La correction phonetique

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NÉCESSITÉ DE LA CORRECTION PHONÉTIQUE
EN FLE
1.
Raison d'être de la correction phonétique
La célèbre Loi de Laplace-Gauss énonce, en statistique, que la répartition
d'une grande population peut être représentée par une courbe en cloche. Selon
cette Loi, si on examine les apprenants du FLE selon la caractéristique précise de
leur aptitude à acquérir / à maîtriser la prononciation du français, on s'aperçoit
alors que plus on s'approche de la moyenne du critère considéré, plus le nombre
d'individus est grand et que, au contraire, le pourcentage diminue rapidement dans
les zones extrêmes, soit celles nommées expressément ici « très aptes » et «
surdoués » d'un côté, et « peu aptes » de l'autre.
peu aptes
Fig. 1-

moyennement aptes
 très aptes 
«surdoués...»
Tableau1 de la courbe en cloche de Gauss adaptée à la capacité d'acquisition et
de maîtrise de la prononciation d'une L2.
Ainsi, pour les besoins de cette étude et en partant de la droite de la
courbe, cela implique grosso modo qu'à peine 2% des étudiants sont doués d'une
capacité d'acquisition / maîtrise telle qu'ils pourraient à toutes fins utiles se passer
du professeur : ce sont ces « surdoués » qui donnent souvent aux correcteurs une
auréole de super compétents! Puis, il y a les 13,6% d'étudiants considérés comme
très aptes et qui, en général, n'ont besoin que d'un petit coup de pouce
pédagogique : ce sont eux qui rendent les classes si agréables, puisque le
professeur voit immédiatement les résultats positifs de son enseignement. Vient
ensuite la majorité des individus (68%) qui constitue la population principale des
classes : c'est pour eux qu'essentiellement le professeur existe! Ces nombreux
étudiants ont constamment besoin de la guidance et de la science du professeur.
Et comme, bon an mal an, ces statistiques demeurent valables, on aura toujours
1
L'illustration de la courbe en cloche de Gauss est tirée de la page Internet suivante :
http://gappesm.net/FAQ/differents%20tests%20de%20QI.htm
2
besoin de praticiens de la correction phonétique, nonobstant les aléas financiers
des institutions gouvernementales et éducationnelles, et ce dans quelque pays
que ce soit.
Or la correction phonétique, bien que rudimentaire, est probablement née
le jour — très loin dans le temps — où un adulte a fait répéter à un enfant un mot
que ce dernier ne prononçait pas comme tous les membres de la tribu. On peut
imaginer en outre que la correction phonétique a davantage pris droit de cité lors
des échanges économico-linguistiques où un négociant (professeur malgré lui) a
fait répéter à un acheteur étranger (étudiant pour le moins attentif) un mot ou un
bout de phrase mal prononcé qui entravait la conversation (transaction).
Évidemment, chacun connaît bien de nos jours cette situation pour l'avoir
vécue ou pour être en train de la vivre. Cet apprenant — locuteur/auditeur que
nous sommes tous — se plie volontiers, au début, à une répétition mécanique,
froide et parfois lassante d'exercices de prononciation suggérés par l'enseignant.
Mais comme l'apprenant n'a pas encore acquis le sens de l'autocorrection active,
ses nombreuses fautes ou hésitations ne font alors qu'alimenter son doute latent
sur ses capacités à progresser tant soit peu : c'est une première grande lacune
pédagogique.
Par ailleurs, si cet apprenant perçoit sa progression comme étant trop lente
et ardue à la suite de ses efforts, son sentiment de frustration ira grandissant,
d'autant plus que, selon lui, personne ne semble savoir quoi lui suggérer de
concret et de facilement accessible pour corriger mieux et plus vite sa
prononciation défectueuse, si ce n'est que l'enseignant exige de lui, à nouveau, ce
qui lui apparaît comme une fastidieuse répétition d'exercices qu'il a l'impression
d'avoir « mâchés » déjà tant de fois : c'est une deuxième grande lacune
pédagogique.
Que peut-on faire, alors?
