Le diabète,
son traitement et
le risque de cancer
Andrew Renehan
38 DiabetesVoice
Dire que le monde du diabète a été
ébranlé serait peut-être exagéré ;
mais il a été incontestablement
secoué. Une banque de données
de plus en plus nourrie compilée
au cours des dernières années
a attiré l'attention des médecins
et chercheurs en diabète sur le
cancer. Andrew Renehan nous
dévoile les dessous de l'histoire.
Diverses conditions caractérisées par des
taux élevés d'insuline dans la circulation
(hyperinsulinémie), telles que l'obésité et
l'inactivité physique, constituent des facteurs
de risque bien connus de développement de
plusieurs types de cancer.
1
Elles constituent
également des caractéristiques du diabète de
type 2. Cela fait par conséquent un certain
temps que des spécialistes en épidémiologie
du cancer s'intéressent au lien potentiel entre
le diabète et le risque de cancer.
Au cours des cinq dernières années, plusieurs
visions (méta-analyses) menées de main de
maître ont entrepris de résumer les données
disponibles. Celles-ci montrent que le diabète
© Marina Población
PRATIQUE CLINIQUE
Octobre 2010 Volume 55 Numéro 2
DiabetesVoice
Octobre 2010 Volume 55 Numéro 2 39
Obésité Cancer
Diabètes
de type 2
Metformine?
Contrôle
glycémique?
Insulines? Autres
médicaments?
est associé à un risque accru de cancer pour
les tumeurs suivantes : sein, utérus, intestins,
vessie, foie et pancréas, et, fait étonnant, à une
duction apparente du risque de cancer de
la prostate.
2
Si les premières études incluaient
des personnes atteintes de diabète de type 1
et de type 2, les études ultérieures ont fait une
distinction entre ces groupes et ont montré
que le lien avec le cancer ne constituait pas
une préoccupation particulière dans le cas
du diabète de type 1.
Sur la base de ces observations, il est tentant
d'avancer que l'augmentation du risque de
cancer associée au diabète de type 2 pourrait
simplement refléter le fait que l'obésité et le
gain de poids sont courants chez les personnes
souffrant de la condition. Il s'agit toutefois
d'un exemple de variable "confusionnelle"
un facteur de risque est associé à une
maladie alors qu'en fait il pourrait être
à un deuxième facteur corrélé au premier.
Il ressort toutefois d'un examen plus appro-
fondi que certaines informations suggèrent
l'existence d'un lien bien réel entre le diabète
et le cancer. Tout d'abord, la liste des cancers
liés au diabète diffère de celle pour l'obésité.
Le cancer de la vessie, par exemple, n'est gé-
néralement pas considéré comme étant lié à
l'obésité. Deuxièmement, après ajustement
afin de prendre en compte le phénomène
de confusion susmentionné, les statisticiens
continuent de voir un lien entre le diabète de
type 2 et le cancer, phénomène qu'ils quali-
fient de "risque résiduel".
Durant l'été 2009, la publication collective de
quatre études épidémiologiques examinant les
liens entre le traitement du diabète et le cancer
dans le me nuro de la revue Diabetelogia
a suscité un vif émoi au sein de la communauté
du diabète. Ces articles mettaient l'accent sur
le risque siduel. Ils se sont plus particulière-
ment penchés sur une question fondamentale
: l'utilisation de glargine (Lantus), un analogue
de l'insuline, par des patients atteints de dia-
te augmente-t-elle le risque de cancer ? Les
quatre études ayant rencontré de nombreux
problèmes de conception, il s'est avéré impos-
sible de tirer des conclusions définitives. Ces
études ont, dans un premier temps, semé la
confusion au sein de la communauté du dia-
te, mais des résultats positifs n'ont cependant
pas tar à émerger.
C'est ainsi qu'en décembre 2009, les commu-
nautés du cancer et du diabète d'Arique
du Nord et d'Europe se sont réunies pour -
velopper un consensus, publié en juin 2010.3
Celui-ci clare que : "des données incomplètes
laissent entendre que (…) l'insuline exogène
pourrait accroître le risque de cancer. Cette
association pourrait être plus importante avec
l'insuline glargine qu'avec les autres insulines".
