Introduction à la victimologie - Cursus Rennes 2

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Université Rennes 2
INTRODUCTION À LA VICTIMOLOGIE1
Enjeux – Concepts – Cliniques
Plan
I. PLACE DE LA VICTIMOLOGIE EN CRIMINOLOGIE
1. Qu’est-ce que la criminologie ?
2. Qu’est-ce que la psychocriminologie ?
2.1. Psychologie criminologique
2.2. Psychologie judiciaire et pénale
2.2.1. La psychologie judiciaire (ou légale)
2.2.2. La psychologie pénale
II. ORIGINES ET CHAMP DE LA VICTIMOLOGIE
1. Qu’est-ce qu’une victime ?
1.1. Du sacrifice à la victime (étymologie)
1.2. Analyse de la notion de victime
1.3. La victime infractionnelle
2. Qu’est-ce que la victimologie ?
2.1. Naissance de la victimologie
2.1.1 Précurseurs
2.1.2. L’invention de Benjamin Mendelsohn
2.2. À la recherche d’une victimologie autonome
III. CLINIQUES VICTIMOLOGIQUES
1. Facteurs et conditions de victimation
1.1. Devenir victime
1.1.1. Le modèle de la névrose
1.1.2. La victime sérielle
1.2. Être victime
1.2.1. Le syndrome d’accommodation (ou d’adaptation)
1.2.2. Le syndrome de Stockholm
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- Cours de Claude BOUCHARD, MC, Psychologie, Université Rennes 2 – version nov.-déc. 2014.
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
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2. Victime psychique et psychologie de la victime
2.1. Du stress au traumatisme
2.1.1. Les théories du stress et le PTSD
2.1.2. Les deux théories du traumatisme de Sigmund Freud
2.1.3. Le syndrome de répétition traumatique (SRT)
2.2. La positon victimale
2.2.1. Victimité
2.2.2. Le travail de victime
Références bibliographiques
Annexes
1. Repères historiques
2. Troubles psycho-traumatiques : comparaison CIM-10 / DSM-IV
2. Syndrome de Répétition traumatique (SRT) et névrose traumatique (schéma)
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
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INTRODUCTION À LA VICTIMOLOGIE
Histoire – Concepts – Cliniques
Nous développerons ici une présentation générale et actuelle de la victimologie du
point de vue de la psychologie clinique et de la psychopathologie.
Après avoir précisé la place de la victimologie dans le champ plus large de la
criminologie (première partie), nous présenterons dans une seconde partie une analyse
de la notion de victime ; puis dans une troisième partie, les différents aspects cliniques de
la victimologie qui s’ensuivent, en nous appuyant sur les apports des différents courants
de la victimologie.
Nous laisserons de côté, pour ce cours, les questions de pratiques diagnostiques et
thérapeutiques.
I. PLACE DE LA VICTIMOLOGIE EN CRIMINOLOGIE
1. Qu’est-ce que la criminologie (Rappel)
Sans entrer dans le débat qui ne cesse d’interroger la spécificité et l’homogénéité
du champ criminologique – quand ce n’est pas pour discuter de sa scientificité –, disons
simplement que la criminologie est l’étude du crime.2
Étymologiquement, la criminologie est « discours sur le crime », le crime lui-même
étant « ce qui peut faire l’objet d’une accusation » (crimen, en grec : accusation).
Les sociologues abordent la question du crime à travers la notion de déviance
(sociologie des déviances). Quant aux juristes, ils préfèrent généralement parler de
sciences criminelles plutôt que de « criminologie ».
Nous pouvons souscrire à la définition suivante, proposée par le juriste
contemporain Raymond Gassin :
« [La criminologie est] la science qui étudie les facteurs et les processus de l’action
criminelle et qui détermine, à partir de la connaissance de ces facteurs et de ces
processus, les stratégies et les techniques les meilleures pour contenir et si possible
réduire ce mal social. » (R. Gassin, Criminologie, 1990, p. 41)
En ce sens, la criminologie se distingue :
 du droit pénal, qui a pour but de définir des normes sociojuridiques, d’établir les
types d’infractions relatives à ces normes, ainsi que les peines qui s’y
rapportent ;
 de la pénologie, puisque celle-ci étudie les sanctions pénales : leur fonction, les
règles de leur exécution, les moyens de leur application.
En termes de corpus de textes législatifs, le droit pénal correspond au code pénal
(CP) et la pénologie au code de procédure pénale (CPP).
- Il est d’usage courant en criminologie (et aussi dans le langage politique) d’employer les mots
« crime » et « criminalité » dans un sens général, qui recouvre tous les types d’infractions à la loi
pénale.
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Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
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« Droit pénal et criminologie : Ce titre bicéphale recouvre deux sortes de recherche,
apparemment semblables si l’on s’en tient à leur thème, mais profondément
différentes par leurs points de vue et leurs démarches. L’une est juridique à
proprement parler ; elle appartient au bloc des disciplines normatives. Elle étudie
le droit pénal d’un point de vue interne. L’autre l’aborde d’un point de vue externe :
elle prend le pénal comme un fait social et lui applique l’une quelconque des
sciences empiriques de l’homme et de la société. » (Ph. Robert, 1986, p. 309)
Pénalisme (étude du droit pénal) et pénologie (étude du droit de la procédure
pénale) sont donc des domaines strictement juridiques, et c’est essentiellement par ce trait
qu’ils se distinguent de la criminologie.
2. Qu’est-ce que la psychocriminologie ?
Les disciplines constituant la criminologie sont nombreuses et diverses. Nous
l’avons dit, on y retrouve notamment les sciences humaines et sociales – dont la
psychologie.
On pourra globalement appeler psychocriminologie la contribution de la psychologie à l’étude du crime.
Partant de là, il faut toutefois distinguer deux domaines différents, correspondant à
des ensembles distincts de questions et de problèmes :
- la psychologie criminologique
- la psychologie judiciaire et pénale.
2.1. Psychologie criminologique
Nous parlerons de psychologie criminologique pour désigner l’approche psychologique qui vise l’étude explicative des conduites criminelles. Il s’agit, en ce cas, d’élaborer
et de valider des modèles théoriques pouvant rendre compte, d’un point de vue psychologique, de l’acte criminel en général, de ses processus, de sa genèse. Toutes les disciplines
de la psychologie peuvent y contribuer.
Lorsqu’elle envisage l’acte comme étant l’effet d’un dysfonctionnement psychique
(individuel ou groupal), la psychologie criminologique se confond avec la psychopathologie
des conduites criminelles.
Dans le champ de la psychopathologie, et si nous empruntons par exemple à la
psychanalyse, nous disposons pour cela de concepts et de modèles, tels ceux : de pulsion,
d’angoisse, d’agir, d’inhibition, etc. Nous pouvons ainsi rendre compte de l’acte criminel
comme d’un processus, référable aux grandes structures mentales, à leurs caractéristiques, à leurs modes d’aménagement.
Remarques :
 Quand nous parlons de psychopathologie, nous ne parlons pas seulement de la
psychopathologie psychanalytique. En psychopathologie, il existe plusieurs courants :
psychopathologie phénoménologique, théorie organo-dynamique, behaviorisme, neuropsychologie, etc. (Ionescu, 1991 ; Widlöcher, 1994). Dans chacun de ces champs, de plus,
existent plusieurs modèles théoriques différents (dans le champ psychanalytique par
exemple : modèle freudien, modèle kleinien, modèle lacanien, modèle mahlérien...).
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 La psychopathologie des conduites individuelles ne se limite pas à une approche
individuelle du crime, elle peut aussi rendre compte de phénomènes collectifs et groupaux.
De façon générale, la psychopathologie n’est pas à réduire à une psychologie individuelle.
 À la limite, les actes dits délictueux ou criminels constituent une clinique privilégiée, au bénéfice de certains problèmes de psychopathologie générale : clinique de la
culpabilité, de la responsabilité, de la parentalité, des conduites à risques, de l’agressivité, etc. (Ex. : l’étude psychopathologique de la maltraitance nous offre un éclairage
quasiment « expérimental », par son caractère même de conduite extrême, sur ce qu’est
« être parent ».)
2.2. Psychologie judiciaire et pénale
On parle parfois de « criminologie clinique » pour désigner la contribution de la
psychologie au traitement judiciaire et pénal du crime (Pinatel, 1987). Selon la définition
qu’en a donnée en 1958 Benigno di Tullio (médecin italien), la criminologie clinique a pour
objet :
a) de procéder à l’étude du délinquant et de son acte sous tous ses aspects, grâce
à un examen médico-psychologique et social, qui est, par nature, pluridisciplinaire ;
b) d’apprécier la personnalité du délinquant et son état dangereux ;
c) de formuler éventuellement le programme du traitement qui devrait lui être
appliqué ;
d) de suivre l’exécution de ce traitement et d’en contrôler les effets.
(N.B. : Ces quatre objectifs concernent une contribution à la fois médicale, psychologique et sociale.)
Comme on peut le constater, les objectifs de la « criminologie clinique » sont
essentiellement pratiques, et diffèrent donc de ceux de la psychologie criminologique,
même si elle s’y réfère nécessairement. Elle implique également des aspects méthodologiques et déontologiques spécifiques, autres que ceux de la psychologie criminologique.
Cependant, dans la mesure où les questions liées à l’instruction (ou information)
judiciaire ne sont pas les mêmes que celles que posent la peine, son exécution, et ses effets,
nous proposons de distinguer :
- la psychologie judiciaire (ou psychologie légale)
- la psychologie pénale.
2.2.1. La psychologie judiciaire (ou légale)
La psychologie judiciaire fait partie de ce qu’on appelle la criminalistique.
La criminalistique est l’ensemble des savoirs et techniques mis au service de la
justice, pour établir des faits matériels liés à l’acte criminel et à la culpabilité des
personnes. La criminalistique inclut : la police scientifique et technique, la médecine
légale, l’identité judiciaire, la psychologie judiciaire – et plus globalement, toutes les
techniques pouvant concourir à l’établissement des preuves (conformément aux
principes d’une justice inquisitoriale). Juridiquement, la criminalistique relève de la
procédure pénale. Elle en constitue la partie technique et pratique non strictement
juridique.
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Quant à la psychologie, c’est l’aspect peut-être le plus connu de son activité
criminologique, en l’espèce de l’expertise psycho-judiciaire (ou psycho-légale).
On peut y ajouter, moins connue, l’évaluation psychologique du témoignage (ou de
l’allégation), dont nous traiterons plus spécialement dans notre chapitre III.
La psychologie légale correspond donc à une pratique psychologique essentiellement expertale (i.e. faisant appel à des spécialistes de divers domaines pour « éclairer »
la justice et aider à la décision judiciaire), dans le cadre de l’information judiciaire
(l’instruction).
2.2.2. La psychologie pénale
Le même engagement pratique peut se déployer aussi dans le champ postsententiel (= après condamnation), c’est-à-dire à propos de la peine, au titre de traitements
psychologiques du condamné et/ou de la victime. C’est ce qu’on appellera la psychologie
pénale.
La psychologie pénale n’implique pas seulement les psychothérapies, mais aussi et
plus globalement toute mesure d’aide psychologique ou d’intervention psycho-éducative
sur ordonnance judiciaire, au pénal mais aussi au civil (par ex. : les mesures d’assistance
éducative en matière de protection de l’enfance). Elle inclut une réflexion clinique et
déontologique sur l’intervention psychologique en contexte pénal, voire sur injonction
pénale (comme le favorisent les politiques pénales contemporaines à l’égard de certains
délinquants et criminels).
De plus, et dans la mesure où les traitements sont aussi préventifs (et pas
seulement curatifs post delictum), la psychologie pénale participe d’une définition et d’un
repérage de facteurs de risques, et d’interventions permettant de limiter ou d’annuler ces
risques. De ce point de vue, elle est donc intéressée par une approche épidémiologique,3 et
doit en déterminer les questions et les modes de questionnement psychologiquement
pertinents.
La psychologie pénale s’intéresse également aux aspects psychologiques liés à
l’incarcération et contribue ainsi à l’étude psychologique de la carcéralité.
Dans cette définition générale des différents champs de la criminologie, on peut,
enfin, distinguer deux versants, selon que l’on considère l’agresseur ou la victime, c’est-àdire le point de vue agressologique4 ou le point de vue victimologique.
La victimologie s’inscrit dans le champ de la psychologie pénale, lorsqu’elle
s’adresse à la victime du point de vue du soin ou de l’accompagnement psychologique, ou
d’un point de vue préventif (ex.: la question des pratiques de réparation, la recherche de
facteurs de risques de victimation).
- On appelle épidémiologie l’étude des maladies atteignant une population donnée et sur une
période donnée, afin de repérer les facteurs pathogènes provoquant ces maladies et de prévenir
l’apparition ou le développement de celles-ci en luttant contre les facteurs en cause.
4 - Le terme agressologie nous vient de la biologie, où il désigne l’étude des réactions des
organismes vivants en condition d’agression. Il a surtout été repris par la neurophysiologie, puis a
été appliqué à des situations d’agression comme le stress, ou le harcèlement moral au travail
considéré d’un point de vue médical (médecine du travail). Plus récemment, certains criminologues
l’ont également adopté, en symétrie et en complément à « victimologie » rapporté aux victimes,
pour désigner l’étude de l’auteur dans le couple pénal auteur-victime. « Agressologie » reste
néanmoins un terme généralement entendu dans son acception physiologique première et n’est
pas communément partagé en criminologie en raison de ses connotations encore principalement
biologiques et médicales.
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Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
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Mais s’il s’agit d’étudier et de théoriser la psychologie de la victime et la psychologie de la rencontre agresseur-victime, y compris mais pas seulement sous leurs aspects
psychopathologiques, la victimologie relève alors de la psychologie criminologique (par
ex. : la théorie du syndrome d’accommodation, les études sur les troubles post-traumatiques, l’étude psychologique de l’allégation victimale).
II. ORIGINES ET CHAMP DE LA VICTIMOLOGIE
En développement du précédent rappel général, précisons les différents aspects du
champ victimologique, en commençant par la notion de victime elle-même, qui s’avère
recouvrir une complexité d’abord à analyser.
1. Qu’est-ce qu’une victime ?
1.1. Du sacrifice à la victime (étymologie)
Il est difficile aujourd’hui de comprendre clairement ce que signifie le mot victime
tant ses acceptions et usages sont étendus et variés. Il y a sans doute à s’interroger sur le
« succès » de ce terme dans nos sociétés occidentales actuelles depuis deux ou trois
décennies.5
En français le terme serait apparu dans la langue vulgaire au XV ème siècle, d’abord
avec un sens lié au sacré. Le mot « victime » viendrait en effet du latin victima pour définir
« une créature vivante offerte en sacrifice aux dieux » (1496). En effet, le mot « victime » est
issu d’une longue tradition spirituelle et religieuse qui le relie à la notion de sacrifice.
Plus précisément, victima désignait la victime offerte aux dieux en remerciement
des faveurs reçues, en opposition à l’hostia, l’hostie, victime expiatoire immolée pour
apaiser leur courroux. Peu à peu, les nuances propres à victima et à hostia ont disparu et
l’usage a retenu le mot « victime », le mot « hostie » restant limité au domaine religieux
chrétien.
Dans les rites anciens, dont certains ont été repris par les religions monothéistes,
les victimes sont tantôt propitiatoires, offertes aux divinités pour solliciter leurs faveurs ou
leur clémence ; tantôt expiatoires, immolées pour les apaiser. Parmi les victimes
expiatoires, citons le rite sacrificiel bien connu du bouc-émissaire, pratiqué chez les
anciens Hébreux.6
Cette définition sacrée et sacrificielle prédominera donc jusqu’à la fin du XVème
siècle et prendra un sens théologique chrétien à partir du XVIIème s. pour désigner JésusChrist, l’homme qui endosse un rôle rédempteur : il est la victime souffrant et mourant
pour racheter les péchés des hommes. Il reste présent par l’eucharistie dans le sacrifice de
la messe.
- Voir : Evelyne Josse, Victimes, une épopée conceptuelle. Première partie : définitions, 2006, site
Internet : http://www.psycho-ressources.com/evelyne-josse.html
6 - « Anciennement, le jour du rite annuel hébreu de Yom Kippour (le Grand Pardon), deux boucs
étaient amenés au temple ; l’un était sacrifié à Dieu et l’autre, chargé symboliquement de tous les
péchés de la communauté, le bouc-émissaire (du latin caper emissarius, le bouc envoyé, lâché), était
chassé dans le désert vers le démon Azazel (dieu-bouc). L’immolation d’un des deux boucs reliait
les humains au divin dans un axe vertical. La victime émissaire quant à elle unissait les hommes
entre eux dans un plan horizontal en assurant la paix et l’ordre social. En effet, une union sacrée se
forgeait sur cette victime expiatoire et permettait de rejeter la violence endémique à l’extérieur de
la communauté. » - (Ibid., p. 5)
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C’est à la même époque que le mot commence aussi à prendre son sens actuel.
« Il se dote d’une connotation morale. La victime ne s’inscrit plus uniquement dans un
rapport vertical au sacré mais aussi dans une relation horizontale inter-humaine. En
effet, à la notion de sacrifice s’ajoute une définition infractionnelle de la victimisation,
le terme désignant aussi "la personne qui a subi la haine, les tourments, les injustices
de quelqu’un" (1606), "la personne qui souffre des agissements d’autrui" (1617). Par
extension, le mot se dit d’ "une personne qui souffre d’événements néfastes" (1617).
Aux facteurs infractionnels s’ajoute également la victimisation fortuite et
accidentelle. La victime est "une personne tuée ou blessée à la suite d’un cataclysme,
d’un accident ou d’une violence quelconque" (1604). Sous la plume de Bossuet et de
Boileau, en 1687, le mot désigne également "une personne qui pâtit de ses propres
actes (respectivement, victime de soi-même et victime de sa valeur) ". À la fin du
XVIIème siècle, dans le Dictionnaire de Furetière, le mot comprend aussi "les victimes
de la guerre, de la tyrannie politique et les jeunes personnes sacrifiées à l’ambition
familiale et contraintes d’entrer en religion" (1690). » - (Josse, Ibid., p. 6)
D’autres acceptions apparaissent dans la même veine socio-morale : « victime de
l’amour » et « de la médecine » au XVIIIème siècle ; au XIXème siècle, la victime est également
« la personne arbitrairement condamnée à mort » (déjà, durant la Révolution française,
ce terme fut appliqué aux personnes qui périrent condamnées par les tribunaux
révolutionnaires). Progressivement, le mot victime définit également « la personne
torturée, violentée, assassinée, la personne qui meurt à la suite d’une maladie, d’un
accident, d’une catastrophe, la personne tuée dans une émeute, une guerre ». Vers 1885,
apparaissent les « victimes du devoir » pour désigner notamment l’héroïsme des sapeurspompiers.
