Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015)
Pouvoirs publics F.58
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L'ACTION EN RESPONSABILITÉ CONTRE DES POUVOIRS PUBLICS :
À PORTER DEVANT LES JURIDICTIONS JUDICIAIRES OU,
DEPUIS 2014, DEVANT LE CONSEIL D'ÉTAT ?
par Jérôme Sohier
Avocat au barreau de Bruxelles
Maître de conférences à la Faculté de droit de l'Université libre de Bruxelles
Depuis la loi du 6 janvier 2014, le Conseil
d'État dispose d'une nouvelle compétence
de se prononcer sur les effets civils de ses
arrêts, en ce sens qu'il pourra désormais
accorder une « indemnité réparatrice » à un
requérant qui aurait subi un dommage du
fait de l'illégalité de l'acte attaqué. Il s'agit là
d'une réelle révolution de notre droit de la
responsabilité des pouvoirs publics, puisque
jusque ici le requérant qui avait obtenu un
arrêt d'annulation au Conseil d'État, était
contraint d'initier un second procès devant
les tribunaux civils — dont l'issue était aléa-
toire — s'il entendait obtenir la réparation de
son préjudice. Que faut-il désormais con-
seiller aux justiciables sur ce point (1) ?
1. — Une « double procédure » et un
« parcours du combattant ».Le droit
de la responsabilité des pouvoirs publics
est, en Belgique, un droit essentiellement
jurisprudentiel, élaboré par le juge au
départ des articles 1382 et suivants du
Code civil, lesquels, en se fondant sur la
notion de faute, constituent le droit commun
de la responsabilité extracontractuelle, qui
s'applique aux autorités de la même
manière qu'aux personnes privées.
Depuis son arrêt Flandria du 5 novembre
1920, la jurisprudence de la Cour de cassa-
tion est fixée en ce sens que ce contentieux
met en jeu des droits civils et relève dès lors
de la compétence exclusive des juridictions
du pouvoir judiciaire, conformément aux ter-
mes de l'article 144 de la Constitution, ces
droits étant qualifiés comme « tous les
droits privés consacrés et organisés par le
Code civil et les lois qui le complètent » (2).
Ces principes ont imposé un véritable
« parcours du combattant » à la victime
d'un dommage occasionné par un acte
administratif, confrontée à l'astreinte de
poursuivre une double procédure, d'abord
devant le Conseil d'État (pour obtenir
l'annulation de l'acte administratif faisant
grief), puis devant les cours et tribunaux
(pour obtenir la réparation du dommage qui
lui a été occasionné par l'acte administratif
en question), et ce sans aucune garantie de
succès au final, puisque le juge judiciaire
peut parfaitement considérer que, nonobs-
tant l'illégalité de l'acte administratif recon-
nue par le Conseil d'État, il n'y a pas lieu à
réparation du dommage, en raison d'une
erreur « invincible » dans le chef de l'auto-
rité ou à défaut de lien de causalité direct ou
de caractère suffisamment déterminé du
dommage dont la réparation est revendi-
quée en justice (3).
Même si le premier parcours devant le Con-
seil d'État n'est pas strictement obligatoire
comme tel, les cours et tribunaux disposant
du pouvoir – et du devoir – d'examiner la
légalité de tout acte administratif, tous les
praticiens ont eu l'occasion de stigmatiser
cette obligation de double procédure, en
soulignant « l'absurdité d'être contraint
d'introduire devant un autre juge une autre
-
(1) Texte de la conférence donnée par l'auteur lors
des Midis de la formation organisés par la Conféren-
ce du Jeune barreau de Bruxelles le 20 novembre
2014.
(2) Cass., 5 novembre 1920, Pas. 1920, I, p. 239.
Sont également visés, les droits consacrés par les
lois qui, quoique non insérées formellement dans le
Code civil, règlent des matières qui sont considérées
comme relevant par nature du droit privé. Pour rap-
pel, le droit lésé dans cette affaire Flandria consistait
dans le droit de propriété d'un horticulteur sur ses
plantations, qui avaient subi des dégâts importants
en raison de l'abattage d'un arbre planté au bord
d'une route appartenant à la ville de Bruges, ce qui
justifiait, aux yeux de la Cour de cassation, la com-
pétence des cours et tribunaux.
