Molière, Dom Juan, mise en scène Gilles Bouillon

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Dom Juan
DE MOLIERE
MISE EN SCENE : GILLES BOUILLON DU CDRT
DOSSIER PEDAGOGIQUE REALISE PAR ADELINE STOFFEL, PROFESSEURE AGREGEE DE LETTRES-THEATRE
MARDI 11 FEVRIER 2014 A 14H30 ET 20H30
1H45 / A PARTIR DE 12 ANS
1
Dom Juan, Molière
Mise en scène
Dramaturgie
Scénographie
Costumes
Lumières
Musique
Assistante à la mise en scène
Construction du décor
Avec
Don Juan
Sganarelle
Elvire
Dom Louis
Pierrot
Gusman, Le pauvre et M. Dimanche
Dom Carlos
Dom Alonse
Charlotte
Mathurine
La Violette, Ragotin & La Ramée
Gilles Bouillon
Bernard Pico
Nathalie Holt
Marc Anselmi
Marc Delamézière
Alain Bruel
Albane Aubry
Équipe technique du CDR de Tours sous la
direction de Pierre-Alexandre Siméon
Frédéric Cherboeuf
Jean-Luc Guitton
Cassandre Vittu de Kerraoul
Gérard Hardy
Cyril Texier
Xavier Guittet
Kevin Sinesi
Blaise Pettebone
Nelly Pulicani
Korotoumou Sidibe
Alexandre Forêt
Les classes qui le souhaitent peuvent sur demande :
- être accueillies au TCM pour le visiter ;
- bénéficier d’une intervention de Diane Reichart, chargée des publics,
en amont et/ou en aval de la représentation pour préparer la venue des
élèves et/ou revenir sur le spectacle ;
- rencontrer un membre de la compagnie selon sa disponibilité.
Contacter Diane Reichart au 03 24 32 44 43.
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SOMMAIRE
I/ LA PIECE
MOLIERE
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LA FABLE
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LA CREATION DE DOM JUAN
PAGE 5
CONTEXTE ET CONDITIONS DE LA REPRESENTATION EN 1665
PAGE 6
II/ LE PROJET DU CDRT (CENTRE DRAMATIQUE
REGIONAL DE TOURS)
NOTE D'INTENTION DE GILLES BOUILLON
L’EQUIPE
PAGE 9
PAGE 11
III/ QUELQUES PISTES DE TRAVAIL AVEC LA CLASSE
AVANT LA REPRESENTATION
PAGE 18
APRES LA REPRESENTATION
PAGE 21
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I/ LA PIECE
MOLIERE
Jean-Baptiste Poquelin naît à Paris en 1622. Destiné à prendre la relève de son père
en tant que tapissier et valet de chambre ordinaire du roi, il poursuit des études de droit
dans la capitale puis à Orléans. Mais à 21 ans, il rencontre Madeleine Béjart, adopte le
pseudonyme de Molière, et fonde avec sa maîtresse la troupe de l’Illustre Théâtre : c’en est
fait, le voilà comédien.
Le succès tarde à venir à Paris, les dettes s’accumulent, l’Illustre Théâtre part donc en
tournée en province ; de 1645 à 1658, la troupe sillonne le territoire (Albi, Nantes, Pézenas,
Lyon, Rouen…), et Molière pendant ce périple fait ses armes de directeur, de comédien, de
dramaturge enfin (ses premières pièces, toutes des farces, sont aujourd’hui pour l’essentiel
perdues, seules subsistent L’Etourdi et Le Dépit amoureux).
L’Illustre Théâtre rentre à Paris en 1658, et obtient au mois de juillet de la même
année l’attention et la protection du roi Louis XIV, que la farce du Docteur amoureux amuse
beaucoup. Le jeune monarque installe la troupe au Petit-Bourbon, salle qu’elle partage avec
les Comédiens Italiens.
1660 voit naître dans Le Cocu imaginaire le personnage bientôt récurrent de
Sganarelle, et s’installer la troupe dans la salle du Palais-Royal. Un an plus tard, Molière
invente avec Les Fâcheux la formule de la comédie-ballet, pendant les entractes de laquelle
on danse, et que sa troupe sera la seule à pratiquer.
Avec L’Ecole des femmes, Tartuffe et Dom Juan vient le temps des querelles ; malgré
tout, l’Illustre Théâtre devient troupe du roi en août 1665 et reçoit une pension importante.
Toutefois, Molière tombe malade en novembre, rechute l’année suivante, et doit quitter la
scène pour quelques temps en 1667 ; il ne recouvrera jamais tout à fait la santé, et jouera
Alceste puis Argan avec un corps malade, usé.
Les dernières années sont celles de l’ouverture vers l’opéra, des comédies exploitant
la musique et le ballet dans le registre comique (Monsieur de Pourceaugnac, Le Bourgeois
gentilhomme), mais également des pièces à machines avec Amphitryon en 1668.
Un an après sa dernière grande comédie, Les Femmes savantes, la mort de Molière
va le confondre avec son métier de comédien : lors de la quatrième représentation du
Malade imaginaire en 1673, pris de convulsions, il doit être transporté chez lui, où il meurt.
Son inhumation est également exceptionnelle : il n’a en effet eu le temps ni de renier sa vie
4
de comédien ni de se confesser, et seule l’intervention du roi permet que la cérémonie ait
lieu selon le rite chrétien.
LA FABLE
Au lever du rideau, le spectateur découvre le héros éponyme en inconstant :
Sganarelle le décrit ainsi dès la scène d’exposition, Dom Juan lui-même s’en targue, et les
imprécations d’Elvire, son épouse délaissée, achèvent le portrait.