Idéalement, la correction phonétique serait cette intervention efficace
qu'exerce le correcteur enseignant : a) en premier lieu, sur la réception auditive de
l'apprenant en manipulant de façon experte le fameux ensemble sonore de la
chaîne parlée. En fait, le correcteur doit s'assurer que l'apprenant a bien entendu
ce qui a été réellement prononcé et non ce que ce dernier croit avoir été prononcé;
b) puis, en facilitant concrètement le travail articulatoire et, conséquemment, la
production sonore de l'émetteur apprenant qui désire communiquer oralement de
manière compréhensible et agréable pour l'auditeur interlocuteur.
2.
Le minimum d'éléments sonores requis
pour une communication orale efficace et agréable
Bien que la langue écrite soit la représentation visuelle codifiée de la
langue parlée, cette dernière est sans contredit l'instrument privilégié de la
communication humaine.
3
Par ailleurs, chacun parle pour exprimer des idées toutes plus différentes
les unes que les autres et, ainsi, les milliers de mots que l'on utilise
quotidiennement pour cette activité sont en apparence complexes, sur le plan
sonore, à l'apprenant débutant dans une langue. Pourtant, ces milliers de mots
sont véhiculés et supportés physiquement par un très petit nombre de sons
(désignés par les termes phonèmes et allophones en phonologie) et de mélodies
ou mouvements intonatifs — communément appelés intonèmes — représentés
schématiquement par des lignes ou mouvements intonatifs comme ceux-ci :
De ce qui précède, trois idées se dégagent clairement :
1 - Dans une langue parlée, il y a par définition un certain nombre de sons
absolument essentiels pour que la communication orale la plus élémentaire
puisse exister entre deux êtres humains.
2 - Par ailleurs, si dans la même langue parlée on veut que la
communication orale soit le moindrement agréable à l'interlocuteur, l'apprenant
devra «assez bien» prononcer un minimum essentiel de sons, autrement
l'interlocuteur devra faire des efforts inouïs pour comprendre, ce qu'il n'est pas
toujours capable d'accomplir.
3 - En outre, si la réponse attendue est un « oui » ou un « non »
décisif
et que le locuteur le chante erronément en montant
, comme s'il était
incertain ou comme s'il posait une question, que croit-on qu'il va se passer? Car
rien ne peut indiquer à l'interlocuteur si c'est réellement une erreur d'intonation ou
simplement le message réel du locuteur.
L'implication immédiate de tout ce qui précède est que si l'INTELLIGIBILITÉ
de la langue parlée est l'objectif premier de l'enseignement, la pratique de la
correction phonétique se doit d'être présente, à tout le moins au début de
l'apprentissage de la langue par l'apprenant. En d'autres mots, l'apprenant doit
rapidement acquérir une prononciation compréhensible (intelligible, accessible,
claire, limpide) sous peine de devenir pénible pour l'interlocuteur et, dans la
plupart des cas, sous peine de perdre l'attention de ce dernier! Et tout cela malgré
une bonne maîtrise du vocabulaire et de la grammaire écrite.
Par conséquent, étant donné que le but visé de tout enseignement d'une
langue étrangère est d'amener l'apprenant :
— à posséder une communication orale efficace et agréable;
— à éventuellement dire le dictionnaire tout entier et, même, à exprimer
tous les éléments de la grammaire parlée, si complexe soit-elle;
4
l'enseignant doit absolument faire acquérir et maîtriser par l'apprenant un
minimum d'éléments sonores2.
Voici donc, en résumé3 et de façon très schématisée4, ce minimum
d'éléments sonores à prononcer qu'exige la langue française parlée de façon
agréable et intelligible :
• en français, la langue parlée est oralement exprimée par :
— un maximum de 36 sons / phonèmes, soit 16 voyelles et 20
consonnes (et un minimum de 32 avec 13 voyelles et 19 consonnes
selon les régions francophones : voir ci-après);
— un accent dit tonique ou rythmique fixe, qualifié de sémantique5,
parce qu'il est toujours sur la dernière syllabe prononcée du mot ou
du groupe de mots (de l'idée), donc commandé par le sens. À cela
s'ajouteront, bien sûr, les variations volontaires du locuteur, dites
accents d'insistance d'ordre émotif ou intellectuel.
— un minimum de 2 grands mouvements intonatifs fondamentaux,
soit les courbes mélodiques montante «progressive»
et descendante «convexe»
[représentation très schématisée]
On va maintenant examiner plus en détail ce minimum d'éléments sonores
à prononcer.
3.