Au XXème siècle, le mot se généralise attestant de la visibilité sociale du concept. Il
recouvre des réalités de plus en plus diverses gagnant l’ensemble des champs de la
société. Les définitions se multiplient : infractionnelles, sociales, politiques, accidentelles,
guerrières, naturelles, médicales, routières, technologiques, économiques, culturelles, etc.
Et le début de notre XXIème siècle voit l’expansion du concept se confirmer avec, de plus,
dans les sociétés non occidentales, un retour en force du religieux, des victimes se
sacrifiant au nom d’un fondamentalisme fanatique.
Nous en arrivons ainsi à ce que l’on pourrait appeler une inflation, particulièrement forte, tant sémantique que sociale, du mot « victime », et donc parfois facteur de
confusion :
« Ces vingt dernières années, le concept de victime a fait recette. De plus en plus
banalisé et galvaudé, il fait aussi maintenant les frais de sa popularité. En
caricaturant à peine, on peut dire qu’aujourd’hui, est victime toute personne qui se
considère comme telle. Le sujet victimisé domine, peu importe l’origine de sa
victimisation. Cette vulgarisation provoque une confusion entre victimisation réelle
et sentiment d’insécurité, difficulté psychologique personnelle, etc. En effet, certaines
personnes confondent frustration, colère, chagrin, peur, etc. avec l’atteinte physique,
morale ou psychologique de la victimisation. Par exemple, elles s’estiment victime
d’un divorce, d’un décès, d’un licenciement, de l’irrespect de voisins, etc. Elles
projettent la cause de leur mal-être sur autrui et s’épanchent alors en revendications
victimaires. Etre victime n’est plus un état mais devient un statut, la victime existant
socialement au travers de sa victimisation. » - (Ibid., p. 7)
On pourrait ainsi remarquer que : « l’omniprésence des victimes dans la sensibilité
contemporaine pousse tout un chacun à être victime, c’est un statut qui peut être enviable : il
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procure des bénéfices, permet de se faire entendre et dans certains cas, se plaindre donne du
pouvoir ».7
TYPES DE VICTIMES ET DEGRÉ D’IMPLICATION
DANS L’ÉVÉNEMENT TRAUMATIQUE
Le degré d’implication de la victime dans l’événement traumatique amène à distinguer victime
directe et victime indirecte.
La victime directe ou primaire
La victime directe ou primaire a été confrontée au chaos, au sentiment de mort imminente ou
d’horreur. Elle peut avoir été sujet (avoir subi), acteur (avoir provoqué volontairement ou
involontairement) ou témoin (avoir vu) de l’événement traumatique. Elle a été directement
exposée à un événement de nature traumatisante (expérience sensorielle et émotionnelle).
Les intervenants humanitaires et le personnel des services de secours sont des victimes
directes lorsqu’ils ont été directement exposés d’une façon ou d’une autre à un événement de
nature traumatogène (expérience sensorielle et émotionnelle).
Le DSM IV ne définit pas comme telle la notion de victime. Néanmoins, elle est sous-jacente
dans la définition de l’Etat de Stress Post-Traumatique. Selon le DSM IV, on parle de stress
traumatique lorsque le sujet a été exposé à un événement dans lequel les deux éléments
suivants étaient présents :
• Le sujet a expérimenté, a été témoin ou a été confronté avec un ou plusieurs événements qui ont
impliqué une réelle menace de mort ou de blessure grave ou encore de menace pour son intégrité
physique ou celle des autres.
• La réponse du sujet a impliqué une peur intense, un sentiment d’impuissance ou encore
d’horreur.
En résumé, la victime primaire a expérimenté ou a été témoin d’un incident inopiné et violent
qui blesse ou menace physiquement et/ou psychologiquement et qui la confronte avec la mort
comme réelle ou possible. Cet incident critique produit une peur intense et/ou un sentiment
d’impuissance et/ou d’horreur. Dans certains cas cependant, la personne n’a rien ressenti de
tel car elle s’est dissociée de ses émotions.
La victime indirecte ou secondaire
La victime indirecte n’a pas été témoin de l’événement mais est concernée par lui et/ou par ses
conséquences du fait de sa proximité émotionnelle (expérience émotionnelle) avec les victimes
directes. Les victimes indirectes ou secondaires sont toutes les personnes proches d’une victime
primaire perturbées par l’expérience de cette dernière.
Les victimes secondaires sont aussi appelées victime par ricochet (notamment en Justice).
Pour une victime directe, il y a de nombreuses victimes indirectes : la famille, les amis, les
collègues, les voisins, etc.
Dans le cas des intervenants des services de secours et des acteurs de l’aide psychosociale, les
victimes secondaires sont les collègues d’une victime directe et les membres de sa famille.
Les victimes potentielles ou tertiaires
Les victimes potentielles ou tertiaires sont les personnes d’un groupe de la population (groupes
professionnels, d’âge, d’orientation sexuelle, de genre, d’appartenance ethnique ou religieuse,
de catégorie sociale, voire des groupes plus larges encore tels qu’une nation ou la population
mondiale) possiblement affectées ou perturbées par un événement majeur touchant un individu
ou un ensemble d’individus (victimes directes) appartenant au même groupe. Les victimes
- Noëlle Languin, L’émergence de la victime. Quelques repères historiques et sociologiques, 2005,
document consultable sur Internet (texte PDF).
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tertiaires peuvent connaître personnellement les victimes directes ou n’avoir jamais entretenu
aucun lien avec elles.
Dans le milieu des services de secours ou des organismes humanitaires, le décès d’un membre
du personnel est susceptible d’ébranler tous les membres de l’organisation. Par exemple, tous
les pompiers belges se sont sentis concernés par le drame de Ghislenghien où plusieurs d’entre
eux ont péri, de même pour les pompiers américains ébranlés par le drame des Twin Towers à
New York le 11 septembre 2001.
Toute une nation peut être bouleversée par le meurtre crapuleux d’un enfant comme ce fut le
cas en Belgique avec l’affaire Dutroux. Le monde entier peut être touché par un catastrophe
naturelle dévastant une région du monde. Nous l’avons vu avec l’émotion planétaire
déclenchée par tsunami survenu le 26 décembre 2004 en Asie du Sud Est.
En raison de l’événement traumatique subi par un des siens, un groupe de personnes peut être
amené à modifier ses habitudes. Par exemple, les femmes évitent de se déplacer seules le soir
parce qu’elles se sentent vulnérables face aux risques d’agression sexuelle. Les juifs ou les
homosexuels évitent certains quartiers fréquentés par de bandes d’extrême droite dont ils
redoutent les attaques.
Parmi les victimes tertiaires, citons encore les personnes qui du fait de leurs activités
professionnelles (personnel soignant, de secours, etc.) approchent de manière répétée des
victimes directe et secondaires. On appelle traumatisation vicariante la surcharge émotionnelle
qui résulte de ce contact avec des bénéficiaires en détresse.
(Evelyne Josse, Victimes, une épopée conceptuelle. Première partie : définitions, 2006,
p. 12-15.)
Notons, enfin, que l’expansion moderne du mot « victime » a donné lieu à quelques
termes dérivés :
 victimaire (1555), emprunté au latin classique victimarius, prêtre qui préparait
et frappait les victimes. Le « victimaire » est donc celui qui produit une victime
(à l’origine, lors d’un rite sacrificiel). D’un point de vue étymologique, c’est par
conséquent un contresens d’employer ce terme pour qualifier la victime ellemême comme on le fait souvent de nos jours. (On préfèrera, en ce cas, l’adjectif
victimal.)
 victimer (1600), emprunté au latin impérial victimare, sacrifier (une victime). Le
verbe victimer a signifié « tuer » puis, sous la Révolution française, « condamner
à mort » et « maltraiter (quelqu’un) » (1795).
 enfin, le mot victimiser est un anglicisme introduit en français au XXème siècle.
Il est emprunté au verbe anglais to victimize, « transformer en victime » (1830),
dérivé du latin victima comme en français.
Cette brève analyse étymologique et historique :
- nous rappelle quelques sens oubliés mais encore latents du mot « victime »,
notamment son sens sacrificiel, et peut nous ouvrir la voie d’interprétations
psychologiques plus ou moins inédites ;
- nous interroge sur la place de la notion de victime dans notre pensée
contemporaine, elle-même inscrite dans une tradition judéo-chrétienne encore
assez vivace qui valorise fortement et de façon positive, voire idéalisée, la place de
victime et le rôle victimal, à travers la notion de peuple persécuté, exilé et martyr
dans la tradition judaïque, et celle de héros (et héraut) prophétique sacrificiel dans
la tradition chrétienne.
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
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1.2. Analyse de la notion de victime
Avertis par l’analyse étymologique et historique du mot « victime », nous pouvons
en proposer une analyse opératoire, utile pour l’approche victimologique en psychologie.
On peut entendre la notion de victime selon plusieurs phénomènes possibles,
distincts et non-coïncidents :
 d’un point de vue objectif (ou descriptif), la victime est la personne désignée
par un tiers comme ayant subi un événement éprouvant, un dommage ou un préjudice.
En ce cas, la victime est la production d’un tiers témoin, ou plutôt d’une
appréciation par un tiers qui ne coïncide pas nécessairement avec un vécu de victime pour
la personne ainsi perçue. Par ex. : si la personne agressée s’est défendue au point de
contrer et d’empêcher l’action d’un agresseur, elle peut se considérer comme non-victime
puisque non endommagée, comme n’ayant subi aucun préjudice effectif, alors qu’un tiers
retiendra l’agression et donc l’idée qu’il y a une victime de cette agression.
 d’un point de vue psychique, être victime est l’expérience subjective d’effets de
ce dommage ou de cet évènement subi.
Cette expérience est plus au moins perturbatrice pour le « fonctionnement
psychique » de la personne. Cette expérience peut être consciente (« se sentir victime »)
ou inconsciente (« souffrir indirectement des effets d’un dommage »). Elle n’est pas
proportionnelle à la réalité objective du dommage subi (un même dommage ou un même
événement objectif n’aura pas la même résonance affective selon la personne qui le vit).
Ce que nous appelons « victime psychique » correspond à ce que le Dr Louis Crocq
a défini sous ce même nom :
« La victime psychique est une victime qui est atteinte dans son psychisme, et qui
en souffre. Le concept relève de la médecine, de la pathologie ; il implique un patient
qui présente des symptômes, et qui requiert des soins. Ce concept de victime
psychique, issu du concept militaire de blessé psychique, a le mérite d’attirer l’attention sur les rescapés physiquement indemnes, mais psychiquement atteints observés
immédiatement après un accident, une catastrophe ou un attentat. » - (L. Crocq,
« Historique et évolution du concept de victimologie », 1998, p. 5)
 d’un point de vue psychologique, être victime implique aussi un
environnement qui va plus ou moins influer sur le vécu psychique de la personne.
Cet environnement peut être le monde relationnel et social proche de cette
personne (famille, amis, voisins, collègues de travail), mais c’est aussi le monde « institutionnel » qui peut solliciter la personne par rapport au dommage ou à l’événement qu’elle
a subi, ou qui peut être sollicité par elle comme aide ou comme recours : dispositif judiciaire, associations d’aide, compagnies d’assurances, intervenants médicaux et sociaux…
On parlera de position victimale pour désigner la manière dont la personne réagira à ces
influences et se situera par rapport à ces influences, avec, au centre de ce positionnement,
la question de la relation à l’auteur et celle du dommage et de son traitement sociojuridique comme préjudice.
Louis Crocq propose, de son côté, la notion de psychologie de la victime, qu’il
applique seulement à des victimes non pathologiques (victimes psychiques). En nous
démarquant de cette position tout en l’intégrant, nous pourrions étendre aussi cette
notion aux victimes atteintes de pathologies consécutives à l’évènement critique dans la
mesure où elles n’échappent pas pour autant aux phénomènes d’une « psychologie de la
victime » (voir infra, chap. III. 2 et 3).
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
11
« Toute différente est la psychologie de la victime, ou état psychologique normal,
dans l’immédiat et ensuite, de quelqu’un qui a conscience d’être victime, qui cherche
à comprendre ce qui lui est arrivé, qui peut éprouver du chagrin, du ressentiment,
de la colère ou un désir de vengeance, de justice ou de réparation, mais qui ne
présente pas de symptômes ni de structuration pathologique. Ces victimes non pathologiques, avec leur psychologie compréhensible, ne relèvent pas de l’intervention
médicale. Toutefois, elles peuvent se trouver dans le dénuement, le besoin, le désarroi,
la détresse ou l’affliction, et relèvent d’un soutien psychologique et social, d’une aide
matérielle éventuelle, et de conseils juridiques. » - (Ibid.)
 d’un point de vue juridique, enfin, il n’y a de victime que si le dommage subi est
jugé et condamné comme une infraction, créant dans le même temps un coupable et une
victime. Si le dommage est jugé et qu’il n’est pas encore condamné, on parlera de victime
présumée.
En résumé : Nous repérons par cette analyse en quatre plans une réalité victimale
hétérogène et complexe, dont les différents aspects, répétons-le, ne sont pas toujours
coïncidents ni tous impliqués à la fois. On pourra ainsi parler de parcours victimal non
seulement pour désigner l’inscription, dans le temps social et vécu, d’une position
victimale et de ses changements (ou non-changements), mais aussi le déroulement, selon
des combinaisons et des interactions diverses et mouvantes, de l’ensemble hétérogène et
complexe que nous venons de proposer, au-delà de la seule dimension victimale (« victime
psychologique »).
1.3. La victime infractionnelle
En victimologie comme en criminologie, et quelle que soit la discipline à partir de
laquelle on étudie le phénomène criminel, celui-ci relève d’abord du droit : c’est d’abord
une qualification juridique et une pratique judiciaire et pénale. Lorsque la victimologie est
considérée d’abord sous cet angle, on parle de victimologie infractionnelle, préoccupée
essentiellement de définir des critères juridiques et des actions pénales en conséquence.
Nous sommes ici dans un développement de la notion de « victime juridique » telle que
définie précédemment.
Il n’est donc pas inutile de développer cet aspect du phénomène victimal (par
analogie au « phénomène criminel »). Nous citerons ici trois exemples : le premier relevant
du droit universel ; le second, du droit pénal international ; le troisième, enfin, du droit
pénal français.
2.2.1. Droit universel
En 1985, la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes
de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir, publiée par l’Assemblée Générale des
Nations Unies (résolution 40/34 du 29 novembre 1985)8 définit les victimes de criminalité
comme suit :
On entend par « victimes » (de la criminalité) des personnes qui, individuellement ou
collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité
physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte
grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent
les lois pénales en vigueur dans un État membre, y compris celles qui proscrivent les
abus criminels de pouvoir.
8
- Voir page Internet : http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/h_comp49_fr.htm
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
12
Une personne peut être considérée comme « victime », dans le cadre de la présente
Déclaration, que l’auteur soit ou non identifié, arrêté, poursuivi ou déclaré coupable,
et quels que soient ses liens de parenté avec la victime. Le terme « victime » inclut
aussi, le cas échéant, la famille proche ou les personnes à charge de la victime directe
et les personnes qui ont subi un préjudice en intervenant pour venir en aide aux
victimes en détresse ou pour empêcher la victimisation.
Les dispositions de la présente section s’appliquent à tous, sans distinction aucune,
notamment de race, de couleur, de sexe, d’âge, de langue, de religion, de nationalité,
d’opinion politique ou autre, de croyances ou pratiques culturelles, de fortune, de
naissance ou de situation de famille, d’origine ethnique ou sociale et de capacité
physique.
Et les victimes d’abus de pouvoir :
On entend par « victimes » (d’abus de pouvoir) des personnes qui, individuellement
ou collectivement, ont subi des préjudices, notamment une atteinte à leur intégrité
physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte
grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui ne
constituent pas encore une violation de la législation pénale nationale, mais qui
représentent des violations des normes internationalement reconnues en matière de
droits de l’homme.
2.2.2. Droit pénal international
En 1998, le Règlement de procédure et de preuve de la Cour Pénale Internationale
(Statut de Rome)9 déclare :
Aux fins du Statut et du Règlement, le terme « victime » s’entend de toute personne
physique qui a subi un préjudice du fait de la commission d’un crime relevant de la
compétence de la Cour.
Le terme « victime » peut aussi s’entendre de toute organisation ou institution dont
un bien consacré à la religion, à l’enseignement, aux arts, aux sciences ou à la
charité, un monument historique, un hôpital ou quelque autre lieu ou objet utilisé à
des fins humanitaires a subi un dommage direct.
En 2001, le Conseil de l’Union Européenne10 définit la victime comme « la personne
qui a subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique ou mentale, ou une
souffrance morale ou une perte matérielle, directement causé par des actes ou des omissions
qui enfreignent la législation pénale d’un État membre ».
2.2.3. Droit pénal français
Au regard du droit français, être victime suppose deux conditions :
 une infraction
 un préjudice
Pour l’infraction, il peut s’agir des trois degrés d’infractions possibles, soit :
- Règlement de procédure et de preuve, Cour Pénale Internationale, ICC-ASP/1/3. Voir document
Internet, URL :
http://www.icc-cpi.int/library/about/officialjournal/basicdocuments/rules(f).pdf
10 - Décision-cadre du Conseil du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre de
procédures pénales – voir document Internet, URL :
http://europa.eu.int/eurlex/pri/fr/oj/dat/2001/l_082/l_08220010322fr00010004.pdf
9
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
13
 un crime : homicide volontaire, vol à main armée, viol, acte de terrorisme, etc.
 un délit : vol, escroquerie, violences, homicide involontaire, harcèlement sexuel
ou moral, etc.
 une contravention : tapage nocturne, insultes non publiques, stationnement
interdit, dégradations légères, etc.
Pour le préjudice, il peut être :
 physique ou psychique : blessures ou de manière générale toute atteinte à la
santé ou à l’intégrité physique ou mentale d’une personne ;
 moral : le préjudice moral recouvre des préjudices non économiques et non
matériels, attachés à la personne humaine. Il peut correspondre par exemple à
des propos diffamatoires, ou à toute atteinte à la personne (discrimination,
insultes, atteintes à la vie privée), ou même à la douleur liée à la perte d’un être
cher lors d’un accident.
 matériel : ce sont les dégâts et dégradations matériels consécutifs à l’infraction,
par exemple un véhicule brûlé, des meubles dégradés, des vêtements volés,
etc. (notion principale de biens et d’atteintes aux biens).
 d’agrément : il s’agit des dommages résultant de la privation de certaines
satisfactions de la vie courante, comme par exemple la possibilité de continuer
une activité sportive ou de loisir.
Le Code pénal français ajoute que le préjudice doit être certain (et pas seulement
éventuel), concerner la personne directement et être établi.
Notons enfin que, pour évaluer le préjudice corporel, les médecins experts utilisent
la notion juridique d’incapacité totale de travail (ITT) : il s’agit de la période pendant
laquelle la victime est dans l’incapacité d’effectuer les actes de la vie courante (et pas
seulement de travail). Elle ne correspond en aucun cas à un arrêt de travail (il est donc
possible de déterminer une ITT pour un enfant, une personne âgée ou une personne sans
emploi). Cette notion constitue un moyen d’évaluation des préjudices de la victime au plan
judiciaire.