(3) Cfr notamment P. Van Ommeslaghe, « La res-
ponsabilité des pouvoirs publics et, en particulier, du
pouvoir exécutif : bilan en 2014 », in La responsabi-
lité des pouvoirs publics - Actualités en droit public et
administratif, coll. UB
3
, Bruxelles, Bruylant, 2014,
p. 7.
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procédure pour obtenir l'indemnisation d'un
préjudice causé par l'acte qualifié de fautif »
(4). La proposition de loi relative à la
sixième réforme de l'État, insérant un
article 11bis dans les lois coordonnées sur
le Conseil d'État, énonce, à cet égard,
qu'« actuellement, la partie qui obtient gain
de cause devant le Conseil d'État, mais
dont le préjudice n'est pas entièrement
réparé par l'annulation de l'acte, est con-
trainte d'introduire une nouvelle action
devant les juridictions civiles. Cela impose à
un nouveau juge de réexaminer l'ensemble
du dossier, ce qui entraîne de nouveaux
frais de justice et de nouveaux délais de
procédure » (5).
2. — La révision de l'article 144 de la
Constitution : un préalable nécessaire
ou une formalité inutile ? — Cette position
stricte de la jurisprudence traditionnelle est
devenue au fil du temps de plus en plus
controversée, dès lors que ni l'article 144, ni
aucune autre disposition de la Constitution,
ne consacrent le droit à la réparation d'un
dommage au contentieux de la responsabi-
lité, comme un droit civil. En réalité, si ce
droit correspond à un droit civil, c'est uni-
quement tant qu'il se fonde sur les disposi-
tions de l'article 1382 du Code civil ; mais si
une telle action en responsabilité devait
trouver un autre fondement juridique, plus
particulièrement dans une loi particulière
qui serait adoptée pour prévoir des règles
d'indemnisation particulières d'un dommage
occasionné par l'action des pouvoirs
publics, l'on ne voit plus pour quelle raison il
s'agirait ipso facto d'un droit civil.
En l'occurrence, dès lors que le législateur
attribue, par une loi particulière, la qualifica-
tion de politique au droit à la réparation du
dommage qui résulterait d'un acte adminis-
tratif annulé par le Conseil d'État, rien ne lui
interdit plus de confier ce contentieux au
Conseil d'État ou à toute autre juridiction
administrative. Plusieurs auteurs considè-
rent aujourd'hui, non sans pertinence, qu'en
vertu de l'article 145 de la Constitution, une
contestation ayant pour objet un droit politi-
que peut parfaitement être confiée par le
législateur à une autre juridiction que le
pouvoir judiciaire (6).
Il n'était donc pas nécessaire, à notre sens,
de réviser la Constitution avant de modifier
les lois coordonnées sur le Conseil d'État,
pour lui attribuer une compétence supplé-
mentaire en matière d'indemnisation, mais,
vu les controverses existantes (7), il a été
jugé plus prudent d'en passer par là.
L'article 144 a ainsi été complété par un
deuxième alinéa suivant lequel une loi peut
« habiliter le Conseil d'État ou les juridic-
tions administratives fédérales à statuer sur
les effets civils de leurs décisions ».
3. — L'article 11bis nouveau des lois
coordonnées sur le Conseil d'État : le
concept d' « indemnité réparatrice ». — Il
ressort des travaux préparatoires de la loi
du 6 janvier 2014 que le législateur a hésité
entre l'option de la « réparation classique »
et celle de la « satisfaction équitable » sur le
modèle de la Cour européenne des droits
de l'homme (8), et a finalement opté pour
(4) Voy. notamment Publicum, 2010, n
o
10, sur
« Illégalité d'un acte administratif et dommage en
résultant : quel(s) juge(s) pour en connaître ? » ;
J. Bourtembourg, « Pourquoi ne pas étendre les
compétences du Conseil d'État au contentieux de la
responsabilité des pouvoir publics pour faute consis-
tant en un acte annulé ? », op. cit., p. 2 ; dans le
même sens, M. Leroy, « Propos sur le projet de ré-
forme en discussion », Publicum, 2013, n
o
15, p. 26.
