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mais aussi et surtout « le pouvoir accru des laïcs » promoteurs de l’inté-
gration, et le « rééquilibrage démographique en faveur de Paris14 ».
Chouraqui note que jusque vers le milieu du  siècle, « le discours 
stéréotypé  louangeur  de  la  modernité  et  respectueux  de  l’État,  accom-
pagnait en fait des  comportements très traditionnels » Cet aspect nous 
intéresse  dans  la  mesure  où  pour  des  raisons  historiques  liées  à  l’im-
migration  récente  des  juifs  du  Maghreb,  la  situation  nous  a  semblé 
aujourd’hui  assez  comparable.  Le  «  discours  patriotique  comme  outil 
de reconquête religieuse » qui au  siècle tentait de ramener les Juifs 
à  la  religion  paraît  aujourd’hui  dénitivement obsolète. Par contre le
discours « républicain », fortement ancré dans la mémoire par exemple 
des  Juifs  d’Algérie,  rappelant  l’attachement  des  Juifs  aux  valeurs  des 
Droits  de  l’Homme,  peut  attirer  certaines  fractions  de  la  population 
juive  acquise  à  la  modernité,  voire  même  complètement  sécularisée  et 
qu’il s’agit par ce discours aussi de reconquérir.
C’est  au  travers  de  la  «  prédication  »,  fonction  nouvelle  mais  utile  du 
rabbin, que vont se formuler les hésitations, les attachements et les doutes, 
un regard sur l’histoire, une forme moderne et inédite de la culture rab-
binique rompant avec la tradition. Ces quelques minutes qui ne sont pas 
inscrites dans les rituels de prières sont aujourd’hui centrales et les rabbins 
sont attentifs à faire coïncider les questionnements de leurs dèles et leurs
propres  préoccupations.  Ces  espaces  de  discours  libres,  en  français,  au 
plus près de l’actualité sont, selon de nombreux rabbins de grandes syna-
gogues parisiennes, le moyen le plus sûr de toucher leur public15.
Si  le   siècle  a  été  marqué  par le  rationalisme  menaçant  la  foi,  qui 
risquait de faire se cantonner le judaïsme à une morale ou une spiritualité, 
les centres d’intérêt se sont semble-t-il déplacés et c’est plutôt la modernité 
technologique que les arguments de la raison, les applications scientiques
et médicales, qui préoccupent aujourd’hui le rabbinat. C’est au travers de 
la gestion de la vie privée, du point de vue de la vie juive, que se retrouve 
la compétence  halakhique. Et pour rompre  avec  l’histoire  d’une  émanci-
pation dont le prix aurait été celui de l’assimilation, les rabbins tentent de 
concilier leur intégration à la nation sans que ne se démente leur solidarité 
envers Israël. Les travaux de Phyllis Cohen ont montré16 comment l’inser-
tion sociale des Juifs au  siècle en France n’avait cependant pas eacé
leur identication ethnique (notamment au travers d’une sociabilité et des
alliances maintenues au sein de la communauté). Cette identication est
aujourd’hui renforcée par les liens avec l’État d’Israël. Lors de nos entre-
tiens, l’Intifada était à l’ordre du jour. Les sermons évoquaient les relations 
entre  la  France  et  Israël  ainsi  que  la  situation  de  la  communauté  juive 
dans notre pays. Sur les murs des aches appelaient à des manifestations
contre la présence en France du président syrien qui avait tenu des propos 
antisémites.  Israël  et  l’antisémitisme17  sont  évidemment  des  aspects  sur 
lesquels les rabbins interviennent. 
La n d’un style
Jusqu’à la n des années cinquante, outre son enseignement, le Séminaire
dispensait certains modèles de la représentation du rabbin, de l’attitude 
sociale qu’il devait adopter et de son apparence. Citoyen dans la cité, le 
rabbin « devait être digne, posséder la culture française pour s’occuper cor-
rectement de la communauté (…). Il devait avoir un appartement décent 
dans lequel il pouvait recevoir ses coreligionnaires, se vêtir dignement sans 
ostentation, mais avec élégance. Il devait exiger un salaire décent pour avoir 
l’air ni riche ni pauvre18 ».
Pour  les  étudiants  entrant  au  Séminaire  après  guerre,  l’apprentissage 
du  métier  de  rabbin,  était  aussi  un  apprentissage  de  la  neutralité  :  «  il 
ne fallait se distinguer ni par l’accent, ni par l’accoutrement ».  Des  cours 
d’expression  orale  étaient  donnés,  il  s’agissait  non  seulement  de  savoir 
construire des sermons en bon français mais aussi d’avoir une élocution 
parfaite ne laissant pas transparaître l’origine (alsacienne, algérienne, et 
belge  nous  dit-on).  Cette  gure du rabbin comme modèle de neutra-
lité  et  de  bienséance  bourgeoise,  ne  s’est  pas  totalement  eacée, mais
les  changements  historiques  et  sociologiques  l’ont  considérablement 
modiée. Avec l’arrivée de certains rabbins d’Afrique du Nord, mais pas
seulement, la situation se serait – selon les rabbins les plus âgés, toutes 
origines confondues – « dégradée ».
Cette « apogée » du modèle se résuma dans une tentative sans lende-
main d’instituer un rite français, centralisé, jacobin en quelque sorte, et 
unicateur de toutes tendances. Mais, ainsi que le rapporte R. Berg, la
réalisation de l’unité du rite se t plus autour de la célébration du Yom
Hatsmaouth (anniversaire de l’indépendance de l’État d’Israël) qu’autour 
de l’abattage rituel et de la cachrout ou de la liturgie elle-même. Mais le 
principe d’unité gagne. Ce principe, plus fédérateur que réducteur à un 
rite unique, est entériné par le Grand rabbin Ernest Gugenheim, qui en 
septembre 1962 a étudié « la question de la fusion des rites et des usages, à 
la lumière de la tradition et de l’Histoire » et concluait que « tant pour des 
raisons strictement religieuses que pour des motifs d’ordre psychologique, il 
faut maintenir et  préserver le  minhag auquel on appartient et les  usages