2. Qu’est-ce que la victimologie ?
2.1. Naissance de la victimologie
2.1.1. Précurseurs
Bien avant la naissance de la victimologie moderne, proprement dite, dès
l’Antiquité gréco-romaine, la médecine a observé et décrit des troubles émotionnels et
comportementaux chez des soldats à la suite de faits de guerre ou chez des individus
soumis à des situations de massacre ou d’accident grave. C’est toutefois à l’époque des
guerres révolutionnaires et napoléoniennes (fin XVIIIème-début XIXème s.), en une période
où se constitue, notamment en France, la médecine moderne sur des bases biologiques et
notamment physiologiques, qu’apparaissent les premières descriptions cliniques systématiques et l’approche psychopathologique de ces troubles (Pinel). Toute une médecine
psychopathologique liée à la guerre émerge ainsi, qui reste encore aujourd’hui l’un des
chapitres les plus importants de la clinique des psycho-traumatismes (les « névroses de
guerre »), régulièrement nourri par les nombreuses occasions de conflits armés qui ont
marqué notre Histoire continentale et même mondiale depuis deux siècles.
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
14
C’est toutefois à partir d’une autre source que sont nées les premières dénominations et les premières explications psychologiques de ces états, en l’occurrence : les
accidents de chemin de fer11 et les pratiques d’examens médico-légaux liés aux compagnies
d’assurances impliquées dans l’indemnisation des victimes de ces accidents. Le médecin
allemand Hermann Oppenheim crée ainsi en 1888 le terme de névrose traumatique, pour
désigner les syndromes, considérés à l’époque comme hystériques ou anxiophobiques,
consécutifs aux accidents de chemin de fer. Des neurologues britanniques avaient étudié
les mêmes phénomènes dans une perspective plus neurophysiologiques, sous le nom de
railway brain et de railway spine (Putnam et Walton, 1884). Mais les travaux d’Oppenheim
ouvrent la voie d’une interprétation plutôt psychopathologique de ces troubles, qui va
elle-même plus ou moins influencer en retour les débats médicaux sur l’hystérie et la
neurasthénie à la fin du XIXème s. (Charcot, Kraepelin12, Kraft-Ebbing, Janet, Freud).
Enfin, notons dans un tout autre domaine encore, l’apport du médecin français
Édouard Brissaud (neurologue), inventeur de la sinistrose (1888). La sinistrose est un
syndrome psychique observé chez les victimes d’accident du travail ou de la circulation,
susceptible de donner lieu à réparation par l’employeur ou la partie adverse. La sinistrose
est caractérisée par une majoration inconsciente des séquelles éventuelles d’un état
pathologique pourtant guéri, d’un désir de réparation et d’une inhibition de la bonne
volonté. Elle traduit une sorte de psychose revendicatrice en vue d’obtenir l’indemnité la
plus élevée possible. La sinistrose, dans laquelle le sujet finit par se persuader qu’il est
malade et ressentir effectivement les troubles qu’il invoque, doit être distinguée de la
simulation.
Ce bref rappel de la médecine des traumatismes montre que c’est d’abord la
question des troubles présentés par les « victimes » qui a initié l’étude psychologique et
psychopathologique de celles-ci, et à partir d’enjeux différents, y compris socio-économiques (dédommagements d’invalides de guerre, ou liés à des contrats d’assurances ou au
droit du travail) et juridiques (débuts de la médecine légale : en France, dans les années
1830-40). Cette médecine des « traumatismes » inclut, en conséquence et également, la
question de la simulation et de son dépistage diagnostique (naissance de la « psychologie
du témoignage », Binet, 1905).
Du côté de la criminologie, on convient ordinairement que la première étude
victimologique est due au criminologue américain Hans von Hentig, auteur de l’ouvrage
The Criminal and his Victim publié aux États-Unis en 1948. Le rôle de la victime dans le fait
criminel avait cependant déjà été évoqué par Étienne de Greeff (Psychologie de l’assassinat,
1935) et dans l’œuvre du criminologue suédois Olof Kinberg (Les problèmes fondamentaux
de la criminologie, 1930). Les études sur les victimes d’accidents (Gemelli, Ponzo, 1933) et
sur les « bourreaux domestiques » (Dublineau, Follin, 1944) avaient également abordé ce
problème.
Mais c’est à un avocat israélien, Benjamin Mendelsohn, que l’on doit en 1956 le
véritable acte de naissance de la victimologie, annoncée comme « une nouvelle branche de
la science bio-psycho-sociale ».
- Bien qu’officiellement autorisé en 1823 d’abord en France et fonctionnel à partir de 1827
(première ligne continentale dans la région de Saint-Etienne), le transport de passagers par chemin
de fer a connu son véritable essor à partir des années 1840.
12 - E. Kraepelin définit en 1899 la névrose d’effroi (ou Schreckneurose). Cette affection, qui
correspond, malgré des similitudes cliniques, à la première distinction nosologique conceptuelle
entre l’hystérie et une pathologie autonome liée à un traumatisme psychique, n’a jamais fait
autorité, et c’est celle de « névrose traumatique » qui s’est imposée pour désigner ces états.
11
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
15
2.1.2. L’invention de Benjamin Mendelsohn
L’article publié cette année-là dans la Revue Internationale de Criminologie et de
Police technique fut ensuite réédité, traduit en français, dans la Revue française de
psychanalyse en 1958. Il s’agirait d’une conférence prononcée par Mendelsohn à la Société
roumaine de Psychiatrie en mars 1947. L’article de 1956 se présente comme des extraits
d’une étude en cours (mais, à notre connaissance, jamais publiée) intitulée Horizons
nouveaux bio- psycho-sociaux : la victimologie.
L’article fondateur de Mendelsohn est à vrai dire assez composite et parfois
contradictoire. L’auteur plaide en faveur d’une attention plus juste pour la victime
souvent oubliée et, d’un autre côté, montre que dans certains cas elle peut être au
moins aussi coupable sinon plus que l’infracteur lui-même. Il insiste sur l’intérêt de
penser indissociablement le « couple pénal » (délinquant-victime) et globalement le
« complexe criminogène » (ensemble des facteurs qui déterminent ou accueillent le
potentiel criminogène), tout en revendiquant une autonomie complète de la victimologie,
distincte de la criminologie centrée sur le criminel.13
L’enjeu curatif et préventif, par contre, est tout à fait clair et affirmé, et la question
est ouverte d’une « attitude victimale » dont l’exemple extrême est indiqué du côté du
masochisme.
« Pour un traitement égal devant la justice, pour sa plénitude et pour une juste
répartition de celle-ci, il est absolument nécessaire que la victime soit étudiée dans
une mesure égale à l’étude du criminel. Le problème de la criminalité doit être étudié
aussi sous l’aspect de la personnalité de la victime, du point de vue préventif et
curatif, biologique, psychologique et sociologique. Cette nouvelle science constituera
ce que nous nommons pour la première fois LA VICTIMOLOGIE. C’est la conception
d’une politique de défense de la société, qui aura comme but principal l’éducation
préventive des membres de la société, afin de les préserver de devenir victimes, ainsi
que la thérapeutique à appliquer pour les défendre contre une récidive. »
(Mendelsohn, 1958, p. 98)
« La victimologie sera, semble-t-il, une nouvelle école dans le domaine de la
criminologie. Elle sera dirigée vers un point cardinal différent dans la lutte contre le
fléau de la criminalité. C’est pour la première fois que la science s’occupe de la
victimité par opposition à la criminalité. Elle aura comme point d’appui
fondamental le facteur le plus intéressé dans le combat contre la criminalité : la
victime. La victimologie dictera à la vie sociale, à la sociologie et à la justice une
autre attitude envers la victime. Elle mobilisera toutes les forces sociales pour
l’éducation de la vigilance du citoyen et pour la découverte de ses défauts afin
d’éviter la victimité et d’y remédier. » (Ibid., p. 118-119)
De son côté, Von Hentig ne dissociait pas l’étude de la victime et celle du criminel,
faisant de la victimologie un chapitre de la criminologie, point de vue le plus généralement
partagé et auquel Mendelsohn devait aussi se ranger.
Nous envisagerons dans la suite de notre propos les autres conceptions de la
victimologie apparues depuis l’invention de Mendelsohn. (Voir aussi : Annexe Les grands
courants de la victimologie.)
- Ces contradictions apparentes proviennent sans doute du fait que Mendelsohn considère le
problème de la victime tantôt d’un point de vue juridique et pénal, tantôt d’un point de vue
sociologique et psychologique.
13
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
16
2.2. À la recherche d’une victimologie autonome
À partir de l’invention de Mendelsohn, un domaine nouveau de la criminologie
était ainsi ouvert, qui devait donner lieu à de nombreuses recherches et réflexions
(Ranjeva-Castera, 1964 ; Filizzola, Lopez, 1995).
Parmi les nombreuses essais d’autonomisation de la victimologie, signalons ceux
qui ont tenté, dès les années 1950-70, d’y associer de façon intégrative droit, médecine
et sciences humaines. Par exemple, celle des psychiatres français Sizaret et Sizaret, qui
s’exprimaient
ainsi presque vingt-cinq ans après les propositions fondatrices de Mendelsohn :
« ... la science victimologique en est encore à ses débuts et les différentes orientations
actuelles de la recherche dans ce domaine peuvent se définir sur les plans suivants.
« 1) Sur le plan théorique par la mise au point d’une classification et typologie des
victimes ; par l’élaboration d’une théorie victimologique capable d’expliquer
pourquoi certaines personnes plus que d’autres sont exposées à devenir victimes.
« 2) Sur le plan étiologique, les criminologues ont déjà établi quelques facteurs et
dispositions victimogènes qui rendent certains individus vulnérables face aux
atteintes criminelles, mais sur le plan phénoménologique, beaucoup de découvertes
restent à faire quant aux caractéristiques bio-socio-psychologiques des victimes et à
la relation criminel-victime.
« 3) Sur le plan juridique et répressif l’étude de la crédibilité de la victime comme
témoin, de sa part de responsabilité, etc., devrait permettre une évaluation juste de la
responsabilité du délinquant et donc la prise des mesures répressives ou correctrices
plus justement adaptées.
« La victimologie surtout trouve tout son sens dans une application pratique. Dans le
domaine de la prophylaxie et de la prévention, l’étude de moyens de dépistage des
victimes latentes et la prévision du degré et de la nature du risque qu’encourt chaque
individu peuvent permettre la mise en place de moyens de protection individuels et
généraux. » (Sizaret, Sizaret, 1974, p. 534-535)
Un peu plus tard, à la fin des années 1970, l’étude des victimes a été fortement
influencée par la sociologie et s’est transformée chez certains auteurs dans le sens d’une
criminologie de la « réaction sociale ».14 C’est ce qu’on appelle parfois la « Seconde
Victimologie » - (voir Annexe 1). Dans cette nouvelle acception, il s’agit d’étudier toutes les
situations de victimisation, y compris celles qui sont liées à des événements fortuits ou à
des catastrophes naturelles (tremblements de terre, par exemple). « C’est à cette nouvelle
approche que correspond ce que l’on appelle la criminologie victimologique ou encore
“victimologie de l’action”, pour laquelle la victimisation par actes délictueux est considérée
comme une sorte de “risque social”. Au même titre que celle qui résulte d’autres événements. » - (Gassin, 1990, p. 227)15
À partir des années 1990, particulièrement en France et sous l’impulsion de
médecins psychiatres et de psychologues cliniciens, s’est développée une victimologie
- Criminologie de la réaction sociale : courant de la criminologie qui, à partir des années 1960,
s’est proposé d’étudier le phénomène criminel comme une réponse à un contexte social qui
participe ainsi, implicitement, à la création et au développement du phénomène, au bénéfice d’une
forme d’équilibre social où la criminalité joue donc un rôle régulateur. (Le sociologue français Émile
Durkheim proposait déjà, au début du XXème s., de considérer que la criminalité était un phénomène
social « normal », dans la mesure où il existe dans toute société et où il contribue à la cohésion
sociale par un effet de contre-exemple.)
15 - Mendelsohn suggérait déjà, dans son premier article sur la victimologie, d’en étendre le domaine
au-delà du simple « couple pénal ». Dans les années 1960, il fut d’ailleurs l’un des premiers à inclure
dans la victimologie la question du génocide.
14
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
17
clinique dont les principaux initiateurs et représentants sont Louis Crocq et François
Lebigot. Ce nouveau courant met fortement l’accent sur l’étude et le traitement de la
« victime psychique » (Crocq), sans pour autant négliger la « psychologie de la victime »
mais renvoyée à un autre type de clinique, non principalement thérapeutique.
Enfin, depuis le début des années 1990, les recherches et enseignements développés par l’équipe de Psychocriminologie et de Victimologie du Pr Loïck M. Villerbu 16
à l’Université Rennes 2, resitue la victimologie dans un cadre épistémologique large,
fondé sur une analyse de la notion de « victime », à la fois sociopolitique, juridique,
professionnelle et disciplinaire (les savoirs issus de la psychologie mais aussi d’autres
disciplines scientifiques, comprises dans une transdisciplinarité). Du point de vue
spécifiquement psychologique, la victimologie est plutôt définie dans le sens d’une
psychologie de la victime, non réductible à la seule psychopathologie victimale
(principalement construite autour d’une clinique du psychotraumatisme), et qui prend
en compte les autres dimensions du champ victimologique. Cette victimologie, par
ailleurs, est conçue – à l’instar de certains pionniers du domaine – comme ne pouvant
être dissociée de l’étude « agressologique », au sens d’une articulation nécessaire avec
l’étude criminologique de l’infracteur (l’auteur) et du système interactionnel infracteurvictime-contexte.

En reprenant l’analyse de la notion de « victime » saisie dans une hétérogénéité du
champ victimologique, nous poursuivrons notre étude selon la distinction suivante :
 Nous envisagerons d’abord les principaux modèles théoriques qui ont tenté de
rendre compte des aspects psychologiques et psychopathologiques du fait d’être victime,
soit du point de vue des conditions de victimation (« devenir victime »), soit du point de
vue des situations de victimation appelant des stratégies de « survie psychique » dans la
durée (« être victime »).
 Dans un second volet, il s’agira d’une clinique des conséquences des circonstances et des expériences de vie ayant conduit à une situation victimale (victimité),
parfois sous la forme de troubles psycho-traumatiques (« victime psychique »), mais
toujours dans la nécessité de trouver et de construire une position victimale (« victime
psychologique », ou « psychologie de la victime » pour reprendre la formulation de L.
Crocq.
Rappelons que nous laisserons ici de côté la clinique victimologique préventive,
thérapeutique et socio-éducative, pour envisager une clinique psychologique et psychopathologique de la victimisation et de la victimité, en laissant en suspens la question des
traitements.
- Loïck M. Villerbu (2005). « Pourquoi la victimologie ? Une construction anthropologique de la
responsabilité », Les Cahiers de l’Institut de Criminologie et Sciences humaines, numéro Hors-série,
Université Rennes 2, 1-8.
16
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
18
Toutes les victimes ne le sont pas par hasard
« Depuis quelques années est apparue en criminologie, une discipline nouvelle : la victimologie. L’attitude spontanée, naturelle en présence d’une “victime” a été et reste la compassion, la commisération, le désir ou le souhait de réparation et de compensation. Mais cette
démarche basée sur la sympathie et la résonance affective éclipse toute autre intervention
réflexive. Il semblerait incongru, déplacé ou maladroit d’oser s’interroger sur un bénéfice
moral, à défaut de matériel, retiré par la victime d’un événement en apparence fortuit
lorsque le préjudice est flagrant.
« Cependant, l’agression du sort peut garder dans sa répétition à travers quelques variantes
de détail, une unité d’aspect ou de forme qui, déjà, prête à réfléchir. L’accumulation par
certains individus au cours de leur existence d’événements pénibles, voire catastrophiques
souvent stéréotypés ne peut plus être considérée systématiquement comme une fatalité
malheureuse où la victime se contenterait d’attendre et de subir passivement les caprices du
hasard. Le dépassement des simples probabilités mathématiques amène ainsi à s’interroger
sur l’intervention d’un élément personnel forçant le sort. Si l’on veut éviter tout appel au
magique et à l’irrationnel que représente la “mauvaise étoile”, on est conduit à rechercher
dans la structure intime de la personnalité des motivations inconscientes amenant celle-ci à
s’exposer d’une manière excessive et avec une finalité névrotique. Ainsi, l’organisation
particulière de la personnalité que l’on peut appeler “névrose de destinée” paraît requérir
en victimologie une place importante. » (Sizaret, Sizaret, 1974, p. 533)
III. CLINIQUES VICTIMOLOGIQUES
1. Facteurs et conditions de victimation
1.1. Devenir victime
1.1.1. Le modèle de la névrose (Première Victimologie)
Les premiers travaux victimologiques psychologiques et psycho-pathologiques se
sont fortement référés à la théorie psychanalytique des névroses de Freud et particulièrement aux notions de et de « syndrome (ou névrose) d’échec » et de « névrose
d’échec» (voir encadré). L’hypothèse a été ainsi émise que, dans certains cas, il existe chez
la victime une prédisposition psychique inconsciente à devenir victime – c’est-à-dire à
rechercher, à son insu, des situations de danger ou à risques et à en devenir victime.
Plus précisément, Von Hentig puis Ellenberger ont décrit deux grands types de
victimes :
 le criminel-victime : lorsqu’il s’agit de sujets successivement criminels et victimes,
ou l’inverse. Par exemple : les voleurs volés ; les personnes victimes de rixes ou d’homicides qu’elles ont elles-mêmes provoqués ; ou encore les crimes par légitime défense.
On peut s’interroger, dans les cas d’homicides provoqués, sur la dynamique suicidaire
de telles situations (Wolfgang, 1968). Autre exemple : les homicides « sacrificiels »
(phénomène des kamikaze ou des attentats-suicides).
 la victime latente (potential victim de Von Hentig) : en ce cas, il s’agirait de
personnes présentant une disposition particulière à attirer les événements malheureux,
éventuellement des actes délictueux ou criminels à leur encontre.
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
19
Dans cette seconde catégorie, Von Hentig distingue encore deux sous-types :
 les personnes qui présentent des dispositions « victimogènes » incidentes et/ou
épisodiques.
Les facteurs de cette « victimité » peuvent être sociologiques : âge (sujets très
jeunes ou très âgés, périodes vitales physiologiquement perturbées : puberté, grossesse,
ménopause, maladie...), profession, situation sociale (immigrés, minorités ethniques,
personnes isolées). Il peut s’agir aussi de facteurs psychopathologiques entraînant une
certaine vulnérabilité physique et/ou psychique (dépression, alcoolisme, déficience
mentale, mythomanie, délires paranoïaques...) ou de situations psychologiques critiques
(deuils, ruptures amoureuses…).
 les personnes qui présentent des prédispositions plus constantes, c’est-à-dire les
« victimes-nées » ou victimes « récidivistes ».