L’acte II chez les paysans présente le séducteur en acte : les deux accortes
campagnardes Charlotte et Mathurine se disputent ses faveurs, jusqu’à ce qu’une troupe
armée menée par Dom Carlos et Dom Alonse, les frères vengeurs d’Elvire, le contraigne à
fuir.
Il choisit de se grimer afin d’échapper à ses poursuivants, et arpente alors la forêt
avec Sganarelle en débattant de médecine et de religion ; il vient en aide à un ermite,
secourt Dom Carlos attaqué par des brigands et forcé dès lors de repousser à plus tard le
duel qu’il exige, puis pénètre dans le mausolée du Commandeur qu’il a assassiné 6 mois
auparavant et dont il invite la statue, par provocation, à souper.
Rentré chez lui, il attend de pouvoir prendre son repas, sans cesse retardé par un
défilé de fâcheux : son créancier M. Dimanche, son père Dom Louis, et Elvire. La statue du
Commandeur lui rend visite à l’heure convenue pour le convier à son tour à dîner le
lendemain avec elle. Dom Juan accepte.
L’acte V déroule la seconde journée, la dernière pour le « grand seigneur méchant
homme ». Après avoir convaincu son père de son hypocrite conversion, il annonce à
Sganarelle qu’il jouera désormais les dévots pour se protéger de ses ennemis. Mais le Temps
le rattrape et la main de la statue le précipite dans les flammes, tandis que Sganarelle
réclame son salaire perdu.
LA CREATION DE DOM JUAN
En décembre 1662, Molière crée sa première grande comédie, L’Ecole des femmes.
C’est un triomphe et le point de départ d’une première querelle littéraire et mondaine qui
provoque de vifs remous : l’éducation de la gent féminine est en effet un sujet polémique, et
la pièce est qualifiée d’ « obscène » par les ennemis de Molière, qui réplique aux attaques
par deux courtes pièces aiguisées et satiriques, La Critique de L’Ecole des femmes et
L’Impromptu de Versailles.
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Puis vient Tartuffe, et une querelle suit l’autre. La crise du Tartuffe intervient
pendant le grand divertissement de Versailles que Louis XIV a confié à Molière et qui
s’intitule Les Plaisirs de l’Ile enchantée. Le personnage de Tartuffe, faux dévot et hypocrite
licencieux, exacerbe l’indignation du milieu dévot, notamment de la Compagnie du Saint
Sacrement, très influente auprès d’Anne d’Autriche, mère du roi. On accuse Molière d’être
« un démon vêtu de chair […], le plus signalé impie et libertin qui fut jamais dans les siècles
passés »1, l’archevêque de Paris fait pression sur Louis XIV et obtient l’interdiction de la
pièce en dépit des appuis puissants du dramaturge, le Prince de Condé et Monsieur, frère du
roi.
C’est dans ce contexte de cabale et de tension que Molière présente le 15 février
1665, au théâtre du Palais Royal, la première de Dom Juan ou le festin de pierre, dans
laquelle il endosse le rôle de Sganarelle. Le public accueille très favorablement cette pièce à
machines, très richement décorée et costumée, et spectaculaire. Mais dès le 17 février, le
texte doit être expurgé de la scène 2 de l’acte III, où Dom Juan veut obliger un pauvre à
blasphémer en échange d’un louis d’or, et le 20 mars, après 15 représentations seulement,
la pièce est suspendue : l’œuvre est victime du scandale qu’elle a allumé.
Rien en effet ne trouve grâce aux yeux des opposants de la pièce : Sganarelle
« confond la vertu et le vice » selon un pamphlet de l’époque ; le Prince de Conti fronce les
sourcils devant le châtiment final qui, mêlé des bouffonneries du valet, ressemble plus à un
deus ex machina qu’à un exemplum ; on accuse même Molière de vouloir attenter à la
personne du roi en sapant son autorité spirituelle (le louis d’or de la scène du pauvre, ainsi
que le nom du père malmené par les impertinences de son impénitent rejeton, rappellent
par trop le nom même du monarque).
Il faudra attendre 12 ans avant que Dom Juan réapparaisse à l’affiche du théâtre de
Guénégaud à Paris, jouée par l’ancienne troupe de Molière avec un texte adapté, amputé et
mis en vers par Thomas Corneille. Et le texte intégral de la pièce ne sera disponible en France
qu’en 1819 ! C’est dire le parfum de soufre qui longtemps l’accompagnera !
CONTEXTE ET CONDITIONS DE LA REPRESENTATION EN 1665
Lorsque Dom Juan est créée, Louis XIV règne depuis 4 ans, et entend se poser en
mécène, en protecteur des arts et des lettres, ce qui se traduit par des pensions, des
commandes, et la création d’organismes destinés à favoriser sa propre gloire (la « petite
1
Propos de l’abbé Pierre Roullé.
6
académie », future Académie des inscriptions et des belles-lettres, ou encore l’Académie de
peinture et de sculpture). De la même entreprise de prestige et de centralisation participent
les travaux de Versailles. Artistes et savants bénéficient donc d’une curieuse liberté, réelle
mais surveillée.
La décade 1661-1671 est de surcroît marquée par la vogue des pièces à machines,
témoignant ainsi d’un goût persistant pour le merveilleux païen et la mythologie. Le siècle de
Louis XIV n’est pas uniquement celui de la tragédie sérieuse : les spectateurs et le roi se
passionnent en effet pour des "effets spéciaux" parfois très élaborés. Comme la plupart des
nouveautés en matière de scénographie depuis la seconde moitié du 16 ème siècle, les
machines viennent d’Italie. Il s'agit de moyens mécaniques permettant les changements
scénographiques au gré de l’action dramatique : les métamorphoses du décor2 ainsi que le
foudroiement final du héros impénitent font donc de Dom Juan une pièce à machines.
