C H A P I T R E 3 Fonctionnalités des rivières I Morphodynamique 1 - Les mécanismes naturels d’équilibre Le contexte climatique et géomorphologique détermine la pente des rivières, leurs profils longitudinal et transversal et la granulométrie des fonds. Les processus d’érosion, de transport et de sédimentation résultent de la dissipation de l’énergie cinétique du fluide en mouvement de l’amont vers l’aval, sous l’influence de facteurs hydrauliques (vitesse du courant, hauteur d’eau, débit et régime des crues) et géologiques (pente, dureté de la roche mère, cohésion des matériaux du lit et des berges). Le transport liquide est indissociable d’un transport solide. La rivière reçoit des particules emportées par les eaux de ruissellement sur le bassin, en arrache à ses berges et à son lit, en dépose et en reprend en fonction des gradients de vitesse. Lit et berges sont donc en perpétuel réajustement. Énergie et transport solide La relation entre la pente et la vitesse est donnée par l’équation de Manning : V=kR0.66p0.5n-1 (avec R : rayon hydraulique, p : pente, n : indice de rugosité, k : coefficient dépendant des unités). Le rayon hydraulique R est le quotient de la section mouillée par son périmètre. Si S est la surface mouillée et Q le débit, la relation Q=VS permet d’établir facilement que W = k’SV3. L’énergie de l’eau en mouvement est donc proportionnelle au cube de sa vitesse. L’énergie cinétique est absorbée par la turbulence, les frottements, l’arrachement et le transport des matériaux. On définit la puissance nette comme : Pn = W-(Wfrottement + Wturbulence + Wtransport). Si Pn > 0, la rivière utilise cette puissance pour arracher des matériaux à son lit. Si cette puissance devient négative, la rivière dépose les matériaux qu’elle transporte. Par le jeu de l’érosion et de l’accrétion, la rivière recherche un profil d’équilibre qui minimise l’énergie dépensée. Ph. 14 - Cette clôture atteste du lent déplacement du méandre, facilité ici par l’absence de ripisylve. Le transport des matériaux se fait par charriage (les matériaux sont roulés sur le fond), saltation (les grains sont décollés et retombent un peu plus loin) ou mise en suspension, selon les vitesses du courant et l’adhérence des matériaux. La force nécessaire à la mise en mouvement n’est pas exactement proportionnelle à la granulométrie, les éléments très fins (< 0.2 mm) sont, toutes choses égales par ailleurs, plus difficiles à arracher, mais restent en suspension beaucoup plus longtemps. Une accentuation locale de la pente, suite à un recalibrage, par exemple, se traduit - à débit constant - par une érosion plus active : l’équilibre est rétabli par l’augmentation de la charge solide et de la taille des sédiments transportés. A l’inverse, une diminution de la pente, comme par exemple la présence d’un seuil, déplace le système vers une accrétion : l’équilibre est rétabli par un dépôt de matériaux et une diminution de la taille des matériaux transportés. En cas d’augmentation du débit liquide, lors d’une crue ou d’une ouverture de vanne, l’équilibre est assuré par un entraînement plus important d’éléments grossiers, alors qu’à l’étiage, le flot entraîne moins de sédiments, voire en dépose pour ne conserver en suspension que les plus fins. d’après Lane, 1955 Les mécanismes d’érosion et de dépôt peuvent être figurés par cette double balance dont un bras représente la charge (caractérisée par le débit solide, la masse et la taille des sédiments transportés) et l’autre bras le flot (caractérisé par le débit liquide et la pente). Toute variation d’un paramètre se traduit donc par le déplacement de l’équilibre dans le sens d’une érosion ou d’une accrétion. En régime moyen, le lit est en apparence fixe. Les dépôts compensent les arrachements, il s’agit, en fait, d’un équilibre dynamique. 31 3 - Fonctionnalités des rivières En régime hydraulique normal, les eaux sont, la plupart du temps, peu chargées en matière solide, ont un faible pouvoir d’arrachement et restent limpides. Le transport solide est réduit (mais jamais nul) et sans effet visible en dehors de quelques berges concaves de faible cohésion soumises à l’érosion, ou de sections à écoulement lentique où se poursuit la sédimentation. Le modelé s’effectue essentiellement lors des écoulements de plein bord, qui conjuguent fortes vitesses et charges transportées élevées. Les dépôts les plus fins ou les plus meubles non CO2+H2O H2CO3 H2CO3 H+ + HCO3HCO3H+ + CO3-H2CO3 + CO3Ca Ca(HCO3)2 encore fixés par la végétation sont alors remis en suspension et évacués. La rivière procède à un véritable nettoyage de son lit mineur. Ce rajeunissement permanent par les crues est une caractéristique écologique majeure des cours d’eau, propice à une biodiversité élevée. Les endroits fraîchement érodés ou remaniés sont colonisés par des espèces végétales ou animales pionnières, qui évoluent ensuite diversement. Ces milieux ouverts sont également plus facilement occupés par les plantes invasives. Transport en solution L’érosion s’accompagne de la mise en solution de divers éléments du substrat, notamment des matériaux carbonatés ou sulfatés calciques. Le dioxyde de carbone de l’air en équilibre dans l’eau forme de l’acide carbonique, qui dissout le calcaire en transformant la calcite, très faiblement soluble, en bicarbonate