(5) Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n
o
5-2233/1, p. 6.
(6) Cfr tout particulièrement, la thèse présentée par
Bernard Blero en 1998 (« Du droit objectif aux droits
politiques des administrés - Essai sur la répartition
des compétences entre le juge judiciaire et le juge de
l'excès de pouvoir »), qui a fait l'objet d'une synthèse,
« L'article 145 de la Constitution comme solution aux
conflits de compétence entre le juge de l'excès de
pouvoir et le juge judiciaire », in Le Conseil d'État de
Belgique 50 ans après sa création, Bruxelles, Bruy-
lant, 1999, p. 251 ; cfr également, G. Rosoux,
«L'arrêt n
o
41/2002 de la Cour d'arbitrage : de la no-
tion constitutionnelle de droits politiques à la notion
de “droits civils” au sens de la Convention européen-
ne des droits de l'homme », J.L.M.B., 2002, p. 1169,
qui conclut en ce sens que « le temps où le domaine
des droits civils de l'article 144 de la Constitution ap-
paraissait comme une “sorte de réduit sacré où ja-
mais l'Administration ne pourrait empiéter sur la
compétence des tribunaux”, a fait long feu ». Par un
arrêt n
o
14/97 du 18 mars 1997, la Cour constitution-
nelle, a confirmé que, pour qualifier un droit de politi-
que, il convient de retenir le critère suivant lequel il se
trouve dans un rapport tel avec les prérogatives de la
puissance publique, qu'il se situe en-dehors de la
sphère des litiges de nature civile.
(7) Cfr F. Glansdorff, « L'indemnité réparatrice : une
nouvelle compétence du Conseil d'État vue par un
civiliste », J.T. 2014, p. 475, qui énonce, à titre
d'« observation liminaire », que « la validité d'une tel-
le disposition nécessitait la modification de
l'article 144 de la Constitution (...). Il eût sans doute
été possible d'échapper à cette modification en qua-
lifiant le droit à réparation de “politique” plutôt que de
“civil”, mais la solution aurait été hasardeuse ».
(8) Suivant l'article 41 de la Convention européenne,
« si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Con-
vention ou de ses protocoles, et si le droit interne de
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une « indemnité réparatrice tenant compte
des intérêts publics et privés en présence ».
Cette indemnité se distingue de la répara-
tion du dommage sur la base de
l'article 1382 du Code civil, dès lors que
l'indemnité peut être évaluée de manière
discrétionnaire par le Conseil d'État à un
montant inférieur au dommage réel du
requérant, en devant tenir compte des
« intérêts publics et privés en présence ».
On relèvera que, dans ces conditions, il ne
s'agit manifestement pas de statuer sur un
droit subjectif de nature civile dans le chef
de l'administré victime d'un acte administra-
tif illégal, alors qu'il était question, aux ter-
mes de la révision constitutionnelle, de per-
mettre au Conseil d'État de statuer sur « les
effets civils » de ses décisions (9). Si c'était
pour limiter le droit à réparation à une telle
indemnité, il n'était assurément pas néces-
saire de réviser l'article 144 comme l'on
s'est cru obligé !
L'indemnité réparatrice se distingue égale-
ment du contentieux en indemnité pour
dommage exceptionnel dont le Conseil
d'État est investi depuis longtemps, sur pied
de l'article 11 des lois coordonnées, puis-
que l'indemnité pour dommage exception-
nel s'inscrit dans un cadre de responsabilité
sans faute et implique qu'il n'y ait pas de
faute ni d'illégalité de la part de l'autorité
administrative (10).
On relèvera, enfin, qu'il ne peut s'agir ici que
d'une réparation pécuniaire. En l'occur-
rence, l'annulation de l'acte illégal constitue
déjà une forme de réparation en nature,
puisqu'elle efface — avec effet rétroactif —
l'acte illégal de l'ordonnancement juridique.