La phonétique essentielle du français
Parler pour communiquer, c'est produire des sons érigés en système : les
sons (voyelles et consonnes) sont alors produits selon une séquence déterminée
— dans la bouche du locuteur — et sont ensuite décodés correctement en mots
significatifs par l'auditeur. Voici maintenant, du point de vue phonétique (sonore),
ce qui distingue une communication orale minimale de celle que l'on qualifie
d'agréable / essentielle et, même, de celle dite maximale.
2Pour les besoins restreints de cette étude, « éléments sonores » désignent tant les
sons/phonèmes proprement dits que les composantes prosodiques tels les accents, le rythme et
les mouvements intonatifs.
3 Tous ces éléments sont détaillés dans les §§ 3 et 4.
4 Sans se préoccuper outre mesure, dans le cadre de cet exposé, des diverses visions et sousdivisions — ce que l'on nomme théories — des spécialistes phonologues qui tentent d'expliquer le
tout comme un ensemble le plus économique possible.
5 Plusieurs phonéticiens européens qualifient cet accent de « grammatical ».
5
3.1
Système vocalique du français
La langue française actuelle possède un système vocalique très riche —
tant en nombre qu'en timbres —, bien qu'il y ait des variantes dans les
nombreuses régions francophones du monde. Pour ne donner qu'une seule
comparaison, on dit que les Parisiens utilisent généralement 13 voyelles, alors que
la plupart des Québécois francophones de souche emploient encore un système
de 16 voyelles : les trois voyelles en moins à Paris proviennent du fait que les
deux /a/ et /A/ ne sont plus rendus que par un /A/ plutôt central, alors que les /´/ et
/{/ se confondent dans une sorte de /Œ/ moyen et que, finalement, la nasale /{‚/‚)
est à toutes fins utiles disparue. (Wioland & Pagel, 1991)
Sans déclencher de guerre de clocher, on peut au moins dire que les
apprenants ont besoin d'un système vocalique qualifié ici d'essentiel s'ils veulent
communiquer de manière efficace et agréable, car l'interlocuteur francophone ne
peut se contenter très longtemps d'incohérence ou d'inexactitude lors d'une
conversation: dans ces conditions son intérêt à la conversation/communication se
perd rapidement. Par ailleurs, la maîtrise du système vocalique maximal (selon la
région francophone) sera toujours un idéal que tant l'enseignant — dans sa
correction — que l'apprenant — dans son apprentissage — se doivent d'avoir
comme but ultime.
6
Fig. 26-
Tableau des divers systèmes vocaliques du français communicateur.
3.2 Système consonantique du français
Le système consonantique maximal des 20 consonnes du français est
quasiment le système minimal qu'un apprenant devrait assez bien prononcer pour
obtenir une compréhension agréable. Dans la pratique, toutefois, on constate que
les / Á / et / ≠ / 7 peuvent ne pas être maîtrisés du tout sans une trop grande
6
Tiré de Jean-Guy LeBel - Traité de correction phonétique ponctuelle : essai systémique
d'application, 1993: 14
7
Dans leur ouvrage Le français parlé, WIOLAND & PAGEL affirment que le /≠/ disparaît au profit
de /n/ + /j/, ce qui réduirait le nombre de phonèmes consonantiques à 19. De façon générale, ce
n'est toujours pas le cas au Québec.
7
conséquence pour la compréhension, étant donné leur faible indice de fréquence
d'apparition dans la langue parlée, soit respectivement 0,3% et 0,1%, ces deux
phonèmes étant les moins utilisés en français parlé. N'empêche que leur maîtrise
rendra beaucoup plus agréable la production orale qui en découlera à l'oreille de
l'ensemble de la francophonie.
système consonantique maximal :
sourdes
p f t s S k
sonores
b v d z Z g R l j (Á) w
nasales
m
n
(≠)
Par ailleurs, en considérant les consonnes une par une, il s'avère que
chacune d'elles peut être plus ou moins bien prononcée sans que la
communication n'en soit trop compromise, mais on constate aussi que l'apprenant
maîtrise généralement mal plus d'une consonne, et c'est là que ça se gâte!
Quand on compare le système consonantique au système vocalique, on a
nettement l'impression que la marge de manœuvre est pas mal moindre avec les
consonnes qu'avec les voyelles, et c'est théoriquement vrai. Cependant, comme la
majorité des grandes langues de civilisation possède un système consonantique
d'une vingtaine de sons, dont une bonne partie se ressemble d'une langue à
l'autre, le degré d'exigence et l'effort de correction changeront selon l'origine
linguistique de l'apprenant dans le concret de la classe.