C’est au sujet de ce type de victimes que l’on a pu formuler l’hypothèse de profils
caractérologiques particuliers (syndrome d’Abel17, type « spleenique »), voire d’épisodes
ou de troubles névrotiques affirmés (névrose de destinée, syndrome d’échec, masochisme
moral) - (Freud, 1916 ; Laforgue, 1941 ; Nacht, 1948).
Névrose de destinée - névrose d’échec
Névrose de destinée (Schicksalsneurose). « Désigne une forme d’existence caractérisée par
le retour périodique d’enchaînements identiques d’événements, généralement malheureux,
enchaînements auxquels le sujet paraît être soumis comme à une fatalité extérieure alors qu’il
convient, selon la psychanalyse, d’en chercher les ressorts dans l’inconscient et spécifiquement
dans la compulsion de répétition. » - (Laplanche, Pontalis, 1976, p. 279)
Névrose (ou syndrome) d’échec. « Terme introduit par René Laforgue et dont l’acception est
très large : il désigne la structure psychologique de toute une gamme de sujets depuis ceux qui
paraissent, de façon générale, être les artisans de leur propre malheur jusqu’à ceux qui ne
peuvent supporter d’obtenir précisément ce qu’ils paraissent désirer le plus ardemment. »
(ibid., p. 277-278)
Dans les faits, il n’est pas toujours facile de distinguer « victimes latentes » et
« criminels-victimes ». La figure du « criminel par sentiment de culpabilité » décrite par
Freud en 1916 en est un bon exemple ; ou encore : le processus criminogène par sentiment d’injustice subie décrit par De Greeff.
Par ailleurs, il n’est pas non plus facile de distinguer les victimes latentes de type
« autopunitif » (syndrome d’échec) et les victimes latentes « masochistes » (masochiques),
puisque dans les deux cas il s’agit des effets d’un sentiment de culpabilité plus ou moins
justifié. L’un des critères différentiels pertinents peut être l’attitude du sujet par rapport à
la souffrance : voir encadré Les victimes-nées.
 Le masochiste moral choisit la souffrance inconsciemment, et non comme un but
mais comme un moyen. Il recherche ainsi une certaine satisfaction, qu’il ne peut obtenir
directement. En se mettant dans des situations négatives et pénibles, il se confirme dans la
conviction qu’il est un « mal aimé ». Il n’est cependant pas prêt à se reconnaître comme
- D’après le mythe biblique (livre de la Genèse) du meurtre d’Abel par son frère Caïn. Voir aussi :
Crocq L. (2012). 16 leçons sur le trauma, Paris, Odile Jacob éd., p. 263-277 (16ème Leçon).
17
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
20
étant à l’origine de telles situations, et se montre plutôt revendicateur, rejetant sur les
autres la responsabilité de ses malheurs.
Les « victimes-nées »
« Ce sont des personnes qui sont tout au long de leur existence prédisposées à devenir des
victimes et se mettent en situation de favoriser ce destin. Il est difficile d’en faire une
classification rigoureuse. On a décrit quelques “prototypes”.
Sous le nom de syndrome d’Abel on place des personnes qui portent des sentiments de
culpabilité mal définis, affleurant à peine le niveau de conscience, et une personnalité dont
l’auto-affirmation est insuffisante quoique souvent la ligne générale de leur existence soit
particulièrement réussie et enviable. Ce sont des sujets qui ont eu beaucoup de chance, qui
semblent favoriser par le sort. Ils sont conscients d’être plus heureux que les autres et ils se
sentent jalousés. Si bien intentionnés qu’ils soient, le seul fait d’avoir reçu plus que les autres
attire sur eux la jalousie et la haine, et d’autant plus qu’ils ressentent leur situation privilégiée
avec malaise. Un autre prototype “victimaire” est celui du “spleen” décrit il y a longtemps par
Rogues de Fursac. Le “spleenique accuse un certain fatalisme, un désintérêt, une faiblesse
particulière du vouloir-vivre”. Passif, il a une vie ni meilleure ni pire que les autres. Il s’est
heurté aux difficultés habituelles de l’existence qu’il a surmontées avec des échecs et des
réussites, mais il s’ennuie de tout, toujours et partout. Son être, ses pensées, ses actions, sont
empreints de lassitude. Plus ou moins consciemment au fond de lui-même il souhaite la mort.
« Il faut placer à la suite de ces formes caractérologiques deux descriptions dues aux auteurs
psychanalystes. Les névrosés atteints de névroses d’échec ont une "victimité" supérieure à la
normale. Leur position dans l’existence est fondée sur l’anxiété, la passivité, la recherche d’un
appui et d’une protection qu’ils souhaitent inconsciemment ne pas trouver. Les deuils, les
maladies, les difficultés, tout est ressenti comme un échec, certes redouté, mais non moins
appelé, accepté, vécu comme une preuve de la détresse permanente. L’attitude de repli, la
quête de la protection, la poursuite des processus susceptibles de mettre en situation d’échec
convergent pour les amener à un état permanent de victime potentielle. [...]
« La propension à la victimité est aussi très élevée chez les personnes qui participent au
caractère masochiste, décrit par S. Nacht. “Dès qu’il y a un coup à recevoir, le masochiste
tend la joue”, a écrit Freud. Ce qui revient à dire qu’être victime est sa fonction sociale. Le
comportement du névrosé masochiste est plus actif que celui du sujet souffrant de névrose
d’échec. Il est à la poursuite de la souffrance, des complications et des tourments. Il s’en plaint,
il les rumine, mais il en tire de la satisfaction. Il s’offre au criminel, à l’agresseur, au déprédateur ; il les provoque. Il a les plus grandes chances de se lier avec des gens au caractère
sadique, passivement ou dans le cadre d’un couple pénal sadomasochiste dont les partenaires
se rendent alternativement le service de se “victimiser”. » (Ranjeva et coll., 1971, p. 352)
 L’autopunition ne traduit que le besoin d’une souffrance inconsciemment recherchée. « L’attitude dans la vie des sujets à caractère autopunitif est révélatrice quels que
soient leurs moyens d’obtention de la punition souhaitée. Ces sujets sont envahis par des
obsessions de contenus punitifs qu’ils subissent comme une menace, une violence s’exerçant
sur eux. Malgré leurs protestations d’innocence, ils sentent que cette violence est méritée. Le
caractère autopunitif se différencie du caractère masochiste. L’autopunitif apparaît résolu à
accepter la peine qu’il mérite, il est habituellement et paradoxalement résigné, souriant,
comme si une fatalité affreuse mais juste pesait sur lui... » (Sizaret, Sizaret, 1974, p. 543)
D’autres auteurs ont suggéré, d’un point de vue diagnostique, d’être attentif à
l’attitude de la victime à l’égard du délinquant ou de l’agresseur juste après les faits, avant
l’intervention du processus judiciaire qui les opposera fatalement. Dans le cas des sujets
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
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autopunitifs, il n’y a généralement pas de réactions négatives à l’égard de la personne dont
ils ont été la victime (Ranjeva et coll., 1971).
Malgré les difficultés d’analyse psychodynamique qu’elle implique souvent et les
risques de confusion entre : d’une part, analyse de la responsabilité et de la culpabilité
psychiques ; et évaluation de la responsabilité et de la culpabilité et juridiques, d’autre
part. La « seconde victimologie » se montrera sensible à ce dernier problème (El Fattah –
voir document en Annexe 2). L’hypothèse névrotique n’en constitue pas moins l’un des
fondements de la psychologie victimologique moderne.
Une autre hypothèse, plus largement anthropologique, a été développée par René
Girard, mettant en valeur le rôle sacrificiel de la victime dans le cas du « bouc émissaire »
(plus prosaïquement : le phénomène groupal de la « tête de Turc »). Dans la mesure où la
victime prend à son compte toutes les fautes d’un groupe ou d’une collectivité, elle assure
une fonction particulière de cohésion sociale. (Girard, 1982 ; Raymondis, 1987). (Cf. le
concept de haine dans l’œuvre du psychiatre français Henri Baruk.)
1.1.2. La victime sérielle
Plus récemment, le problème de la « victime récidiviste » a été repris sur d’autres
bases que le modèle de la névrose par lequel la Première Victimologie envisageait ce
phénomène. La victimologie actuelle, notamment la victimologie clinique telle que
développée à l’université de Rennes, a ainsi proposé de considérer la répétition victimale
dans l’ensemble d’une psychocriminologie qui a développé une réflexion originale sur le
polymorphisme délinquantiel (ou criminel).
Récidive
D’un point de vue strictement juridique, il ne suffit pas qu’un individu commette deux
infractions ou plus pour que l’on considère qu’il y a récidive. Plusieurs critères doivent être
réunis pour une telle qualification, et l’on définit, en droit, plusieurs types de récidive : « En
droit pénal français, la récidive légale est la réitération d’une infraction proche ou équivalente
d’une infraction précédemment et définitivement condamnée. C’est une circonstance aggravante
qui permet le prononcer d’une peine plus lourde, jusqu’au doublement de la peine. Les règles de la
récidive varient selon que l’infraction est contraventionnelle, délictuelle ou criminelle. La récidive,
régie par les articles 132-8 et suivants du Code pénal français, est dite ‟perpétuelle” et ‟générale”
en cas de crime ; en cas de délit, elle est soit, perpétuelle ou temporaire, générale ou spéciale. La
récidive de contravention est toujours ‟spéciale” et ‟temporaire”. Si les conditions de la récidive
légale ne sont pas réunies, il s’agit d’une réitération d’infractions ou d’un concours idéel ou réel
d’infractions. (…) Pour que l’aggravation résultant de la récidive s’applique à une personne, il
faut ensuite qu’elle commette une nouvelle infraction. Pour que le magistrat puisse juger qu’il y a
eu récidive, la nouvelle infraction peut être : soit différente de la première infraction commise,
c’est la ‟récidive générale” ; soit identique (ou assimilée) à la première infraction, c’est la
‟récidive spéciale”. Par ailleurs, la récidive peut être encourue dans certains cas sans tenir compte
du temps passé depuis la commission de la première infraction, c’est la ‟récidive perpétuelle”. En
revanche, dans d’autres cas, la récidive ne pourra être prononcée si un certain délai fixé par la loi
s’est déjà écoulé depuis la première infraction, c’est la ‟récidive temporaire”. »
(Wikipedia, encyclopédie Internet, article « Récidive [droit français] »)
L’un des thèmes majeurs de la criminologie, quelles que soient les disciplines
convoquées, est celui de la récidive (terme juridique : voir encadré), en écho à l’une des
préoccupations les plus fondamentales de toute justice : la prévention de la récidive. D’un
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
22
point de vue criminologique, on préfèrera employer le terme plus générique, plus neutre,
de réitération ou de récurrence.18 Partant de là, on pourra observer deux grands types de
réitération infractionnelle :
-
-
soit l’individu répète le même type d’infraction (par exemple une succession
de vols, ou une série d’agressions avec coups et blessures). On parlera alors de
pluridélinquance ;
soit l’individu commet successivement plusieurs infractions différentes (par
exemple un vol simple, puis un vol avec effraction, puis une infraction routière). On parlera alors de polydélinquance ou polymorphisme délinquantiel
(Villerbu, Le Bas, 2001 ; Le Bas, 2005).
Dans les deux cas, et d’un point de vue psychologique, on pourra chercher à
comprendre le processus de la réitération. Mais dans le second cas, celui de la polydélinquance, s’ajoutera une interrogation spécifique, au constat que la diversité des
infractions commises est généralement limitée et qu’elle associe des ensembles
d’infractions bien identifiables et alternées pour un même auteur (par ex. : vol avec
effraction, viol, destruction de biens).
Par ailleurs, si l’on élargit l’étude du « parcours infractionnel » (ou « parcours
délinquantiel ») d’un individu à l’ensemble de son parcours de vie, on peut constater que
celui-ci peut présenter d’autres incidents ou événements, repérables dans d’autres
champs de cette trajectoire existentielle (par ex. : les champs scolaire, professionnel,
familial, conjugal, de loisirs partagés, sanitaire…) ; et que ces événements ou situations
présentent des analogies avec ce qui se présente, simultanément ou alternativement, dans
le champ judiciaire, le cas échéant, pour cet individu. On peut alors envisager l’hypothèse
d’un principe ou axiome d’existence commun, propre à cet individu, et organisant ainsi une
position existentielle qui lui est singulière. Par exemple : « démontrer que j’ai de la valeur
à ceux qui me l’ont toujours refusé, en arrivant à mes fins seul, sans aide » (« Monsieur Z. »,
in : Le Bas, 2005).
Il faut également supposer que, si cette position existentielle peut se déplacer et
s’exprimer dans plusieurs champs différents de l’existence du sujet, c’est parce qu’elle est
dynamique : elle est liée à un équilibre psychique qui, comme tout équilibre, est instable par
définition, et peut donc être déstabilisé ou menacé de l’être. En ce cas, l’équilibre psychique, plus ou moins défaillant dans l’un des champs existentiels de l’individu, tendra à
se maintenir ou à se restaurer par emprunt ou par recours à un autre de ces champs.
Par exemple, une impossibilité (épisodique ou chronique) du sujet à maintenir son
axiome de vie dans le champ conjugal, sera « compensée » par un comportement
apparaissant dans le champ judiciaire, sous la forme d’un acte agressif ou transgressif dont
la forme infractionnelle et/ou les suites pénales permettront au sujet de retrouver
l’équilibre psychique perdu.19
- Le terme de répétition, parfois employé, présente l’inconvénient d’être également très connoté
en psychologie : il peut évoquer la notion psychanalytique de « compulsion de répétition » et
entraîner des malentendus interprétatifs si l’on ne prend pas soin de préciser l’usage éventuel de ce
terme.
19 - On pourrait citer le cas d’un jeune homme, rencontré dans un groupe de parole pour personnes
condamnées pour conduite (automobile) en état d’alcoolisation. Cette infraction routière n’était pas
la première pour lui, et chacune d’elles avait amené à une suspension du permis de conduire durant
quelques mois ou à une impossibilité matérielle, technique, d’utiliser son véhicule accidenté.
L’étude de son parcours de vie faisait apparaître que ces accidents ne survenaient pas de façon
aléatoire. Fils unique de parents divorcés vivant dans deux villes différentes, et très occupé à
maintenir un lien entre ceux-ci (probablement en lien avec son axiome de vie), ses tentatives en ce
sens devenaient parfois insoutenables ; c’est dans ces moments d’ « impasse » psychique que se
produisaient, « comme par hasard », ses accidents de voiture et les infractions routières commises.
18
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
23
Par un paradoxe apparent, on peut ainsi considérer que ce qui permet, pour un
individu, de maintenir une position existentielle donnée est aussi ce qui constitue chez
lui sa vulnérabilité psychique singulière. En ce sens, on peut dire que « nous ne sommes
dangereux que par là où nous sommes vulnérables » (Pr L.M. Villerbu). La « dangerosité »
dont il est alors question ne relève donc pas d’une personnalité particulière ou d’une
pathologie systématique ; elle est liée à des défaillances critiques de l’équilibre psychique
du sujet. Si cette vulnérabilité tend à se résoudre en se déplaçant, dans le champ judiciaire
(ou infractionnel), elle peut s’exprimer autant par une mise en danger d’autrui (par ex.
par un acte altéro-agressif) que par une mise en danger de soi (par un acte auto-agressif,
direct ou indirect, ou par une faillite des modes de protection par lesquels la position
existentielle du sujet tend habituellement à se maintenir et par un risque de victimité).
Position existentielle
« Ce que nous entendons par position [existentielle], c’est la forme que prend l’aménagement
permanent et dynamique, sans cesse reconduit, qui vise à maintenir notre équilibre psychique. Ce
qui se donne à voir est transitoire parce qu’une position change, au sens où les éléments pour
qu’elle se construise sont empruntés aux différents champs de l’existence. Autrement dit, la forme
que prend la position est contextuelle aux champs qui lui fournissent les éléments de sa
construction. Nous parlons de Position existentielle parce que c’est une position toujours en
mouvement, qui change selon les contextes et les situations mais pas n’importe comment. Cette
position change mais jusque dans certaines limites parce qu’elle se trouve contrainte par notre
histoire et ses aléas, nos expériences physiques, psychiques et affectives, positives et négatives, ou
traumatiques, qui représentent autant de contraintes à penser, à dire, à faire ou non, et qui vont
venir constituer ce que l’on peut appeler un principe d’existence ou un axiome de vie. Axiome de
vie ou principe d’existence qui contraignent la construction de cette position et qui contraignent
à emprunter spécifiquement certains éléments aux différents champs de la vie quotidienne et
donc à donner à cette position existentielle une certaine forme selon les espaces quotidiens de vie.
Cette forme, c’est notre manière d’être, comme manifestation de cet équilibre ou de ce déséquilibre psychique au quotidien de vie, c’est-à-dire le comportement, la conduite, les habitudes, les
activités, les relations… tous les éléments qui participent adéquatement à son entretien et à son
maintien. Mais il y a également ceux qui participent à cette mise en forme et qui ne se voient pas :
les choses que nous ne faisons pas, ne pensons pas, ne disons pas et que nous évitons de façon à ne
pas nous trouver en situation de déséquilibre psychique. »
(Le Bas, 2005, c’est l’auteur qui souligne)
En résumé :
a)
Le modèle de la sérialité proposé par les auteurs rennais ne permet pas
seulement de repérer la dynamique à l’œuvre dans la pluridélinquance ou
dans la polydélinquance (analyse criminelle dite « sérielle »). Elle fait apparaître, à partir des notions d’axiome de vie et de position existentielle (voir
encadré), que les mises en échec de l’équilibre psychique qu’elles soustendent peuvent, dans certains cas et du point de vue judiciaire, conduire un
même sujet aussi bien à agir en agresseur (auteur) qu’à se trouver en position
de victime – voire à adopter successivement l’une et l’autre positions.
Les conséquences pénales, matérielles et financières de ces actes apparemment accidentels le
mettaient, durant un temps, dans l’impossibilité de rendre visite à ses parents, et lui permettaient
de se distancier de cette situation familiale critique et ainsi de retrouver l’équilibre psychique
provisoirement mis en échec.
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
24
b) D’où la possibilité de parler de sérialité victimale (ou de victime sérielle), tout
comme on a pu parler de sérialité délinquantielle (ou criminelle) (Le Bas,
2011). Et sans exclusivement réduire cette victimité sérielle à une compulsion
de répétition et à une conduite autopunitive d’échec, comme le posait le
modèle de la névrose invoqué par plusieurs auteurs de la Première Victimologie.
c) Soulignons, enfin, que l’analyse sérielle est avant tout une méthode d’analyse
structurale et psychodynamique qui a pour but, au titre d’une étude psychocriminologique et/ou victimologique, de comprendre le fonctionnement d’un
« parcours de vie », plus ou moins marqué par des infractions (agies et/ou
subies). Ce mode d’approche vise à dégager et comprendre un processus
organisateur et dynamique, et non à rechercher une quelconque détermination
centrale (personnalité) ou originelle (« traumatisme » initial), dont la portée
explicative s’avère, en définitive, très limitée pour rendre compte de la
complexité (situationnelle, circonstancielle) de l’acte infractionnel agi ou subi.