de calcium beaucoup plus soluble. Les réactions chimiques réversibles tendent à s’opposer aux variations du milieu. Les bicarbonates constituent donc un système tampon qui stabilise le pH. Ph. 16 La très faible mobilité du lit sur la plus grande partie du linéaire et un risque de crue réduit ont permis l’occupation des lits majeurs par les activités humaines. Ph. 15 Ph. 17 Sur le secteur Seine-Aval, les crues débordantes sont rares et avec des débits de pointe trop faibles pour provoquer des remaniements significatifs des lits. Les rivières ont un espace de divagation réduit dans leur lit majeur et un tracé très faiblement évolutif à l’échelle humaine. Ce sont des rivières linéaires ou à méandres. Leur lit mineur est bien défini et suffisamment fixé par sa ripisylve naturelle pour que les propriétaires riverains le considèrent comme immuable, contrairement aux lits des rivières à régime nival ou torrentiel, qui présentent des méandres très mobiles (berge concave verticale et soumise à une érosion active tandis que la berge convexe est en pente douce, formée de matériaux déposés récemment), des tresses, ou sont erratiques dans un vaste lit majeur fréquemment réinvesti et remanié. Les lents déplacements des méandres vers l’aval ne sont perceptibles qu’à l’échelle du siècle. 2 - Profils longitudinal et transversal - faciès d’écoulement 32 Les cours d’eau de Seine-Aval prennent leur source à des altitudes modestes (130 m dans le Pays de Caux, 240 m dans le Pays de Bray, 260 m dans le Perche, 160 m dans la forêt des Yvelines) et ont un profil faiblement concave. Les rivières plus longues présentent des secteurs plus lents sur leur aval, comme le cours de l’Eure en aval de Chartres ou la partie basse de l’Epte, ce qui conduit à des peuplements piscicoles mixtes ou cyprinicoles (cf. ch. 7). Les fleuves côtiers de Seine-Maritime ont des longueurs assez courtes (70 km ou moins) pour conserver un profil à peu près constant sur tout leur cours, la pente variant entre 4 o/oo et 2 o/oo. Ce sont des rivières à peuplements piscicoles rhéophiles. La régularité du profil peut être interrompue par des petits seuils, ruptures de pente causées par des variations locales de la dureté des terrains traversés, qui contribuent à la structuration et à la diversification des habitats aquatiques. 3 - Fonctionnalités des rivières Cette situation « naturelle » ne tient pas compte des multiples barrages, qui réduisent considérablement la pente réelle du fil d’eau (cf. chap. 8). On évalue la sinuosité d’un tronçon en rapportant la longueur développée du tracé à la distance en ligne droite entre le point amont et le point aval. Un cours d’eau est sinueux lorsque la sinuosité est comprise entre 1.25 et 1.5, méandriforme au-delà. La sinuosité est une des grandeurs caractéristiques d’un tronçon de cours d’eau. Ph. 18 - La Béthune en aval de Mesnière-en-Bray. Les méandres sont en évolution Il est souvent tentant de consolider la berge extérieure d’un méandre pour éviter l’élargissement de la courbure et gagner de la surface cultivable ou constructible. Le flot est alors contraint de réguler sa charge solide en rognant la sinuosité et en surcreusant le chenal, ce qui accroît les risques de déstabilisation des berges. continue et se déplacent vers l’aval à l’échelle du siècle. Leur courbe intérieure est graduellement comblée par les dépôts de sédiments, tandis que la courbe extérieure s’élargit par creusement du chenal et érosion de la rive. L’amplification de la courbure est un élément normal de l’évolution du dessin du méandre et aboutira, in fine, à la coupure du virage et à son isolation du cours d’eau, créant un bras mort qui reste connecté au chenal principal lors des crues. L’espace de mobilité (ou fuseau de mobilité) d’un cours d’eau correspond à la partie du lit majeur dans laquelle le méandrage et le déplacement du lit sont actifs. Ce concept a été introduit récemment dans la réglementation par l’arrêté du 13 février 2002 fixant les prescriptions générales applicables aux consolidations, traitements ou protections de berges soumis à déclaration en application des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code de l’environnement. Les études d’incidence des aménagements effectués dans le lit majeur doivent définir cet espace en tenant compte de l’évolution historique du cours d’eau, de la présence des ouvrages et aménagements significatifs faisant obstacle à la mobilité du lit mineur à l’exception des ouvrages et aménagements à caractère provisoire, et en s’appuyant sur les dispositions des SDAGE et SAGE, les études disponibles et Ph. 19 Coupure de méandre dans la basse vallée de la Saâne, et formation d’un bras mort. des expertises. Cette délimitation de l’espace de mobilité doit être conduite sur un secteur représentatif du fonctionnement géomorphologique du cours d’eau en amont et en aval du site, ayant une longueur minimale de 5 km, selon une méthodologie qui reste à préciser. L’article L.211-12 C. env. (loi du 30 juillet 2003) stipule que « dans les zones de mobilité d’un cours d’eau […] ne peuvent être réalisés les travaux de protection des berges, remblais, endiguements et affouillements, les constructions ou installations et, d’une manière générale, tous les travaux ou ouvrages susceptibles de faire obstacle au déplacement naturel du cours d’eau ». Ph. 21 - Près des sources du Val Jouen, les fortes pentes de la Béthune (de l’ordre de 15 o/oo) sont à l’origine d’un lit au tracé rectiligne, au profil encaissé et à la charge solide élevée (substrat grossier constitué de blocs et où la roche mère affleure par endroit). Ce profil, plutôt propre aux régions montagneuses, est peu fréquent sur le secteur Seine-Aval. Ph. 20 - Cette section de la Béthune doit à sa pente et à la nature du sous-sol argileux d’avoir une relative mobilité.. 