Le TRAITÉ (1993) — voir le §3 — et les FICHES CORRECTIVES (1991) traitent
abondamment de ces problèmes, mais voici à titre indicatif les principales
difficultés consonantiques rencontrées par certains apprenants d'origine
linguistique diverse :
8
4. La prosodie essentielle du français
Quiconque entend parler sa langue maternelle par un allophone qui, bien
que possédant assez bien la prononciation des sons, débite les mots de manière
soit trop saccadée et fortement martelée, soit égale et monocorde, soit longue et
étirée ou brusque, ou encore chante les mots avec des intonations tellement
étrangères à cette langue, comprendra facilement l'assertion suivante : le rythme
et la prosodie d'une langue sont l'ossature à laquelle se greffent les sons. Les
sons évoluent et changent avec le temps comme suite aux variations
d'accentuation et, conséquemment, d'intonation. Les langues dites romanes,
issues du latin, en sont une preuve remarquable.
Ainsi tout enseignement d'une langue étrangère se devrait-il de débuter en
insistant sans relâche sur l'acquisition de la prosodie. Évidemment, des
connaissances insuffisantes de cette matière et un manque de ténacité — de la
part de la grande majorité des enseignants — font que la maîtrise du rythme et de
l'intonation est trop souvent le moindre des soucis dans le monde des langues
étrangères. Et c'est très dommage tant pour les apprenants que pour les
interlocuteurs autochtones de quelque langue que ce soit!
4.1 L'accent et le rythme
Obtenir l'égalité rythmique du français n'est pas de tout repos avec les
étudiants dont la L1 est à accent variable comme le sont l'anglais, le portugais et
l'espagnol. Toutefois, le rythme syllabique du français ne peut souffrir beaucoup
d'écarts sous peine d'incompréhension « étonnée » vécue par un apprenant qui,
par ailleurs, aura pourtant fourni — et souvent réussi — un bel effort de
prononciation des sons.
L'essentiel se résume à ceci :
a) en français, l'accent dit tonique ou rythmique est fixe et il est toujours sur
la dernière syllabe du mot ou du groupe de mots (de l'idée), c'est-à-dire que, s'il y
a plus d'une unité lexicale pour exprimer une idée, chaque mot ou chaque unité
lexicale perd son accent au profit du groupe de mots (de l'idée); c'est pour cela
qu'on qualifie souvent l'accent fixe français de sémantique8.
Exemples :
1-J'irai.
J'irai tout à l'heure.
J'irai tout à l'heure chez toi.
8
2- Monsieur.
Monsieur Jean.
Monsieur Jean Lebrun.
Plusieurs phonéticiens européens qualifient cet accent de « grammatical ».
9
Ainsi l'idée est généralement composée de une à huit syllabes réellement
prononcées, qui forment ce qu'on appelle un groupe rythmique et, aussi, un mot
phonétique9 — lequel bien sûr va parfois au-delà de ces huit syllabes.
b) cet accent final est plutôt un accent de durée, qui contraste
énormément, d'une part, avec l'accent d'intensité très marqué du PORTUGAIS, de
l'ANGLAIS et de l'ESPAGNOL (en ordre décroissant), et d'autre part avec l'accent de
hauteur de nombreuses langues asiatiques.
c) finalement, comme toutes les syllabes inaccentuées du français ont
tendance à être d'égales durée et intensité, chaque timbre vocalique doit être
pleinement et distinctement prononcé, contrairement à ce qui se passe en anglais
(phénomène de neutralisation/centralisation) et, dans une moindre mesure, en
espagnol et en portugais.
Autant que possible, donc, et avec beaucoup de patience, on exigera :
a) un accent qui tombe toujours sur la dernière syllabe prononcée des
mots qui composent l'idée ;
b) un accent où prédomine la durée ;
c) une prononciation égale et pleinement distincte des voyelles
inaccentuées.
4.2 L'intonation
Il y a deux mouvements intonatifs fondamentaux et essentiels en français :
le mouvement montant « progressif »
et le mouvement descendant « convexe »
Mouvement montant « progressif »
: il crée une attente, il est
généralement la fin d'une question, il constitue aussi la fin de tous les groupes
rythmiques (excepté le dernier) d'une énonciation10.