Persée, monté sur Pégase, fond sur le monstre du haut des airs, dans Andromède, pièce à machines de
Corneille, en 1650 (machinerie de Torelli).
Préconisées dès 1630 par Jean Chapelain dans sa Lettre sur l’art dramatique, mises
en débat dès 1660 par Corneille dans ses trois Discours, édictées en 1674 par Boileau dans
L’Art poétique, les règles de ce que l’on appelle à l’époque le « poème dramatique »
conditionnent également l'écriture et la représentation théâtrales : les trois fameuses unités
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La troupe de Molière passe en décembre 1664 un contrat avec deux peintres pour la réalisation de 6
décors : un palais au travers duquel on voit un jardin (acte I) ; un hameau de verdure avec une grotte au travers
de laquelle on voit la mer (acte II) ; une forêt avec, à l'arrière-plan, une « manière de temple » entouré de
verdure ; le dedans dudit temple (acte III) ; une chambre (acte IV) ; une ville (acte V).
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(temps, lieu, action), la logique liaison des scènes, la bienséance réclamant de ne rien
montrer qui pût choquer le spectateur, la vraisemblance soumettant l'action à ce qu'il peut
croire, sont autant de préceptes auxquels les dramaturges de l'époque se conforment... ou
pas.
Enfin, le paysage théâtral parisien s'organise en 1665 essentiellement autour de
quatre troupes : celle des Grands Comédiens de l'Hôtel de Bourgogne, la plus prestigieuse,
qui s'est fait une spécialité des tragédies mais tente aussi d'imiter les succès comiques de
Molière après 1658 ; la troupe du Marais, installée rue Vieille-du-Temple, qui après avoir fait
le succès du Cid en 1636, connaît quelques difficultés dès le début des année 1660 ; les
Italiens installés au Palais Royal, qui jouent des comédies improvisées suivant le principe de
la commedia dell'arte ; la troupe de Molière, bientôt troupe du Roi, partageant le Palais
Royal et composée d'une douzaine d'acteurs. Ces quatre troupes vivent, plutôt bien, de
subventions, en particulier royales, et les mieux dotés sont les Italiens, que Louis XIV
affectionne particulièrement.
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II/ LE PROJET DU CDRT (CENTRE DRAMATIQUE
REGIONAL DE TOURS)
NOTE D'INTENTION DE GILLES BOUILLON
« Quoi de neuf ? Molière ! » (Louis Jouvet)
Parce qu’il est la langue maternelle de notre théâtre : « Il est étrange, assurément, de
demander à un comédien qui aime Molière pourquoi il joue ses pièces, aussi étrange que de
demander à un laboureur pourquoi il laboure, à un joueur les raisons de sa passion pour le
jeu, aussi étrange que de demander à un assoiffé pourquoi il boit. » Louis Jouvet.
Et pourquoi Dom Juan ? Parce que je ne me résigne pas à la disparition annoncée des
grands récits et que je continue à questionner les mythes et à raconter les histoires qui
cimentent notre culture.
L’être et le paraître
Je ne peux pas imaginer Molière représenté sans une distance temporelle, sans tenir
compte de l’œuvre du temps artiste : retrouver d’abord la profondeur temporelle de la
langue. Nourrir la racine, faire remonter, dans la voix des acteurs d’aujourd’hui, la sève de ce
qui est sans doute la prose rythmée la plus géniale de toute la littérature dramatique.
Je souhaite faire entendre Molière dans un espace de jeu contemporain – tout en
suggérant la couleur et la distance du temps qui a passé. C’est pourquoi j’ai demandé à
Nathalie Holt, la scénographe, d’imaginer un décor qui puisse allier le spectaculaire et la
rapidité, la légèreté et le fantastique ; et à Marc Anselmi de réfléchir à des costumes qui
fassent référence au XVIIe siècle.
Don Juan, arbitre des élégances, est bien le miroir de son siècle, travaillé par la quête
d’une identité dans la tension entre l’être et le paraître : les apparences sont trompeuses si
le dandy est un scélérat et si le faux-dévot ou l’infidèle se parent du langage le plus
chatoyant, le plus séduisant. Car Molière crée Dom Juan comme une machine de théâtre
avec le souci du succès dans cette « étrange entreprise que de faire rire les hommes », mais
aussi comme une machine de guerre dans la querelle du Tartuffe, et qui fonctionne encore
aujourd’hui, de toute sa force, contre toutes les hypocrisies, tous les dogmatismes, tous les
fondamentalismes. Et Don Juan, peut-être le seul mythe inventé à l’époque moderne, veille,
sentinelle inquiète, au seuil de notre monde. Qui agit (et s’agite) quand les dieux se taisent,
«pour l’amour de l’humanité ».
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Don Juan et Sganarelle
Le Don Juan de Molière n’existe pas sans Sganarelle, sans la dialectique du maître qui
tient son pouvoir du valet, ou du valet qui tient sa légitimité du maître - sans le mouvement
de l’altérité qui fait de Don Juan l’autre absolu, l’autre qu’on désire parce qu’il est autre et
parce qu’il y a déjà de l’autre en soi, à la fois anamorphose et double secret. Frédéric
Cherboeuf et Jean-Luc Guitton ont joué Fadinard et Nonancourt dans notre Chapeau de
paille d’Italie, ils seront Don Juan et Sganarelle. Je me réjouis qu’ils puissent ici jouer de leur
belle complicité sur le plateau et de leurs talents si complémentaires.
