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séparation qui domine entièrement la vie économique actuelle ; et d’autre part, directement
liée à ce premier élément, la comptabilité rationnelle. […]
Toutes ces particularités du capitalisme occidental n’ont acquis, en dernier ressort, leur
signification actuelle que par leur liaison avec l’organisation capitaliste du travail. Même ce
que l’on a coutume d’appeler la ‘commercialisation’, c’est-à-dire le développement des titres,
ainsi que la rationalisation de la spéculation, c’est-à-dire la bourse, sont également liées à
cette organisation. En effet, sans l’organisation rationnelle du travail capitaliste, tout cela, y
compris le développement de la ‘commercialisation’ – pour autant que cela ait été même
possible – aurait été loin d’avoir la même portée ; surtout en ce qui concerne la structure
sociale ainsi que tous les problèmes propres à l’Occident moderne qui sont liés à cette
structure. Le calcul exact – qui est le fondement de tout le reste – n’est possible précisément
que sur la base du travail libre. […]
Par conséquent, pour une histoire universelle de la culture, le problème central – d’un
point de vue purement économique – n’est pas pour nous, en dernière analyse, le déploiement
de l’activité capitaliste en tant que telle, dont seule la forme changerait : capitalisme
aventurier ou commercial, ou bien capitalisme lié à la guerre, à la politique et à
l’administration. Le problème concerne, au contraire, l’apparition du capitalisme d’entreprise
bourgeois, avec son organisation du travail libre. Ou, exprimé dans l’optique de l’histoire de
la culture, le problème central est celui de l’apparition de la bourgeoisie occidentale dans sa
spécificité, laquelle est, à n’en pas douter, liée à l’apparition de l’organisation capitaliste du
travail, sans pour autant s’identifier simplement à cette dernière. En effet, l’existence de
‘bourgeois’, définis comme un corps social, a précédé le développement du capitalisme
spécifiquement occidental. Et cela ne s’est produit qu’en Occident. […]
Ce qui importe […] en premier lieu, c’est de reconnaître et d’expliquer dans sa genèse
la particularité du rationalisme occidental et, à l’intérieur de celui-ci, du rationalisme
occidental moderne. Toute tentative d’explication de ce genre doit, eu égard à l’importance
fondamentale de l’économie, prendre en compte avant toute chose les conditions
économiques. Mais, ce faisant, on ne doit pas négliger le rapport causal inverse. Car, si
l’apparition du rationalisme économique dépend d’une technique rationnelle et d’un droit
rationnel, elle dépend aussi, de façon certaine, de la capacité et de la disposition des hommes
à adopter des formes déterminées d’une conduite de vie caractérisée par un rationalisme
pratique. Là où une telle conduite de vie a rencontré des entraves d’ordre psychique, le
développement d’une conduite de vie rationnelle dans le domaine économique a rencontré, lui
aussi, de fortes résistances intérieures. Or, parmi les éléments les plus importants qui ont
façonné la conduite de vie, on trouve toujours, dans le passé, les puissances magiques et
religieuses ainsi que les idées éthiques de devoir qui sont ancrées dans la croyance en ces
puissances. C’est de ces éléments qu’il est question dans les études que nous avons
rassemblées et complétées dans les pages qui suivent.
Nous avons placé en tête de ce recueil deux études déjà anciennes (L’éthique
protestante et l’esprit capitalisme suivi de Les sectes protestantes), qui tentent d’aborder, sur
un point important, l’aspect du problème généralement le plus difficile à appréhender :
comment certains contenus de croyances religieuses ont conditionné l’apparition d’une
‘mentalité économique’, autrement dit l’ethos d’une forme d’économie, et ceci en prenant
l’exemple des relations de l’ethos économique moderne avec l’éthique rationnelle du
protestantisme ascétique. Nous ne nous occupons donc ici que d’un versant de la relation
causale. Les études suivantes, qui portent sur l’éthique des religions de civilisation les plus
importantes avec l’économie et la structure sociale qui les environnent, tentent de suivre les
deux relations causales aussi loin qu’il le faut pour trouver les points de comparaison avec le
développement occidental, lequel restera ensuite à analyser. Il n’y a, en effet, pas d’autre
moyen pour établir une imputation causale un tant soit peu univoque des éléments de