SELF 2011
INTRODUCTION
Contexte de l’étude
De nombreux exemples issus de retours
d’expériences civils et militaires montrent que la
survenue d’évènements imprévus peut gravement
perturber le fonctionnement d’un collectif de travail
au point de le rendre incapable d'apprécier une
situation et de prendre les décisions inappropriées.
Les cas paradigmatiques souvent mis en avant pour
illustrer ces situations sont les attentats du 11
septembre 2001 ou l’Ouragan Katerina en 2005.
Cette problématique de gestion de l’imprévu est
particulièrement prégnante au sein des centres de
décision de la Défense confronté au « brouillard de la
guerre » et à l’incertitude intrinsèque à celle-ci
(Desportes, 2007). Face à ce constat, la Délégation
Générale pour l’Armement (DGA) a lancé dans le
cadre de ses projets de recherche exploratoires une
étude visant spécifiquement à améliorer la réaction
d’un collectif de travail face à l’imprévu, le projet
REACT1.
Réaction à l’imprévu et sensemaking
Lorsqu’un imprévu menaçant survient dans un
environnement dynamique, l’impératif pour les
décideurs est de (re)construire au plus vite le sens de
la situation et de réussir à le partager pour permettre
au collectif d’agir de manière coordonnée et efficace.
Sans une capacité à reconstruire collectivement ce
sens, le collectif peut se désagréger, chacun se repliant
sur des objectifs individuels (réflexe de survie,
sauvegarde de ses intérêts, etc.), et sa pérennité peut
s’en trouver fortement menacée (ex., Weick, 1993).
La reconstruction du sens – sensemaking en anglais,
terme que nous utiliserons dans la suite par souci de
simplicité - semble donc primordiale dans la réaction
à l’imprévu. Ce processus peut être défini comme
« l’effort délibéré pour comprendre les événements. Il
est habituellement déclenché par des changements
inattendus ou d’autres surprises qui nous conduisent à
douter de notre compréhension précédente » (Klein et
al., 2007, p.114) Il apparaît nécessaire dans un état de
confusion, lorsque les informations sur la situation
semblent incohérentes ou trop incertaines. Il vise, à
l’image du travail de construction d’un puzzle, à
« remettre de l’ordre » dans sa compréhension, à
structurer des données disparates, incertaines,
incohérentes voire contradictoires, quitte à exclure des
informations disponibles du champ d’attention ou à en
introduire de nouvelles. L’objectif n’est alors pas
l’exactitude de la compréhension, généralement
inaccessible, mais sa plausibilité et sa cohérence
(Weick, 1995).
1 Ce projet est partiellement financé par la DGA (contrat
de recherche n° 2009.34.0035). Il associe, outre Dédale,
deux partenaires universitaires : l’Université Technologique
de Troyes (resp. E. Soulier, TECH-CICO) et l’Université
de Valenciennes (resp. F. Vanderhaegen, LAMIH).
En outre, le sensemaking vise fondamentalement à
(re)trouver des capacités d’action. La recherche de
sens ne peut donc aboutir que si elle permet à ses
protagonistes d’agir, en accord avec leurs buts et leurs
intérêts (Weick, 1995). Au final, l’acteur ou le groupe
d’acteurs construisant du sens est plus dans une
position de décréter la réalité que de la révéler. On
comprend dès lors tout l’enjeu de mieux comprendre
les conditions de mise en œuvre de ce processus dans
les milieux à risque ainsi que ses défaillances
possibles.
ANALYSE DE CAS DE GESTION
COLLECTIVE DE L’IMPREVU ET DE
RECONSTRUCTION DU SENS
Différents types d’imprévu
Pour avancer vers ce but, une première action menée
dans le projet REACT a consisté à étudier différents
cas documentés de réaction collective à l’imprévu et à
recueillir quelques témoignages d’experts
opérationnels. L’identification de ces cas supposait
une définition assez claire de la notion d’imprévu.
La littérature traite déjà de la réponse à différents
types d’imprévu (ex. Gundel, 2005, Cuvelier et
Falzon, 2009) et il apparaît de manière évidente que
tous ne requiert par un processus de sensemaking. Par
exemple, un imprévu peut survenir et exiger une
réponse dans les secondes qui suivent sous peine de
menacer directement la vie des acteurs en présence.
Cette réaction, qui est de l’ordre du réflexe de survie,
ne peut reposer sur un processus aussi couteux en
ressources cognitives que le sensemaking. Autre
exemple : un imprévu peut surprendre mais, une fois
identifié, être parfaitement gérable sans qu’il y ait
besoin de l’expliquer et tout en s’appuyant sur une
procédure existante (ex., détection et traitement d’une
panne moteur en aéronautique). En fait, le
sensemaking apparaît nécessaire uniquement si (1) le
temps disponible est suffisant pour engager une
réflexion, (2) aucune procédure disponible ne
s’applique, (3) les acteurs ont besoin de comprendre
les causes des événements auxquels ils font face et (4)
les informations disponibles pour aboutir à cette
compréhension sont incertaines. Nous utiliserons dans
la suite de ce document, le terme d’imprévu pour
désigner spécifiquement ces situations.
Quelques éléments de conceptualisation
L’objet n’est pas ici de décrire l’ensemble du cadre
conceptuel qui a été établi pour appréhender le
sensemaking, mais uniquement d’en livrer quelques
éléments clés.
Le sensemaking est déclenché par un sentiment de
surprise. Les données perçues doivent apparaître
incohérentes avec les attentes ou ce qui peut être
conçu comme normal, et aucune explication
immédiate ne peut effacer cette surprise de manière
satisfaisante.
Le sensemaking se différencie de la compréhension
entendue comme un processus de sélection et