En soi, ce mouvement n'est pas tellement difficile à faire reproduire, mais
c'est l'endroit où le mettre dans l'énoncé qui donne des problèmes, surtout aux
anglophones qui, après avoir correctement monté, ont ensuite tendance à
descendre légèrement presque partout, c'est-à-dire à produire quelque chose qui
ressemble à une vague
.
9 « Le mot phonétique peut être composé d'un ou plusieurs mots écrits qui à l'oral forment
une unité à la fois de production et de perception. » (Wioland & Pagel, 1991:17)
10 Proposition énonciative : phrase affirmative ou négative qui exprime une idée, sans interrogation ni
exclamation. (dictionnaire LEXIS)
10
ex.: Je m'en vais
à l'hôpital
ex.: Je m'en vais
à l'hôpital
demain matin.
demain matin.
= correct
= incorrect
Mouvement descendant « convexe »
: c'est celui du dernier groupe
rythmique d'une énonciation, d'un ordre, d'une exclamation : il répond
généralement à l'attente suscitée par le mouvement montant. L'élément le plus
difficile à obtenir dans ce mouvement est son allure convexe
comparée,
d'une part, à la courbe concave
du mouvement descendant de l'anglais
et, d'autre part, comparée soit à la chute plutôt brusque
général, soit à la descente plutôt étirée
de l'espagnol en
du portugais du Brésil .
En résumé, il s'agit de bien opposer — et d'exiger rigoureusement — le ton
montant
, qui est celui de la zone d'inquiétude, d'incertitude, d'interrogation,
par rapport au ton descendant
, qui est celui de la zone de certitude, de non
retour, de la fin réelle d'une idée.
5.
CONCLUSION
Il est étonnant de constater que, trop souvent, les professeurs de FLE ne
soupçonnent pas la simplicité et, tout à la fois, la richesse et la productivité
phonétiques de la langue parlée. Tout d'abord simplicité, dans le sens qu'on
arrive à prononcer toute une langue — son dictionnaire et sa grammaire en entier —
à l'aide de très peu d'éléments sonores et prosodiques. Ensuite richesse et
productivité, du fait qu'avec la maîtrise d'un si petit nombre d'éléments on
réussisse à exprimer toutes ses idées, si nuancées soient-elles, en combinant
quasiment à l'infini un ensemble de 32 à 36 sons supportés par quatre traits
prosodiques fondamentaux, à savoir deux types d'accents et deux mouvements
intonatifs.
En outre, il ne faudrait pas oublier que les étudiants affirment régulièrement,
au début de leur apprentissage, qu'ils veulent en priorité acquérir la maîtrise de la
langue parlée. Pourtant, d'assez récentes études empiriques tendent à démontrer
11
que de 30 à 50 heures intensives de travail phonétique, administrées sur une
période de 15 à 20 semaines, sont suffisantes pour apprendre et pour maîtriser
passablement bien la phonétique d'une nouvelle langue, dans le but de posséder
une communication agréable11. Il y a donc tout lieu de croire qu'il faille, à nous les
professeurs, consacrer du temps à cette discipline qu'est la correction
phonétique.
En effet, l'expérience démontre clairement que le temps de classe que le
professeur s'imagine à tort enlever à la grammaire écrite est pourtant consacré à
une bonne cause, à savoir la grammaire parlée12 qui, de son côté et très
rapidement, rapportera de gros dividendes lors des étapes de l'explication et de
l'acquisition de l'écrit grammatical.
Au surplus, en ce qui concerne les étudiants, il y a aussi lieu d'insister pour
qu'ils mettent de l'énergie et beaucoup de temps dans le travail phonétique —
autant dans les exercices d'audition que de prononciation13 — s'ils veulent
rapidement parler convenablement, dans le sens de communiquer clairement.
Bien prononcer, c'est déjà s'exprimer avec netteté auprès de l'autochtone et, au
surplus, cela devrait être le mot d'ordre par excellence chez tous les tenants de
l'approche dite communicative.
Par conséquent, et même si cela exige beaucoup des professeurs —
connaissances à parfaire, acceptation de faire un peu moins de grammaire
traditionnelle, ténacité dans l'application —, il y a nécessité14 pour tous,
professeurs comme étudiants, de pratiquer ce qu'il est convenu d'appeler la
correction phonétique et d'y être fidèle : cela devient tellement gratifiant à la
longue et, en définitive, tellement efficace.