Sganarelle est le rôle comique par excellence. C’était Molière lui-même, on
comprend bien pourquoi ! Mais la couleur du rôle de Don Juan est celle du drama giocoso.
Giocoso parce que telle est la nature du personnage. Drama parce que problématique
comme sont problématiques certaines pièces de Shakespeare qui balancent entre drame et
comédie et dont la « morale » est rien moins qu’assurée. Ces moments - qui font qu’on
continue à voter pour Don Juan - où le personnage trébuche, doute, jette les yeux sur on ne
sait quel abîme, ou faiblit en face du regard d’Elvire (qu’en deux scènes seulement Molière
impose à la postérité), seront au centre de la dramaturgie de ce spectacle. Cassandre Vittu
de Kerraoul interprétera Elvire.
Le théâtre et le mouvement
Don Juan, héros de l’élan et de la conquête, ne pouvait trouver son accomplissement
que dans le mouvement de la musique. Et naturellement il y aura une « musique de scène »
dans ce spectacle, composée par Alain Bruel à partir du travail des acteurs.
Musique de théâtre, donc, ludique, jouée en direct.
J’ai déjà mis en scène Dom Juan, il y a un certain temps déjà ! Puis à deux reprises le
Don Giovanni de Mozart / Da Ponte, si différent évidemment, mais Mozart est celui qui a
sans doute le mieux compris, senti, et actualisé dans sa musique, les potentialités du
personnage de Molière. Aujourd’hui, si je désire être fidèle à l’esprit de Molière et aux
questionnements de sa pièce, je ne puis pas ignorer les suggestions de la lecture
diachronique d’un mythe baroque dont la persistante jeunesse et la fascinante vitalité
jusqu’à nos jours restent difficilement explicable...
Pourtant le Dom Juan de Molière n’est pas une « pièce à thèse » ! Molière n’a jamais
été aussi libre, aussi virtuose à déployer toutes les ressources de son art de faire rire et de
provoquer un étonnement quasiment cartésien ! Molière tricote le désir et la peur sur
toutes les scènes d’une comédie picaresque qui fait courir, contre les règles du théâtre
classique, et dans une naissante dramaturgie du mouvement, les protagonistes jusqu’au
bord de la mer, dans une forêt, au fond d’un tombeau, et jusqu’à ce que le sol lui-même
s’entrouvre... Duos, trios, quintettes – ils seront douze comédiens sur le plateau –, c’est dans
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la danse de ces figures à géométrie variable, que se joue le destin de Don Juan comme se
jouait le destin de la troupe de Molière.
Car si Don Juan est l’homme du désir, de la séduction et de l’inconstance c’est aussi
et surtout le « joueur », l’homme du théâtre, et Sganarelle est le spectateur de Don Juan
comme Don Juan est le spectateur de Sganarelle, et la leçon de métaphysique devient
aussitôt théâtre de tréteaux, l’angoisse s’évapore dans une atmosphère de fête.
Et, en me mettant au travail avec Dom Juan, je me souviens avec émotion de Louis
Jouvet, qui a été véritablement l’inventeur du Don Juan des temps modernes, et qui
affirmait que son souci majeur était de savoir comment représenter « la statue qui
marche ». C’est aussi ce qui me passionne : la gaieté, l’appétit de vivre (et l’inquiétude) du
personnage s’incarnent dans la jubilation, le survoltage, les ombres et les lumières de la
théâtralité la plus concrète, la plus sensible, la plus sensuelle.
Gilles Bouillon, janvier 2013
L'EQUIPE
GILLES BOUILLON
En juin 2004, Gilles Bouillon, directeur du Centre Dramatique Régional de Tours,
inaugure le Nouvel Olympia avec LE SONGE D’UNE NUIT D’ÉTÉ de Shakespeare ; suivront
ensuite LÉONCE ET LENA de Büchner - DES CROCODILES DANS TES RÊVES OU SEPT PIÈCES
EN UN ACTE de Tchekhov et KACHTANKA d’après Tchekhov - HORS-JEU de Catherine
Benhamou - VICTOR OU LES ENFANTS AU POUVOIR de Roger Vitrac - OTHELLO de
Shakespeare - LE JEU DE L’AMOUR ET DU HASARD de Marivaux - ATTEINTES A SA VIE de
Martin Crimp - PEINES D’AMOUR PERDUES de Shakespeare - KACHTANKA de Tchekhov
(nouvelle version en juin 2010) - CYRANO DE BERGERAC de Rostand - KIDS de Fabrice
Melquiot - UN CHAPEAU DE PAILLE D’ITALIE de Eugène Labiche - DANS LA SOLITUDE DES
CHAMPS DE COTON de Koltès - DOM JUAN de Molière.
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EN AVRIL 2013, GILLES BOUILLON REÇOIT LE PRIX BEAUMARCHAIS DU MEILLEUR
SPECTACLE DE LA SAISON 2012/2013 POUR UN CHAPEAU DE PAILLE D’ITALIE (Prix du
public).
Gilles Bouillon a co-fondé LE VOYAGE DES COMÉDIENS (créations et tournées en
Région centre) auquel il participe de 1995 à 1998. Il met en scène à cette occasion
TABATABA de Bernard-Marie Koltès, LE RÉCIT D’UN CHASSEUR d’après Tchekhov, SCÈNE de
François Bon et LA NOCE CHEZ LES PETITS BOURGEOIS de Brecht.
