Médias électroniques
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donc pas valeur de sondage général sur
toutes les catégories d’internautes, souligne
Andrew DeVigal, membre de l’Institut
Poynter spécialisé dans le journalisme sur
Internet et co-directeur de l’enquête. Si
nous avions choisi d’étudier un échantillon
plus large, nous aurions perdu en précision.
Nous voulions voir comment les gens
habitués à l’information en ligne la consul-
taient », explique-t-il dans un article
consacré à ce sujet sur le site Editor &
Publisher Online.
Principal instrument de l’enquête
Stanford/Poynter : une mini-caméra dotée
de logiciels spéciaux, fixée sur la tête de
chaque participant et chargée de suivre le
regard de l’internaute en train de se poser
sur tel ou tel endroit de la page affichée à
l’écran de l’ordinateur.
Cette caméra a notamment enregistré
les instants où les yeux de l’utilisateur se
fixaient sur une partie de la page (la pé-
riode de « fixation » devant durer au moins
un dixième de seconde, temps nécessaire
au cerveau pour appréhender une informa-
tion). En tout, et pour donner une idée de
l’ampleur des données récoltées, les cher-
cheurs ont enregistré pas moins de 608 063
« eye fixations ».
Avant l’invention de cette mini-ca-
méra sophistiquée qui a permis le lance-
ment de l’étude en décembre 1998, de
semblables enquêtes sur les méthodes de
lecture des internautes avaient été menées
depuis 1996 par l’Université Stanford, mais
elles n’avaient pour matière première que
des enregistrements vidéo : les « cobayes »
étaient simplement filmés chez eux ou au
bureau. Autant dire que les résultats obte-
nus ne pouvaient pas être très précis.
Les contenus des articles
lus dans leur quasi-totalité
Une fois ces nouvelles données mises
en relation avec le contenu des pages visi-
tées par les participants – auxquels il était
demandé de consulter l’actualité en ligne
comme ils en avaient l’habitude et selon
leurs envies – et le nombre de clics sur la
souris de l’ordinateur, les chercheurs ont pu
dégager plusieurs faits marquants.
Tout d’abord, à l’inverse des lecteurs
qui, en dépliant leur journal, sont immé-
Sur un site d’information, vers
quel élément se dirigent en pre-
mier les yeux des internautes ?
Vers les photos, les graphiques et
autres illustrations spécialement
placés sur la page d’accueil et
censés rendre le site plus
attractif ? Pas du tout. La majorité
des « aficionados » de l’actualité
en ligne fixent leur regard en pre-
mier lieu sur le texte. Et, tout au
long de la connexion, le contenu
reste déterminant dans leur navi-
gation. C’est ce que révèle une
étude, baptisée « Eyetrack 2000 »
et menée aux Etats-Unis par l’Uni-
versité de Stanford (Californie) et
l’Institut de recherches Poynter
(Floride). Elle ouvre, pour les
concepteurs de sites, plusieurs
pistes intéressantes.
Certes, on savait déjà, plus ou moins
obscurément, que le comportement de l’in-
ternaute surfant sur un site d’actualité était
différent de celui du lecteur face à l’édition
papier de son journal. Mais savait-on
précisément en quoi ? L’étude Stanford/
Poynter vient, à ce sujet, nous apporter
d’importants débuts de réponse.
Précisons d’emblée que cette enquête
a été menée sur un public ciblé, composé
de 67 personnes (34 à Chicago et 33 à St
Petersburg) sélectionnées en fonction de
leur intérêt pour l’actualité en ligne (toutes
consultant trois fois par semaine au moins
un site d’information). « Cette étude n’a
diatement attirés par les photos, les inter-
nautes, lorsqu’ils se connectent à un site,
dirigent leur regard automatiquement vers
le texte, et plus précisément sur les titres,
les brèves et les légendes. Leurs yeux ne
font que glisser sur – autrement dit, igno-
rent – photos, graphiques et autres images.
L’étude a montré que la plupart du temps,
les participants ne s’arrêtaient sur les
photos qu’après avoir cliqué sur un titre, lu
l’article correspondant, et être revenus sur
la page précédente.