La question d'une indemnité réparatrice ne
se posera donc que dans la mesure où le
dommage n'a pas été totalement réparé par
l'arrêt d'annulation. Par exemple, l'annula-
tion d'une sanction disciplinaire de suspen-
sion infligée à un agent, entraîne en prin-
cipe, par elle-même, une obligation pour
l'autorité de lui octroyer les traitements qui
ne lui auraient pas été payés, sans qu'il soit
besoin de solliciter une indemnité ; en
revanche, une telle indemnité pourrait être
postulée pour compenser le dommage
moral de l'intéressé.
4. — Une responsabilité objective fondée
sur une illégalité. — Le requérant peut sol-
liciter une indemnité réparatrice s'il a subi
un préjudice « du fait de l'illégalité » de
l'acte attaqué. Cette formulation entraîne
trois éléments nouveaux dans cette forme
de responsabilité :
un nouveau trio illégalité-préjudice-lien
de causalité se substitue au trio classique
faute-dommage-lien de causalité, tel qu'il
ressort de l'article 1382 du Code civil. Avec
un avantage notable au profit du requérant,
la haute partie contractante ne permet d'effacer
qu'imparfaitement les conséquences de cette viola-
tion, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu,
une satisfaction équitable ». Si cette satisfaction est
ainsi calculée en équité, en fonction de l'ensemble
des circonstances pertinentes, il apparaît qu'en pra-
tique, la jurisprudence de la Cour européenne tend à
accorder au requérant une forme de réparation inté-
grale, qui se déduit de l'obligation conventionnelle,
pour les États membres, de mettre un terme aux vio-
lations de la Convention et d'en effacer les consé-
quences de manière à rétablir autant que faire se
peut la situation antérieure. S'il est souvent difficile
d'évaluer le dommage causé par des violations de
droits fondamentaux, ce principe a pu aboutir à des
indemnités extrêmement élevées lorsqu'un domma-
ge matériel le justifiait (cfr S. van Drooghenbroeck,
La Convention européenne des droits de l'homme -
Trois années de jurisprudence de la Cour européen-
ne des droits de l'homme (1999-2001), coll. Dossiers
du J.T., Bruxelles, Larcier, 2003, p. 255).
(9) Cfr à ce sujet, notre étude, F. Belleflamme et
J. Sohier, « Incidence de la réforme du Conseil
d'État sur la responsabilité des pouvoirs publics », in
La responsabilité des pouvoirs publics - Actualités en
droit public et administratif, coll. UB
3
, Bruxelles,
Bruylant, 2014, p. 39.
(10) Si ce contentieux est resté très marginal à ce
jour, c'est essentiellement en raison du caractère ré-
siduaire de la compétence du Conseil d'État et du
développement parallèle de la jurisprudence judiciai-
re sur la responsabilité des pouvoirs publics. Puis-
que le législateur n'a entendu confier au juge admi-
nistratif une telle compétence d'indemnité que
« dans les cas où il n'existe pas d'autre juridiction
compétente », ce contentieux ne peut être que de
second plan, limité en pratique à des hypothèses de
responsabilité sans faute, tout en pouvant faire ap-
paraître les failles dans la protection juridique des ci-
toyens et servir de stimulant pour le juge judiciaire et
le législateur (cfr A. Mast, « Le Conseil d'État et le
contentieux de l'indemnité », in Mélanges J. Dabin,
Bruxelles, Bruylant, 1963, p. 794) ; cfr également
dans le même sens, M. Leroy, « Le contentieux de
l'indemnité avant et après la loi du 3 juin 1971 »,
R.J.D.A., 1974, p. 247 ; P. Lewalle, « La réparation
du dommage exceptionnel par le Conseil d'État
belge : mythe ou réalité ? », Ann. fac. Liège, 1980,
p. 212 ; R. Andersen, B. Lombaert et S. Depre,
« Les contentieux méconnus », in Le Conseil d'État
de Belgique 50 ans après sa création (1946-1996),
Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 269 ; J. Sohier, « La
responsabilité de l'État du fait des vaccinations
obligatoires : de la responsabilité pour faute dans
l'exercice de la fonction réglementaire au conten-
tieux de l'indemnité pour rupture de l'égalité des ci-
toyens devant les charges publiques », note d'obser-
vations sous l'arrêt du Conseil d'État du
16 décembre 1992, J.T.,1993, p. 333).
