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RENÉ BARBIER
DE LA PROFONDEUR
EN
ÉDUCATION
Une écoute sensible
Essai
2009-2010
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« Le vol de l’aigle ne laisse pas de trace »
Krishnamurti
***
« Parfois il paraît que nous sommes au centre de la fête,!
mais au centre de la fête il n’y a personne,!
au centre de la fête il y a le vide,!
mais au centre du vide il y a une autre fête . »
Roberto Juarroz
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Introduction
L’écoute sensible est l’attitude philosophique qui convient
à l’approche transversale en sciences humaines. Cette
théorie d’approche transversale (Barbier, 1997) a été ma
contribution à la recherche universitaire ces trente
dernières années. Professeur de sciences de l’éducation,
j’ai progressivement dégagé une démarche de recherche à
orientation clinique, dont l’objet de connaissance était
l’imaginaire des pratiques, des réalisations humaines, et
des discours les accompagnant. Mon enseignement à
l’université, comme mes recherches-actions pédagogiques
sur le terrain, ont été complètement fécondés par cette
approche transversale.
J’ai toujours voulu conjuguer trois dimensions de
l’imaginaire : pulsionnel, social et sacral. Il me semble, en
effet, que l’imaginaire humain ne peut être fragmenté et,
contrairement à Mircea Eliade, qui fait du sacré, un axe
quasi exclusif de sa pensée, au détriment du symbolique
durkheimien (Tarot, 2008 485-514), je ne peux laisser de
côté la dimension sociale, que mes études de sociologie
m’ont confirmée, ni la dimension d’inconscient personnel
que toute introspection un peu rigoureuse révèle
absolument, même si, sur ce dernier plan, j’ouvre le
questionnement freudien et lacanien du côté de Carl
Gustav Jung et des psychologies humanistes, notamment
de Stanislav Grof et, plus récemment, de l’Haptonomie
(Revardel, 2003).
Il faut dire que la vision du monde de Jiddu Krishnamurti
(1895-1986) m’a fortement interpellé et animé depuis plus
de cinquante ans. J’ai découvert, avec elle, de secrètes
connivences avec la pensée chinoise, notamment taoïste,
et avec le bouddhisme chan (et zen). Aujourd’hui ces
influences se prolongent par des ouvertures vers ce que
certains nomment la « spiritualité laïque » (Comte-
Sponville, 2007) qui me convient, encore que je préfère le
terme « devenir-sage » tant il est vrai que la sagesse n’est
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pas un état établi une fois pour toutes, mais un processus
sans cesse inachevée, qui s’approfondit avec l’âge.
Pour comprendre cet imaginaire tridimensionnel, j’ai
proposé trois types d’écoutes intégrées dans l’approche
transversale : une écoute scientifique singulière plutôt
clinique, une écoute mythopoétique et existentielle et une
écoute philosophique et spirituelle.
La manière de faire pour construire du sens avec les autres
sur des fragments de vie individuelle et collective, dépend
d'une conception exigeante de l'écoute sensible qui est
aussi une parole et une action.
L'écoute est scientifique et clinique. Elle prend appui sur
les données et les pratiques en sciences humaines cliniques
reconnues et sans aucun esprit dogmatique lié à une école
de pensée. Elle sait utiliser, le cas échéant, les sciences
dites « dures » ou « objectives », pour mettre en
perspective des éléments cliniques à recadrer dans un
champ plus général. Mais son champ spécifique est plutôt
de l'ordre de l'expérientiel pour la vie individuelle et de
l'expérimentation sociale pour la vie des groupes et des
sociétés. Son inspiration est plutôt phénoménologique et
herméneutique.
L'écoute est également mythopoétique et existentielle. Elle
est très attentive à ce qui surgit dans un groupe, ce qui
vient déranger l'ordre établi de la structure. Elle interroge
sans cesse ce dérangement dans un sens non réducteur.
Elle laisse la place aux minorités, aux déviants, aux
marginaux. Elle écoute principalement l'expression
symbolique et mythique. Mais, dans la mesure l'écoute
concerne le mythe elle repère tout ce qui vise à
l'enracinement de l'humain dans un contexte, une histoire,
un passé lointain, avec ses entités sans cesse réactivées,
ses dieux et demi dieux, ses récits recommencés et
transformés, ses bases institutionnelles qui garantissent
cette reproduction de la tradition.
L'écoute est enfin philosophique et spirituelle. Elle porte
sans cesse son intérêt sur le sens. Elle pose des questions
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sur ce qui nous rattache à la vie, ce qui nous implique en
dernière instance. Elle vise à déterminer les valeurs
ultimes de l'existence, les croyances, les lignes de sens qui
ne se délitent pas facilement. Elle relie les données
recueillies aux grandes traditions de la pensée universelle
et aux sagesses du monde.
Elle ne méprise aucune des propositions signifiantes de ce
qui est de l'ordre de la vie et de la mort, mais sans jamais
tomber dans le sectarisme. Elle met en perspective le sens
ultime de la vie donnée dans une philosophie par une autre
forme philosophique pouvant appartenir à des cultures très
différentes. Surtout, elle questionne d'une façon
ininterrompue l'ordre du monde, le sens de l'existence, le
problème du bonheur, de la vérité, de la souffrance et de la
joie.
La méthodologie complètement liée et opératoire par
rapport à la problématique de l’approche transversale est
celle de la recherche-action que j’ai modulée, au fil des
ans, en fonction de l’approfondissement de mon intérêt de
connaissance sur le sens de la vie éclairée par la poésie
(Barbier, 1977, 1996).
L’écoute sensible relève d’une « philosophie de
l’expérience » telle que nous en parle, si justement, Pierre
Hadot, à partir de sa haute connaissance de la philosophie
grecque. Une fois de plus, à travers lui, nous pouvons
discerner les analogies plus ou moins subtiles de certains
courants de cette pensée avec celles, traditionnelles, de
l’Inde ou de la Chine.
Les Sciences de l’éducation ne sont pas très réceptives à
cette approche trop fortement multiréférentielle et
complexe, un peu loin du regard monodisciplinaire qui se
cache derrière les déclarations de principe sur la
multidisciplinarité scientifique. Mais certains de ses
représentants ne sont pas fermés a priori et permettent
quelques ouvertures, qui se sont traduites, pour moi ces
dernières années, par des directions de thèses de jeunes
chercheurs épris d’aventure épistémologique et
d’interculturalité (Choi (1999), Abras, 2000, Kim (2000),
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