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Formation et profession • Novembre 2008
Face aux dés que la culture du monde postmoderne
adresse à la pédagogie et même à l’ambition éducative,
Denis Simard veut trouver dans la perspective hermé-
neutique une troisième voie. « Si quelque chose comme
une éducation libérale est possible de nos jours », écrit-il,
« je ne crois pas qu’il faille la chercher dans la simple
restauration d’un passé soi-disant lumineux » (p. 115);
et il n’est pas plus envisageable de céder à la pente
technocratique et consumériste en « laissant l’éducation
au seul jeu de la consommation des connaissances ».
Nous n’aurions donc pas à choisir entre la restauration
incantatoire, purement rhétorique et impuissante, de la
métaphysique humaniste, d’un côté, et l’abandon pur
et simple à « la seule approche techniciste ou scienti-
que de la pédagogie » (p. 70), de l’autre côté. Quels
sont donc les caractères de l’approche herméneutique
susceptibles d’asseoir cette nouvelle espérance, et de
donner à notre éducation en quête sinon d’un modèle
du moins d’un espace de légitimité, une chance et une
refondation raisonnable ? La réponse de Denis Simard
tient en deux points : 1) la pensée herméneutique per-
met de ressaisir à la fois la pédagogie comme pensée de
l’éducation et le travail du pédagogue dans le paradigme
de la compréhension comme rapport au monde et aux
autres; 2) la pensée herméneutique permet de produire
les continuités nécessaires par-dessus les ruptures de
la postmodernité, sans les ignorer ou prétendre les
effacer.
Sur le premier point, le chapitre 3 de l’ouvrage propose
une lecture du métier d’enseignant comme activité
d’interprétation, aussi bien dans sa relation à l’élève
que dans sa relation personnelle aux savoirs. Enseigner,
éduquer en enseignant, exige une reprise interprétative
de la culture savante dans la perspective d’une discipline
éducative; et la visée de l’enseignement réclame de l’en-
seignant qu’il sache inclure dans un nouveau rapport
au savoir la considération, la visée de l’élève comme
destinataire. En d’autres termes, pas de pédagogie sans
prise en compte de la subjectivité, ou plus précisément
sans surmontement de l’opposition objectivité/sub-
jectivité dans laquelle enferme le paradigme cartésien.
Laissée à sa pente, la pensée de l’objectivité se solidie
en objectivisme, et le savoir scientique en un nouveau
dogmatisme; abandonnée à elle-même, la subjectivité
s’épuise en subjectivisme où le sujet lui-même se dissout
dans son afrmation. Il faut le répéter : ce ne sont pas
là des spéculations purement abstraites; l’objectivisme
et son envers, le subjectivisme, renvoient bel et bien
au vécu quotidien des classes et au grand écart auquel
sont régulièrement tenus professeurs et élèves. Denis
Simard, lecteur averti des philosophies herméneu-
tiques, et plus particulièrement de l’herméneutique
« modérée » de Gadamer, y trouve la possibilité de
« contourner l’écueil de l’objectivisme et le piège non
moins considérable du subjectivisme » (p. 101). Toute
philosophie de l’éducation repose sur une conception
du rapport au monde; éduquer, qu’est-ce donc sinon,
comme le disait Hannah Arendt, introduire dans un
monde ces « nouveaux venus » que sont les enfants ?
Pour la pensée herméneutique, comme le rappelle Denis
Simard – dont on pourrait d’ailleurs résumer l’entreprise
en disant qu’il tâche d’en tirer les conséquences et le
prot éducatifs – « le rapport de l’homme au monde
est tout simplement et fondamentalement langage et
donc compréhension ». Dès lors, la culture elle-même,
dans sa totalité dont les sciences sont la pièce essentielle
dans notre (post)modernité, doit être pensée et reprise
par l’éducateur dans cette perspective. Insistons : nous
acceptons sans trop rechigner l’idée que « la relation
avec l’histoire n’est pas celle d’une relation d’un sujet
méthodique à un objet inerte » et que « ma propre
situation herméneutique, à partir de mon présent, de
mes attentes, de mes préoccupations, de mes préjugés »
(p. 88) est indissociable de la culture historique; mais
nous devons aller plus loin et y voir la caractéristique
de toute culture et de tout savoir : « la vérité ne loge
ni du côté du sujet, ni du côté de l’objet, mais dans cet
entre-deux où le dialogue se noue » (idem).
Le second point occupe dans la réexion de Denis
Simard une place tout à fait centrale. Il est au principe
du quatrième et dernier chapitre, intitulé précisément
« Une pédagogie de la culture ». Ici, l’auteur reprend
à son propre compte l’une des exigences dont Emile
Durkheim faisait le fondement et la spécicité de l’idée
éducative telle que la culture occidentale, pénétrée de
christianisme, l’aura élaborée depuis les tout premiers
temps de la vision chrétienne du monde – et sans doute
faudrait-il remonter un peu plus haut et y inclure la
philosophie platonicienne – : l’exigence d’unité. Cet
idéal d’unité en effet a été mis à mal dans le monde
(post)moderne héritier d’une quadruple rupture : « en-
tre les savoirs et la vie, entre les savoirs eux-mêmes,