-
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assuré de ne plus devoir débattre de l'élé-
ment générateur de son dommage, puisque
l'illégalité se déduira en principe automati-
quement de l'arrêt rendu par le Conseil
d'État au contentieux de l'annulation, alors
que, dans le cadre d'une action en respon-
sabilité civile devant les juridictions de
l'ordre judiciaire, la partie adverse conteste
le plus souvent le caractère quasi délictuel
de l'illégalité constatée par le Conseil d'État.
Il s'agit là, en réalité, d'une nouvelle respon-
sabilité objective créée par le législateur
(11) ;
— la requête en annulation sur laquelle la
demande d'indemnité réparatrice vient se
greffer ne doit pas nécessairement avoir
abouti, puisqu'une illégalité de l'autorité
peut parfaitement se déduire d'un arrêt de
rejet. Tel sera le cas, par exemple, lorsque
l'acte attaqué a été annulé par un autre
arrêt du Conseil d'État ou qu'il a été retiré
par la partie adverse en cours d'instance et
que la requête est alors rejetée parce
qu'elle n'a plus d'objet. La situation est plus
incertaine lorsque le requérant vient à per-
dre son intérêt en cours d'instance, en rai-
son de circonstances externes à l'instance.
Le Conseil d'État a développé, à ce propos,
une jurisprudence, fort contestable, tendant
à exiger que l'intérêt soit maintenu tout au
long de la procédure, de telle manière qu'il y
a perte de cet intérêt, et, partant, irrecevabi-
lité du recours, dans le chef d'un agent qui,
après avoir été lésé dans le cours de sa car-
rière administrative en s'étant vu évincé irré-
gulièrement d'une promotion, se trouve
pensionné en raison de son âge en cours
d'instance (12). À partir du moment où, à
l'avenir, c'est le Conseil d'État lui-même qui
sera amené à se prononcer sur une
demande d'indemnisation du dommage, la
question se pose de savoir s'il ne sera pas
obligé d'examiner, quant au fond, le carac-
tère régulier, ou non, de l'acte administratif
attaqué pour faire suite à une demande
d'indemnité, même en cas de rejet du
recours en annulation. Les travaux prépara-
toires confirment expressément que « la
demande d'indemnité pourrait être formu-
lée, non seulement lorsque le Conseil d'État
annule un acte, un règlement ou une déci-
sion implicite de rejet, mais pour tout préju-
dice né d'une illégalité constatée dans un
arrêt », ce qui implique qu'en cas de perte
d'intérêt dans le chef du requérant,
« notamment en raison d'une évolution de
sa situation personnelle », le Conseil d'État
ne pourra plus, comme dans le passé, clô-
turer là l'examen du dossier par une déci-
sion de rejet, mais se verra obligé de statuer
sur la légalité de l'acte attaqué, si le requé-
rant a introduit simultanément une demande
d'indemnisation à ce sujet (13). Dans cette
(11) Puisque la seule constatation de l'illégalité suffit,
il n'y a plus lieu de débattre de la notion de faute, ni,
partant, d'erreur invincible ou d'autre cause exonéra-
toire. La nouvelle loi institue ainsi « une obligation de
résultat renforcée, une véritable obligation de
garantie » (F. Glansdorff, « L'indemnité réparatrice :
une nouvelle compétence du Conseil d'État vue par
un civiliste », J.T., 2014, p. 475, qui ajoute cepen-
dant qu'il existe une seconde solution possible, con-
sistant à « se raccrocher » à la jurisprudence de la
Cour de cassation et à tenir compte des éventuelles
causes d'exonération de responsabilité. L'avis émis
par la section de législation ne va cependant claire-
ment pas en ce sens).