En 2005, grâce au soutien de la Région Centre, la Drac Centre, il met en place au sein
du CDR de Tours le dispositif JEUNE THEÂTRE EN REGION CENTRE, affirmant le choix de la
permanence artistique au cœur d'une Maison de Théâtre. En Mai 2009, Le Conseil Général
d’Indre-et-Loire s’associe au dispositif JTRC. Cette équipe constitue un véritable atelier de
recherche et une véritable troupe de création, qui participe à toutes les mises en scènes de
Gilles Bouillon.
Gilles Bouillon met également en scène des opéras : ORLANDO PALADINO de Joseph
Haydn, LE VIOL DE LUCRÈCE de Benjamin Britten, MONSIEUR DE BALZAC FAIT SON THÉÂTRE
sur une musique d'Isabelle Aboulker, DIALOGUE DES CARMÉLITES de Francis Poulenc, DON
GIOVANNI de Mozart, PELLÉAS ET MÉLISANDE de Claude Debussy, LA FLÛTE ENCHANTÉE de
Mozart aux Chorégies d’Orange, JENUFA de Janacek, LA VIE PARISIENNE d’Offenbach, UN
BAL MASQUÉ de Verdi, DON GIOVANNI de Mozart, LA BOHÊME de Puccini, LE BARBIER DE
SÉVILLE de Rossini, LE VIOL DE LUCRÈCE de Benjamin Britten, FALSTAFF de Giuseppe Verdi ,
LA BOHÊME de Puccini, PELLÉAS ET MÉLISANDE de Claude Debussy, CARMEN de Bizet,
ARMIDA de Haydn, DIALOGUE DES CARMÉLITES de Francis Poulenc, TOSCA de Puccini,
SIMON BOCCANEGRA de Giuseppe Verdi, LA BOHÊME de Puccini, MACBETH de Verdi, UN
BAL MASQUÉ de Verdi, LE BARBIER DE SÉVILLE de Rossini à l’opéra de Tours. En 2014,
CARMEN de Bizet et FALSTAFF de Verdi.
FRédéric CHERBOEUF
Formation : Ecole du Théâtre National de Strasbourg (1993/1996) - Conservatoire de
Rouen Yves Pignot.
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Au théâtre : il a joué notamment avec : J-M. Villégier, O. Werner, S. Tranvouez, S.
Seide, C. Delattres, D. Mesguich, A. Hakim, A. Bézu, J. Osinski, S. Lecarpentier, G-P. Couleau,
E. Chailloux, V. Serre et récemment avec G. Bouillon Un chapeau de paille d’Italie dans le
rôle de Fadinard (2012-2013) et G. Désanges Marcel Duchamp (2013)…
Au cinéma : il tourne sous la direction de P. Ferran, C. Kahn, F. Cazeneuve, B.
Jacquot…
Ecriture : Too much fight et On ne me pissera pas éternellement sur la gueule (Prix
d’écriture théâtrale 2012 de la ville de Guérande, pièce co-écrite avec J.-A. Roth).
Mise en scène : Les Amnésiques n’ont rien vécu d’inoubliable de H. Le Tellier, Marcel
Duchamp de G. Désanges.
JEAN-LUC GUITTON
Formation : Conservatoire National de Région de Clermont-Ferrand.
Au théâtre : il a joué notamment avec : B. Castan, L. Fréchuret, J-P. Jourdain, N.
Pugnard, P. Siméon, D. Freydefont, D. Touzé, D. Lastère et récemment avec G. Bouillon Un
chapeau de paille d’Italie dans le rôle de Nonancourt (2012-2013)…
Au cinéma : il tourne sous la direction de : C. Serreau, J. Marboeuf, M. Perrin, R.
Garcia, C. Duty…
CASSANDRE VITTU DE KERRAOUL
Formation : ENSATT Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre
(2004-2007) - Conservatoire du Centre et du XIème (2000-2004).
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Au théâtre : elle a joué notamment avec : P. Lamy, A. Rocque, P. Faber, J-L. Sarrato,
X. Fahy, A. César, P. Delaigue, C. Schiaretti, O. Maurin, G. Delaveau, S. Delétang, A. Sachs,
puis avec M. Léris Roméo et Juliette dans le rôle de Juliette (2010-2011) et E. Chailloux Le
balladin du monde occidental dans le rôle de Peggen (2011-2012)…
GERARD HARDY
En 1964, il est l’un des fondateurs du Théâtre du Soleil avec A. Mnouchkine.
De 1986 à 1998, il travaille avec Gilles Bouillon au Centre dramatique régional de
Bourges et de Tours comme comédien et relations publiques.
Au théâtre : il a joué notamment avec : A. Mnouchkine, S. Seide, K. Michaël Grüber,
G. Tsaï, G. Bouillon, C. Lasne Darceuil, T. Roisin, G. Lavaudant, O. Maurin, A. Armengol, J.-C.
Berruti, A. Doublet, puis avec G. Delaveau Prométhée selon Eschyle dans le rôle de Océan
(2011) et récemment avec S. Anglade Le Cid dans le rôle de Don Fernand (2013)...
Au cinéma : il tourne sous la direction de : A. Mnouchkine, A. Wajda, G. Treves, P. Le
Guay, A. Maline, P. Leconte…
CYRIL TEXIER
Formation : Ecole Supérieure d’Art Dramatique, Théâtre National de Strasbourg
(2001/2004) - Ecole du Théâtre National de Chaillot (1998/2000).
