L’intégration selon Durkheim
La question de l’intégration sociale est, pour Durkheim, celle d’un « vouloir-vivre
ensemble » dont la nature diffère de celle du contrat social selon Rousseau ou encore
selon Hobbes. Sur le plan théorique, le contrat social lie entre eux les individus et
cette adhésion est un acte volontaire. Cette perspective, dans laquelle l’individu
constitue le fondement de la société, de l’État, de l’autorité politique, diffère de celle,
fondatrice en sociologie, selon laquelle « la société et l’État sont des réalités […] défi-
nies, distinctes de leurs parties
2
».
La nature de l’intégration dans la Division du travail social (1892)
De la division du travail social, qui constitue la thèse de doctorat de philosophie de
Durkheim, est une œuvre singulière. Elle semble totalement détachée du contexte
dans lequel elle est écrite, mais ce n’est qu’une apparence, nous le montrerons plus
loin. Cette thèse est une œuvre ambitieuse : elle se veut universelle, c’est-à-dire
concernant toutes les sociétés, et ahistorique. Son objet porte sur la nature du
«vouloir-vivre ensemble » dans les sociétés industrielles, à division du travail social
avancée. Ainsi É. Durkheim distingue deux formes de solidarité : une solidarité méca-
nique, caractéristique des sociétés peu industrialisées et à faible division du travail, et
une solidarité organique, spécifique aux sociétés industrialisées. L’industrialisation,
ainsi que « l’augmentation de la densité matérielle et morale des sociétés » sont les
deux facteurs majeurs du changement social et, en particulier, de la différenciation
des sociétés et de leur évolution d’une forme de solidarité à l’autre.
Les sociétés à division du travail avancées doivent continuer d’être intégrées : dans
ces sociétés complexes, c’est la division du travail qui est le facteur de la solidarité. C’est
une thèse que H. Spencer, grand propagateur du darwinisme social
3
, avait énoncée dans
Political institutions (1882). Dans sa thèse, Durkheim attribue à l’État un rôle plus
important que ne le fait Spencer. Ce dernier considère, dans le droit fil de l’économie
politique libérale, alors en pleine élaboration, que l’État est appelé à disparaître,
puisque, dans ces sociétés complexes, le marché et les individus ont la capacité d’assurer
à eux seuls la régulation sociale et économique. Dans la perspective durkheimienne,
l’État n’est pas du tout appelé à disparaître, bien au contraire, puisque sa fonction est de
contribuer à «assurer solidarité et moralité», fonctions assumées plutôt par la famille et
par la religion dans les sociétés segmentaires (Besnard et al., 1993, p. 260-261).
La différenciation des fonctions, c’est-à-dire des métiers et des classes sociales,
n’exclut pas un mouvement d’intégration nationale (langue, coutumes et droit) qui
peut aussi être compris comme un mouvement de concentration et de centralisation
administrative en ce qui concerne l’appareil d’État. Dans la conception durkheimienne
de l’évolution des sociétés, le droit se transforme : d’un droit répressif, on passe à un
droit restitutif, qui serait aujourd’hui dénommé droit « redistributif». Cette évolution
suit celle des sociétés: des sociétés à solidarité mécanique, dans lesquelles les fonctions
sont peu différenciées, l’on passerait à des sociétés à solidarité organique, aux fonctions
très différenciées et à la division du travail très développée. Simultanément, se dévelop-
peraient des processus d’individuation, par affaiblissement de la « conscience collective».
L’espace, chez Durkheim, n’est pas traité en tant que tel, du moins tel qu’il est conçu
en géographie. C’est une composante de chacune des trois grandes caractéristiques du
milieu humain, objet de la morphologie sociale:
Catherine Rhein
195
2. Nous suivons là
la présentation que fait
M. Troper de la théorie
du contrat social. Il faudrait
prolonger et préciser
cette analyse par celle
de la doctrine juridique
allemande de l’État et
de la sociologie, notamment
dans la Division du travail
social (DTS) de Durkheim et
dans la sociologie de
Max Weber.
3. Non des idées
darwiniennes, à proprement
parler : sur l’importance de
cette distinction,
cf. D. Guillo, in Sciences
sociales et sciences de la vie.
Rhein XP 27/04/05 16:14 Page 195
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