(12) Cfr notamment C.E., 5 novembre 1997, Taveir-
ne, n
o
69.471 ; 7 février 2005, Dupont, n
o
140.256 ;
M. Leroy, Contentieux administratif, 5
e
éd., Anthe-
mis, 2011, p. 475 ; P. Coenraets, « La notion d'inté-
rêt à agir devant le Conseil d'État : difficile équilibre
entre l'accès au prétoire et la prohibition de l'action
populaire », in Le Conseil d'État de Belgique 50 ans
après sa création, op. cit., p. 349 ; J. Sohier,
« L'intérêt à agir devant le Conseil d'État face aux
exigences du délai raisonnable », A.P.T., 2006,
p. 140. Dans le cadre de cette jurisprudence restric-
tive, le Conseil d'État a eu l'occasion de préciser que
l'intérêt qui consisterait uniquement à établir la res-
ponsabilité éventuelle de l'autorité en raison d'un
acte qui aurait été jugé illicite, n'est pas suffisant. Par
un arrêt du 10 novembre 1999, la Cour constitution-
nelle a eu cependant l'occasion d'exprimer de sé-
rieux doutes à ce propos, en énonçant, en substan-
ce, que « par le caractère automatique que la perte
d'intérêt revêt, l'interprétation donnée à l'article 19 a
des effets disproportionnés, car elle aboutit à une dé-
cision d'irrecevabilité du recours, sans que soit exa-
miné s'il subsiste, en réalité, un intérêt à ce recours,
et sans tenir compte des éléments qui ont pu en re-
tarder l'examen. Un requérant ne perd pas nécessai-
rement tout intérêt à l'annulation d'une nomination il-
légale lorsqu'il est admis à la retraite. (...) En outre,
un arrêt d'annulation facilitera l'établissement de la
faute de l'Administration, s'il introduit une action de-
vant le juge civil » (C.A., 10 novembre 1997, n
o
117/
99 ; dans le même sens, 21 janvier 2004, n
o
13/04).
Le Conseil d'État n'a cependant pas modifié diamé-
tralement sa jurisprudence concernant l'intérêt, puis-
qu'il apparaît que, si le juge administratif ne rejette
plus « automatiquement » les requêtes d'agents
pensionnés en cours de procédure qui attaquent une
promotion dont ils ont été évincés, il examine dans
quelle mesure l'annulation éventuelle pourrait leur
apporter un avantage... avant de conclure plus ou
moins systématiquement par la négative ! (M. Leroy,
Contentieux administratif, op. cit., p. 475).
(13) Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n
o
5-2233/1, op.
cit., p. 8. La section de législation avait relevé, en
son avis, que l'intention exprimée au cours des tra-
vaux préparatoires n'était pas adéquatement expri-
mée dans le texte de loi proposé, dès lors que, lors-
qu'un requérant perd son intérêt au cours de
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dernière hypothèse, et si la réforme de 2014
ne devait pas inciter le Conseil d'État à
revenir sur sa jurisprudence relative à l'inté-
rêt, il devrait en principe rejeter le recours
en annulation, tout en déclarant cependant
le moyen fondé, ce qui lui permettra de sta-
tuer ensuite sur la demande d'indemnité,
puisqu'une illégalité aura été reconnue ;
— le débiteur de l'indemnité sera toujours
l'autorité qui était la partie adverse au con-
tentieux de l'annulation, à savoir celle qui a
commis l'illégalité constatée par la juridic-
tion administrative, la question de l'origine
de cette illégalité étant indifférente à cet
égard. Or, il peut y avoir de nombreux cas
où l'annulation d'un acte se justifie par une
irrégularité commise par une autre autorité
ou par un tiers : plan d'urbanisme qui fonde
l'attribution ou le refus d'un permis, avis
d'une chambre de recours qui précède
l'infliction d'une sanction disciplinaire...
Dans une telle hypothèse, il ne resterait à la
partie adverse que la possibilité de se
retourner contre le responsable, mais en
devant alors introduire un nouveau procès
devant le tribunal civil.