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Au théâtre : il a joué notamment avec : C. Duparfait, G. Vincent, H. Colas, A. Guillet,
M. Jocelyn, P-F. Pommier, T. Lebert, D. Pitoiset puis en 2012 avec G. Bouillon Cyrano de
Bergerac dans le rôle de Christian…
Au cinéma : il tourne sous la direction de : H. Coquertet et C. Bicler, R. Eddzard…
XAVIER GUITTET
Il fonde et travaille avec la troupe de l’Emballage Théâtre.
Au théâtre : il a joué notamment avec : B. Sobel, A. Zhamani et D. Lurcel…
Avec P. Siméon, il créé la Cie Ecart Théâtre et joue dans plusieurs spectacles, dont
Dernier chant de J-P. Siméon et aussi des pièces de A. Vvedenski, S. Beckett, J. Rivera, B.M.
Koltès, M. Crimp, Molière et A. Chedid…
Depuis plus de 10 ans, il joue avec G. Bouillon, notamment dans : Un chapeau de
paille d’Italie dans le rôle de Beauperthuis (2012-2013), Cyrano de Bergerac dans le rôle de
Ragueneau (2011-2013), Othello dans le rôle de Roderigo (2007-2008), mais aussi dans
Tchekhov, Shakespeare, Büchner, Crimp, Minyana, Beckett…
KOROTOUMOU SIDIBE
Formation : Conservatoire à Rayonnement Régional de Tours (2011-13).
Au théâtre : Elle a joué avec C. Yersin Caterpillar de A. Diallo, au festival d’Avignon, au
Quai d’Angers (festival "Aller/retour, Angers - Bamako"), à Montreuil (semaine culturelle
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malienne), ainsi qu’au festival "Théâtre des réalités de Bamako". Elle a joué aussi avec : M.
Dembelé Que le conte soit, avec le collectif Koumalaw Contera bien qui contera le dernier,
puis dans des contes animaliers avec V. Koami et A. Tangara.
A la télévision : elle tourne sous la direction d’A. Mady Diallo dans Karim et Doussou.
Elle est comédienne du J.T.R.C. au CDR de Tours (Sept. 2013).
NELLY PULICANI
Formation : Ecole Nationale Supérieure des Arts & Techniques du Théâtre de Lyon
(2009-2012) - Conservatoire National de Montpellier (2007-2009) - Elève-comédienne à la
Comédie Française (depuis 2012).
Au théâtre : elle a joué notamment avec : H. de Bissy, S. Delon, Y. Ferry, J-P. Albizatti,
S. Blamont, A. Lerda, A. Schilling, P. Guillois, S. Loucachevsky, J-P. Vincent, G. Barberio
Corsetti, J-Y. Ruff, C. Hiegel, A. Françon…
Elle est comédienne du J.T.R.C. au CDR de Tours (Sept. 2013).
BLAISE PETTEBONE
Formation : Ecole Supérieure d’Art Dramatique de Paris, Direction J.-C. Cotillard
(2009-2012) - Conservatoire de Paris 13ème (2008-2009) - Elève-comédien à la Comédie
Française (depuis 2012).
Au théâtre : il a joué notamment avec : V. Onnis, M. Delahaye, J. Léger, L. Gutmann,
J-P. Vincent, G. Barberio Corsetti, J-Y. Ruff, C. Hiegel…
Au cinéma : il tourne sous la direction d’O. Assayas, G. Gallienne…
Il est comédien du J.T.R.C. au CDR de Tours (Sept. 2013).
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KEVIN SINESI
Formation : Ecole Nationale Supérieure d’Art Dramatique de la Comédie de Saint
Etienne (2008-2011) sous la direction de J.C. Berutti et A. Meunier - Conservatoire National
de Région de Grenoble avec J. Vincey et E. Daumas (2008).
Au théâtre : il a joué notamment avec : J. Vincey, E. Daumas, M. Vernet, A. Villard, G.
Fulconis, N. Ortega, H. Loichemol, S. Purcarete, Y-J. Collin, H. Gratet…
Au cinéma : il tourne sous la direction de J-X. de Lestrade, D. Desarte…
Il est comédien du J.T.R.C. au CDR de Tours (Sept. 2013).
ALEXANDRE FORÊT
Formation : Conservatoire d’Art Dramatique de Tours, cours d’interprétation et cours
de clown (2010-2012) - Théâtre Universitaire de Tours sous la direction de A. Pirault (20072009).
Au théâtre : il a joué notamment avec : F. Brusset, F. Mur, G. Pluym, P.Q. Derrien, M.
Koenig.
Ecriture : en 2012, il écrit et publie pour le théâtre son 1er texte Il y a des bruits que
les animaux ne font pas. Il est également scénariste de la BD Pantz publiée chez Wanga
Edition.
Il est comédien du J.T.R.C. au CDR de Tours (Sept. 2013).
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III/ QUELQUES PISTES DE TRAVAIL AVEC LA CLASSE
AVANT LA REPRESENTATION
1) Le mouvement de Dom Juan : étude de la structure de la pièce.
Dans le dossier pédagogique (page 10) que le CDRT met à disposition sur son site 3,
Bernard Pico, responsable de la dramaturgie du spectacle, montre que Dom Juan s’organise
selon deux principes essentiels :
- d’une part, la succession régulière et récurrente de « scènes » (celles d’Elvire à
l’acte I scène 3, de Pierrot à l’acte II scène 1, de Dom Louis à l’acte IV scène 4…),
de « ballets » (celui de Dom Juan coincé entre Charlotte et Mathurine à l’acte II,
prolepse de celui qui le voit encerclé par Dom Carlos et Dom Alonse à l’acte III) et
de mises en abymes (Sganarelle cabotine lors de son éloge du tabac et son blâme
de Dom Juan à l’acte I, le héros joue la comédie à M. Dimanche à l’acte IV ainsi
qu’à son père et Dom Carlos à l’acte V…) ;
- d’autre part, telle une armature garantissant unité et cohérence, la permanence
du duo Dom Juan-Sganarelle sur la scène.
