140 Revue des Sciences Sociales, 2009, n° 42, « Étrange étranger »
lien souvent revendiqué par les acteurs
entre et construction européenne,
espaces frontaliers et Europe. De son
côté, Birte Wassenberg s’eorce de
repérer des moments de prégnance
ou des basculements relatifs entre ces
versions en concurrence, en fonction
des conjonctures, depuis 1975. À cela
s’ajoute également le fait, repéré par les
auteurs, que les perceptions de ce qui
se noue dans le transfrontalier varient
en fonction de cadres nationaux : celui
de la centralisation de l’administration
publique puis de la décentralisation en
France, de l’État fédéral en Allemagne
et en Suisse, ou encore la lecture du
« pont vers l’Union européenne » dans
le cas helvétique. Enn, dans leurs
interactions réciproques, les échelles
des acteurs viennent aussi interagir
avec la dénition de la formu-
lée par les uns et les autres : échelle
régionale, dont le renforcement est
ambitionné, nationale, les États appa-
raissant incontournables pour xer
des accords intergouvernementaux, et
européenne, sachant qu’à mesure de
l’approfondissement de l’intégration
européenne les relations internationa-
les des régions tendent à être perçues
par les institutions communautaires
comme des « aaires intérieures » de
l’Union (Balme 1998, p. 28).
C’est en partant de la diversité de ces
lectures des relations transfrontalières
que B. Wassenberg nous propose une
mise en chronologie, organisée autour
de trois périodes qui s’articulent pro-
gressivement, sans vision mécaniste,
autour d’aspects de continuités et de
ruptures tout à la fois. Pour l’auteur,
elles correspondent schématiquement
à trois temps de la , celui de l’inter-
gouvernementalisme (1975-1982), de
la régionalisation (1982-1991) et de
l’européanisation (1991-2000).
En partant de l’Accord de Bonn de
1975, vu comme la pierre angulaire
initiale de la coopération transfron-
talière entre la France et l’Allemagne
(non sans être revenue sur le Rhin
comme frontière contestée sur la lon-
gue durée), B. Wassenberg expose dans
un premier temps ce qui constitue une
phase d’institutionnalisation de la ,
dans laquelle s’impliquent les États.
Ce retour en arrière sur la genèse de la
coopération institutionnelle – car de
relations transfrontières en réseaux,
en particulier entre villes, il en est déjà
question au Moyen-Âge, si l’on pense
à la Ligue hanséatique ou à la Déca-
pole en Alsace, par exemple – présente
deux intérêts majeurs.
Le premier tient, là encore, à la
restitution de la diversité des inter-
prétations possibles, et produites en
parallèle, de ce qu’est une Euro-région,
grâce à cette densité historique. Trois
principales définitions théoriques
s’avèrent en présence (avec des décli-
naisons possibles bien sûr). La première
renvoie à une proposition de Richard
Balme, selon lequel « l’euro-région est
dénie sommairement comme une
association régionale de coopération
transfrontalière » (Balme 1996, p. 122).
Comme l’explique B. Wassenberg,
« ici, l’existence de l’euro-région est
mesurée au degré de coopération entre
les régions frontalières concernées. Il
s’agit d’une dénition organique où
les euro-régions sont caractérisées
avant tout par leurs membres, deux ou
plusieurs régions » (p. 51). Une autre
dénition correspond à la posture pro-
mue par Karl Deutsch, qui évoque un
« groupe d’unités politiques reliées plus
étroitement entre elles qu’avec n’im-
porte quelle autre » (cité in : Dupeyron,
Kissling & Schall 1999, p. 8). Il est
donc question d’une possible nouvelle
unité politique autonome, au-delà de
la question des limites administrati-
ves des régions existantes. Enn, une
troisième variante est énoncée en ces
termes par Claude Olivesi : « Ni entités
administratives, ni collectivités terri-
toriales de droit communautaire, elles
peuvent, en revanche, être dénies
comme association régionale de coo-
pération transfrontalière cherchant à
promouvoir des relations plus étroites
sur la base de caractères et intérêts
communs » (1996, p. 132). Le point
nodal tient alors en la nalité du pro-
jet : en ce sens, « l’euro-région est un
espace transfrontalier de coopération,
dont le but est d’accroître l’intégra-
tion », note B. Wassenberg (p. 52), qui
montre bien que ces trois approches
sont applicables à l’espace du Rhin
supérieur, en fonction des visions que
l’on véhicule ou promeut.
C’est là le deuxième intérêt de la
lecture historique : l’euro-région appa-
raît clairement comme un processus et
non comme un état, et nécessite donc
une attention aux dynamiques en train
de se faire. L’examen des fondements
possibles à la dans le Rhin supérieur
met en exergue les échanges écono-
miques et de personnes, le sentiment
d’appartenance à un espace de vie com-
mun (ce qui fait sans doute davantage
débat), mais aussi la faiblesse des bases
juridiques transfrontalières. Aussi les
premières coopérations sont-elles
d’abord informelles. B. Wassenberg
les retrace avec minutie, en com-
mençant par les premiers « groupes
de travail Regio » (Regio Basiliensis),
la Conférence tripartite permanente
de coordination régionale, ou encore
l’Association des régions frontalières
d’Europe (ARFE) créée en 1971, et
en pointant une diversité d’initiati-
ves sectorielles souvent peu connues
(banques de données, coopération
économique et culturelle, transports
et environnement…). Avec les années
1970, on entre à proprement parler
dans la phase d’institutionnalisation de
la , notamment à l’initiative du gou-
vernement français, comme contre-
poids à la coopération régionale « par
la base », pour reprendre l’expression
de B. Wassenberg, qui souligne alors,
en même temps que le développement
des réseaux informels précités, la créa-
tion d’un certain nombre d’instances
de coopération « ocielles ». L’Accord
de Bonn du 22 octobre 1975 met en
place une Commission intergouverne-
mentale franco-germano-suisse ainsi
que deux Comités régionaux : l’un,
« bipartite », pour évoquer les ques-
tions bilatérales franco-allemandes, et
l’autre, « tripartite », en charge des pro-
blèmes franco-germano-suisses – le
premier fonctionnant dans la pratique
bien moins que le second.
Une deuxième période s’ouvre en
1982, celle de la au dé d’une nou-
velle régionalisation. Il y est question,
par rapport à l’inuence intergouver-
nementale première de la décennie
1970, de la multiplication d’initiati-
ves des régions-frontières du Rhin
supérieur, à partir du mouvement de
décentralisation amorcé côté français
en 1982-1983. B. Wassenberg examine
en détail ces processus à travers l’orga-
nisation signicative de symposiums