1.2. Être victime
Ces dernières années, les études sur les situations de maltraitance et de violence
domestique et sur les victimes de prises d’otage, notamment, ont favorisé l’émergence
d’autres modèles.
1.2.1. Le syndrome d’accommodation (ou d’adaptation) :
Il ne s’agit pas d’un syndrome à proprement parler, mais d’un processus typique
observé dans de nombreuses situations victimales de longue durée. Le syndrome
d’adaptation a été décrit aux Etats-Unis par le médecin Roland C. Summit en 1983, à
propos d’enfants victimes d’ « abus sexuels » intrafamiliaux (incestes).20
Le Child Abuse Accommodation Syndrome (c’est son nom originel, parfois
généralisé en Sexual Abuse Accommodation Syndrome) désigne en fait sous ce terme les
processus psychiques par lesquels l’enfant, face à la difficulté de révéler les agissements
dont il est victime, puisqu’il est en situation de dépendance par rapport à son agresseur,
s’accommode de cette situation, au prix de mécanismes défensifs (de déni en particulier)
qui peuvent dangereusement compromettre sa santé mentale.
« L’enfant ne peut parvenir à vivre au mieux avec son agresseur qu’en tentant de
recréer une image satisfaisante de lui-même et aussi de son abuseur. Ceci se réalise
par un déni du vécu traumatique et une idéalisation du parent coupable, parfois au
prix d’une introjection de ses aspects négatifs. La distorsion de la réalité est évidente,
entraînant des attitudes ambivalentes : attachement paradoxal, à l’abuseur, avec,
cependant, des manifestations anxieuses, affects excessifs, voire dysthymiques
[= dépressifs], etc. Le risque est dans la chronicisation de ces mécanismes de défense
qui pourraient participer à la construction psychique d’un enfant ne faisant plus
confiance à ses propres sensations. Dès lors, remettre en cause ses attitudes
confronterait la victime à une telle angoisse qu’on ne peut quasiment pas envisager
cela avant l’âge adulte, si cela est possible à ce moment... » (Gauthier, 1994, p. 66)
- R.C. Summit (1983). « The Child Abuse Accommodation Syndrome », Child Abuse & Neglect,
Vol. 7, 177-193. Egalement disponible et consultable en ligne sur Internet :
http://www.secasa.com.au/index.php/workers/25/31
20
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
25
L’une des conséquences de tels aménagements défensifs est que la révélation des
faits est souvent tardive, peu convaincante en raison de l’ambivalence de l’enfant-victime,
et qu’elle donne souvent lieu à des rétractations (dites « fausses rétractations »).
Par ailleurs, on peut transférer le modèle du syndrome d’accommodation à
d’autres situations d’agression où auteur et victime entretiennent des relations de dépendance affective fortes, comme dans les violences de couple (« violences conjugales ») où
seule la relation d’emprise (souvent invoquée aujourd’hui face à ces problèmes) ne suffit
pas toujours à expliquer le maintien d’un lien plus ou moins marqué de clivage et de déni,
comme dans le syndrome d’accommodation, et les atermoiements des « victimes » à se
dégager de ce lien.
1.2.2. Le syndrome de Stockholm, ainsi nommé parce qu’il a été décrit pour la
première fois à propos d’une prise d’otages à la Banque du Crédit Suédois à Stockholm en
1973 (Ochberg, 1978 ; Bigot, Bornstein, 1988 ; Crocq, 1989).
L’inventeur du concept, le psychiatre américain Frank Ochberg, retient trois
critères définissant ce syndrome :
a) le développement de sentiments positifs de l’otage pour le (ou les) ravisseurs ;
b) le développement réciproque de sentiments positifs du ravisseur pour l’otage
(ou les otages) ;
c) le développement de sentiments négatifs chez l’otage vis-à-vis des autorités et
des forces de l’ordre.
En 1987, N. Skurnik21 a complété cette définition par trois autres critères. Pour
que le syndrome puisse apparaître, trois conditions sont nécessaires :
 l’agresseur doit être capable d’une conceptualisation idéologique suffisante
pour pouvoir justifier son acte aux yeux de ses victimes ;
 il ne doit exister aucun antagonisme ethnique, aucun racisme, ni aucun sentiment de haine des agresseurs à l’égard des otages ;
 enfin, il est nécessaire que les victimes potentielles n’aient pas été préalablement informées de l’existence de ce syndrome.
Certains des auteurs qui ont étudié la psychologie des otages en phase de séquestration considèrent que, à la différence du « syndrome d’adaptation », le « syndrome de
Stockholm » est un véritable syndrome dans la mesure où il ne se produit pas chez tous les
sujets otages et où il entraîne des transformations importantes de la personnalité.
« ... le syndrome de Stockholm n’est pas seulement une affaire de sentiments, étant
donné qu’il met en œuvre toute la chaîne comportementale : perception, jugement,
raisonnement, affectivité, volonté et comportement. L’otage sous syndrome de
Stockholm ne perçoit plus objectivement la réalité dans son ensemble, il a perdu ses
références et normes habituelles d’évaluation et de jugement (dont le jugement
moral), il est incapable de raisonner sur une grande séquence de temps, il est fixé
affectivement sur la personne ravisseur, qui l’a “subjugué” plutôt que séduit, il a
renoncé à sa volonté d’agir et se comporte – par ses propos, sa mimique, ses attitudes
et ses gestes – d’une manière infantile et irresponsable. Le syndrome de Stockholm
est donc un véritable syndrome, c’est-à-dire un ensemble pathognomonique de
symptômes, organisé et durable, traduisant un bouleversement fondamental de la
personnalité, qui a acquis désormais une nouvelle manière de percevoir, de fan- Skurnik N. (1987). Le syndrome de Stockholm, essai et étude de ses critères, Annales médicopsychologiques, vol. 146, n° 1-2, octobre 1987, 174-181.
21
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
26
tasmer, de penser, d’aimer, de vouloir et d’agir. Il est intéressant de noter que la
personnalité peut être définitivement changée, en particulier dans ses convictions
morales (l’otage qui a été atteint du syndrome de Stockholm adopte ensuite un
jugement permissif vis-à-vis de la délinquance et une attitude systématiquement
critique à l’encontre la société), ses propos et sa façon de se comporter. » (Crocq,
1994, p. 54-55)
Identification à l’agresseur
« C’est dans l’article Confusion de langue entre les adultes et l’enfant [1932], que Ferenczi
invente cette notion reprise plus tard et différemment par Anna Freud. Dans des situations
extrêmes provoquant détresse et peurs limites (agression grave comme le viol, l’abus sexuel, la
maltraitance, les punitions passionnelles où l’enfant ayant commis une bêtise est puni de façon
démesurée), l’enfant va pouvoir s’identifier à son agresseur. S’oubliant complètement pour se
mettre au service de l’agresseur, devinant ses moindres désirs, il déjoue d’une certaine
manière les attaques et les chocs qui pourraient arriver de manière imprévisible : “La peur
devant les adultes déchaînés, fous en quelque sorte, transforme pour ainsi dire l’enfant en
psychiatre ; pour se protéger du danger que représentent les adultes sans contrôle, il doit d’abord
s’identifier à eux.” Cette soumission entière assure à l’enfant une certaine maîtrise sur celui qui
est susceptible de le surprendre et de l’atteindre. L’identification à l’agresseur donne la
possibilité à l’enfant de maintenir une image suffisamment positive du parent – agresseur –
dont il dépend pour vivre et subsister. Elle a pour effet de faire disparaître la violence de ce
dernier en tant que réalité extérieure : la violence de l’agresseur est intériorisée de sorte que la
tendresse originelle peut continuer de se développer à la faveur de l’agresseur. Il est à relever
qu’à partir du moment où l’agresseur est devenu intrapsychique, il perd son statut d’objet pour
devenir une partie du Moi. On constate à ce moment précis une des origines de la confusion
entre sujet et objet, Moi et non-Moi, entre le dedans et le dehors. Cette configuration
particulière ne permet pas à l’autre d’être reconnu dans son altérité. La violence subie est
intériorisée de façon confuse car, la plupart du temps, elle est déniée par l’agresseur lui-même.
Dans ce cas, l’enfant ne sait plus mettre des mots sur l’expérience qui lui arrive puisque les
mots utilisés par l’agresseur visent à disqualifier son ressenti subjectif. »
(Vincent Estellon, Les Etats limites, coll. Que sais-je ?, Paris, PUF, 2010, p. 68-69.)
La définition de l’identification à l’agresseur (ou identification avec l’agresseur) proposée vers
la même époque par Anna Freud, sans référence à Ferenczi, est sensiblement différente :
« Mécanisme de défense isolé et décrit par Anna Freud (1936) : le sujet, confronté à un danger
extérieur (représenté typiquement par une critique émanant d’une autorité), s’identifie à son
agresseur, soit en reprenant à son compte l’agression telle quelle, soit en imitant
physiquement ou moralement la personne de l’agresseur, soit en adoptant certains symboles
de puissance qui le désignent.
« Selon Anna Freud, ce mécanisme serait prévalent dans la constitution du stade préliminaire
du Surmoi, l’agression restant alors dirigée sur l’extérieur et n’étant pas encore retournée
contre le sujet sous forme d’autocritique. » (Laplanche, Pontalis, 1976, p. 90)
Dans certains cas, toutefois, le syndrome de Stockholm est réversible dans les
semaines ou les mois suivant la prise d’otages (Skurnik, 2001).
L’intérêt du « syndrome de Stockholm » est qu’il introduit une modélisation
complexe de la relation agresseur-victime, différente de la conception classique et
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
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prétendument complémentaire du couple « sadomasochiste »22, et qu’il ouvre la perspective d’une position active de la victime qui n’est pas seulement d’incitation ou de
complaisance.
On a parfois invoqué la théorie de l’identification à l’agresseur (voir encadré) pour
rendre compte de ce syndrome. On peut cependant objecter que l’identification à
l’agresseur ne suffit pas à expliquer une relation qui, dans le syndrome de Stockholm,
comprend aussi « le développement réciproque de sentiments positifs » de la part de
l’agresseur à l’égard de la victime. Le modèle de l’identification à l’agresseur, telle que l’a
définie Ferenczi, paraît davantage pertinent pour le syndrome d’accommodation
observable dans le cas de violences entre parent et enfant (ou aussi de violences
conjugales). Dans le syndrome d’accommodation il s’agit en effet, pour la victime, de
sauvegarder un lien de dépendance vitale à l’autre (et non de sauvegarder son moi) au prix
d’un processus complexe d’introjection et de déni de la violence subie et au risque d’une
confusion sujet-objet ; le déni et la confusion y sont, de plus, généralement induits ou
renforcés par l’attitude de l’agresseur et font même partie de la violence infligée.
Dans le syndrome de Stockholm, la position de l’agresseur semble tout autre.
Toutefois, cette différence avec le syndrome de Stockholm n’est peut-être qu’apparente et
nécessiterait d’être étudiée en se décentrant davantage de la position de la victime, qui
reste principale dans la description et la compréhension actuelles de ce syndrome (comme
si, à la limite, l’agresseur n’était qu’une construction psychique de la victime), et en considérant la psychodynamique d’ensemble de la relation agresseur-victime. La définition plus
récente et l’étude du syndrome de Lima23 tend à compenser cet oubli et à éclairer d’un
nouveau jour cette dimension caractéristique du syndrome de Stockholm.

Le « syndrome d’accommodation » et le « syndrome de Stockholm » sont deux
exemples représentatifs d’un domaine relativement nouveau de la victimologie : celui
d’une psychologie de la situation victimale lorsque celle-ci s’installe dans la durée.
D’autres études se sont développées dans ce sens à propos des mécanismes
employés par les personnes victimes de violences d’État (enfermement, torture, climat
totalitaire de menace), pour pouvoir supporter ces situations d’agression ou de menace
extrême (Escobar Molina, 1989 ; Puget, 1989 ; Amati, 1989 ; Sironi, 1992),
- Dans son célèbre essai sur La Vénus à la fourrure, l’œuvre romanesque de Leopold von SacherMasoch qui a inspiré à Richard von Kraft-Ebbing le terme « masochisme » (Psychopathia sexualis,
1886), Gilles Deleuze a montré que le sadisme et le masochisme ne peuvent être complémentaires
l’un de l’autre : « Sado-masochisme est un de ces noms mal fabriqués, monstre sémiologique »
(Présentation de Sacher-Masoch : le froid et le cruel, avec le texte intégral de La Vénus à la fourrure,
Paris, Éditions de Minuit, 1967). Le sujet sadique, en effet, ne peut jouir de la souffrance de l’autre si
celle-ci est consentie ; en ce sens, le sadisme ne peut être contractuel. Le sujet masochiste, au
contraire, ne peut jouir qu’à régler les conditions de sa soumission et donc à contractualiser, au
moins en partie, la relation à son « bourreau » (pacte masochiste). Il est bien entendu que cette
critique de Deleuze porte sur le masochisme pervers (de type Sacher-Masoch), et non sur le
masochisme névrotique (autopunitif ou moral).
23 - Le syndrome de Lima correspond au fait que, dans une prise d’otages, un ravisseur éprouve de
l’empathie, ou même une relation fraternelle avec son (ses) otage(s). Le nom de ce syndrome
provient d’une prise d’otages exemplaire de ce phénomène, à l’ambassade du Japon à Lima (Pérou),
qui dura plusieurs mois en 1996-97. Ce syndrome est parfois interprété comme « un syndrome
d’attachement inverse au syndrome de Stockholm » (Kim, 2006) parce qu’on n’y a pas observé de
sentiments positifs de la part des otages à l’égard des ravisseurs – voir : Kim Y. (1998). Mental
health status of the victims of the hostage crisis in Japanese Ambassador’s residence in Peru,
Journal of Mental Health, 44:81-83.
22
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
28
2. Victime psychique et psychologie de la victime
L’évaluation de l’état psychologique d’une victime établit les conséquences de
l’évènement ou du dommage subi. Comme précédemment dit, cet état peut être pathologique dans la forme extrême et typique d’un psychotraumatisme. Mais il peut aussi, et
plus globalement, relever de ce que nous avons appelé la « psychologie de la victime » (ou
« victime psychologique »).
Insistons : Contrairement à une représentation largement partagée, y compris
par les « spécialistes », toutes les personnes victimes ne sont pas traumatisées
(victime psychique) – mais toutes souffrent plus ou moins de leur situation et de leur
statut de victime dans les relations avec leur environnement et dans leur parcours de
vie (victime psychologique), notamment dans leur rapport à l’institution judiciaire
lorsque celle-ci a connaissance des faits infractionnels que ces victimes ont subis
(préjudice) et s’en saisit pour rendre justice (victime juridique).
2.1. Du stress au traumatisme
2.1.1. La notion de stress
Le mot anglais stress24 a été introduit dans le vocabulaire de la psychologique au
début du XXème siècle par des psychiatres anglophones (britanniques et nord-américains) à
partir de travaux de neurophysiologistes, et d’abord à propos des névroses traumatiques.
Pour le Britannique T.R. Glynn (1910) par exemple, le facteur traumatique
engendre un état de stress qui, au bout d’un temps variable, fait apparaître les symptômes
névrotiques (hystérie, neurasthénie) chez les sujets prédisposés. On reconnaît là une
version psycho-physiologique qui présente quelques analogies avec la première théorie
freudienne du traumatisme (voir infra, point 2.1.2).
Mais c’est Walter B. Cannon qui introduit le stress en médecine, d’abord en 1914
pour désigner les réactions physiologiques liées aux émotions ; puis en 1928 pour
désigner les réactions à toutes les agressions, lorsque ces réactions mettent en jeu de
manière comparable le système neurovégétatif.
Un peu plus tard, à partir de 1936, Hans Selye apporte un nouveau développement
la notion de stress : d’une part, il en poursuit et affine la conception neurophysiologique
voire neurobiologique ; d’autre part, il suggère de prendre en compte, au moins dans
certaines maladies, leur dimension de réponse (et pas seulement de réaction) à une
agression.
Ainsi, en parallèle avec l’évolution de la psychophysiologie et de la psychologie
comportementaliste vers ce qui va être la psychologie cognitiviste, la notion de stress
s’élargit. À partir des années 1940-50 les aspects psychologiques du stress prennent toute
leur importance, du point de vue des situations de déclenchement (depuis les
« évènements de vie » les plus communément partagés jusqu’aux traumatismes qui
gardent un caractère exceptionnel), mais aussi du point de vue de leur processus
d’émergence et d’évolution (les évènements n’ont d’effet vulnérant qu’à la mesure de
l’importance, quantitative et qualitative, que leur confère l’individu).
- To stress (verbe) : charger, fatiguer, faire travailler (une poutre par ex.) ; insister sur (qqch) ;
faire ressortir (un fait) ; souligner, peser sur (un mot), appuyer sur (un syllabe), accentuer. – Stress
(substantif) : force, contrainte ; tension ; insistance, accent d’intensité (tonique ou écrit, sur un mot
ou une syllabe). On notera la connotation de violence du terme anglais stress : on y retrouve les
mêmes notions de contrainte et de forçage que dans le mot français « violence ».
24
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
29
Dans les années 1980, les auteurs nord-américains privilégient la notion de
coping25 (le « faire face ») pour désigner plus précisément les réponses à l’évènement
stressant et la singularité de ces réponses, tant sur le plan physiologique que psychologique.26 Différentes pathologies (somatiques ou mentales) sont expliquées par des
dysfonctionnements des stratégies de coping. Parmi cette psychopathologie du stress, le
traumatisme tient une place particulière : il constitue un facteur et un état de stress plus
puissant que les autres, soit du fait de ses caractéristiques propres, soit du fait d’un
dysfonctionnement individuel, subjectif, dans le traitement cognitif de l’agression subie.
C’est ainsi que la notion de stress apparaît dans le DSM-III (Diagnostic and Statistical
Manual, 3ème version, 1980) de l’Association Américaine de Psychiatrie (APA), pour
désigner le traumatisme, sous le nom de Post-traumatic Stress Disorder (PTSD), traduit en
français par « État de stress post-traumatique » - voir Annexe 2.
Deux points sont ici à souligner :
a) La notion de stress a connu une destinée assez semblable à celle de victime, dans
la mesure où les deux termes se sont vulgarisés et ont pris une acception beaucoup plus
large que leur acception d’origine, plus spécialisée. Cette extension sémantique est, dans
les deux cas, fortement corrélée à une sensibilité sociétale qui s’est emparée opportunément de ces termes.
