGANIQUES Elles sont rares mais doivent néanmoins systématiquement être envisagées lors de la consultation, surtout chez le jeune enfant car elles nécessitent un traitement spécifique. Deux causes doivent être suspectées, la clinique pouvant être prise en défaut dans ces cas : la maladie de Hirschsprung et l’hypothyroïdie. 1. Causes colorectales La maladie de Hirschsprung est au premier rang. Elle doit être automatiquement évoquée chez le nouveau-né ou le jeune enfant dont la constipation est ancienne, rebelle aux thérapeutiques entreprises et parfois associée à une débâcle diarrhéique. L’examen clinique peut retrouver un mauvais état nutritionnel ou un ballonnement mais, de nos jours, le tableau classique de maladie de Hirschsprung négligé et méconnu est rare. Le toucher rectal, systématique, retrouve classiquement un rectum vide. C’est donc sur des arguments cliniques que le diagnostic sera évoqué, mais la maladie de Hircshsprung ne peut être exclue ou affirmée par la seule clinique, et sa suspicion justifie un bilan paraclinique. La radiographie de l’abdomen sans préparation montre une distension colique et l’absence d’air dans le rectum. Le diagnostic est affirmé par le lavement baryté qui met en évidence une distension du côlon en amont d’un segment rétréci non distensible, et par la manométrie anorectale qui montre une absence de reflexe recto-anal inhibiteur. La confirmation est apportée par la biopsie rectale à la sonde de Noblett qui mettra en évidence l’absence de cellule ganglionnaire et l’hyperplasie schwannienne au niveau des plexus myentériques. Autres causes : à côté de la maladie de Hirschsprung, il faut citer : les neuropathies et myopathies digestives rentrant dans le cadre du syndrome de pseudoobstruction intestinale chronique dont le diagnostic est histologique ; les sténoses coliques, rares, pouvant rentrer dans le cadre de séquelles post-chirurgicales après cure d’imperforation anale. Elles peuvent faire suite à une entérocolite ulcéronécrosante ou, enfin, de manière exceptionnelle, rentrer dans le cadre d’une compression extrinsèque en rapport avec une tumeur abdomino-pelvienne ; le rétrécissement anorectal congénital au toucher rectal. 2. Causes neurologiques A côté de l’agénésie sacrée dont le diagnostic est fait sur l’analyse du cadre osseux de l’abdomen sans préparation , les myéloméningocèles et compressions médullaires peuvent être à l’origine de constipation qui ne sera alors qu’un élément du tableau où les troubles neurologiques sont prédominants. Les états d’encéphalopathie graves sont souvent accompagnés d’une constipation opiniâtre en rapport avec un régime déséquilibré, un état grabataire et une absence de tonus abdominal lors de la défécation. Enfin, citons les myopathies du muscle strié (myopathie de Duchenne de Boulogne, maladie de Steinert) dans lesquelles des études récentes montrent une atteinte du muscle lisse digestif pouvant être à l’origine d’une constipation. 3. Causes générales L’hypothyroïdie, avec pour conséquence une diminution de la motricité digestive, doit être systématiquement évoquée notamment chez le nouveau-né ou le tout jeune nourrisson, mais également chez le plus grand enfant dans le cadre d’une hypothyroïdie acquise, le traitement spécifique s’imposant sans retard. L’hypokaliémie et l’hypercalcémie peuvent être également à l’origine d’une constipation mais rentrent dans le cadre d’un tableau clinique riche, et sont rarement méconnues. Enfin, une authentique maladie coeliaque peut être révélée non par une diarrhée chronique mais par une constipation chez un enfant présentant un abdomen ballonné avec une cassure secondaire de la courbe de poids. PRINCIPES DU TRAITEMENT CONSTIPATIONS D’ORIGINE FONCTIONNELLE 1. Mesures hygiéno-diététiques Dans tous les cas, ces dernières visent à corriger les erreurs diététiques qui auront pu être mises en évidence