33 3 - Fonctionnalités des rivières II Fonctionnalités écologiques 1 - Cycle de la matière organique - Flux amont-aval Dans tout écosystème, la matière qui circule le long des chaînes trophiques effectue un cycle et passe alternativement d’un état minéral à un état organique sous l’action d’organismes producteurs, consommateurs et décomposeurs, et des processus de biosynthèse et de biodégradation. L’énergie lumineuse, transformée en énergie chimique dans la photosynthèse, est le moteur de ce cycle. L’écosystème rivière se distingue des écosystèmes terrestres ou lacustres par l’existence d’un flux longitudinal. Ce flux porte sur la matière minérale et les sels minéraux mais aussi sur la matière organique et les organismes vivants. Sous la dépendance du courant, il conditionne le fonctionnement de la rivière de sa source à son embouchure. Le cycle de la matière organique présente une composante verticale plus ou moins prépondérante selon les courants. En faciès lentique, la photosynthèse se fait essentiellement en surface par le phytoplancton ; la matière organique est consommée par le zooplancton et les organismes du necton (poissons…), les débris organiques tombent sur le fond, sont consommés par le zoobenthos détritivore, puis sont minéralisés lentement, sur place. Si la lame d’eau est importante, les échanges gazeux avec l’atmosphère sont très faibles dans les basses couches. Dans les eaux courantes, ce cycle fonctionne selon un gradient horizontal et non plus vertical. Les phénomènes de turbulence équilibrent les échanges gazeux dans toute l’épaisseur. Les organismes planctoniques dérivent et sont moins abondants, la photosynthèse joue un moindre rôle, une part importante de la matière organique disponible localement provient du transport amont-aval et n’est que partiellement utilisée, à son passage, par les organismes. Les échanges verticaux ne reprennent de l’importance que sur les parties les plus en aval des rivières, caractérisées par la dominance des faciès lentiques et une plus grande profondeur. 2 - Communautés vivantes et réseaux trophiques Lorsqu’une feuille tombe dans l’eau elle subit une série de dégradations mécaniques et biochimiques : lessivage et lixiviation des composés hydrosolubles, colonisation par des microorganismes et désagrégation en débris fins intégrés au sédiment puis transformation en diverses molécules. Les composés très fermentescibles se décomposent rapidement en produits solubilisés et minéralisés, les composés cellulosiques et surtout la lignine et les tanins sont plus stables. Les particules qui échappent à ces processus sont intégrées dans des composés phénoliques précurseurs de complexes humiques (acides fulviques, acides humiques, humines). Ces composés complexes, plus résistants à l’activité microbienne, subissent à leur tour une minéralisation lente au sein des sédiments (cf. chap. 4). 34 Les matériaux organiques allochtones Les feuilles mortes et la litière des rives sont entraînées par le courant, déposées dans les zones de calme, remises en suspension lors des crues. Au cours de ces phases de redistribution spatiale, les matériaux organiques sont dilacérés, dégradés et enfin minéralisés. La durée de dégradation des débris organiques est très variable selon leur nature, la température et l’oxygénation de l’eau, l’action abrasive du courant, l’action des invertébrés et des microorganismes. La dégradation d’une feuille d’aulne s’étale sur 2 à 10 mois, celle d’une feuille de saule sur 6 à 20 mois. Le plancton Le développement d’un véritable plancton, ensemble d’organismes de petite taille et faiblement mobiles, vivant normalement en suspension dans l’eau (diatomées, chlorophycées et autres algues, protozoaires, rotifères, crustacés), n’a lieu que dans le cours inférieur et les biefs les plus lents. Dans les eaux courantes, la possibilité d’ensemencement du milieu en organismes planctoniques à partir de zones d’eaux calmes et le temps de séjour de l’eau dans la rivière, sont des facteurs limitants. Dans les rivières de plaine, le phytoplancton se développe entre mai et octobre, avec une biomasse variable, très liée à la concentration en nutriments dans la zone euphotique. Certaines algues colonisatrices (cyanophycées notamment) peuvent proliférer (blooms algaux) ou disparaître rapidement en fonction de ces conditions. Leur dégradation libère des nutriments qui permettent à d’autres espèces de se développer. Lorsque la photosynthèse est importante, un cycle quotidien de l’oxygène apparaît avec une sursaturation en milieu de journée (cf. eutrophisation p. 37). 