Dans le cas de la « victime », une préoccupation socio-morale croissante pour les
conséquences physiques et perturbations psychologiques que peut occasionner toute
épreuve vécue, dans le sens idéal d’une « tolérance zéro » (rejet de la douleur et de la
souffrance ; valorisation compassionnelle du statut de « victime » ; surinvestissement
des notions de protection, prévention, précaution, sécurité ; usages publiques et politiques
de la repentance), et pour les préjudices qu’ils peuvent constituer d’un point de vue
juridique (judiciarisation des rapports sociaux ; influence et pouvoir accrus des associations de victimes sur les pratiques judiciaires ; extension des pratiques de dommagesintérêts ; essor de la justice restaurative ou réparatrice).
Pour le cas du « stress », et surtout depuis que cette notion est rapportée à celle
de coping, on voit émerger une corrélation tout aussi socio-morale avec une idéologie de
la performance (par le biais de la notion de coping, parfois traduite en français par
« adaptation » ou « réponse adaptative ») : le stress devient un trouble voire une pathologie du coping, et donc un obstacle à la performance de l’individu. Dans la même logique
de performance et par glissement sémantique vers un vocabulaire managérial, le stress
devient un problème à gérer (« gestion du stress ») moyennant la connaissance et la
maîtrise des moyens pour l’éviter, le réduire voire l’éradiquer.
b) Dans la désignation du PTSD, le mot anglais traumatic est utilisé pour désigner
l’évènement déclenchant et non le processus traumatique lui-même qui, lui, est identifié
comme étant un stress : un stress « post-traumatique ». Dans le langage familier, le mot
« traumatisme » est souvent employé de même, pour désigner tantôt un facteur de
traumatisme, tantôt une situation supposée traumatisante ou traumatique de fait.
- To cope (verbe) : s’occuper de (qq’un) ; faire face à (une situation, un obstacle, un danger) ; venir
à bout (d’une difficulté) ; se charger de (qqch), se débrouiller de (qqch).
26 - C’est à partir de la théorie cognitiviste du locus of control ou « lieu de contrôle » (Jullian Rotter,
1954) que Lazarus et Folkman (1984) donnent la définition suivante : il s’agit de « l’ensemble des
efforts cognitifs et comportementaux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes ou
externes qui menacent ou dépassent les ressources de l’individu ». En d’autres termes « on parle de
coping pour désigner la façon de s’ajuster aux situations difficiles. Ce terme implique, d’une part,
l’existence d’un problème réel ou imaginé, et d’autre part, la mise en place d’une réponse pour faire
face à cet événement stressant. » (Ray, Lindop, Gibson, 1982)
25
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
30
Névrose traumatique
La définition du « syndrome post-traumatique » donnée par la CIM-10 est à rapprocher de ce
que la psychanalyse freudienne a défini sous le nom de névrose traumatique.
« Type de névrose où l’apparition des symptômes est consécutive à un choc émotionnel généralement lié à une situation où le sujet a senti sa vie menacée. Elle se manifeste, au moment du choc,
par une crise anxieuse paroxystique pouvant provoquer des états d’agitation, de stupeur ou de
confusion mentale. Son évolution ultérieure, survenant le plus souvent après un intervalle libre,
permettrait de distinguer schématiquement deux cas :
« a) le traumatisme agit comme élément déclenchant, révélateur d’une structure névrotique
préexistante ;
« b) le traumatisme prend une part déterminante dans le contenu même du symptôme (ressassement de l’événement traumatisant, cauchemar répétitif, troubles du sommeil, etc.), qui apparaît
comme une tentative répétée pour “lier” et abréagir le trauma ; une pareille “fixation au trauma”
s’accompagne d’une inhibition plus ou moins généralisée de l’activité du sujet.
« C’est à ce dernier tableau clinique que Freud et les psychanalystes réservent habituellement la
dénomination de névrose traumatique. »
(Laplanche, Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, 5ème éd., 1976, p. 286.)
2.1.2. Les deux théories du traumatisme de Sigmund Freud
Dans une perspective psychodynamique mettant davantage l’accent sur les aspects
psychologiques personnels, subjectifs, le problème du traumatisme psychique est fréquemment référée aux travaux de Sigmund Freud, en particulier par la victimologie
clinique contemporaine développée par les travaux de Crocq et Lebigot.
a) Chez Freud, la notion de traumatisme renvoie d’abord à un aspect économique
(au sens d’économie psychique) : « Nous appelons ainsi une expérience vécue qui apporte,
en l’espace de peu de temps, un si fort accroissement d’excitation à la vie psychique que sa
liquidation ou son élaboration par les moyens normaux et habituels échoue, ce qui ne peut
manquer d’entraîner des troubles durables dans le fonctionnement énergétique [de l’appareil
psychique] ». L’afflux d’excitations excessives peut être soudain et violent (émotion forte),
ou peut résulter d’une accumulation d’excitations dont chacune prise isolément serait
tolérable. Le « principe de constance » (= tendance de l’appareil psychique à maintenir à
un niveau aussi bas que possible ou, au moins, aussi constant que possible, la quantité
d’excitation qu’il contient) est ainsi mis en échec et ne peut décharger l’excitation reçue.
Cette définition est intéressante car elle date des années 1916-1917 (c’est un
extrait de l’Introduction à la psychanalyse), c’est-à-dire d’une période charnière dans la
conception freudienne du traumatisme.
Jusque-là, en effet, la question du traumatisme était considérée dans l’étiologie des
névroses au titre de la « théorie de la séduction » (1895-1897) puis par le dépassement
partiel de celle-ci dans la suite de la réflexion freudienne. L’idée directrice est que
l’étiologie des névroses est à rechercher du côté d’événements traumatiques passés et
précoces, généralement d’ordre sexuel, et que le déclenchement de la névrose est lié à une
réactivation de ces effets traumatiques premiers. Très vite Freud renoncera à considérer
ces événements comme réels et les rapportera à la « susceptibilité » (Empfänglichkeit)
propre au sujet : pour qu’il y ait traumatisme proprement dit, c’est-à-dire non abréaction
de l’expérience qui demeure dans le psychisme comme un « corps étranger », dit Freud, il
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
31
faut des conditions objectives mais aussi et surtout que l’événement rencontre des conditions psychologiques particulières chez le sujet au moment de l’événement, empêchant
de sa part une réaction adéquate et l’intégration de cet événement dans sa personnalité
consciente. Freud précisera que les « conditions psychologiques particulières du sujet »
sont de l’ordre de fantasmes sexuels et que ceux-ci ne donnent sens de traumatisme à
l’événement premier que dans un après-coup : « c’est seulement comme souvenir que la
première scène devient après coup pathogène, dans la mesure où elle provoque un afflux
d’excitation interne » (Laplanche, Pontalis, 1976, p. 502). D’où la célèbre formule de Freud :
« les hystériques souffrent surtout de réminiscences » (Les Études sur l’hystérie, 1895).
Nous soulignerons ici deux points :
 en parallèle avec d’autres auteurs de son temps, Freud considère le traumatisme
comme un processus se déroulant dans le temps, dont l’effet est pour ainsi dire
« à retardement » par rapport à un événement vécu premier resté d’abord
inactif mais qui a laissé chez l’individu une « blessure » psychique (trauma en
grec signifie « blessure »), celle-ci trouvant sa signification traumatique par
réactivation ;
 contrairement à ce qui a été souvent contesté chez Freud tant de sa théorie de la
séduction que de sa référence ensuite aux fantasmes sexuels dans le traumatisme psychique, il n’a jamais écarté l’idée que les événements premiers dont
souffriraient les hystériques puissent avoir une réalité objective. Il a seulement
insisté sur le rôle des fantasmes dans la réactivation traumatique. En ce sens,
il rejoint l’idée, également formulée par d’autres, d’une disposition personnelle
nécessaire chez le sujet pour qu’il y ait signification traumatique d’un événement. La particularité de son approche est de considérer que cette disposition
n’est pas tant dans la non-réaction première du sujet, que dans « l’après coup »
par lequel cette non-réaction et la vulnérabilité qu’elle a entraînée vont prendre
sens de traumatisme par et pour le sujet. Le traumatisme psychique n’est donc
pas seulement réactivation d’un choc et d’un débordement d’excitations premiers mais aussi et surtout actualisation27 fantasmatique et circonstancielle de
l’événement vulnérant.
b) Les modifications de la théorie traumatique des « psychonévroses de défense »28
sont en partie liées à l’étude par Freud des « névroses d’accident » et plus spécialement
des « névroses de guerre », question médicale prégnante après la Première Guerre mondiale et problème pour la théorie psychanalytique à propos de la répétition traumatique.
En 1920, dans Au-delà du principe de plaisir, S. Freud utilise encore la métaphore
de la « vésicule vivante » et des relations entre un organisme et son milieu pour rendre
compte de l’effraction psycho-traumatique. Tout comme un organisme vivant, l’appareil
psychique serait tenu à l’écart des excitations externes par une couche protectrice (ou
pare-excitations) qui ne laisse passer que des quantités d’excitations tolérables. Si cette
couche vient à subir une effraction par excès d’excitations externes, c’est le traumatisme :
- Rappelons que actualiser en français signifie « rendre actuel » mais aussi modifier quelque chose
passé (par exemple une pratique, une valeur ou une signification) en fonction de l’actuel, de
l’actualité. Actualiser, c’est « mettre à jour » dans le double sens d’adapter à l’ordre du jour présent
et de « mettre au jour » dans la mesure où cette révision fait (ré)apparaître ce que l’habitude ou la
convention avaient jusque-là rendu « naturel », « évident », comme allant de soi.
28 - « Terme employé par Freud dans les années 1894-96 pour désigner un certain nombre d’affections
psychonévrotiques (hystérie, phobie, obsession, certaines psychoses), en y mettant en évidence le rôle,
découvert dans l’hystérie, du conflit défensif [inconscient]. Une fois acquise l’idée que, dans toute
psychonévrose, la défense a une fonction essentielle, le terme de psychonévrose de défense, qui se justifiait par sa valeur heuristique, s’efface au profit de celui de psychonévroses. » - (Laplanche, Pontalis,
op. cit., p. 355)
27
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
32
« … la tâche de l’appareil psychique est alors de mobiliser toutes les forces disponibles afin de
mettre en place des contre-investissements29, de fixer sur place les quantités d’excitations
affluentes et de permettre ainsi le rétablissement des conditions de fonctionnement du
principe de plaisir. » - (Laplanche, Pontalis, op. cit., p. 500).
Mais dans le même texte, Freud formule l’hypothèse qu’un afflux excessif d’excitations met d’emblée hors-jeu le principe de plaisir et contraint l’appareil psychique à
accomplir une tâche défensive plus urgente, « au-delà du principe de plaisir », consistant à
lier30 les excitations de façon à permettre ultérieurement leur décharge.
« La répétition des rêves où le sujet revit intensément l’accident et se replace dans la
situation traumatique comme pour la maîtriser est rapportée à une compulsion de
répétition. Plus généralement, l’ensemble des phénomènes cliniques où Freud voit
cette compulsion à l’œuvre met en évidence que le principe de plaisir, pour pouvoir
fonctionner, exige que certaines conditions soient remplies, conditions que le
traumatisme vient abolir, en tant qu’il n’est pas simple perturbation de l’économie
libidinale, mais vient plus radicalement menacer l’intégrité [psychique] du sujet. » (Laplanche, Pontalis, op. cit., p. 503)
Un peu plus tard, dans Inhibition, symptôme et angoisse (1926) et dans le cadre de
sa seconde topique, Freud précisera que le signal d’angoisse déclenché par le moi cherche
à éviter le débordement du psychisme par le surgissement de l’angoisse automatique
définissant la situation traumatique et dans laquelle le moi est sans recours (état de
détresse de l’adulte). « Cette conception revient à établir une sorte de symétrie entre le
danger externe et le danger interne : le moi est attaqué du dedans, c’est-à-dire par les
excitations pulsionnelles comme il l’est du dehors. Le modèle simplifié de la vésicule tel que
Freud le présentait dans Au-delà du principe de plaisir, n’est plus valable. » - (Ibid., p. 503).
Avec cette seconde ligné de réflexion théorique, Freud met donc l’accent sur l’enjeu
des symptômes traumatiques qui n’est pas seulement, comme dans les psychonévroses,
de lutter contre un refoulé réactivé par un choc et des fantasmes sexuels actuels, mais bien
de préserver par tous les moyens une intégrité psychique violemment et doublement
menacée : par l’effraction du « pare-excitation » (danger externe), d’une part ; par l’envahissement du moi par des excitations pulsionnelles éventuellement libérées par ce choc
(danger interne), d’autre part.
2.1.3. Le syndrome de répétition traumatique (SRT)
a) C’est dans une réaction à l’émergence et au développement de la notion de
PTSD, et par un retour à la conception freudienne, que la « Troisième Victimologie » (ou
- Investissements par le moi de représentations, systèmes de représentations, attitudes, etc.,
susceptibles de faire obstacle à l’accès des représentations et désirs inconscients à la conscience et
à la motilité. Le terme contre-investissement peut aussi bien désigner ce processus économique luimême (considéré comme un mécanisme de défense du moi), que le résultat, plus ou moins permanent, de ce processus.
30 - Liaison : « Terme utilisé par Freud pour connoter d’une façon très générale et dans des registres
relativement divers – aussi bien au niveau biologique que dans l’appareil psychique – une opération
tendant à limiter le libre écoulement des excitations, à relier les représentations entre elles, à
constituer et à maintenir des fores relativement stables. […] Finalement, il nous semble que la
problématique psychanalytique de la liaison pourrait être posée à partir de trois directions
sémantiques que le terme évoque : l’idée de relation entre plusieurs termes reliés, par exemple dans
une chaîne associative (Verbindung) ; l’idée d’un ensemble où est maintenue une certaine cohésion,
d’une forme définie par certaines limites ou frontières (cf. l’anglais boundary, où se retrouve la racine
bind [« lien »]) ; l’idée, enfin, d’une fixation sur place d’une certaine quantité d’énergie qui ne peut plus
s’écouler librement. » - (Laplanche, Pontalis, op. cit., p. 221 et 224).
29
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
33
victimologie clinique) va placer la notion de syndrome de répétition traumatique au centre
de la clinique du traumatisme psychique.
Nous nous contenterons ici de résumer les principaux points de cette théorie, dont
on trouvera une schématisation graphique en Annexe 3 du présent document.
La première caractéristique de la victimologie clinique est une réflexion sur la
notion temporelle d’événement.31 Elle distingue en théorie ce qui est un « fait objectif »,
d’avec la mise en signification et en valeur qui va constituer ce « fait » en « événement ».
Tant que ce qui advient dans un temps et un espace donnés restent humainement neutre,
ce n’est qu’un fait. Pour qu’il y a ait événement, il faut qu’il y ait rupture dans l’enchaînement neutre des faits et dégagement d’une situation significative. L’événement est une
notion « anthropocentrique » et non une donnée objective.
Les cliniciens de la « Troisième Victimologie » retiennent, de plus, l’idée qu’un
évènement est imprévisible et donc toujours surprenant. Toutes les anticipations qu’on
tentera d’en faire ne parviendront jamais à en réduire totalement le caractère d’inédit,
d’exceptionnel – puisque la dimension essentiellement « subjective » de l’événement n’est
elle-même jamais totalement prévisible.
A fortiori l’événement est d’autant plus inattendu, d’autant plus surprenant, s’il
relève de l’accident32, c’est-à-dire si la surprise qu’il occasionne déborde ou menace
l’équilibre individuel ou social du sujet ou des sujets qui le vivent. Autrement dit : il y a
accident si l’événement reste irréductible à la connaissance (expérience personnelle,
savoir) qu’un sujet va pouvoir en élaborer. En ce sens, on pourra dire que « c’est l’accident
qui, dans l’événement, est traumatique » (Briole, Lebigot & coll., 1994, p. 94).
« L’accident est ici à entendre dans le sens qui a prévalu depuis Aristote jusqu’à la
fin du XIIème siècle, celui de “hasard malheureux”. C’est la mauvaise rencontre, la
tuché. L’accident, tout comme l’événement, c’est ce qui arrive, mais de manière
contingente33 : il aurait pu aussi bien ne pas se produire. La contingence s’oppose à la
nécessité qui fait que l’accident est avant tout coïncidence34, et ne répond ni à des
lois générales, ni à des facteurs de contingence.
« L’accident est unique. Il est pour un sujet et non pour tous, parmi ceux qui
traversent la même expérience. Il prend alors pour celui qui s’en trouve traumatisé
une dimension d’ineffable, d’incommensurable, d’irréductible. C’est ainsi que Claude
Barrois35 insiste à dire que “l’accident, c’est ce qui précipite l’homme dans le tragique
et que, loin de sombrer dans l’oubli, il constitue par excellence l’éternel revenant dans
le syndrome de répétition”. (…)
« Un événement traumatique concerne toujours un sujet. Il comporte à la fois une
part de réel qui relève de l’accident, l’indicible de la rencontre, et une part de
subjectivité dans laquelle le sujet est engagé. » (Ibid., p. 94)
Toutefois, ce n’est pas seulement la violence de l’événement, son intensité émotionnelle, qui le fait traumatique. C’est aussi et surtout la spécificité qu’il prend pour celui
qu’il concerne : « Toute rencontre traumatique est surinvestie » (Ibid.) – au point que, dans
un paradoxe apparent, toute implication subjective pourra en être occultée par la figure
- Événement : fait auquel vient aboutir une situation ; c’est ce qui arrive et qui a de l’importance
pour quelqu’un (ou pour un groupe : événement familial, collectif, national…). En français, les mots
événement et avènement sont étymologiquement proches.
32 - Accident : événement fortuit, imprévisible ; événement fâcheux, malheureux.
33 - Contingence : caractère de ce qui arrive ou non.
34 - Coïncidence : faits qui arrivent ensemble par hasard.
35 - Les Névroses traumatiques : le psychothérapeute face aux détresses des chocs psychiques, Paris,
Dunod, 1988 – 2ème éd. : 1998.
31
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
34
« objectivante » du hasard ou de tout autre causalité directe : « Alors le sujet devient une
victime touchée par un accident » (Ibid.).
C’est ici que la clinique doit être attentive à la position du sujet par rapport à ce qui
se présente à lui dans le hasard ou tout autre raison objectivante. Le traumatisme se situe
quelque part entre l’écran du pur hasard par lequel le sujet s’absente de l’événement, et
l’énigme de la subjectivation sans laquelle l’accident ne serait pas traumatique. C’est là
tout le champ de la clinique victimologique.
b) Partant de là, les auteurs de la « victimologie clinique » ont finement décrit les
différentes voies que peut suivre le traumatisme psychique. Nous les indiquons ici sommairement (voir Annexe 3.)
• Les suites immédiates :
- l’absence de manifestations : parfois, après la rencontre traumatique, aucune
manifestation ne se produit. Pour les cliniciens de la « troisième victimologie »
il s’agit d’un recouvrement défensif immédiat, conscient ou inconscient, de
l’effraction traumatique, qui ne contrevient en rien au caractère exceptionnel et
violent du traumatisme, et qui ne préjuge pas non plus du devenir et de l’évolution de l’effraction psychique.