Autre fait notable : le regard des
internautes a parcouru quasi systématique-
ment plus de 75 % de la longueur des arti-
cles sélectionnés par eux.
« Quand on y pense, ces conclusions
sont logiques », analyse Steve Outing, spé-
cialiste du Web, éditorialiste sur le site Edi-
tor § Publisher, et qui s’est longuement
penché sur cette étude. « Sur un écran d’or-
dinateur, les photographies ne sont pas de
très bonne qualité et elles sont longues à
charger. (NDLR : les ordinateurs utilisés
pour cette expérience bénéficiaient de
connexion à haut débit. Les images appa-
raissaient donc en même temps, ou
presque, que le texte. Mais, souligne Steve
Outing, les participants étaient sûrement
conditionnés par leur habitude à voir les
images se charger lentement). Par consé-
quent, les gens sont attirés par le texte.
D’autre part, ceux qui vont sur le Web uti-
lisent davantage ce nouveau média pour
rechercher quelque chose de précis que
pour surfer au hasard. Sur un site, un sim-
ple titre ou un lien hyper-texte peut vous
conduire à lire un article. Les choses se
passent différemment avec un journal ou
un magazine : assis dans un confortable
fauteuil, vous feuilletez le produit, plus ou
moins à la recherche de sujets susceptibles
de vous intéresser, et c’est une photogra-
phie qui peut vous donner envie de lire le
texte correspondant. »
« En fait, conclut Steve Outing, les ré-
sultats de l’étude de l’Institut Poynter et de
l’Université Stanford confirment ce qu’on
oublie souvent : à savoir qu’Internet est un
nouveau média et que les gens vont l’utili-
ser autrement. Nombreux sont ceux qui,
parmi les éditeurs multimédia, s’accrochent
encore aveuglément à la « culture de la
Une étude originale sur l’écriture du Web
Le texte, plus fort que l’image
Damienne Gallion juillet/août 2000 techniques de presse
Les participants à l’étude « Eyetrack 2000 » portaient
sur leur tête une mini-caméra très perfectionnée qui a
enregistré tous les mouvements de leur regard.
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chose imprimée ». Or, pour lancer des sites
sur le Web, il faut absolument se débarras-
ser de cette façon de penser. »
A la lumière des premiers résultats de
cette recherche, les auteurs de l’étude esti-
ment eux aussi qu’il est nécessaire pour les
créateurs de sites de changer rapidement de
politique iconographique. Agrandir la taille
des différents types d’illustrations pour at-
tirer l’attention de l’internaute n’est pas la
solution, affirment les auteurs. Selon eux,
il faudrait désormais songer à placer sur
les sites d’information des photographies
originales, fortes, voire spectaculaires. Les
chercheurs vont jusqu’à conseiller aux
intéressés de recruter dans leur équipe des
personnes spécialement formées à cette
tâche. Ce qui, pour l’heure, n’est que très
rarement le cas.
Le cas particulier
des bannières publicitaires
Si les photos accrochent moins que le
texte l’attention des internautes, il en va de
même pour la publicité affichée sur les sites
d’information. Selon les statistiques éta-
blies par l’étude, elle est encore moins re-
gardée que les photos.
Il faut cependant noter que les ban-
nières publicitaires, par rapport aux sim-
ples images promotionnelles (et notamment
les « tile ads », petits carrés publicitaires),
tirent leur épingle du jeu. Par ailleurs,
l’étude a déterminé que le temps moyen de
« fixation » du regard de l’internaute sur ces
bannières est d’une seconde. Les chercheurs
considèrent néanmoins que ce temps est
suffisant pour « percevoir » une publicité.
Ils conseillent donc aux annonceurs qui
choisissent des bannières animées de faire
toujours apparaître le nom de la marque.
Sinon, les internautes risquent de n’aperce-
voir que le produit !