11
C'est-à-dire dans le but d'atteindre une INTELLIGIBILITÉ suffisante pour que l'interlocuteur
autochtone ait envie — et plaisir — à continuer la conversation.
12 Voir LEBEL, Jean-Guy — «La grammaire parlée du français en correction phonétique», Revue de
l'AQEFLS, XXIV, 2, 2003: 7-39.
Consulter entre autres LEBEL, Jean-Guy — Correction phonétique du FLE..., 2002; puis
Bibliographie sélective, 2002.
14 C'est un DEVOIR sur le plan de l'éthique de l'enseignement; puis c'est une OBLIGATION dans le
concret de la classe, et c'est finalement une EXIGENCE de la part des étudiants.
13
12
On ne peut oublier que le travail phonétique existe depuis la naissance : ce
sont les balbutiements du nouveau-né et les innombrables interactions verbales
des parents qui en sont une preuve irréfutable. Et comme « Nous arrivons équipés
d'un appareil auditif prêt à parler toutes les langues. »15, la bouche peut ainsi
parler toutes les langues du monde. Encore faut-il éduquer cette oreille et aider cet
appareil articulatoire qu'est la bouche à maîtriser tous ces nouveaux sons du
monde. Or la Loi de Laplace-Gauss énonce qu'environ 84% d'une population
normale d'étudiants (fig.1) ont besoin — de peu à beaucoup — d'un professeur
correcteur qui les guidera dans l'acquisition et la maîtrise d'une prononciation
intelligible, donc agréable, des nouveaux sons de la langue à apprendre, en
l'occurrence du FLE.
On peut d'ores et déjà conclure qu'il y a nécessité d'un travail phonétique, à
tout le moins durant une bonne trentaine d'heures au début de
l'enseignement/apprentissage du FLE. La correction phonétique a donc sa place
dans cette démarche, mais qu'on ne se leurre pas : elle est essentielle pour toute
langue du monde.
***************
Bibliographie
LEBEL, Jean-Guy — Traité de correction phonétique ponctuelle : essai
systémique d'application, Les Éditions de la Faculté des lettres,
Université Laval (Québec, Canada), 2e édition, 1993 : XVIII +
278 pages. Distributeur : librairie ZONE, www.zone.ul.ca
LEBEL, Jean-Guy — Fiches correctives des sons du français, Les
Éditions de la Faculté des lettres, Université Laval (Québec,
Canada), 1991: XIII + 459 p. + 1 tableau plié. Distributeur :
librairie ZONE, www.zone.ul.ca
LEBEL, Jean-Guy & TAGGART, Gilbert — Exercices de prononciation
des voyelles françaises en opposition, Les Éditions de la Faculté
des lettres, Université Laval (Québec, Canada), 2e édition revue,
corrigée et accompagnée de 2 cassettes sonores, 1992, 46 p.
Distributeur : librairie ZONE, www.zone.ul.ca
15
Phrase de Suzanne JACOB, tirée de son essai La Bulle d'encre (1997: 49), et prononcée lors du
XIIIe Congrès brésilien des professeurs de français, tenu à Salvador / Bahia en 1998.
13
LEBEL, Jean-Guy — Bibliographie sélective : phonétique différentielle
et corrective, Département de langues, linguistique et traduction,
Université Laval (Québec, Canada), 2002, 62 p. Distribuée par
l'auteur.
LEBEL, Jean-Guy — «La grammaire parlée du français en correction
phonétique» Revue de l'AQEFLS, XXIV, 2, 2003: 7-39.
LEBEL, Jean-Guy — Correction phonétique du FLE pour étudiants
hispanophones et lusophones : boîte à outils de prononciation,
Les Ateliers de phonétique intégrée (Québec, Canada), 2002,
114 p. Distribuée par l'auteur.
WIOLAND, François & PAGEL, Dario — Le français parlé : pratique de
la prononciation du français, Editora da Universidade Federal de
Santa Catarina (Florianopolis, Brasil), 1991.
Jean-Guy LeBel
Professeur retraité/associé
Département de langues, linguistique et traduction
Université Laval
Québec, Canada
[email protected]
Conférence présentée lors de la Journée d’étude sur la
phonétique des langues secondes, organisée par la Faculté
de communication, École de langues, UQÀM, Montréal, le 1er
avril 2011.
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