3 - Fonctionnalités des rivières Les macrophytes Le courant, l’éclairement, la nature du substrat, la profondeur et les sels dissous sont les facteurs déterminants des peuplements. Les bryophytes sont confinées aux substrats durs et abondent dans les zones de sources, tandis que l’implantation des phanérogames dépend des possibilités de pénétration du sol par les racines. Comme en milieu terrestre, la colonisation par la végétation se fait selon une dynamique temporelle, des espèces pionnières modifiant suffisamment les conditions locales pour que d’autres espèces s’implantent. Les principaux groupements sont analysés dans le chapitre 4 consacré au lit. Les herbiers constituent l’habitat du périphyton (algues et bactéries fixées sur les végétaux, invertébrés et poissons), les espèces se répartissant de la base au sommet des touffes selon leur rhéophilie. Les cyprinidés sont plus directement inféodés aux herbiers que les salmonidés, qui les utilisent cependant comme abri, la stratégie de toutes les espèces étant de réduire l’énergie nécessaire pour éviter leur entraînement vers l’aval. Les herbiers sont également utilisés par les poissons comme lieu de nourrissement, de ponte et de refuge contre les prédateurs. Les invertébrés La faune invertébrée est diversifiée, remarquablement similaire d’une zone géographique à l’autre, essentielle à la vie piscicole et très sensible aux pollutions organiques, thermiques ou chimiques (cf. IBGN p. 29). La faune la plus riche est celle des fonds pierreux qui offrent, à l’échelle des invertébrés, des conditions hydrauliques et granulométriques d’habitats variées. Les herbiers abritent une biomasse importante d’invertébrés brouteurs. Les invertébrés se répartissent en détritivores, phytophages et prédateurs. De très nombreuses espèces sont omnivores à tendance détritivore ou carnivore, leur régime variant avec leur stade de développement. Les dilacérateurs se trouvent plutôt sur les parties amont, les microphages sur les parties basses. Les organismes rhéophiles du benthos présentent des adaptations morphologiques leur permettant de résister au courant : aplatissement dorso-ventral des larves d’éphéméroptères, ventouses, griffes puissantes, fourreau des trichoptères alourdi de graviers. Les autres se cantonnent dans les parties les moins exposées, la couche limite, les interstices. Dans tous les cas, une partie de la faune benthique dérive vers l’aval, fortuitement ou régulièrement, cette dérive étant plus ou moins importante selon les espèces, leur stade de développement et les aléas hydrauliques (crues). Elle peut atteindre un taux journalier de 1 %. Les espèces ont adopté diverses stratégies pour la compenser : taux de reproduction élevé ou multiplication asexuée rapide, remontée des femelles adultes à vol aérien vers l’amont. Dans les zones de faible vitesse et les parties aval (potamon), la dérive est réduite, les organismes qui peuplent ces milieux sont rarement pourvus d’un stade aérien de recolonisation. Adaptation au courant de quelques invertébrés benthiques Vitesse limite m/s Liponeura cinarescens (diptère) Simulium sp. (diptère) 2.8 Rhyacophila sp. (trichoptère) 1.22 3 Ancylus fluviatilis (mollusque) 1.18 Rhitrogena semicolorata (éphéméroptère) 0.96 Dugesia gonocephala (turbellarié) 0.93 Baetis sp. (éphéméroptère) 0.84 Isoperla oxylepis (plécoptère) 0.6 Ecdyonurus venosus (éphéméroptère) 0.57 Radix ovata (mollusque) 0.48 Les organismes hyporhéiques vivent dans les interstices des alluvions. La composition de cette faune dépend de la granulométrie du substrat. Elle comprend des organismes caractéristiques (nématodes, oligochètes, crustacés…) au cycle entièrement aquatique, auxquels s’ajoutent quelques larves d’insectes ayant une phase aérienne et une faune microbienne. Contrairement aux organismes du sol en milieu terrestre, qui jouent un rôle majeur dans le recyclage de la litière, les organismes hypogés du benthos profond ont un rôle plus modeste puisque le transfert de matière organique a une forte composante longitudinale. Les poissons Au sommet des réseaux trophiques se trouvent les poissons. Un petit nombre sont herbivores, la plupart sont omnivores à tendance carnivore (carpe, tanche, gardon, ablette, barbeau, truite…). Leur biomasse est très variable et dépend tout autant des conditions morphodynamiques que de la quantité de nourriture disponible. Voir le chapitre 4 consacré au lit et le chapitre 7 sur la gestion piscicole. NB : La qualité réelle des peuplements d’invertébrés et de poissons est évidemment très influencée par les pollutions diverses (cf. ch 2). Ph. 22 - Quelques invertébrés locaux. De gauche à droite : mollusque gastéropode hydrobiidé, achète glossiphonidé, plécoptère ténioptérigydé, éphéméroptère éphéméridé, trichoptère hydropsychidé. 3 - Zonation écologique amont aval L’écosystème rivière présente une succession non pas dans le temps (comme un écosystème terrestre qui évolue vers un climax) mais dans l’espace. La stratégie des organismes est moins d’utiliser au mieux le flux d’énergie disponible véhiculé par le courant que de s’adapter aux facteurs morphodynamiques, physiques et de recolonisation qui sont largement dominants. Les flux de matériaux, les variables morphodynamiques, le courant, la température et l’éclairement déterminent les ajustements et la succession des communautés aquatiques. A l’échelle locale, la rivière apparaît comme une mosaïque d’habitats bien individualisés que l’on peut caractériser : par le courant et la profondeur : radiers, plats courants, mouilles, chenaux (cf. ch. 4) ; par la nature du substrat et sa granulométrie : blocs, graviers, sables, limons ; par la présence ou l’absence de macrophytes fixées et par leur nature : bryophytes, herbiers de phanérogames. 