5. — Une demande accessoire à un
recours en annulation. — Suivant les ter-
mes de l'article 11bis des lois coordonnées,
le nouveau contentieux en indemnité répa-
ratrice est ouvert à « toute partie requérante
ou intervenante qui poursuit l'annulation ».
Étant l'accessoire d'un recours en annula-
tion, introduit sur pied de l'article 14 des lois
coordonnées sur le Conseil d'État, l'indem-
nité réparatrice ne concerne pas les requé-
rants qui ont obtenu un arrêt constatant une
illégalité de l'autorité dans le cadre d'un
contentieux en cassation ou de pleine juri-
diction (14).
D'autre part, les parties intervenantes ne
sont pas mises sur pied d'égalité, puisque
seule celle qui est intervenue aux côtés de
la partie requérante, pour solliciter l'annula-
tion de l'acte, dispose de la possibilité de
bénéficier de la nouvelle procédure. Pour
les intervenants qui auraient subi un préju-
dice du fait de l'acte annulé, seule la voie
judiciaire reste ouverte, sans que cette dif-
férence de traitement n'ait été justifiée dans
le cours des travaux préparatoires.
Sur ce point, la nouvelle loi pourrait faire
l'objet de questions préjudicielles auprès de
la Cour constitutionnelle initiées par une
partie exclue de ce nouveau contentieux et
qui considérerait qu'elle est victime d'une
discrimination à ce sujet.
6. — Un délai bref de 60 jours. —
L'article 11bis nouveau impose au requé-
rant un délai de 60 jours pour introduire sa
demande d'indemnité réparatrice devant le
Conseil d'État, à dater de la notification de
l'arrêt. On peut s'interroger sur le motif d'un
délai aussi bref, qui a sans doute été sim-
plement calqué sur le délai de recours en
annulation, en particulier au regard du délai
de prescription de cinq ans d'une action en
responsabilité civile. Si un tel délai se com-
prend dans le cas d'un recours en annula-
tion, en raison des exigences déduite du
principe de sécurité juridique, on ne voit pas
en revanche ce qui le justifie à propos d'une
demande d'indemnité.
La demande d'indemnité peut également
être introduite « anticipativement », dans le
cours de la procédure en annulation, dès
avant le prononcé de l'arrêt du Conseil
d'État (15), mais elle ne sera en principe
traitée que postérieurement à cet arrêt et
seulement si cet arrêt a bien constaté une
illégalité à charge de la partie adverse. L'on
ne voit pas a priori quel serait l'intérêt pour
un requérant d'introduire sa demande aussi
tôt, en « présumant » qu'il obtiendra gain de
cause, sinon s'il craint de voir son intérêt à
agir disparaître en cours d'instance et pour-
rait alors, comme exposé ci-dessus, être
enclin à forcer le Conseil d'État à constater
l'existence d'une illégalité.
7. — Une réparation pas nécessairement
intégrale. — L'indemnité « réparatrice » du
l'examen de sa demande d'annulation, sa demande
est rejetée sans que l'arrêt établisse l'éventuelle illé-
galité de l'acte attaqué. Sauf erreur de notre part, il
n'a pas été répondu à cette remarque.
(14) Sur ce point également, la section de législation
avait relevé qu'une décision qui était déférée au con-
trôle du Conseil d'État dans le cadre d'un recours de
pleine juridiction et qui était réformée pouvait égale-
ment avoir causé un dommage à l'administré, mais
cette remarque est cependant restée sans écho au
cours des travaux préparatoires.
(15) Suivant l'article 25 du règlement de procédure,
tel que modifié par l'arrêté royal du 25 avril 2014
« relatif à l'indemnité réparatrice visée à
l'article 11bis des lois sur le Conseil d'État », la de-
mande d'indemnité réparatrice « peut être formée :
1
o
en même temps que le recours en annulation ;
2
o
ou au cours de la procédure en annulation ; 3
o
ou,
au plus tard, dans les 60 jours qui suivent la notifica-
tion de l'arrêt ayant constaté l'illégalité ou la correc-
tion de celle-ci par application de la boucle
administrative ».
-
RGAR_01_2015.fm Page 5 Wednesday, February 4, 2015 3:49 PM
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