Les sites généraux plus prisés
que les sites spécialisés
Les chercheurs se sont également in-
téressés aux différents types de sites d’ac-
tualité que les participants choisissaient de
consulter. Il est apparu notamment qu’une
grande partie d’entre eux (40 %) commen-
çaient leur session Internet en se connec-
tant au site de leur journal local, tandis que
moins d’un tiers se rendaient d’abord sur
un site national (NYTimes, Washington-
post, ABCNews…). L’étude a également mis
en évidence une préférence des internautes
pour les sites d’information générale par
rapport aux sites spécialisés (exemples :
CNNfn, site d’informations financières;
ESPN, site consacré aux sports ; Zdnet, site
dédié à l’informatique et au multimédia…).
Les limites de la personnalisation
Dans le même ordre d’idées, les cher-
cheurs ont constaté que les internautes fé-
rus d’information qui avaient dans un pre-
mier temps adopté la formule des nouvelles
personnalisées (les « customized news »
proposées par exemple par MyYahoo or
MyNetscape) l’avaient par la suite plus ou
moins abandonnée. « Ils craignent de man-
quer quelque chose d’important » expli-
quent les chercheurs, en soulignant : « Les
lecteurs d’actualité en ligne s’intéressent au
monde en général, et ne se focalisent pas
seulement sur leurs intérêts personnels. »
Ce qui se traduit en pratique par un nom-
bre important de sites visités en une seule
session (6 en moyenne en une demi-heure)
et par une navigation tous azimuts, les
sites proposant de nombreux liens rempor-
tant un succès certain.
Enfin, dernier enseignement tiré de
cette étude, plus technique, mais encore
une fois étonnant et instructif : la plupart
des personnes observées ont fréquemment
utilisé la commande « back » et la barre de
navigation verticale (qui fait défiler la
page). Voilà une donnée qui pourrait aider
les concepteurs de sites dans le choix qui
se présente constamment à eux : présenter
le contenu sur de longues pages « dérou-
lantes » ou concevoir de plus courtes pages,
mais qui obligent les internautes à cliquer
plus souvent.
A la lecture des résultats de cette
étude, les journaux présents sur Internet
vont-ils changer de stratégie ? « Certains
nous disent que oui, tandis que d’autres re-
fusent nos conclusions et prétendent
qu’elles sont erronées, raconte Marion Le-
wenstein, professeur en communication à
l’Université Stanford et principale initia-
trice du projet. Mais pour l’instant, nous
avons encore trop peu de retours pour dire
quoi que ce soit. En plus, notre étude est
encore loin d’être finie, nous n’avons pas
terminé d’analyser toutes les données re-
cueillies. Une chose est sûre : une fois que
cela sera fait, j’aimerais poursuivre cette
enquête sur un échantillon plus large. » <
(Pour tout renseignement sur l’étude
Stanford/Poynter : http://www.poynter.org).
techniques de presse juillet/août 2000 Damienne Gallion Medias électroniques
>Principaux résultats et chiffres clés
de l’étude Stanford/Poynter
Les 67 personnes étudiées ont surfé sur 211 sites d’actualité (presque
6000 pages au total) pendant 40 heures en tout.
Durée moyenne d’une connexion : 34 minutes.
Nombre moyen de sites visités pendant une connexion : 6.
Parmi les conclusions de l’étude :
Ont été vus par les internautes : respectivement 92 % et 82 % des articles
et brèves présentés sur les pages sélectionnées, 64 % des photos, 45 % des
bannières publicitaires, 22 % des autres types de publicité, 22 % des
graphiques.
Chaque article, ou presque, est lu en moyenne à 75 % de son contenu.
40 % des personnes se sont rendues, en premier (c’est-à-dire au début de
leur temps de connexion) sur le site de leur journal local ; 28 % sont allés sur
un site national ; 8 % sur un site spécialisé ; 9 % sur un portail.
80 % des participants lisent les faits divers et 70 % les nouvelles sportives
(les femmes arrivent dans ce domaine à égalité avec les hommes, mais elles
consacrent moins de temps qu’eux à ce type de consultation).
Temps maximum passé sur un site d’informations générales : 46 minutes.
Temps maximum passé sur un site d’informations spécialisées : 20
minutes.
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