35 3 - Fonctionnalités des rivières A l’échelle globale, la rivière apparaît comme un continuum défini par des transferts longitudinaux permanents et une zonation amont aval. La zone des sources (crénon) se distingue par une faible amplitude thermique annuelle et une biocénose relativement peu diversifiée où les larves d’insectes à imagos aériens sont bien représentées. La zone moyenne (rhithron) se caractérise par des pentes relativement fortes (> 1.5 o/oo), un courant rapide, une moyenne thermique annuelle inférieure à 20°C. C’est la zone préférentielle de la truite. Les organismes rhéophiles et sténothermes dominent. L’érosion et la dérive des organismes y sont actives, favorisant les insectes à stade adulte aérien (éphéméroptères, plécoptères, coléoptères, trichoptères, diptères). Les invertébrés dépourvus de stade aérien (turbellariés, oligochètes, hirudinés, mollusques, crustacés…) se cantonnent dans les habitats abrités du courant. La zone inférieure (potamon) se trouve dans la plaine alluviale avec une pente faible (< 1.5 o/oo). La température estivale peut dépasser 20°C. Les dépôts de limons l’emportent largement sur l’érosion. Le courant organise encore les habitats et la granulométrie du fond mais n’est plus un facteur limitant. Un plancton véritable fait son apparition. La photosynthèse est très active avec une forte production diurne d’oxygène, consommé en permanence par les processus de respiration et d’oxydation des matériaux organiques. L’absence de turbulence et la plus grande profondeur limitent les échanges gazeux à l’interface eau-air. Il en résulte, notamment à l’étiage, un cycle diurne de l’oxygène avec sursaturation le jour et sous-saturation en fin de nuit. Les taxons sans phase de dispersion aérienne dominent. Les plécoptères sont rares. Sur les rivières de Seine-Aval, on notera que cette zonation théorique est peu marquée : lorsque l’alimentation se fait par de grosses émergences de nappe avec un chevelu inexistant, la zone des sources ne se différencie pas du rhithron. Les fleuves côtiers de Seine-Maritime ne présentent pas, sauf dans leur partie estuarienne, un potamon bien individualisé, à la différence de l’Epte ou de l’Eure. L’anthropisation historique des rivières concourt également à l’uniformisation du profil longitudinal. Les têtes de bassin Les ruisseaux du petit chevelu des têtes de bassin, abondants dans le Pays de Bray et le Perche, représentent les premiers maillons du système rivière. La faible largeur du lit renforce le rôle des échanges avec les berges, dont la qualité environnementale est donc essentielle, d’autant que ces ruisseaux sont souvent des lieux de nourrissement pour les alevins. Des écoulements variables selon les saisons caractérisent les sources des têtes de bassin, notamment sur les terrains imperméables du Pays de Bray où les débits dépendent directement de la pluviométrie. Dans les eaux faiblement minéralisées, se trouvent de nombreuses mousses et hépatiques, très sensibles aux modifications de la composition chimique de l’eau et à l’assèchement du milieu. Ces ruisseaux sont également le refuge de l’écrevisse à pattes blanches (Austropotamobius pallipes), crustacé d’intérêt communautaire (annexe II de la Directive Européenne Habitats), dont quelques populations sont localisées sur les têtes de bassin de l’Eure, de la Tourville, de la Corbie et du Crevon. Jadis commune en Eure-et-Loir, cette espèce n’y est plus repérée que dans une station. Cette disparition est due notamment au recalibrage des petits ruisseaux pour servir de collecteur aux émissaires des réseaux de drains. Ph. 23 - 24 - Les ruisseaux du chevelu et les petits affluents ont été fréquemment assimilés à des fossés, curés et recalibrés pour assurer la collecte des émissaires des drains et faciliter le développement de l’agriculture intensive. Il en résulte une forte perte de fonctionnalité et des effets négatifs induits sur l’aval par les transferts de polluants et de limons. Le maintien d’une bande enherbée et d’une ripisylve entretenue permettrait de restaurer la qualité de ces milieux sans nuire aux objectifs hydrauliques et économiques. Les fortes pentes de ces ruisseaux favorisent le transport sédimentaire, la diversité des écoulements et la structuration des habitats. Une ripisylve suffisamment dense est primordiale pour éviter le réchauffement estival de l’eau. Leurs débits modestes rendent ces petits cours d’eau sensibles aux pollutions et aux fluctuations du toit de la nappe, soit en période de sécheresse prolongée, soit du fait des rabattements de nappe induits par des prélèvements proches. Les principales dégradations relevées sont l’enrichissement en nutriments d’origine agricole, la désoxygénation des eaux (conséquence de la dystrophie), mais aussi le colmatage des fonds par les apports du ruissellement. Le maintien des zones humides connexes à ces ruisseaux est tout particulièrement important, leur assèchement se traduisant par le tarissement des rus qui les drainent. Une gestion patrimoniale et précautionneuse de ces milieux s’impose donc. C’est d’ailleurs une des orientations du SDAGE du bassin Seine-Normandie (cf. p.121). 