Concernant la pratique clinique, le consensus
poursuit en déclarant que "le risque de can-
cer ne devrait pas jouer un rôle déterminant
dans le choix d'un des traitements disponibles
du diabète pour le patient moyen mais, chez
certains patients, ces problèmes requièrent
un examen plus approfondi". Il s'agit là d'une
position équilibrée, à laquelle semble adrer
les prescripteurs et les personnes atteintes de
diabète. En Europe, par exemple, un ger glis-
sement des ventes de Lantus au profit d'autres
préparations d'insuline a été enregistré.
Une autre question posée par les études épi-
miologiques et dans les études publiées par
la suite concernait le le de la metformine
dans le cancer. Des données recueillies auprès
des laboratoires de cancérologie au cours des
cinq dernières années laissent entendre que
la metformine pourrait inhiber la croissance
des cellules cancéreuses. Il s'agissait toutefois
d'expériences réalisées sur des cellules culties
artificiellement sur des disques de plastique
(culture de cellules). La grande surprise vient
du fait que, d'après de grandes études sur
l'homme, l'utilisation de la metformine serait
associée à une duction du risque de cancer.
Toutes ces études ont cependant été réalisées
chez des personnes atteintes de diabète. Ce
que nous voulons savoir, c'est si la metformine
réduit le risque de cancer chez les personnes
non atteintes de la condition ou de currence
de la tumeur chez les individus ayant -
velopun cancer. Plusieurs essais enregistrés
conçus de manière prospective se penchent
aujourd'hui sur ces questions, mais comme
pour tout ce qui touche à la recherche sur le
cancer, il faudra peuttre dix ans avant que
nous n'obtenions des réponses.
Figure: Représentation schématique de la complexité du lien entre
l'obésité, le diabète et le cancer
Les informations
recueillies laissent
entendre que le lien
entre le diabète et le
cancer est bien réel.
PRATIQUE CLINIQUE
DiabetesVoice Octobre 2010 Volume 55 Numéro 2
40
Au cas vous seriez déconcerté par la lec-
ture de cet article, sachez que les choses de-
vraient aller en empirant ! (voir graphique).
Le diabète n'est pas une condition singulière,
mais une condition chronique hétérogène
dans le cadre de laquelle le métabolisme
d'une personne varie au fil du temps. Si l'es-
sentiel du débat a jusqu'à présent porté sur
l'hyperinsulinémie, les préparations d'in-
suline et la metformine, d'autres facteurs
doivent également être pris en considération.
Le contrôle de la glycémie constitue l'ob-
jectif central du traitement des personnes
atteintes de diabète. On ignore toutefois si
ce contle influence le lien avec le cancer,
une controverse à l'origine du débat hype-
rinsulinémie-hyperglycémie. Les données
les plus fiables disponibles concernant cette
question proviennent d'essais randomisés
durant lesquels les patients ont été soumis
à un contle glycémique intensif. À ce ni-
veau, il ne semble pas y avoir de différence
nette en termes de risque de cancer entre les
personnes soumise à un contrôle strict de la
glycémie et celles faisant l'objet d'un contrôle
moins poussé.4 Le nombre de cancers dans ces
études est toutefois peu élevé et les périodes
de suivi sont courtes.
Le poids et/ou les variations de poids d'une
personne tout au long de sa vie avec le diabète
pourraient jouer un rôle important, mais
l'étude de ce domaine est très difficile. Ces
mesures augmentent souvent avec l'âge ; de
même, certains médicaments, tels que la
metformine, duisent le poids, tandis que
d'autres (les insulines, par exemple) l'augmen-
tent généralement. En outre, de nombreuses
personnes atteintes de diabète prennent
d'autres médicaments, tels que de l'aspirine,
des statines et des antidépresseurs, qui peu-
vent également affecter le risque de cancer.
Or l'impact de ces autres médicaments sur les
personnes atteintes de diabète n'est pas clair.
