LES SOINS SANS CONSENTEMENT : MISSION DU MEDECIN

Institut d'études politiques de Toulouse
LES SOINS SANS CONSENTEMENT :
MISSION DU MEDECIN,
OFFICE DU JUGE ET
MAIN VISIBLE DE L'ETAT
Mémoire préparé sous la direction de M. Xavier BIOY
Présenté par M. Vincent LEJEUNE
Année universitaire 2014/2015
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Table des matières
INTRODUCTION : La raison d'être de ce mémoire : souvenirs préfectoraux et hypothèses
de départ.................................................................................................................................3
1 L'histoire des soins sans consentement est celle d'une judiciarisation à petits pas.............5
1.1 De l'embastillement des insensés aux soins sans consentement : présentation
historique...........................................................................................................................5
1.2 Le mission de maintien de l'ordre public du représentant de l’État face à une
judiciarisation croissante.................................................................................................10
1.2.1 La saisine du juge des libertés et de la détention...............................................10
1.2.2 Une participation du représentant de l’État fragilisée........................................11
1.2.3 Une action préfectorale encadrée par le juge.....................................................13
1.3 Les soins sans consentement, une rétention sécuritaire parmi d'autres ?..................16
1.3.1 Soins sans consentement et peine incompressible.............................................16
1.3.2 Soins sans consentement et rétention de sûreté.................................................17
1.3.3 Soins sans consentement et suivi socio-judiciaire des délinquants sexuels.......19
2 Le psychiatre, nouvel agent médico-social de l’État du soin sans consentement.............22
2.1 Les soins psychiatriques : perceptions, réalités et organisation................................22
2.1.1 Les malades mentaux dans la société.................................................................22
2.1.2 L'organisation des soins psychiatriques.............................................................24
2.1.3 Les soins psychiatriques en chiffres...................................................................26
2.2 Le principe du consentement.....................................................................................28
2.2.1 Du paternalisme médical à l'autodétermination du patient : développement du
consentement dans la pratique médicale.....................................................................28
2.2.2 Les implications de la théorie du consentement................................................31
2.3 Les soins sans consentement : réforme libérale ou contrôle psycho-social
dissimulé ?.......................................................................................................................34
2.3.1 Les soins sans consentement se sont ouverts au progrès de la médecine..........35
2.3.2 Le médecin risque-t-il de devenir un agent de contrôle médico-social de l’État ?
.....................................................................................................................................38
CONCLUSION : Les soins sans consentement, une révolution à petits pas.......................41
BIBLIOGRAPHIE...............................................................................................................43
Avertissement au lecteur : quand leur origine n'est pas explicitée, les articles de loi et de
règlement mentionnés sont issus au Code de la santé publique.
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INTRODUCTION : La raison d'être de ce mémoire :
souvenirs préfectoraux et hypothèses de départ.
Affecté au cabinet d'un préfet de département le temps d'un été, l'auteur a été confronté
à deux reprises à la problématique des soins sans consentement.
Mme X., victime de troubles mentaux, a commis un meurtre. Celle-ci était passée
plusieurs mois en unité pour malades difficiles (UMD) avant d'en ressortir, les médecins
estimant à cette époque que son état était suffisamment stable pour passer en soins
ambulatoires. Cinq mois plus tard, elle poignarda une personne à mort. Char par le
directeur de cabinet du préfet de faire une note sur la trajectoire de Mme X. (et plus
particulièrement les modalités de sa sortie d'UMD), l'auteur avait conclu que
« L'admission, le maintien, l'allègement et la fin de l'hospitalisation sans consentement de
Mme X. s'est fait dans le strict respect de la loi et des nombreux contrôles médicaux qu'elle
exige. » Étrange moment que celui il fallut admettre que la légalité, parfaitement
respectée, n'a pu empêcher ce fait tragique.
M. Y. a mena de se jeter du toit d'un immeuble. Resté à son sommet pendant une
dizaine d'heures, le directeur de cabinet du préfet s'est rendu sur place pour rencontrer les
personnels de sécurité et prendre part aux négociations. Une fois convaincu de renoncer à
son geste, M. Y. a été placé en hospitalisation sans consentement. Moins d'un mois plus
tard, le psychiatre le prenant en charge en recommande la levée. Convaincu qu'une
libération si précoce entraînerait quasi-inévitablement une récidive, le directeur de cabinet
charge l'auteur d'une note présentant l'ensemble des obstacles légaux que le représentant de
l’État peut opposer à cette recommandation. Le constat est sans appel : le représentant de
l’État ne peut qu'exiger une seconde consultation, par un autre psychiatre, qui lie la
décision du préfet de main-levée de l'hospitalisation sans consentement s'il aboutit aux
mêmes conclusions.