36 3 - Fonctionnalités des rivières 4 - Élévation du niveau trophique Conséquences sur les fonctionnalités des rivières Historiquement, l’eutrophisation est la conséquence de deux faits majeurs : La chenalisation et la segmentation des rivières, corollaires du développement des moulins : diminution des radiers et plats courants au profit des chenaux lentiques des biefs des moulins avec, comme conséquence, un ralentissement du courant qui ne joue plus son rôle de facteur limitant, une augmentation conséquente des hauteurs et du volume d’eau (somme des retenues derrière les vannages) ainsi que du temps de transit. Le ralentissement s’accompagne d’une augmentation estivale de la température, et la raréfaction de la ripisylve d’une augmentation de l’éclairement. L’apport des nutriments (azote et phosphore) par les stations d’épurations et les pollutions diffuses d’origine agricole. Tous ces facteurs favorisent la photosynthèse, le développement du phytoplancton, des algues et des végétaux en général. Biodégradation - Sous l’action des décomposeurs, le carbone organique est oxydé en dioxyde de carbone, les composés azotés organiques (protéines, amines, urée) sont transformés en ammoniac puis oxydés en nitrites, forme transitoire, et enfin en nitrates. A l’aval immédiat d’un rejet se développent des bactéries aérobies, la consommation d’oxygène est élevée et sa concentration diminue. Les invertébrés de cette zone polysaprobe sont des détritivores peu exigeants en oxygène (oligochètes, tubificidés, éristales, chironomes…). La biodiversité est faible mais les individus très nombreux. Plus en aval, la minéralisation s’accentue avec les bactéries nitrificatrices et autotrophes. Les protozoaires et les flagellés consomment les bactéries. La photosynthèse algale fait remonter la concentration d’oxygène dissous. Enfin, la charge organique est entièrement assimilée, le milieu retrouve ses conditions écologiques originelles, mais avec un enrichissement en nitrates et phosphates disponibles pour les végétaux. Le système, hétérotrophe à l’aval du rejet, est redevenu autotrophe (la production d’oxygène par la photosynthèse l’emportant sur la perte due à la la respiration). La limite de ce processus est celle de l’oxygène dissous. En hiver, le temps de transit est plus court et l’activité biologique moindre, le processus se déroule donc sur une plus grande distance. Lorsque le milieu devient anoxique, la dégradation se fait par voie anaérobie et fermentaire avec productions de composés toxiques. L’eutrophisation extrême peut conduire à des blooms algaux, suivis de phases de dégénérescence et de biodégradation du phytoplancton. Les deux processus sont donc très liés. L’IBMR, Indice Biologique Macrophytique en Rivière, renseigne sur le niveau trophique d’un tronçon de cours d’eau en rivière (cf. p.52). L’élévation du niveau trophique ou eutrophisation est l’enrichissement de l’eau en sels nutritifs d’azote (ammoniac, nitrites, nitrates) et de phosphore. Elle se manifeste par la tendance à l’accroissement de la production végétale (macrophytes, phytoplancton). L’eutrophie s’oppose à l’oligotrophie, la mésotrophie étant un stade intermédiaire et la dystrophie un stade perturbé. En situation normale, les sels nutritifs proviennent de l’oxydation des composés organiques issus du bassin versant, pour une moindre part de l’azote atmosphérique fixé par différents organismes. Le phosphore, par ailleurs rare dans la lithosphère, est généralement l’élément limitant. 37 3 - Fonctionnalités des rivières 5 - Berge et ripisylve Ph. 25 - Les berges de profil abrupt constituent des habitats potentiels pour la nidification des oiseaux comme l’hirondelle des rivages et le martinpêcheur. Ph. 26 - Les berges sous-cavées présentent des abris pouvant être occupés par l’écrevisse à pattes blanches : les adultes y creusent des terriers pour hiverner. Espace de transition, la berge contrôle les échanges latéraux (cf. chap. 4 et 5). Elle participe pleinement à la fonctionnalité de la rivière. Sur le haut bassin, la ripisylve a une importance déterminante par son ombrage (qui limite la photosynthèse et maintient une température fraîche) et les apports de matériaux (brindilles, feuilles…). Lorsque la pente décroît, la rivière se rapproche de sa nappe, l’hydromorphie s’accentue ainsi que les périodes d’inondation. La rivière étant plus large, l’ombrage et les apports de matériaux se limitent au voisinage des berges. Dans les basses vallées, l’eau est généralement chargée en sels nutritifs. En s’infiltrant dans les alluvions inondées, elle apporte les éléments nécessaires au développement de la végétation qui contribue à l’épuration de l’eau, notamment par l’élimination partielle des nitrates et phosphates. Enfin, la végétation riveraine offre des habitats aux imagos des insectes à larves aquatiques et aux organismes qui dépendent de ces insectes et de la rivière pour leur alimentation, comme les batraciens, les mammifères et les oiseaux. La diversité morphologique des rives offre des conditions favorables à de nombreuses espèces. La présence de troncs, de sous-cavements, de plateaux racinaires, renforce leur hospitalité. 