Jusqu'à présent, les recherches dans ce do-
maine ont essentiellement évalué le risque
de développer le cancer. Des études sur les
sultats des personnes atteintes de diabète
de type 2 qui développent un cancer com-
mencent toutefois à voir le jour. Plusieurs
méta-analyses émanant de chercheurs du
John Hopkins Hospital (Baltimore, États-
Unis) ont mont que le diabète est associé
à une augmentation du taux de mortalité à
court terme5 et à long terme6 chez les per-
sonnes ayant un cancer. Plusieurs facteurs
pourraient expliquer ces observations, tels
que des différences au niveau du diagnostic,
parfois plus tardif, le choix du traitement, les
complications avant et après le traitement,
la sélection de traitements d'appoint et des
facteurs contradictoires en termes de décès.
En outre, malgré des contacts fréquents avec
des professionnels de la santé, les taux de dé-
pistage de routine du cancer du sein et cervical
au sein de la population sont moins élevés
chez les femmes atteintes de diabète que chez
les femmes ne psentant pas la condition.
Des recherches complémentaires dans ce do-
maine sont clairement cessaires. Point posi-
tif : le bat intervenu au cours des 18 derniers
mois a conduit à la réunion de deux grandes
communautés de recherche – le diabète et le
cancer qui ne se croisent habituellement pas.
La création d'un programme de bourses pour
des projets dédiés à la science fondamentale
et à l'épidémiologie du diabète et du cancer
au travers de la Fondation européenne pour
l'étude du diabète est un exemple de cette
nouvelle orientation prise par la recherche.
Dans ce contexte et en attendant les résultats
de ces recherches, des questions cliniques se
posent au quotidien pour les patients et les
cliniciens. Le document de consensus conclut,
à propos des choix thérapeutiques, que "chez
certains patients, ces problèmes requièrent un
examen plus approfondi". C'est notamment
le cas des patients atteints à la fois de diabète
et d'un cancer, pour lesquels des politiques
locales se doivent d'être développées entre
les oncologues et des diabétologues ayant des
connaissances en la matière. Les recomman-
dations en matière de dépistage du cancer à
l'attention de la population générale devraient
faire partie des soins standard dans le cas des
personnes atteintes de diabète une case à
cocher sur le formulaire d'examen médical
annuel du diabète, par exemple. Aux États-
Unis et en Europe, les taux de prévalence du
diabète sont de 23,6 millions et 53,1 millions,
respectivement, et l'incidence du cancer de
1,4 million et 3,2 millions, respectivement. Le
suivi de ces recommandations cliniques de
base devrait par conséquent bénéficier à des
centaines de milliers de patients présentant
les deux conditions.
Des études sur les
résultats des personnes
atteintes de diabète de
type 2 qui développent
un cancer commencent
à voir le jour.
Andrew Renehan
Andrew Renehan est conférencier
principal au sein de la section Études
et chirurgie du cancer de l'Université
de Manchester, au Royaume-Uni.
Références
1 Renehan A, Tyson M, Egger M, et al. Body mass
index and incidence of cancer: a systematic
review and meta-analysis of prospective
observational studies. Lancet 2008; 371: 569-78.
2
Renehan A, Smith U, Kirkman MS. Linking
diabetes and cancer: a consensus on its complexity
[commentary] Lancet 2010; 375: 2201-02.
3 Giovannucci E, Harlan DM, Archer MC, et al.
Diabetes and cancer: a consensus report.
Diabetes Care 2010; 33: 1674-85.
4 Gerstein HC. Does insulin therapy promote,
reduce, or have a neutral effect on cancers?
JAMA 2010; 303: 446-7.
5
Barone BB, Yeh HC, Snyder CF, et al.
Postoperative mortality in cancer patients with
preexisting diabetes: systematic review and
meta-analysis. Diabetes Care 2010; 33: 931-9.
6
Barone BB, Yeh HC, Snyder CF, et al. Long-
term all-cause mortality in cancer patients with
preexisting diabetes mellitus: a systematic review
and meta-analysis. JAMA 2008; 300: 2754-64.
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