On ne saurait qu’encourager les élèves à repérer cette double articulation, qui tient
compte de la dialectique dispersion/cohésion à l’œuvre dans la pièce et dans la
caractérisation même du héros éponyme.
Il peut également être intéressant de montrer à la classe que le mouvement qui
définit Dom Juan et sa trajectoire tout au long des 5 actes est non pas, comme il le prétend,
la conquête (« Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs » acte I scène 2),
mais au contraire le repli, la fuite :
- certes, à l’acte I, il assure à Sganarelle que c’est un projet de kidnapping en mer
qui l’a conduit « en cette ville » ; toutefois, il y est arrivé pressé d’échapper à
Elvire, et l’on apprend vite ensuite que son rapt nautique échoue
lamentablement ;
- certes, il entreprend de séduire Mathurine et Charlotte à l’acte II, mais il est
contraint de les quitter rapidement après avoir appris par La Ramée qu’une
troupe d’hommes armés le recherche ;
- l’acte III est celui du parcours erratique dans la forêt, au gré des rencontres
inopinées ;
3
http://www.cdrtours.fr/dom-juan1211-au-2911/
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-
à l’acte IV, même la conquête de son souper s’avère continûment retardée par
tout un défilé de fâcheux !
- enfin, alors qu’il avait oublié (ou feint d’oublier ?) l’invitation lancée à la statue du
Commandeur, elle l’empêche de fuir ses responsabilités en venant chez lui la lui
rappeler et la lui rendre.
Dom Juan est donc plutôt poursuivi que conquérant, acculé plutôt que décideur, aux
abois plutôt qu’aux avant-postes.
Pour achever le travail sur le mouvement de la pièce et de son héros, l’étude de
l’affiche (disponible page 32 dans le dossier pédagogique du CDRT) s’avère féconde :
- cette étreinte de pierre autour de reins marmoréens, c’est Dom Juan voulant à
toute force s’emparer et jouir des corps de ses conquêtes, c’est l’allégorie du
désir qui l’anime ;
- Dom Juan le matérialiste aspire à saisir le monde, à le comprendre : la libido
sentiendi s’accompagne forcément chez le libertin de la libido sciendi ;
- la main de pierre évoque évidemment l’ultime et fatale entrevue avec la statue :
Dom Juan, jusque là saisissant mais insaisissable, est enfin contraint de s’arrêter
face au roc inflexible, éternel et impavide.
2) Comment savoir « quel homme est Dom Juan »4 ?
Cette interrogation relative à l’identité de Dom Juan a été la première piste lancée et
suivie par Bernard Pico au cours de son travail de dramaturgie. Il signale qu’elle scande
régulièrement l’œuvre, et la classe repérera aisément ce leitmotiv : « Tu ne sais pas quel
homme est Don Juan » (I, 1), « Je ne sais pas quel homme il peut être » (I, 1), « Vous ne
connaissez pas Monsieur, bonhomme » (III, 2)…
Gilles Bouillon et la troupe du CDRT préfèrent poser la question plutôt que d’y
répondre, évitant par là de réduire et enfermer le mythe dans une définition par trop
sclérosante et pédante. Le spectacle mettra donc l’accent sur l’essentielle liberté du
personnage, qui effectivement refuse de « se lie[r] »5 et exècre l’engagement, dont il
pervertit toutes les formes (l’institution du mariage devient un outil de la séduction, la dette
du créancier est payée en belles paroles, et le Ciel n’obtient qu’un aval hypocrite).
On pourra dès lors inviter les élèves à constater que Molière offre au libertin un écrin
à sa (dé)mesure, une pièce qui elle-même s’affranchit des canons de l’époque, oppose aux
4
5
Sganarelle, acte I scène 1 de Dom Juan.
Dom Juan, acte I scène 2 de Dom Juan, tirade dite de l’inconstance.
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recommandations du classicisme une pétulance et une effervescence toutes baroques :
l’unité de lieu vole en éclats, l’action dure 36h, le dénouement est précipité, la
vraisemblance se heurte au spectre et à la statue, le comique côtoie le tragique et ô licence,
on rit de Sganarelle, le ridicule est l’apanage subversif du sectateur de la vertu…
3) Dom Juan l’hypocrite : questions de théâtralité.
La dichotomie entre être et paraître, inhérente au « grand seigneur méchant
homme », revendiquée tout autant que stigmatisée dans la célèbre tirade de l’acte V scène
2, intéresse particulièrement Gilles Bouillon si l’on en croit sa note d’intention.
Certes, l’hypocrisie caractérise Dom Juan, et la classe ne manquera pas de le
remarquer : il s’émerveille des mains de Charlotte pourtant bien sales, s’inquiète de la santé
du chien de M. Dimanche, s’étonne que Sganarelle ait pu un instant croire « que [s]a bouche
était d’accord avec [s]on cœur », en appelle au Ciel face à Elvire et Carlos, se drape des
oripeaux d’une conversion subite dans son dernier entretien avec Dom Louis… Molière
poursuit là la lutte engagée avec Tartuffe contre la clique des faux dévots.