De ce point de vue, ce que l’on appelle résilience36 depuis les années 1980 selon
d’autres courants cliniques (Tisseron, 2011 ; Ionescu, 2011), peut être compris :

soit comme un événement peu ou non traumatique pour un sujet donné (ce
qui ne présume en rien d’une quelconque capacité générale chez ce même
sujet à « résister » de la même manière à toute autre épreuve potentiellement traumatique) ;

soit comme une phase asymptomatique de latence, parfois à très long
terme voire durant toute une existence, laissant en suspens l’apparition
possible d’états aigus ou même d’un syndrome de répétition traumatique
(SRT).
- de même, l’émotion (vécu de peur, sueurs, tremblements, tachycardie, etc.) qui
suit le plus souvent le temps de l’événement, à la perception soudaine d’un
danger ou d’une menace de danger, n’est pas toujours immédiate et peut être
plus ou moins différée jusqu’à une « décharge émotionnelle tardive ».
- les états aigus peuvent survenir immédiatement ou secondairement, une fois
tout danger écarté ou lorsqu’un autre événement vient rappeler l’accident (une
nouvelle alerte, un décès), ou au contraire à l’occasion d’un sauvetage, d’un
réconfort reçu, ou du récit (dit, entendu ou lu) de l’événement. On se reportera
au schéma de l’Annexe 3 pour connaître la liste des manifestations possibles. Les
troubles du sommeil sont les plus fréquents, quasiment constants. Les états
aigus sont le plus souvent spontanément résolutifs, à court ou moyen terme,
mais n’excluent pas, à plus long terme, l’apparition d’un SRT.
- Comme le mot stress, le vocable résilience provient, par emprunt, de la physique mais aussi de la
thermique et de la bio-écologie. En physique, la résilience est une propriété qui caractérise l’énergie
absorbée par un corps lors d’une déformation ; en thermique, la résilience est capacité d’un matériau à conserver une température dans la durée ; en écologie et en biologie, la résilience est la
capacité d’un écosystème, d’une espèce ou d’un individu à récupérer un fonctionnement ou un
développement normal après avoir subi une perturbation et plus spécialement de la physique des
métaux. Le terme « résilience » est également employé, dans des acceptions analogues, en économie, en informatique, dans le vocabulaire politique-administratif de la « gouvernance » (résilience
communautaire), et dans le domaine de l’armement et de l’aérospatial.
36
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
35
• Les suites différées :
Pour les auteurs de la « victimologie clinique », en dehors des cas où le refoulement
de la singularité de l’événement et de son caractère traumatique ont été opérants
(« absence de manifestations », voir supra), l’écoute et l’observation attentives des
patients montre que l’intervalle des « suites différées » n’est libre qu’en apparence.
« L’évolution, du moment traumatique à l’expression symptomatique caractéristique, semble
plutôt se faire d’un seul tenant. Ce qui change, c’est le passage d’une variabilité des
symptômes à la présence, elle fixe, du syndrome de répétition traumatique. » (Ibid., p. 104).
« La notion selon laquelle certaines réactions au traumatisme, y compris aiguës,
peuvent disparaître sans séquelles, doit être considérée avec prudence. Que la phase
de latence soit une période de “méditation”, “d’incubation”, de “rumination”, de
“contemplation” pendant laquelle se produirait un “travail de réorganisation
névrotique” visant à l’établissement d’une “défense tardive”, est une idée classique qui
doit être remise en cause. (…)
« La phase de latence est plutôt à considérer comme faite de modes particuliers
d’aménagements qui peuvent se mettre en place d’emblée et qui réussissent, plus ou
moins bien, à contenir [le] réel [traumatique]. Ils constituent des suppléances au
travail de symbolisation, ici mis en défaut. (…) Ainsi, la phase de latence se signale
d’être elle-même une effraction suppléée. Quand les suppléances [repérables dans le
syndrome de répétition traumatique] se montrent efficaces, la phase de latence peut
être asymptomatique. Néanmoins, ce n’est pas toujours le cas et, dans les imperfections et les failles de ce mode de réponse du sujet, se déploient une diversité de
symptômes et de conduites parfois isolées, parfois intriquées, non spécifiques du
syndrome de répétition traumatique. » - (Ibid., p. 105, voir schéma Annexe 2)
• Le syndrome de répétition traumatique (SRT) :
Le SRT peut être présent :
- soit d’emblée, en coexistence avec les diverses suppléances de la « phase de
latence » et du fait de la fragilité éventuelle de celles-ci ;
- soit après un délai de durée variable, en fonction de la capacité des suppléances
à l’endiguer et des circonstances signifiantes rencontrées par le sujet qui en
précipitent le déclenchement : réactivation du traumatisme, survenue d’un autre
traumatisme, chute des idéaux ayant servi de suppléances…
Lorsque le SRT est affirmé, il est pathognomonique des symptômes des trouble
psychiques en relation avec le traumatisme. Il constitue le noyau clinique de la névrose
traumatique.37
Les symptômes du syndrome de répétition traumatique ne sont pas toujours
manifestes ou conscients pour le sujet, et doivent donc être recherchés chez toute
personne qui a été exposée à un événement potentiellement traumatique. Reprenant et
confirmant des descriptions cliniques classiques (notamment celle du psychanalyste Otto
- Le mot névrose est ici à attendre dans le sens psychiatrique premier. Classiquement, en
psychopathologie médicale (psychiatrie) et jusqu’au début du XX ème s., une « névrose » est une
maladie du système nerveux sans base organique connue (Pinel) ; par opposition aux « psychoses »,
considérées comme des états psychiques caractérisés par une altération profonde de la conscience
de l’individu (trouble grave de l’identité) et de son rapport à la réalité (Kraepelin). Dans le sens
psychanalytique (freudien), une névrose est un trouble de la personnalité caractérisé plus spécifiquement par un conflit psychique interne, sur la base d’une angoisse morbide de culpabilité, et dont
l’individu se protège (défense du moi) principalement par le refoulement et autres mécanismes de
défense associés ; le conflit psychique en question est supposé être en lien avec des fantasmes
sexuels œdipiens ; le mode de relation à l’objet est érotisé-génitalisé et typiquement ambivalent.
37
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
36
Fenichel, 1945), la « victimologie clinique » considère que « dans le SRT, c’est l’événement
traumatique qui va s’imposer au sujet d’une manière insistante, répétitive, avec l’acuité d’un
événement toujours actuel » (Ibid., p. 112).
La symptomatologie se répartit en quatre groupes de manifestations typiques :
 le rêve ou cauchemar traumatique : c’est la manifestation cardinale du SRT ;
 la répétition à l’état de veille : le souvenir déplaisant ou la rumination complaisante entretiennent le caractère traumatique de l’événement ;
 la réaction de sursaut : état d’alerte permanent, comme si la situation traumatique pouvait resurgir à tout moment ;
 l’inhibition : attitudes de repli sur soi, états de prostration, isolement, distractivité, évanouissements (« absences »), évitement phobique de tout ce qui peut
rappeler la menace traumatique…
Mais ce qui est important à retenir est que « le syndrome de répétition
traumatique n’est pas une entité nosologique. C’est bien un syndrome et, en tant que
tel, il est essentiel de repérer sa corrélation avec la structure dans laquelle il est
individualisé. Strictement, le SRT est structurellement lié aux névroses. S’il se
rencontre dans des pathologies psychotiques, sa séméiologie en porte la marque et sa
fonction est différente.38 » (Ibid., p. 115)
Notons enfin (voir Annexe 2) que :
a)
ce que les classifications médicales (CIM-10 et DSM-IV)39 repèrent sous les
dénominations descriptives de réaction aiguë à un facteur de stress (CIM-10),
et d’état de stress aigu (DSM-IV) correspondent principalement à ce que la
« victimologie clinique » française identifie comme des réactions traumatiques
immédiates de type « états aigus » ;
b) ce que ces mêmes classifications appellent état de stress post-traumatique
(CIM-10) et état de stress post-traumatique ou PTSD (DSM-IV) correspondent
au syndrome de répétition traumatique (SRT), en même temps qu’à ses
diverses expressions structurelles, de façon non différenciée – voir Annexe 3.
2.2. La positon victimale
2.2.1. Victimité
Dans un objectif diagnostique (diagnostic psycho-victimologique) (Villerbu, 2008),
la personne victime (ou victimée) doit être considérée selon trois ordres de questions
cliniques :
a) la situation elle-même d’agression ou de dommage dans le parcours existentiel de
la victime. Il faudra s’interroger sur une éventuelle disposition, épisodique ou chronique,
de la personne à être exposée à de telles situations. S’il s’agit d’une personne ayant déjà
connu des situations identiques ou analogues, on envisagera l’hypothèse d’une propension
réitérante à se retrouver en situation d’être victime, et il s’agira de dégager le sens et la
dynamique de cette propension dans un parcours sériel de victime (Le Bas, 2005 ; Le Bas,
Brune, 2005).40
- En l’occurrence, le SRT peut constituer une suppléance à la psychose, le discours victimal faisant
office de lien social ; alors que dans les névroses traumatiques on retrouve ce que la psychanalyse
freudienne a repéré d’un syndrome névrotique spécifique, marqué par une implication du désir du
sujet (pour Freud, les « fantasmes sexuels » du patient).
39 - Voir Annexe 2 du présent document.
40 - A la différence de la « Première Victimologie », la victimologie psychodynamique actuelle
38
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
37
b) le développement d’un syndrome traumatique actuel ou potentiel. Toutes les
victimes ne présentent pas de pathologie traumatique, ou pas au même degré, ou pour
certaines, ne sont pas susceptibles de développer de tels troubles (du moins en rapport
avec un événement donné – voir supra). L’analyse diagnostique aura, autant que possible,
à vérifier et apprécier la présence ou non d’un trouble traumatique chez la victime ; ou au
moins, à évaluer si la personne ne présente pas un tel risque, c’est-à-dire des signes latents
d’un syndrome de répétition traumatique (SRT).
c) enfin, le positionnement psychologique, subjectif, de la personne par rapport à la
situation de « victime », avec ce que cela implique d’un point de vue judiciaire, social et
relationnel (entourage de la personne).41 Le terme de victimité a été proposé pour désigner
ces aspects de la psychologie de la victime après l’événement-choc, que la victime présente
un état psycho-traumatique ou pas. La victimité correspond à ce que Pascal Pignol a
appelé le travail psychique de victime lorsqu’on étudie les processus et modalités par
lesquels la personne tente de se positionner en tant que victime, notamment selon les
enjeux socio-judiciaires caractérisant la situation de préjudice subi (Pignol, 2008, 2011 ;
Pignol, Villerbu, 2009 ; Pignol, Gouénard, 2009).
2.2.2. Le travail de victime
Nous résumerons ici la modélisation par laquelle P. Pignol a analysé ce qu’il a
appelé le « travail de l’être-victime » ou « travail psychique de victime » (Pignol, 2011), le
mot travail étant ici utilisé dans une perspective psychodynamique comme lorsqu’on
parle, par exemple, de « travail de deuil » en psychanalyse. Et de même que le « travail de
deuil » peut connaître un devenir pathologique, « le travail de victime (…) peut malheureusement plus ou moins gravement échouer, le traumatisme psychique représentant alors
l’exact équivalent du deuil pathologique » (Pignol, Gouénard, 2001, 2009).
L’idée directrice est ici que plus le « victimé » est fragilisé par l’événement traumatique, plus il est problématique pour lui de s’inscrire dans le dispositif judiciaire auquel il
va avoir affaire, et avec lequel il va avoir à faire, pour se positionner comme victime et
intégrer et faire valoir ses droits. La logique judiciaire s’organise et se déploie autour de
deux enjeux essentiels : l’établissement d’une responsabilité juridique et d’une culpabilité
juridique42.
(notamment la « Quatrième Victimologie » développée à l’Université Rennes 2 à partir des travaux
du Pr Loïck M. Villerbu et de Pascal Pignol) ne considère plus la répétition victimale comme relevant principalement d’une personnalité ou d’une pathologie névrotique chez la victime, et peut à
présent proposer d’autres modèles explicatifs, moins strictement liés à une raison psychopathologique et prenant en compte une plus large complexité des facteurs et processus à l’œuvre dans
ces phénomènes (Villerbu, Pignol, Moulin, 2008).
41 - Nous retrouvons ici la dimension de la « victime psychologique » présentée au début de ce
cours, ou la « psychologie de la victime » selon L. Crocq.
42 - Du point de vue du droit, la responsabilité pénale consiste à répondre en justice du dommage
causé par une infraction au regard d’une norme légale pénale censée protéger l’ordre public. Est
responsable (juridiquement) celui qui est reconnu comme ayant à rendre des comptes à la justice
sur un acte infractionnel. Alors que la culpabilité pénale concerne le fait d’être reconnu comme
l’auteur de l’acte en question. Il est donc possible d’être coupable et non responsable (si l’acte
infractionnel commis n’implique pas la responsabilité de son auteur) ; ou responsable et non
coupable, si l’acte n’a pas été commis par celui qui avait la responsabilité d’en être le garant ou qui
détenait une autorité de contrôle ou de décision par rapport à l’acte commis. Du point de vue
psychologique, la culpabilité relève du sentiment intime, conscient ou inconscient, d’avoir commis
une faute, par action ou par omission ; et se signale par une angoisse de culpabilité (remords,
regret, scrupule, besoin de réparer). Quant à la responsabilité, au sens psychologique, elle
correspond d’abord à la reconnaissance d’un autre séparé de notre moi (individuation) et différent
de notre moi (identisation) ; et au sentiment que notre conduite est constamment liée, moralement
et socialement, à cet autre, aux autres (l’altérité, au sens de la philosophie d’Emmanuel Lévinas) :
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
38
Cette logique judiciaire peut, de plus, se décliner selon deux grandes questions :
d’une part, différencier des positions relationnelles au regard des faits ; d’autre part,
constituer les faits comme délits répréhensibles. Ce qui peut se schématiser comme suit
(Pignol, 2008, p. 263) :
Mises en question
Enjeux judiciaires
Responsabilité
juridique
Culpabilité
juridique
Différenciation
des positions relationnelles
(Auteur / Victime)
Constitution
d’un scénario délictuel
des faits
(Scène infractionnelle)
Qui a fait et voulu quoi ?
IMPUTER
Plaignant / Accusé
Quoi est quoi ?
QUALIFIER
Faits / Qualification
Qui doit quoi ?
RÉPARER
Débiteur / Créditeur
Quoi coûte quoi ?
CONDAMNER
Faute / Sanction
Constitution juridique des positions
d’auteur et de victime
(Pignol, 2008)
Si l’on projette ce schéma sur une clinique des mouvements psychiques de la
victime par rapport au processus judiciaire, la souffrance de celle-ci est rapportable au
moins à l’un des quatre enjeux de ce processus, voire à plusieurs d’entre eux, pouvant lui
poser problème de façon plus ou moins insurmontable. Il est possible alors d’établir une
typologie raisonnée et dynamique (mouvante, changeante) des états psychologiques de la
victime et de repérer les confusions dans lesquelles le victimé recherche ou non en lui et
s’auto-impute la part de l’agresseur qu’il ne parvient pas à élaborer (ibid., p. 264) – voir
exemples types ci-après.
nos actes et nos paroles ne sont jamais sans conséquences sur notre prochain, et plus largement sur
les communautés dont nous faisons partie – ce qui implique un renoncement à l’illusion
(narcissique, égocentrée) d’une toute-puissance ou d’une omnipotence.
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
39
Objets de la mise
en difficulté
Difficulté à constituer
des positions différenciées
Enjeux judiciaires
Responsabilité
juridique
Culpabilité
juridique
Difficulté à poser
des normes et valeurs
différenciatrices
Fixation problématique
à la question de l’IMPUTATION :
- Recherche de motifs personnels
sur le mode autophage du :
pourquoi moi ? qu’ai-je fait ? que
n’ai-je pas fait ?...
(ex. : syndrome du survivant
rescapé d’un accident ou d’un
massacre collectif)
- Responsabilité fluctuante
pouvant être imputée à toute
personne impliquée non
seulement dans les faits mais
aussi dans leur « traitement »
(ex. : recherche plus ou moins
acharnée de « responsables »
malveillants, hors implication
personnelle dans les faits).
Fixation problématique
à la question de
la QUALIFICATION :
- Difficulté à constituer les faits
comme écarts inacceptables
et/ou délictueux en raison
de normes anomiques ou
modifiées
(ex. : syndrome de Stockholm ;
banalisation ou minimisation
d’une pratique groupale horsnormes ; syndrome
d’accommodation).
- Difficulté à se détacher
des éprouvés et à construire
ou intégrer de la qualification
(ex. : hyper-émotivité ou deuil
envahissant entravant toute
considération d’un dommage
subi).
Fixation problématique
à la question de
la RÉPARATION :
- Logique du tout ou rien
vis-à-vis soit du préjudice, soit
de la réparation : exigence d’un
retour à l’état ou à la situation
antérieur(e) (physique, psychique, social), refus de tout
compromis (ex. : médiation
impossible, refus de tout pardon),
revendication insatiable
(d’écoute, de reconnaissance,
d’aide, de dédommagement)…
Fixation problématique
à la question de
la CONDAMNATION :
- Logique du tout ou rien vis-à-vis
de la peine
(ex. : exigence ou attente de
sanctions extrêmes et sans
alternatives possibles, vécues
comme signes d’inefficacité ou de
faiblesse de la justice).
- Perte des valeurs individuelles
et collectives, et contestation ou
refus de toute condamnation
des faits
(ex. : syndrome de Stockholm).
- Positions sacrificielles
(ex. : consentement allégué,
attitude fataliste, position
masochique, ne permettant pas
de considérer le dommage et/ou
l’auteur comme condamnable).
Typologies des positions victimales
(Pignol, 2008)
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
40
Cette typologie des positions victimales permet de situer les difficultés particulières du victimé pour se définir et se positionner comme victime, et que l’on peut
interpréter selon divers facteurs et processus repérés en criminologie et en victimologie :
disparition au moins provisoire des valeurs communes à la suite de l’agression ; effet de la
stratégie criminelle de l’agresseur et de sa stratégie par rapport aux faits ; influence de
l’entourage ; aspects psychopathologiques propres au victimé ; etc.
Les influences plus ou moins exercées par l’entourage du victimé sur celui-ci
peuvent être analysées de la même manière que celles exercées par l’auteur pour
enfermer la victime dans le secret, le doute ou la confusion (Ibid., p. 265) :
Objets de l’atteinte
Atteintes
au plaignant
Atteintes
au code et à la valeur
Responsabilité
juridique
- Négation de toute responsabilité
en termes d’absence de motif
personnel
(ex. : quelles raisons aurais-je eu
à faire ce qu’on me reproche ? ;
toute le monde le fait, alors
pourquoi m’accuser moi ?…).
- Imputation des faits à la victime
(ex. : elle [la victime] était
d’accord ; elle l’a bien cherché ;
c’est elle qui a commencé ; je ne
lui ai pas volé cet argent, c’est lui
qui me l’a donné…).