6 - Zonation de la plaine alluviale Fonctionnalités transverses, zones humides connexes 38 3 - Fonctionnalités des rivières Le cycle érosion - dépôt a une composante latérale, surtout importante vers l’aval avec la formation d’une plaine d’inondation, de chenaux secondaires ou anciens, noues, bras morts et milieux humides, témoins de l’évolution du style fluvial. Les échanges entre le lit mineur et le lit majeur sont particulièrement cruciaux pour le fonctionnement de l’hydrosystème. Ils sont assurés en partie par les infiltrations à travers la berge et par la présence de la nappe d’accompagnement de la rivière, mais surtout par les débordements dans les zones d’expansion des crues. Les submersions sont nécessaires à la pérennité des milieux humides, qui assurent deux fonctions majeures : Régulation des échanges avec la nappe et effet tampon : les zones humides se ressuient lentement en période sèche et se gorgent d’eau en période humide, contribuant à atténuer les effets des crues et des étiages sur l’aval. Laissés à l’abandon, ils évoluent Grandes fonctions naturellement de façons diverses. Les des zones humides bras morts, par exemple, évoluent • Réservoirs de biodiversité. vers des écosystèmes d’eaux closes • Régulation des étiages et stagnantes puis se comblent en et des crues. présentant des séries de biotopes • Rétention des sédiments pouvant aller des eaux libres jusqu’aux et des polluants. groupements forestiers. Mais ce • Autoépuration. sont surtout les activités humaines • Valeur paysagère. inconsidérées qui contribuent à leur régression et, en dépit de leur intérêt multiple et des protections qui préservent certaines d’entre elles, les zones humides restent menacées. De la disparition de ces biotopes résultent une fragmentation et un rétrécissement des habitats puis un appauvrissement génétique, la dissémination des espèces ne pouvant plus se faire aussi facilement. Constitution de biotopes spécifiques particuliers : mégaphorbiaies, phragmitaies, roselières, jonchaies, cariçaies, tourbières, prairies hygrophiles, milieux saumâtres estuariens. La grande variété d’hélophytes reflète la diversité des conditions hydrologiques et pédologiques de la plaine alluviale. Plusieurs dizaines d’espèces sont d’intérêt patrimonial, quelques unes remarquables par leur rareté comme Hottonia palustris, Oenanthe silaifolia, Silaum silaus, Veronica scutellata, Althaea officinalis, Geum rivale... (cf. chap. 4). Ces milieux enrichissent la biodiversité du corridor formé par la rivière et sa ripisylve. Ils sont des lieux de reproduction, d’abri et d’alimentation pour de nombreuses espèces animales. On y observe une riche avifaune : 90 espèces pour le seul marais de Fesques en Seine-Maritime, dont certaines menacées comme le râle d’eau et le râle des genêts. Ph. 28 - Jonchaie dans le lit majeur de la Saâne. Ph. 27 - Il faut des dizaines d’années d’empilement des sédiments extraits pour obtenir un merlon de cette importance, pour un avantage économique local négligeable, une perte de biodiversité et un accroissement des risques d’inondation sur l’aval ! En déconnectant le lit mineur du lit majeur, le cloisonnement longitudinal des rivières a de lourdes conséquences : • en termes de fonctionnalité de la rivière et d’appauvrissement de la biodiversité ; • sur un plan économique, si l’on intègre les coûts induits en aval pour faire face à l’augmentation des risques d’inondations, conséquence de la réduction des zones d’expansion des crues en amont. Ph. 29 - Cariçaie dans le lit majeur de la Scie. 39 3 - Fonctionnalités des rivières Ph. 30 - Le débouché en mer de la Scie. Les estuaires des fleuves côtiers Les estuaires du secteur Seine-Aval correspondent à d’anciennes vallées fluviales creusées à la dernière glaciation puis ennoyées par remontée du niveau marin. En l’absence d’aménagement, la marée envahit l’estuaire avec le courant de flot et la vidange se fait avec le courant de jusant. Il en résulte des phénomènes sédimentaires complexes, mais, globalement, le jusant n’entraîne qu’une partie des sédiments déposés par le courant de flot plus puissant et le bilan est en faveur du comblement. Les vases nues (slikke) qui ont atteint une hauteur suffisante sont colonisées par une végétation halophile, qui tend à piéger encore plus les sédiments, constituant le schorre. Recouvert seulement par les plus fortes marées, ce dernier est colonisé par les espèces des milieux humides continentaux, roselières et prairies. Ce sont donc des espaces de transition d’une grande diversité biologique. Les éléments nutritifs (azote, phosphore) apportés par les eaux douces favorisent la croissance végétale (phytoplancton, algues, phanérogames halophiles) et bactérienne, sources de nourriture pour la faune inféodée à ces milieux. Riche et diversifiée, elle se compose d’organismes limicoles, de bivalves, gastéropodes, vers, crustacés, cnidaires… Les estuaires sont également des lieux de prédilection pour l’avifaune, qui y trouve nourriture en abondance (mollusques, vers…) et une aire de repos, voire de nidification pour les migrateurs. Parmi les espèces observées, on peut citer la spatule blanche, l’avocette ou encore l’huîtrier pie, et, plus en arrière, le balbuzard pêcheur, la sarcelle d’hiver, la sarcelle d’été, le busard des roseaux, la bécassine des marais, la pie-grièche, le héron cendré, la barge à