Mais l’hypocrite est aussi et surtout l’acteur6, et le spectacle va évidemment se
passionner pour et développer cette mise en abyme : le théâtre en effet détourne, comme
Dom Juan, la fonction du langage, paye de mots le spectateur, mais met également à nu les
rouages dysfonctionnels du corps politique et social.
On montrera donc aux élèves que la pièce ne cesse de filer la mise en abyme : l’éloge
liminaire du tabac/théâtre, les costumes qu’aime à revêtir Dom Juan (qu’ils soient
d’emprunt comme à l’acte III ou de parade comme à l’acte II), Sganarelle spectateur des
exploits de son maître (dans le dénouement, face au pauvre et contre les brigands à l’acte
III), Dom Juan spectateur des envolées burlesques de son valet (acte III scène 1, acte V scène
2)…
Sans tout dévoiler de la représentation, on recommandera aux élèves d’être
particulièrement attentifs aux premières et dernières images du spectacle, qui de façon
quasi pirandellienne soumettent l’acteur et le personnage de Dom Juan aux regards croisés
du public comme du reste de la troupe.
6
L’étymologie latine du terme (du latin hypocrita, issu du grec hypokrites, mimique) désigne un
souffleur ou un acteur du théâtre antique.
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APRES LA REPRESENTATION
1) La mise en scène comme un éloge de la transgression.
On vérifie que les élèves ont remarqué que le spectacle travaille subtilement sur une
dialectique cadre/échappée, fixité/immobilité, qui bien sûr met en abyme le héros
insaisissable, renâclant à la contrainte, soucieux de transgresser codes et interdits. On attire
donc particulièrement leur attention sur tout un jeu d’oppositions :
- cadre Grand Siècle/théâtre de tréteaux aux éléments mobiles ;
- miroir massif/reflets changeants ;
- récurrence de la figure géométrique et fixe du rectangle/plateau circulaire
tournant ;
- projection carcérale de carrés de lumière froide/douceur, chaleur et rondeur des
ampoules éclairant les coiffeuses ;
- inscription sinon coercition de l’essentiel de l’action au creux d’un triangle
dessiné par les deux consoles à face cour et jardin surmontées par le miroir, tout
se joue donc sous l’œil terrible de Dieu ; mais les bouffées de cigarettes
savourées sur scène, ainsi que l’onctuosité du drap blanc froissé, soulevé, agité,
disent les désirs d’envol et d’insurrection.
Dom Juan face au miroir
2) La mise en scène comme un miroir.
La classe n’aura pas manqué de constater que le miroir est un élément-clé de la
représentation, décliné sous trois formes : les deux petites glaces des loges à face cour et
jardin, l’immense cadre au centre du dispositif.
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Dom Juan souvent contemple son reflet dans l’un ou l’autre de ces miroirs : on
retrouve alors la dualité paraître (mise en scène de soi, obsession de l’image) / être (quête
de soi, le miroir comme « un témoin du fond de [s]on âme et des véritables motifs qui [l]’
obligent à faire les choses » V, 2) propre au personnage.
Dom Juan attablé à la console face cour
Cette présence du miroir est un des rouages de l’entreprise de dévoilement opérée
par le spectacle : tout comme Dom Juan montre les abîmes du cœur humain, la
représentation livre à vif les secrets de son intendance : on laisse à vue les costumes, on voit
Frédéric Cherboeuf enfiler ses perruques et ajuster ses mimiques, les éléments de décor
exhibent les dessous de leurs charpentes…
Enfin, le miroir est aussi celui dans lequel les spectateurs peuvent se perdre : tendu
vers la salle, il invite chacun à explorer, comme Dom Juan, les tréfonds et les virtualités de
son être. Gilles Bouillon n’oublie pas que dans cette pièce, l’on est tour à tour spectateur et
acteur, et il propose à ses comédiens ainsi qu’au public d’éprouver ce troublant
dédoublement.
3) Le mythe de Dom Juan.
On peut profiter du spectacle pour travailler sur le mythe, montrer que cette figure
de Dom Juan s’inscrit, perdure et essaime dans le temps comme dans d’autres arts que les
seuls littérature et théâtre :
- au théâtre avant Molière : L’Abuseur de Séville et le convive de pierre, Tirso de
Molina, 1630 ; Le Festin de pierre ou le fils criminel, Dorimond, 1660 ;
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-
-
en littérature après Molière : Don Juan, Lord Byron, 1821 (poème) ; "Don Juan
aux enfers" dans Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire, 1861 (poème) ; La
Dernière nuit de Don Juan, Edmond Rostand, 1921 (pièce) ; Don Juan ou l’amour
de la géométrie, Max Frisch, 1953 (pièce) ; La Nuit de Valognes, Eric-Emmanuel
Schmitt, 1991 (pièce) ;
en musique : Don Giovanni, Mozart et da Ponte, 1787 (opéra) ; Don Juan, Richard
Strauss, 1889 (poème symphonique) ;
au cinéma : Dom Juan ou le festin de pierre, Marcel Bluwal, 1965 ; Don Juan 73,
Roger Vadim, 1973 ;
mises en scène marquantes : celle de la réhabilitation en 1947 par Louis Jouvet ;
celles, éminemment politiques, de Bertolt Brecht en 1953 et de Patrice Chéreau
en 1969 ; celle, dans la tradition des tréteaux, de Philippe Caubère au théâtre du
Soleil en 1978 ; celle, en diptyque avec Athalie de Racine, de Roger Planchon en
1980 ; celle de Jacques Lassalle en 1993, qui lit Dom Juan comme l’allégorie de
l’étranger.
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