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Sociétal
N° 30
4etrimestre
2000
L’ÉCONOMISTE ET LE RÉGULATEUR
ficitaire. Pour résoudre cette diffi-
culté tout en restant dans le cadre
du monopole, les économistes ont
donc proposé deux règles de tari -
fication, dite de « second rang »,
qui permettent de se rapprocher
de l’optimum économique sous la
contrainte de l’équilibre financier2.
La première, la plus couramment
utilisée depuis les années 1930,
suggère de vendre chaque bien ou
service à un prix égal à son coût
moyen, en accordant au monopole
un taux de rendement de son ca-
pital supérieur au taux du marché.
Elle soulève toutefois deux pro-
blèmes fondamentaux : d’une part,
la sur-rémunération du capital in-
cite au sur-investissement ; d’autre
part, la prise en compte systéma-
tique des coûts dans les tarifs n’in-
cite pas l’entreprise à réduire ses
coûts de production.
La seconde règle, dite règle de
Ramsey-Boiteux, suggère d’autori-
ser le système des prix à s’écarter
du système des coûts marginaux
en proportion inverse de l’élasti-
cité de la demande aux prix sur
les différents segments du marché.
Les prix sont donc modulés en
fonction des consommateurs :
ceux d’entre eux qui ont davan-
tage besoin du produit offert, et
dont la demande varie peu lorsque
les prix augmentent, paieront un
prix plus élevé que les autres.
Cette règle soulève, elle aussi,
deux problèmes majeurs : d’une
part, comme la précédente, elle
n’incite pas à la minimisation des
coûts ; d’autre part, elle repose
sur un principe de discrimination
tarifaire, politiquement délicat à
faire accepter, et suffisamment
complexe pour empêcher le régu-
lateur de vérifier si l’entreprise
n’en fait pas un usage abusif pour
maximiser son profit aux dépens
du bien-être collectif.
Se fondant sur l’existence d’une
asymétrie d’information entre le
régulateur et l’entreprise
publique3, les économistes ont
montré que la régulation optimale
consistait à proposer un ensemble
de « contrats de gestion » aux en-
treprises publiques, dont les choix
révèleraient leurs caractéristiques
cachées. Pour cela, l’ensemble des
contrats proposés doit se situer
entre les deux termes de réfé-
rence suivants : à une extrémité,
on trouve les contrats, dénom-
més cost plus, où les prix sont dé-
terminés de façon à couvrir tous les
coûts de production de l’entre-
prise en appliquant l’une des deux
règles de la tarification de second
rang présentées plus haut ; à l’autre
extrémité, les contrats, dénommés
price cap ou budget cap, où la
moyenne des prix est plafonnée à
un niveau indépendant des coûts
de production.
LE RÉGULATEUR FACE
AU MONOPOLE
La première formule est un re-
mède efficace contre le risque
d’anti-sélection, puisque l’entre-
prise n’a aucun intérêt à afficher
ex ante, au moment de la négocia-
tion du contrat, des prix trop
élevés, sachant qu’ex post, seuls les
coûts effectifs seront couverts. En
revanche, elle n’incite pas à l’effort
et comporte un risque d’aléa
moral, puisque l’entreprise ne
conserve pas le produit de son
effort – qui est transféré au
consommateur. En outre, cette
solution suppose que les coûts
transmis ex post au régulateur pour
valider les prix pratiqués ne sont
pas manipulés.
La seconde formule, celle du price
cap, constitue un instrument de
lutte contre l’aléa moral : le prix
étant fixé a priori, l’entreprise est
incitée à minimiser ses coûts, sa-
chant qu’elle conservera le pro-
duit de ses efforts. En revanche,
cette solution est plus coûteuse
pour le consommateur que celle
du cost plus, puisque l’Etat laisse
délibérément une rente à l’entre-
prise – le prix étant supposé supé-
rieur au coût moyen de produc-
tion. L’entreprise peu performante
choisira la première formule, ce
qui est optimal du point de vue du
régulateur, dans la mesure où il se-
rait inefficace de lui accorder une
rente qui n’aurait guère de contre-
partie en termes de performance.
L’entreprise performante choisira
la seconde formule, ce qui est aussi
optimal du point de vue du régula-
teur, sachant qu’elle saura faire le
meilleur usage de la rente qui lui
est accordée.
Ce mécanisme peut toutefois se
révéler inopérant si, dans le cadre
du contrat price cap, le régulateur
n’est pas en mesure de fixer les
plafonds de prix indépendamment
des coûts de l’entreprise. Dans
cette hypothèse, en effet, le régu -
lateur se trouve confronté à un
risque d’anti-sélection, sachant,
par ailleurs, que les contrats price
cap n’incitent pas l’entreprise à
révéler ses vrais coûts de produc-
tion. Il ne peut contourner cet
obstacle qu’en rapprochant la se-
conde formule de la première,
c’est-à-dire en s’engageant à
couvrir une proportion prédéter-
minée des coûts de production ef-
fectifs. En contrepartie, l’incitation
à l’effort est réduite d’autant.
Cette hypothèse n’a malheureuse-
ment rien de théorique : d’une
part, l’existence d’un monopole in-
terdit souvent au régulateur de se
référer, au départ, à d’autres expé-
riences que celles du monopole
lui-même pour fixer les plafonds
de prix ; d’autre part, même si des
références extérieures sont dispo-
nibles (comme par exemple British
Telecom pour France Telecom),
elles perdent en général de leur in-
térêt lorsque l’entreprise concer-
née a rattrapé l’essentiel de son
retard initial par rapport au bench-
mark. C’est pourquoi les écono-
mistes considèrent en général que
la seule issue à ce dilemme, à long
terme, se trouve dans l’ouverture
du monopole, les concurrents
constituant alors la référence re-
cherchée par le régulateur4.
2Jean-Jacques Laffont
(1991) : « Théorie
des incitations
et nouvelles formes
de réglementation »,
Communications
et stratégies,
4etrimestre.
3Jean-Jacques Laffont
(2000) :
« Etapes vers
un Etat moderne :
une analyse
économique »,
Conseil d’analyse
économique.
4Nicolas Curien
(2000) : « Economie
des réseaux »,
Editions
La Découverte,
et Claude Henry
(1997) :
« Concurrence
et services publics
dans l’Union
européenne », PUF.