queue noire, le tarier des prés, l’aigrette garzette (ces deux espèces étant inscrites à l’annexe I de la Directive Oiseaux). En réalité, hormis l’estuaire de la Risle qui fait partie du système estuarien de la Seine (dont il n’est pas question ici), les estuaires des fleuves côtiers ne sont plus fonctionnels, les aménagements portuaires ou des fronts de mer ayant bloqué les échanges. Les rivières communiquent avec le milieu marin par un système de buses à clapet (voir ch. 8) et les marais saumâtres en arrière du front de mer ont été assainis pour permettre la mise en valeur économique de la plaine alluviale. Ces anciens estuaires renferment encore quelques espèces typiques comme le samole de Valérand ou mouron d’eau, et des milieux humides et halophiles résiduels intéressants, en particulier pour l’avifaune, mais leur richesse écologique a été considérablement appauvrie. Des possibilités de renaturation sont à l’étude, notamment sur la Saâne. Les enjeux économiques et l’inégale motivation des acteurs ne facilitent pas l’aboutissement de ces projets. Ph. 31 - 32 - Ce qu’est devenu l’estuaire du Dun. 7 - Diversité des biotopes et des biocénoses en relation avec l’hydrosystème Les échanges et les processus dynamiques à l’œuvre engendrent une grande variété de milieux, qui s’enrichissent mutuellement. En Haute-Normandie et en Eure-et-Loir, la richesse des vallées est encore plus précieuse du fait de l’appauvrissement biologique et paysager des plateaux de grandes cultures. Les rivières de Seine-Aval et leurs milieux annexes abritent également quelques milieux rares (tourbières du Pays de Bray…) et des espèces végétales ou animales d’intérêt patrimonial dont la préservation s’impose à ce titre. Synergie écologique : les milieux écotones La rencontre de milieux différents offre toujours une plus grande richesse floristique et faunistique que chacun des milieux pris séparément, car on y rencontre les cortèges des espèces végétales propres à chacun, augmentés d’espèces spécifiques aux milieux de transition. La faune est également enrichie d’espèces qui ont besoin des deux milieux pour accomplir leur cycle biologique (nourrissage, repos, reproduction). La ripisylve et les milieux humides annexes jouent pleinement cette fonction. 40 Une illustration du rôle primordial de la rivière et de ses annexes dans la biodiversité : Certaines chauve-souris chassent essentiellement sur les milieux terrestres, mais utilisent la ripisylve dans leurs itinéraires de déplacement d’un site à l’autre (grand rhinolophe, petit rhinolophe, murin à oreilles échancrées, espèces protégées au tire de la Directive Habitats). Ceci est particulièrement vrai dans les zones de grandes cultures, où nombre de haies ont disparu. Les lieux de reproduction de ces chiroptères semblent être choisis dans un rayon de 200 mètres autour des rivières ou zones humides. 3 - Fonctionnalités des rivières Cette carte illustre bien la forte corrélation entre les milieux remarquables et le réseau hydrographique. Sur les 26 sites d’importance communautaire proposés sur le secteur Seine-Aval au titre de la directive européenne 92/43 du 21 mai 1992 relative à la protection des habitats naturels, de la flore et de la faune sauvage (réseau Natura 2000 d’espaces naturels à préserver à l’échelle de la communauté européenne), 12 concernent directement les milieux aquatiques. Parmi eux, huit sites majeurs (la Bresle, l’Yères, les rivières du bassin de l’Arques, la Corbie, la Risle, le Guiel, la Charentonne et la vallée de l’Epte), totalisant 1 700 km de rivières, sont proposés pour un enjeu piscicole (fréquentation par le saumon atlantique et présence d’espèces remarquables comme le chabot, la lamproie fluviatile, la lamproie de Planer, la lamproie marine, cf. p. 96) mais aussi pour des associations de plantes aquatiques à renoncules flottantes, les ripisylves à aulne glutineux et frêne élevé, les mégaphorbiaies hygrophiles de leurs berges, les bocages prairiaux qui les bordent et la faune remarquable de tous ces milieux. Les sites de l’arc forestier du Perche et de la vallée de l’Eure en Eure-etLoir abritent par exemple une quinzaine de couples de bihoreaux gris, espèce migratrice en déclin, et des amphibiens d’intérêt patrimonial comme le sonneur à ventre jaune et le triton crêté. Gestion des milieux humides La préservation des milieux humides et de leur biodiversité implique le plus souvent la mise en œuvre d’une gestion conservatoire : maintien de la fonctionnalité par un entretien adapté ou par un mode de faire-valoir agricole (pâturage extensif par des races peu exigeantes, production de roseaux…). Ces activités étant peu rémunératrices, des aides financières doivent être apportées aux gestionnaires en contrepartie de leur engagement sur des cahiers des charges environnementaux. La gestion conservatoire des milieux humides est un sujet complexe, dont le développement ne fait pas partie de ce guide. La loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux devrait permettre : - de mieux identifier les zones humides et d’améliorer la cohérence des politiques et des financements publics ; - de créer les conditions pour un équilibre économique de ces espaces dans une logique de développement durable ; - d’aider la maîtrise d’ouvrage en faveur du maintien des zones humides. 41