lors de l’interrogatoire. Chez le nourrisson, les biberons doivent être correctement préparés (une mesure de lait pour 30 ml d’eau). On peut proposer une introduction précoce des jus de fruits et des légumes dont les fibres constituent un résidu fécal qui améliore le transit intestinal. L’utilisation d’une eau déminéralisée une à deux fois par jour pour la préparation des biberons (Vittel source Hépar) permet également d’améliorer le symptôme. Chez l’enfant, outre la dédramatisation du symptôme, les conseils visent à augmenter les apports hydriques et à équilibrer l’apport en résidu (prescription de son, légumes cuits (courgettes, haricots verts), pruneaux). On peut également proposer un apport supplémentaire en lipides (huile végétales) permettant une « lubrification » des selles. Enfin, ces mesures sont complétées par des horaires de repas bien aménagés et une activité physique soutenue. 2. Traitements médicamenteux Ceux-ci ne doivent pas être systématiques en première intention de manière à ne pas pérenniser le trouble en le médicalisant. On peut néanmoins être amené à recourir de façon intermittente à l’huile de paraffine (Lansoyl gelée, Laxamalt 2 à 4 cuillères à café par jour). Les laxatifs osmotiques de type Lactitol (Importal) ou lactulose (Duphalac) peuvent également être employés mais sont parfois à l’origine de douleurs abdominales par (par production de gaz et ballonnement), notamment dans le cadre du syndrome du côlon irritable. Dans les formes sévères la prescription de petites doses de macrogol sous forme de polyéthylène-glycol (PEG) peut être proposée : 3 grammes de 1 à 3 ans, 5 grammes de 3 à 8 ans, 10 grammes à partir de 8 ans (Transipeg , Forlax, Movicol) La trimébutine à la dose de 5 à 10 mg/kg/j par voie orale peut également s’avérer efficace tant sur la constipation que sur les douleurs abdominales. 3. Encoprésie Le premier temps de son traitement est l’évacuation totale du rectum, condition nécessaire pour une rééducation rectale de la sensation de besoin. Cette évacuation colique peut être effectuée par des lavements osmotiques (Normacol , 70 ml pour les enfants de moins de 7 ans, et 130 ml pour les enfants de plus de 7 ans). Les mesures hygiéno-diététiques, les conseils concernant les habitudes de défécation nécessaire, et le traitement médicamenteux doivent prendre le relais immédiatement après l’évacuation des fécalomes. Une rééducation par bio-feed-back consistant, grâce à l’aide de la manométrie anorectale, en un réapprentissage de la sensation de besoin et de la défécation peut également être tentée. Enfin, dans certains cas, un soutien psychologique, voir psychiatrique, est indispensable dans la prise en charge de ces enfants. CONSTIPATIONS ORGANIQUES 1. Maladie de Hirschsprung Le traitement de la maladie de Hirschsprung est chirurgical. Le principe consiste en l’ablation du segment aganglionnaire avec mise pour une durée variable (12 à 18 mois) en iléostomie ou colostomie, suivie d’une remise en continuité des 2 extrémités coliques saines selon différentes techniques ayant pour objectif de respecter la continence anale. 2. Autres causes colorectales ou anales Elles justifient un traitement chirurgical spécifique en fonction des lésions. 3. Hypothyroïdie Elle nécessite un traitement de supplémentation par hormones thyroïdiennes régulièrement surveillé. CONCLUSION Symptôme fréquent et le plus souvent transitoire et bénin, la constipation de l’enfant ne doit pas faire méconnaître une cause organique. TABLEAU 1 PRINCIPAUX SIGNES PERMETTANT DE DIFFERENCIER LES CONSTIPATIONS FONCTIONNELLES ET ORGANIQUES CONSTIPATIONS FONCTIONNELLES Encoprésie Synd. Obstructifs Fréquente CONSTIPATIONS ORGANIQUES Exceptionnelle Exceptionnels Fréquents Selles Volumineuses Episodes d’entérocolite Fréquentes Jamais Rares Habituels Signes à la naissance Rares Ampoule rectale Pleine Fréquents Vide