Le jargon employé au sein de la préfecture, adepte des acronymes, se réfère très
souvent aux « HO » hospitalisation d'office terminologie pourtant obsolète depuis
20111 (mais plus commode à prononcer que « SSC » soins sans consentement). Cela
pouvait donner quelque part l'impression que la nouvelle réforme n'avait peut-être pas
1 Loi 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de
soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
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encore déployé toutes ses potentialités, ou n'avait pas achevé de transformer les esprits à la
hauteur de ce qu'elle prétendait.
La décision de consacrer le présent mémoire est issu de ces expériences. L'auteur a
entrepris ses recherches avec l'idée initiale de raconter l'histoire de la judiciarisation des
soins psychiatriques obligatoires dont la procédure échappe de plus en plus au représentant
de l’État en tant que garant de l'ordre public (art. L2215-1 CGCT). Comme le lecteur
pourra le constater à travers les développements suivants, la conclusion finale diverge de
ce postulat initial qui avait coupablement négligé le psychiatre et la portée sanitaire des
soins sans consentement. En effet, comme l'avait souligné Guy Lefrand2 en 2011, « il
convient de bien mesurer toutes les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel3
[…]. Cette évolution est indispensable mais elle nécessitera, pour être effective […], une
mobilisation très importante des équipes soignantes et des juridictions. »
L'histoire des soins psychiatriques forcée est celle d'une judiciarisation à petits pas
(1.), due à une portée sanitaire de plus en plus prégnante, bien qu'elle comporte un risque
de contrôle social (2.).
2 Assemblée nationale, Rapport n°3189 relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de
soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, 2 mars 2011.
3 Décision n° 2010-71 QPC du 26 nov. 2010.
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1 L'histoire des soins sans consentement est celle d'une
judiciarisation à petits pas.
Le chemin parcouru depuis l'internement des aliénés (1.1) moigne d'une
judiciarisation des soins sans consentement (1.2) qui rend tentante la comparaison avec
d'autres formes de rétention de sûreté (1.3).
1.1 De l'embastillement des insensés aux soins sans
consentement : présentation historique.
« N'est-il pas important pour notre culture que la déraison n'ait pu y devenir objet de
connaissance que dans la mesure où elle a été au préalable objet d'excommunication? »
[Michel Foucault]
Sous l'Ancien Régime, les malades mentaux étaient enfermés par des lettres de cachet,
dans des tours l'on entassait fous et insensés. A cette époque, le procureur général ou un
baillage de commune suffisaient à mettre en œuvre ces internements.
Dans certaines régions, des maisons spéciales hébergeaient des « insensés4». Si les
familles versaient une pension, les « insensés » contribuaient aussi à l'effort financier en
participant notamment aux travaux de la ferme. Ainsi, ils étaient toujours enfermés, mais
au moins ils étaient gardés tout en subvenant eux-mêmes à une partie de leurs besoins.
Michel Foucault a consacré sa thèse de doctorat5 sur les débuts de la mise en place des
soins psychiatriques. En 1656 est fondé un « hôpital général » qui servira de lieu
d'internement des fous, mais aussi des pauvres et des criminels, qui sera à la fois un lieu
d'enfermement et de charité. Par la suite se sont multipliés les lieux réservés aux seuls fous,
comme l'Hôtel-Dieu en France ou Bethlem à Londres réservé aux « lunatics ». Mais hors
de l'Europe, il existait déjà des centres spécialisés à l'hébergement des aliénés à Fez au
VIIe siècle, à Bagdad au XIIe siècle et au Caire au XIIIe siècle.
Foucault a ensuite analysé les travaux de Philippe Pinel et Samuel Tuke et leur
tentative de traitement des fous. On retrouve chez ces deux médecins l'idée de punir les
individus jusqu'à ce qu'ils se comportent comme il faut, à travers notamment l'usage de
4Aliénistes et psychologues en Seine-Inférieure de la Restauration au début de la IIIe République. Essai
d'histoire de la médecine mentale comme « science » de gouvernement au XIXe siècle dans la région de
Rouen (1825-1908), thèse de doctorat dirigée par Yannick MAREC, 2009.
5 Michel FOUCAULT, Folie et Déraison. Histoire de la folie à l'âge classique, 1976.
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