sieurs sources. Comparée aux interprétations devancières,
par trop étroitement orogéniques et éloignées de toute véri-
fication (Birot, 1958), la théorie globale présente le mérite
de posséder un sens aigu de l'organisation géographique. De
manière systématique, les formes du terrain sous-marin sont
replacées à l'intérieur de l'espace continu allant des lieux de
leur naissance (l'amont divergent des plaques) aux lieux de
leur disparition par recouvrement sous les pélagites, nivelle-
ment sous les turbidites ou engloutissement dans les fosses.
Classées en séries génétiques, elles composent des succes-
sions d'unités, dûment datées et insérées dans des ensembles
plus vastes et strictement ordonnés. Dans le champ géomor-
phologique, pour la première fois conçu de manière unitaire,
une perspective évolutionniste commune est ouverte depuis
les fonds mobiles des cuvettes océaniques jusqu'aux "seg-
ments continentaux" solidairement associés à l'intérieur des
frontières morphogéniques des plaques. La détermination
simultanée d'une cause et d'un parcours morphologiques
propose un règlement et une explication aux deux pro-
blèmes du pourquoi et du comment des reliefs, jusque-là
traités de manière séparée.
Des lois
Les constats multipliés dans l'ensemble du globe ont permis
de faire apparaître par induction qu'existaient entre les reliefs
des rapports nécessaires, des corrélations évidentes, des liens
de causalité suffisamment constants pour être identifiables
sous la forme de lois. L'appellation doit être employée avec
les précautions d'usage comme deux exemples le montrent.
Il a d'abord été établi que certaines données bathymé-
triques sont unies par une relation linéaire transcrite par une
courbe, comme le traduit la plus ancienne loi (1971), dite de
Parsons et Sclater, qui s'applique aux reliefs des flancs de
dorsales abaissés graduellement en fonction de l'âge des
compartiments de croûte océanique qui les transportent. La
relation quantifiable qui unit l'immersion à l'âge (au vieillis-
sement) des crêtes latérales décrit une courbe de type hyper-
boloïde, concave vers la surface. Elle chiffre en valeur
approchée l'approfondissement du fond des cuvettes océa-
niques jusqu'à leur niveau plancher (5500-5600 m), celui du
maximum de densité de leur support. La formulation de
cette "loi d'airain" de la géomorphologie océanique découle
de l'analyse mathématique de milliers de mesures bathymé-
triques, toutes corrigées de la dénivellation négative intro-
duite par la surcharge croissante des colonnes d'eau et de
sédiments qui pèsent sur les reliefs à mesure qu'ils vieillis-
sent. L'autre type de relation, plus géomorphologique, pour-
rait être dite "aréale" car elle est traduite sous la forme d'un
schéma d'agencement géographique : par exemple l'organi-
sation des reliefs axiaux de dorsales dont la mise en éléva-
tion et en plan est conditionnée par la vitesse d'expansion
(fig.II.2 in Peulvast et Vanney, 2002). Cette liaison tire son
autorité des rapports fréquemment constatés entre l'arrange-
ment morphologique et la vitesse de création des plaques en
divergence. Les deux formulations, quantitative et qualita-
tive, qui viennent d'être évoquées, décrivent des modes évo-
lutifs qui s'imposent comme des règles à certaines catégories
de reliefs océaniques et que l'expérience vérifie dans la
majorité des cas. D'après la loi de Parsons et Sclater, le plan-
cher océanique s'abaisse par obéissance à la gravité à
mesure que le soutien du flux thermique l'abandonne. Dans
l'autre exemple, les dorsales sont d'autant moins accidentées
qu'elles s'édifient plus rapidement ou, si l'on préfère, l'am-
pleur des dénivellations et l'énergie des reliefs varient en rai-
son inverse du taux d'accrétion (Vanney, 2005). Il importe
cependant de constater que, chiffrées ou non, ces relations
sont à la fois moins et plus que des lois véritables, parce que
l'explication légale n'est encore que rarement quantitative et
formulable. Ainsi la courbe de Parsons et Sclater n'a qu'une
valeur statistique, qui varie en fonction de la vitesse de créa-
tion des dorsales. En revanche, à la différence d'autres lois
physiques, l'explication légale présente l'avantage d'être
aussi causale puisqu'elle fournit une explication sur le com-
portement évolutif de la matière qui porte le relief.
Pour instructives que soient de telles lois morphologiques,
elles restent malgré tout peu nombreuses. Dans des
domaines encore "hors la loi" d'autres relations mériteraient
d'être établies, comme par exemple la loi de l'équivalence,
qui n'est d'ailleurs qu'un postulat approché, selon laquelle
les reliefs créés dans l'axe des dorsales occupent des sur-
faces équivalentes à celles détruites par compensation le
long des frontières en raccourcissement. Parallèlement, l'ex-
périmentation et les modèles numériques pourraient suggé-
rer de nouvelles liaisons, comme celle qui semble exister
entre le taux de démantèlement et de recul des versants
internes des fosses abyssales et la fréquence de passage, la
hauteur et l'angle d'incidence des méga-rugosités qui les
taraudent (Vanney, 2005).
Toutefois, la possibilité apparaît encore éloignée de
pouvoir insérer les reliefs de l'océan dans le tissu continu
des articles d'un code dont les lois, fussent-elles induites
de manière empirique, expliqueraient systématiquement
quelques configurations locales caractéristiques. Par contre,
les phénomènes observés ont été plus aisément intégrables
dans un réseau de principes fondamentaux, qui permettent
d'accéder à un niveau d'explication générale. Il s'agit de pro-
positions provisoires auxquelles le raisonnement morpholo-
gique se réfère implicitement pour comprendre, interpréter
et expliquer l'ordonnancement des reliefs et le déroulement
dans l'espace et le temps des événements morphogéné-
tiques.
Des principes
Le raisonnement en géomorphologie océanique est fondé
sur la prise en considération d'un corpus de cinq principes
rationnels, déclinés en variantes subordonnées et auxiliaires,
plausibles et vérifiables en fonction des circonstances géo-
graphiques de leur application. À beaucoup d'égards, ces
propositions sont contenues en germe dans le premier prin-
cipe dont elles font figure de corollaires. Conçu pour les
reliefs des parties creuses de la planète, cet outillage concep-
tuel vient compléter les "notions de base" formulées, il y a
un demi-siècle, pour ses parties élevées assujetties à l'éro-
sion (Baulig, 1950).
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Géomorphologie : relief, processus, environnement, 2005, n° 2, p. 165-172
Les concepts fondamentaux de la géomorphologie océanique