Passion et Art :
La passion n’est-elle pas au fondement de ce sans quoi la vie serait bien fade : c’est-à-dire ici
outre Thalie (Muse de la comédie), Melpomène (muse de la tragédie) ?
La vie ordinaire est décevante et incomplète. Si la vie nous déçoit, c’est parce qu’elle n’a pas
le caractère final de l’œuvre d’art (d’où notre besoin d’art). Ainsi, on peut considérer qu’une
passion nous simplifie. Tristan et Iseult ne vivent que l’un pour l’autre. En concentrant notre
existence autour d’un projet, nous sommes ainsi libérés des contingences ordinaires. Nous
quittons l’existence décevante pour une existence parfaite, avec le sentiment d’être sauvés,
impression de liberté.
L’art ou la feinte passion, N. Grimaldi. Diderot (paradoxe sur le comédien) : le
comédien ne vit pas du tout son personnage, il fait son métier. Il ne se laisse pas envahir par
son personnage. Bergson dans le Rire : vous croyez vraiment que Shakespeare a vécu les
persos d’Hamlet, du roi Lear, de Roméo… ? faut pas être naïf : acteurs = feinte passion.
L’émotion, la P est du côté du spectateur, mais elle est feinte aussi : nous savons très bien
qu’elle n’est pas réelle, c’est une émotion jouée. Même si feinte, elle est essentielle, elle fait
partie de la nature humaine. On aime ça parce qu’on est pas déçu, ça répond à nos fantasmes.
Tout est bien écrit, sans excès, tout se passe comme il faut quand il faut. (voir ma dissert Rire
et larmes)
Il ne s’agit pas pour un génie de mettre de la peinture sur une toile, mais d’y
représenter ses sentiments, sa frustration, ce qu’il est, sa passion. Il a besoin de l’art pour se
réaliser en tant qu’homme, tel Frenhofer – dans l’ouvrage de Balzac Le chef-d’œuvre inconnu
– qui cherche, malgré ses œuvres reconnues et célèbres, à réaliser une œuvre parfaite. Et
lorsque Poussin et Porbus découvrent le chef-d’œuvre dont Frenhofer est si fier, il ne s’agit
que d’un « chaos de couleurs ». Il peut apparaître comme une passion inutile pour les autres
hommes puisqu’il a échoué dans sa recherche du beau, mais il ne l’est pas pour lui, car son
œuvre lui a donné une raison de vivre et un entrain tout particulier. Freud dans son
introduction à la psychanalyse : grâce à l’œuvre d’art, l’artiste rejoint la société (car la P nous
avait retiré de la vie sociale).
Alors que les passions ordinaires sont en esclavage, la passion de l’art, c’est une
passion de la liberté. L’art est la preuve matérielle qu’il y a quelque chose de libre pour la
produire. L’émotion esthétique est perceptible facilement, elle nous stimule et on se demande
pourquoi. On a envie de commenter l’œuvre. Ce besoin de discuter rapproche les hommes.
H.Arendt souligne qu’on sous-estime la fonction politique de l’œuvre d’art.
Il nous faut distinguer le beau du sublime, à l’instar de Kant dans Critique de la faculté
de juger (Livre II, analytique du sublime). Par opposition au beau, qui est fini, le sublime
désigne ce qui nous dépasse. Est sublime ce en comparaison de quoi tout le reste est petit. La
simple beauté de la Zephora éveille en nous une émotion. Le déchaînement de la Grande
vague près de la côte Kanagawa, une estampe d’Hokusai, lui, éveille en nous le sentiment du
sublime, lequel nous permet d’accéder au suprasensible. En somme, dans le sublime, je suis
véritablement confronté à l’infini et la passion tend vers l’infini. Donc ce que recherche la P
dans l’Art est le sublime, cette approche de l’infini.
Hegel, art symbolique : adéquation entre le contenu et la forme est imparfaite et ne
permet pas une représentation suffisante pour stimuler nos P. Equilibre entre la forme sensible
et l’idée dans l’art grec, mais pas révélateur des sentiments humains complexes, de la
souffrance (patior). Art romantique : développement de l’esprit : si la sculpture ne peut
exprimer la concentration de l’esprit, la musique la manifestation extérieure de l’intériorité –
car elle fait résonner l’âme à l’intérieur – la poésie non plus n’est pas suffisante : elle
n’évoque qu’une image imparfaite de la forme corporelle. Pourtant la poésie s’en approchait,
car elle pouvait rendre compte du caractère puissant de la P par le langage. Ex : le poème
Voyage, des Fleurs du Mal, Baudelaire : « Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte !
/ Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, / Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel,
qu’importe ? / Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! ». (révèle le caractère actif de
la P (nouveau). Seule la peinture est en état de réunir esprit et forme visible. Ex : Radeau de la
Méduse de Géricault. De cette toile – qui représente dix-huit corps nus, naufragés de la
Méduse, une frégate de la marine nationale, échouée au large de Cap Blanc – émane une
puissance commune à la passion. Ces corps fatigués tendant leurs bras, cette mer démontée,