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Repas Essence Hotel
Examinée sous l’angle de la mobilisation des ressources, cette abrupte interruption du pouvoir est sans doute la
faillite la plus effective de l’entrepreneur politique. La neutralisation de l’ancien président est immédiate
politiquement, économiquement et très souvent physiquement. Coupé du contrôle physique de ses ressources,
aucune stratégie ne peut être mise en place immédiatement. La captation du capital, quelle que soit son importance,
est automatique et l’entrepreneur se voit réduit à gérer un stock de ressources, soit nulles, soit entièrement
inutilisables dans le nouveau contexte, quelle que soit la taille du stock accumulé. L’exemple de Jean-Bedel
Bokassa, aussi démesuré qu’il puisse être, est sur ce point édifiant. Craignant de subir lui aussi le sort de Fulbert
Youlou (Congo), il avait ponctionné de façon phénoménale les richesses de la République centrafricaine, en plaçant
son argent dans des sociétés agricoles, commerciales et industrielles installées à Bangui et à Berengo. Il avait
également ouvert divers comptes en France et en Suisse (15). Il possédait une fabrique de disques, un atelier pour
ustensiles de cuisine, des marchés de café… Il contrôlait l’exploitation de l’ivoire, les sociétés minières Diadème,
Diafin ou Sicamine, l’exploitation de caféiers, d’hévéas… Enfin, restaurants, quincailleries, pharmacies, garages,
immeubles commerciaux et autres compagnies aériennes constituaient son capital (16). Pourtant rien de tout cela
n’a résisté au retour au pouvoir de David Dacko qui lui a confisqué tous ses biens, à part ses deux châteaux
français où vivent encore sa femme Augustine et ses enfants, ainsi que son fils aîné, Georges (17). C’est donc dans
la plus grande pauvreté qu’il a rejoint son palais de Berengo vidé de ses meubles par une vente aux enchères et de
ses documents compromettants par les services de renseignements français (18).
La difficulté la plus grande qui se pose à un Président victime d’un coup d’État est la vitesse de réalisation des
événements qui le mettent souvent “échec et mat” avant qu’il ait le temps de réfléchir à un coup. Pourtant, cet arrêt
brusque dans la carrière d’un président n’est pas donné une fois pour toutes. Il apparaît sur un total de quatre-
vingt-six coups d’État que huit présidents ont été assassinés pendant l’événement, huit ont été exécutés
ultérieurement, trente ont été mis en détention, trente-huit se sont exilés (cinq étaient déjà à l’étranger lors des
événements), dix ont pu se reconvertir dans un autre domaine, cinq se retirer de toute vie publique et enfin dix-neuf
sont revenus sur la scène politique dont cinq à la magistrature suprême.
Ainsi, sans stopper de façon automatique une carrière postprésidentielle, un coup d’État entrave
considérablement la liberté d’action d’un entrepreneur et réduit proportionnellement ses choix. L’exil reste un
réflexe sécuritaire pour ceux qui, en quittant le pouvoir, ont perdu une ressource institutionnelle fondamentale pour
sa survie : l’usage des forces de coercition. L’emprisonnement est lui aussi très fréquent, car de la neutralisation du
chef d’État dépend souvent la réussite du coup d’État. Mais les chiffres montrent que d’autres “retraites” s’ouvrent
aux anciens présidents. Nous y reviendrons dans la deuxième partie.
Les assassinats
C’est le même processus de neutralisation de l’entrepreneur politique qui se met en place lors des assassinats.
Nous avons déjà compté huit présidents décédés pendant des coups d’État réussis, deux pendant des coups avortés.
Mais les assassinats présidentiels ne marquent pas forcément la fin du régime en place. Le meurtre du général
Murtala Mohammed le 13 février 1976 au Nigéria au cours d’une tentative de coup d’État n’a pas provoqué la
chute du Conseil militaire suprême, pas plus que celle de Marien Ngouabi en mars 1977 n’a mené à la dissolution
du Parti congolais du travail (PCT). En prenant donc en considération cet autre cas de figure, ainsi que les
“accidents” d’avion ou autres qui apparaissent dans les représentations populaires comme de véritables assassinats
- Samora Machel par exemple (19) -, le nombre des chefs d’État africains assassinés s’élève à dix-sept.
La caractéristique de ces cas d’alternance politique réside dans la nature symbolique des ressources qu’ils
produisent. Indéniablement, l’élimination physique d’un Président, fut-il sorti du pouvoir, se répercute sur
l’imaginaire populaire, que ce soit de façon productive ou contre-productive. Autant par exemple le meurtre du
libérien Samuel K. Doe renforça par sa violence la valeur des ressources coercitives de son commanditaire, autant
l’assassinat de Sylvanius Olympio (Togo), de François Tombalbaye (Tchad) ou de Thomas Sankara (Burkina)
rejaillissent de façon contre-productive sur le pouvoir en place (20). A tel point qu’aujourd’hui les fils de S.
Olympio et de F. Tombalbaye sont dotés de ressources de légitimité “héréditaire”, en quelque sorte, très utiles pour
renforcer leur carrière politique (21). On assiste alors au transfert, à “l’héritage” des ressources du père,
revalorisées par sa mort, vers son fils.
Les lieux de sépulture clandestine choisis par le nouveau gouvernement vont tout à fait dans le même sens.
Ainsi, au Tchad, ce n’est que sur les recommandations de la Conférence nationale en 1993, soit dix-huit ans après
son décès, que les restes de F. Tombalbaye ont été exhumés près de l’aéroport de Faya-Largeau où, craignant que
les pèlerinages ne s’organisent autour de son tombeau, le Conseil supérieur militaire l’avait transporté
clandestinement (22). Le corps de T. Sankara a été jeté dans une fosse commune. En dehors de notre corpus, les
ossements de l’empereur Haïlé Sélassié furent découverts le 16 février 1992 sous le bureau de l’ancien président H.
Mengistu à trois mètres sous terre là où il avait été enterré en secret dans la nuit du 27 août 1975. Déposé par des