
05
AU SUD DU SAHARA - N°1 LA LETTRE DU DÉPARTEMENT AFRIQUE SUBSAHARIENNE DE L’AFD
Malgré plusieurs années de croissance atone
voire de récession durant les années de
crise les plus sombres, la Côte d’Ivoire conserve
un poids économique important en Afrique de
l’Ouest. Deuxième économie derrière le géant
nigérian en termes de PIB, elle devance toujours
ses deux concurrents, le Ghana et le Sénégal.
Plus de 50% des exportations agricoles de la
sous-région sont ivoiriennes et le pays accueille
plus des deux tiers des industries régionales. Ain-
si, aux pires moments de la crise, les autres pays
ont dû trouver des palliatifs aux blocages liés aux
péripéties ivoiriennes.
UNE CIRCULATION DES HOMMES,
DES BIENS ET DU CAPITAL
CONTRAINTE PAR LA CRISE
Depuis 2002, date de la scission du pays, on es-
time à 360 000 le nombre de burkinabés rentrés
au pays (10% des travailleurs installés en Côte
d’Ivoire). Il est difficile de quantifier la perte de
ressources en termes de transferts financiers
(remises de migrants) occasionnée par ces mi-
grations, tant la part des flux informels est impor-
tante. En revanche, ces mouvements de popula-
tions ont déjà un effet sur la densité des régions
d’accueil et y renforcent les tensions foncières,
sociales et économiques 1.
La crise ivoirienne a également affecté les échanges
commerciaux au sein de l’Afrique de l’Ouest. Non
seulement parce que le pays est une terre de des-
tination pour les exportations des pays voisins
et une terre d’origine pour les importations (les
importations du Burkina Faso en provenance de
Côte d’Ivoire représentent presque 20% des im-
portations totales de ce pays selon les données
sur le commerce formel), mais également parce
que la Côte d’Ivoire est un chemin d’accès vers ou
depuis le reste du monde pour les pays enclavés
que sont le Burkina Faso, le Mali ou le Niger. Ceux-
ci ont ainsi été contraints de trouver des voies
de contournement, lors de la coupure physique
du lien avec Abidjan et le Golfe de Guinée. Les
ports de Téma, de Lomé et de Dakar ont alors
servi de débouché, mais au prix d’une hausse des
coûts de transaction, ce qui a renchérit le coût
des échanges intra-régionaux et avec le reste du
monde. Egoume et Nayo (2011)2 montrent ainsi
que la crise ivoirienne s’est traduite par une baisse
du potentiel commercial de l’UEMOA. Pour la
seule Côte d’Ivoire, ils estiment à 40% la perte des
échanges avec l’UEMOA occasionnée par la crise.
Au paroxysme de la crise, le Trésor ivoirien était
le premier émetteur sur le marché monétaire
régional, avec un encours de près des deux tiers
des bons du Trésor détenus par les banques de la
région, soit 600 milliards de FCFA. Les banques du
Bénin, du Sénégal et du Burkina Faso, en sus des
banques ivoiriennes, étaient alors exposées, avec
environ 15% de l’encours détenu par les banques
dans chacun de ces trois pays. Une crise persis-
tante aurait créé une accumulation d’impayés sur
les titres publics ivoiriens et une désorganisation
du marché monétaire et financier de l’Union.
Des mécanismes de refinancement, en accord
avec la banque centrale (BCEAO), ont permis de
rééchelonner les bons et les obligations du Trésor
ivoirien. De même, les banques de l’Union ont bé-
néficié d’une injection importante de liquidités de
la BCEAO pour pallier la fermeture des banques
commerciales privées en Côte d’Ivoire de février
à fin avril 2011.
MAIS QUELS LIENS AVEC LES
PERFORMANCES DE CROISSANCE ?
Les stratégies de contournement, de nouvelles al-
liances et l’existence de solutions alternatives ont
sans doute permis aux économies de la région les
plus liées avec l’économie ivoirienne et poten-
tiellement les plus fragiles d’éviter d’être aspirées
par le marasme économique ivoirien. On pourra
ainsi constater que le Burkina Faso, dont les rela-
tions économiques avec la Côte d’Ivoire sont sans
doute les plus étroites au sein de la région, est
finalement le pays de l’UEMOA qui a connu les
meilleures performances de croissance ces der-
nières années. Performances qui le rapprochent,
selon le FMI, des meilleurs performeurs d’Afrique
subsaharienne3. En 2001, le pays réalisait 6,6% de
croissance alors que l’économie ivoirienne sta-
gnait ; en 2003, il réalisait 7,8% de croissance alors
que le PIB ivoirien se contractait de 1,7%. Le Mali,
autre économie fortement liée à la Côte d’Ivoire,
suit juste derrière en termes de performances
macroéconomiques au cours de ces dix dernières
années. Est-ce à dire que la croissance entre les
pays de la région n’est pas liée, sûrement pas, une
analyse quantitative serait nécessaire. Et nous ne
mesurons pas encore l’impact régional de cette
nouvelle crise de 2011, bien plus profonde que les
crises passées (les dernières prévisions tablent sur
une récession de 5,8%).
Et puis, sans aucun doute, une reprise vigoureuse
de l’économie ivoirienne ne pourrait avoir qu’un
effet positif d’entrainement sur la région. Une re-
lance de l’activité économique par une poussée
de la demande intérieure ivoirienne conduirait les
entreprises à créer davantage de richesses dans la
région. Le niveau des recettes fiscales afficherait
ainsi une meilleure position, permettant la mise
en œuvre de véritables programmes d’investisse-
ment, dans les infrastructures notamment, dont
l’ensemble de la région pourrait tirer des bénéfices.
Il convient ainsi d’identifier les secteurs d’intégra-
tions fortes, permettant aux économies régionales
d’être complémentaires et non dépendantes. Cela
passe avant tout par une volonté politique, moné-
taire et financière affirmée. Les bailleurs sont aux
côtés des Etats et des institutions pour financer les
meilleures synergies de développement régional.
Les économies sous-régionales
et la crise ivoirienne
La Côte d’Ivoire accueille plus de sept millions de ressortissants étrangers, soit 35% de sa population totale,
en provenance des pays frontaliers. Cette proportion dit à elle seule le rôle central que joue le pays dans les dynamiques d’échanges
en Afrique de l’Ouest. La crise ivoirienne a-t-elle changé la donne ?
2/3
des Bons du Trésor détenus par les
banques de l’UEMOA sont ivoiriens.
1 F. Courtin, F. Fournet, P. Solano, : “La crise ivoirienne et les migrants
burkinabés”, Afrique contemporaine n° 236, pp. 13-26, 2011
2
P. Egoumé-Bossogo, A. Nayo : Feeling The Elephant’s Weight:
“The Impact of Côte d’Ivoire’s Crisis on WAEMU Trade”, Avril 2011 ;
IMF, Working Paper
3
Perspectives économiques régionales, FMI, octobre 2010
CROISSANCE COMPARÉE
DES PIB AU BURKINA, MALI ET RCI
DEPUIS 10 ANS
-10
-5
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011
(prev)
0
5
10
15
Burkina Faso Mali RCI
emmaNuelle roumÉgous ÉCONOMISTE
AU DÉPARTEMENT AFRIQUE SUBSAHARIENNE DE L’AFD
oumar sylla CHARGÉ DE PROJETS À L’AGENCE
AFD D’ABIDJAN
LE DOSSIER DÉFIS ET ENJEUX DE LA RELANCE IVOIRIENNELE DOSSIER