- Négation du caractère infractionnel des actes incriminés
(ex. : je ne savais pas que c’était
interdit ; je croyais que c’était
comme cela qu’il fallait faire pour
séduire une femme).
- Mise au rang de délinquant de la
victime au nom d’un autre code,
personnel ou interne au groupe
d’appartenance
(ex. : chez nous c’est comme ça
que ça se passe ; c’était un jeu
entre nous…).
Culpabilité
juridique
- Négation de tout préjudice chez
la supposée victime
(ex. : banalisation des faits ou de
leurs conséquences en tant que
dommage produit).
- Affirmation d’un gain (bénéfice)
au lieu d’un préjudice pour le
victimé
(ex. : ce que je lui ai fait ne
semblait pas lui déplaire ; elle
avait calculé son coup ; elle m’a
demandé de ne rien dire, c’est une
menteuse…).
- Attaque des valeurs
à partir desquelles le délit
se constitue
(ex. : les lois sont mal faites ; les
mères sont mieux protégées par
la société que les pères).
- Déni ou défi de l’interdit ;
affirmation de toute-puissance
(ex. : je peux faire ce que je veux
de mes enfants puisque je suis
leur père).
Enjeux judiciaires
Principaux modes d’atteintes
à la constitution des positions d’auteur et de victime
(Pignol, 2008)
La théorisation du « travail de victime » par P. Pignol est une illustration de ce que
L. Crocq appelait la « psychologie de la victime ». Les typologies auxquelles elle a donné
lieu peuvent être utilisées dans le travail diagnostique expertal mais peuvent aussi servir
de guide, voire de cadre, à un travail d’accompagnement psychojudiciaire spécifique
(Pignol, 2005, 2008, 2011 ; Pignol, Villerbu, 2007).
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
41
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Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
46
Annexe 1
REPÈRES HISTORIQUES
Seconde et Troisième Victimologies43
La « Seconde victimologie »44
À partir des années 1970, des approches sociologiques, législatives et judiciaires de la
victime se développent dans de nombreux pays. Il s’agit d’un nouveau regard qui redéfinit
le statut de la victime, non plus dans sa relation au criminel, mais aussi par rapport à la
société qui le reconnaît. Parmi les principaux auteurs-acteurs de cette « seconde
victimologie » nous ne retiendrons ici que les noms de Ezzat Abdel Fattah et de Lygia
Négrier-Domont.
Victimologue canadien d’origine égyptienne, Ezzat Abdel Fattah est professeur à
l’Université « Simon Frazer » de Vancouver. Sa passion pour les problèmes de victimation
s’exprime dans les titres de ses ouvrages : La Victimologie. Qu’est-elle et quel est son avenir
? (1967) ; La Victime est-elle coupable ? Le Rôle de la victime dans le meurtre et le vol (1971)
; Le Rôle de la victime dans le passage à l’acte: vers une approche dynamique du
comportement délictueux (1973) ; The Use of Victim as An Agent of SeIf-Legitimization
(1976) ; The Interchangeable Roles of Victim and Victimizer (1994) ; La Victimologie au
carrefour entre la science et l’idéologie (1994).
En 1998, invité à Paris par le Centre international de Sciences criminelles de Paris (CISCP),
il a ainsi présenté ses conceptions de la victimologie :
 il ne s’agit pas de juger la victime mais de la regarder dans le contexte situationnel
des facteurs déclenchants ou actualisants, et de souligner la relation entre certains
délits et les opportunités de les commettre ;
 le victimologue n’examine la négligence, l’imprudence ou la nonchalance de la
victime, ses gestes récurrents ou le comportement précédant l’acte criminel que
pour éclaircir les facteurs situationnels qui se sont enchaînés jusqu’à l’agression
finale ;
 il lui semble important de distinguer le concept comportemental (behavioral
concept) propre aux études étiologiques du concept légal (telle la provocation),
propre au procès pénal.
Les lignes directrices qu’il trace concernent les moyens de dépistage des victimes latentes
ou virtuelles :
 de prédictions aptes à prévoir le degré et la nature du risque ou du danger
qu’encourt chaque individu ou certains qui, à cause de prédispositions spéciales,
sont susceptibles de devenir victimes de certains types de criminalités ;
 de protections précises et adéquates, capables de minimiser les risques et les
dangers
de victimation qui permettent d’établir la dangerosité du délinquant, non seulement en fonction de ses qualités personnelles, mais aussi par rapport au degré de
vulnérabilité, de réceptivité et de réciprocité de sa victime ;
 d’intimidation pour décourager les comportements provocateurs ou les affabulations de certaines victimes imaginaires.
- D’après : J. Audet & J.F. Katz, Précis de victimologie générale, Paris, Dunod, 1999, p. 22-27.
- La « Première victimologie » a été présentée dans le cours. C’est celle, juridique et humanitaire,
définie par Mendelsohn (chap. II.2.2), et clinique initiée par Von Hentig (chap. III.1.1).
43
44
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
47
Ezzat Abdel Fattah propose l’augmentation du nombre des enquêtes de victimation.
D’origine roumaine, juriste, criminologue-victimologue actuelle et membre de l’équipe des
pionniers français de la victimologie de la SIPC, Lygia Négrier-Dormont fonde, en 1992,
avec d’autres praticiens criminologues passionnés de victimologie, le CISCP, dont le
directeur est alors F. Grégoire. Le CISCP est un établissement libre de l’enseignement
supérieur, qui initia, en France, l’enseignement de la victimologie, en tant que formation
post-universitaire.
Parmi les nombreuses publications de L. Négrier-Dormont en France, depuis 1973, le sujet
de la victimologie occupe une place importante. Par ses livres et articles, elle forge sa
propre vision victimologique. Elle souligne la préoccupation pour la définition de la
criminalité des Etats totalitaires en donnant comme exemple les crimes commis par le
nazisme hitlérien.
Sa pensée, très humaniste, s’est exprimée dans diverses directions : populations soumises
à des règles importées (dangers de l’anomie) ; assistance humanitaire aux personnes
incarcérées afin d’atténuer les souffrances inutiles ; problème de la soif dans le monde ;
protection des victimes d’expatriations et celle des citoyens face au pouvoir ; prévention
du passage à l’acte criminel des personnes présentant des troubles psychologiques intrinsèques ou extrinsèques ; réflexion sur l’image du terrorisme. Sa forme traditionnelle avec
le « héros romantique », porteur d’un message moral, telle qu’elle fut décrite par certaines
littératures, n’a plus rien à voir avec le terrorisme actuel dont les motivations s’approchent, de plus en plus, d’objectifs égoïstes et crapuleux. Sa violence touche de nombreuses
victimes sans aucun lien avec les revendications affichées ; études sur les tueurs en série.
L. Négrier-Dormont souligne la nécessité que la victime soit reconnue en tant que telle, par
la société et par elle-même, afin d’éviter les auto-culpabilisations injustifiées et qu’elle ait
la conscience, en toute dignité, de pouvoir user de ses droits civiques (plainte, constitution
de partie civile, solidarité avec d’autres victimes).
D’autre part, elle insiste pour que les crimes commis par des personnes déclarées
irresponsables passent tout de même en justice, non pas pour harceler un malade qui, de
toutes les façons sera exempt de peine pénale, mais pour offrir à la victime ou à ses
proches l’occasion de connaître et de comprendre ce qui s’est passé, afin d’être en mesure
de commencer effectivement le deuil de l’événement.
Dans le domaine de la victimologie, L. Négrier-Dormont plaide pour une approche de la
victime de toutes les violences moins criminologique, plus proche de la vision sociologique
et de nature philosophique.
La « Troisième Victimologie » (ou Victimologie clinique)45
En France, depuis les années 1970-80, les médecins Louis Crocq et François Lebigot ont
développé une clinique psychopathologique du psycho-traumatisme inspirée de la psychanalyse qui se démarque sensiblement de la définition anglo-saxonne plutôt cognitiviste du
syndrome de stress post-traumatique (PTSD).
Sur le plan pratique, ils ont également élaboré des méthodes de debriefing psychologique
auprès des victimes d’attentats collectifs, qui se démarquent des méthodes anglo-saxonnes
(plus « rééducatives ») par le souci de permettre une réappropriation psychique de
l’évènement vécu par les victimes et par une attention préventive apportée au risque
de développement d’un syndrome de répétition traumatique, condition selon eux d’une
névrose traumatique proprement dite.
45
- Voir dans le cours le chapitre III.2.1.3.
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
48
Annexe 2
LES SYNDROMES PSYCHOTRAUMATIQUES
Comparaison CIM-10 / DSM-IV
Tableau I
CIM-10 (1994, 1996)46
Classification statistique internationale
des maladies et des problèmes
de santé connexes
DSM-IV (1994, 2000)47
Diagnostic and Statistical Manual
of Mental Disorders
F43 Réaction à un facteur de stress sévère,
et troubles de l’adaptation
Axe I – Troubles anxieux48
F43-0 Réaction aiguë à un facteur de stress
Trouble transitoire, survenant chez un individu
ne présentant aucun autre trouble mental manifeste, à la suite d’un facteur de stress physique
et psychique exceptionnel et disparaissant
habituellement en quelques heures ou en quelques
jours. La survenue et la gravité d’une réaction
aiguë à un facteur de stress sont influencées par
des facteurs de vulnérabilité individuels et par
la capacité du sujet à faire face à un traumatisme.
La symptomatologie est typiquement mixte
et variable et comporte initialement un état
"d’hébétude" caractérisé par un certain
rétrécissement du champ de la conscience et de
l’attention, une impossibilité à intégrer des stimuli
et une désorientation. Cet état peut être suivi
d’un retrait croissant vis-à-vis de l’environnement
(pouvant aller jusqu’à une stupeur dissociative –
voir F44-2), ou d’une agitation avec hyperactivité
(réaction de fuite ou fugue). Le trouble s’accompagne fréquemment des symptômes neurovégétatifs d’une anxiété panique (tachycardie,
transpiration, bouffées de chaleur). Les symptômes
se manifestent habituellement dans les minutes
suivant la survenue du stimulus ou de l’événement
stressant et disparaissent en l’espace de deux
F43-0 État de stress aigu [308.3]
A. Le sujet a été exposé à un événement
traumatique dans lequel les deux éléments
suivants étaient présents :
(1) le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté
à un événement ou à des événements durant
lesquels des individus ont pu mourir ou être très
gravement blessés ou bien ont été menacés de
mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels
son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être
menacée ;
(2) la réaction du sujet à l’événement s’est traduite
par une peur intense, un sentiment d’impuissance
ou d’horreur. NB. Chez les enfants, un comportement désorganisé ou agité peut se substituer à
ces manifestations.
B. Durant l’événement ou après avoir vécu l’événement perturbant, l’individu a présenté trois (ou
plus) des symptômes dissociatifs suivants :
(1) un sentiment subjectif de torpeur, de détachement ou une absence de réactivité émotionnelle ;
(2) une réduction de la conscience de son environnement (par ex. “être dans le brouillard”) ;
(3) une impression de déréalisation ;
(4) de dépersonnalisation ;
(5) une amnésie dissociative (p. ex. incapacité à
- Seule classification internationale officielle, publiée depuis 1949 par l’Organisation mondiale de la
Santé (OMS, créée en 1945). En anglais : ICD (International Statistical Classification of Diseases and Related
Health Problems). Une nouvelle version actualisée (CIM-11) est annoncée pour 2015.
47 - En français : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Classification publiée depuis
1952 par l’American Psychiatric Association (APA), sans autre légitimité en matière de politique internationale de santé à la différence de la CIM-ICD validée par l’OMS. La version DSM-V (ou DSM-5) est parue
en 2013, en cours de validation.
48 - L’édition du DSM-5 envisage d’autonomiser une catégorie sous le nom de Troubles liés aux traumatismes et au stress et qui inclut : Le trouble réactif de l’attachement – Le trouble d’engagement social
désinhibé – Le trouble de stress post-traumatique – Le trouble de stress aigu – Le trouble d’adaptation –
Autre trouble lié aux traumatismes et au stress spécifié – Trouble lié aux traumatismes et au stress non
spécifié.
46
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
49
à trois jours (souvent en quelques heures). Il peut
y avoir une amnésie partielle ou complète (F44-0)
de l’épisode. Quand les symptômes persistent,
il convient d’envisager un changement de
diagnostic.
se souvenir d’un aspect important du traumatisme).
C. L’événement traumatique est constamment
revécu, de l’une (ou de plusieurs) des manières
suivantes :: images, pensées, rêves, illusions,
épisodes de flash-back récurrents, ou sentiment
de revivre l’expérience, ou souffrance lors de
l’exposition à ce qui peut rappeler l’événement
traumatique.
D. Évitement persistant des stimuli qui éveillent
la mémoire du traumatisme (par ex. pensées,
sentiments, conversations, activités, endroits,
gens).
E. Présence de symptômes anxieux persistants ou
bien manifestations d’une activation neurovégétative (p. ex. difficultés lors du sommeil,
irritabilité, difficultés de concentration, hypervigilance, réaction de sursaut exagérée, agitation
motrice).
F. La perturbation entraîne une détresse cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres
domaines importants ou altère la capacité du sujet
à mener à bien certaines obligations comme
obtenir une assistance nécessaire ou mobiliser
des ressources personnelles en parlant aux
membres de sa famille de l’expérience traumatique.
G. La perturbation dure un minimum de 2 jours
et un maximum de 4 semaines et survient dans
les 4 semaines suivant l’événement traumatique.
H. La perturbation n’est pas due aux effets physiologiques directs d’une substance (p. ex. une
substance donnant lieu à abus, un médicament) ou
une affection médicale générale, n’est pas mieux
expliquée par un Trouble psychotique bref et n’est
pas uniquement une exacerbation d’un trouble
préexistant de l’Axe I ou de l’Axe II.
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
50
Tableau II
CIM-10 (1994, 1996)
Classification statistique internationale
des maladies et des problèmes
de santé connexes
DSM-IV (1994, 2000)
Diagnostic and Statistical Manual
of Mental Disorders
F43 Réaction à un facteur de stress sévère,
et troubles de l’adaptation
Axe I – Troubles anxieux
F43-1 État de stress post-traumatique
F43-1 État de stress post-traumatique (PTSD)
[309.1]
Ce trouble constitue une réponse différée ou
prolongée à une situation ou à un événement
stressant (de courte ou de longue durée),
exceptionnellement menaçant ou catastrophique
et qui provoquerait des symptômes évidents de
détresse chez la plupart des individus. Des facteurs
prédisposants, tels que certains traits de personnalité (par exemple compulsive, asthénique) ou
des antécédents de type névrotique, peuvent
favoriser la survenue du syndrome ou aggraver
son évolution ; ces facteurs ne sont pas toutefois
nécessaires ou suffisants pour expliquer la survenue du syndrome. Les symptômes typiques
comprennent la reviviscence répétée de l’événement traumatique, dans des souvenirs envahissants ("flashbacks"), des rêves ou des cauchemars ;
ils surviennent dans un contexte durable
"d’anesthésie psychique" et d’émoussement
émotionnel, de détachement par rapport aux
autres, d’insensibilité à l’environnement,
d’anhédonie et d’évitement des activités ou
des situations pouvant réveiller le souvenir
du traumatisme. Les symptômes précédents
s’accompagnent habituellement d’un hyperéveil
neurovégétatif, avec hyper-vigilance, état de
"qui-vive" et insomnie, associés fréquemment
à une anxiété, une dépression, ou une idéation
suicidaire. La période séparant la survenue
du traumatisme et celle du trouble peut varier
de quelques semaines à quelques mois. L’évolution
est fluctuante, mais se fait vers la guérison dans
la plupart des cas. Dans certains cas, le trouble
peut présenter une évolution chronique, durer
de nombreuses années, et entraîner une modification durable de la personnalité (F62-0).
A. Le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants
étaient présents :
(1) le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté
à un événement ou à des événements durant
lesquels des individus ont pu mourir ou être très
gravement blessés ou bien ont été menacés de
mort ou de grave blessure ou bien durant lesquels
son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être
menacée ;
(2) la réaction du sujet à l’événement s’est traduite
par une peur intense, un sentiment d’impuissance
ou d’horreur.
(NB. Chez les enfants, un comportement désorganisé ou agité peut se substituer à ces manifestations.)
B. L’événement traumatique est constamment
revécu, de l’une (ou de plusieurs) des façons
suivantes :
(1) souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement provoquant un sentiment de détresse et
comprenant des images, des pensées ou des
perceptions.
(NB. Chez les jeunes enfants peut survenir un jeu
répétitif exprimant des thèmes ou des aspects du
traumatisme.) ;
(2) rêves répétitifs de l’événement provoquant
un sentiment de détresse.
(NB. Chez les enfants, il peut y avoir des rêves
effrayants sans contenu reconnaissable.)
(3) impression ou agissements soudains “comme
si” l’événement traumatique allait se reproduire
(incluant le sentiment de revivre l’événement,
des illusions, des hallucinations et des épisodes
dissociatifs (flash-back), y compris ceux qui
surviennent au réveil ou au cours d’une intoxication).
(NB. Chez les jeunes enfants, des reconstitutions
spécifiques du traumatisme peuvent survenir.)
(4) sentiment intense de détresse psychique lors
de l’exposition à des indices internes ou externes
évoquant ou ressemblant à un aspect de l’événe-
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
51
ment traumatique en cause ;
(5) réactivité physiologique lors de l’exposition à
des indices internes ou externes pouvant évoquer
ou ressembler à un aspect de l’événement traumatique en cause.
C. Évitement persistant des stimuli associés au
traumatisme et émoussement de la réactivité
générale (ne préexistant pas au traumatisme),
comme en témoigne la présence d’au moins trois
des manifestations suivantes :
(1) efforts pour éviter les pensées, les sentiments
ou les conversations associés au traumatisme ;
(2) efforts pour éviter les activités, les endroits ou
les gens qui éveillent des souvenirs du
traumatisme ;
(3) incapacité de se rappeler d’un aspect important
du traumatisme ;
(4) réduction nette de l’intérêt pour des activités
importantes ou bien réduction de la participation
à ces mêmes activités ;
(5) sentiment de détachement d’autrui ou bien
de devenir étranger par rapport aux autres ;
(6) restriction des affects (p. ex. incapacité à
éprouver des sentiments tendres) ;
(7) sentiment d’avenir “bouché” (p. ex. pense
ne pas pouvoir faire carrière, se marier, avoir
des enfants, ou avoir un cours normal de vie).
D. Présence de symptômes persistants traduisant
une activation neurovégétative (ne préexistant pas
au traumatisme) comme en témoigne la présence
d’au moins deux des manifestations suivantes :
(1) difficultés d’endormissement ou sommeil
interrompu ;
(2) irritabilité ou accès de colère ;
(3) difficultés de concentration ;
(4) hyper-vigilance ;
(5) réaction de sursaut exagérée.
E. La perturbation (symptômes des critères B, C
et D) dure plus d’un mois.
F. La perturbation entraîne une souffrance
cliniquement significative ou une altération du
fonctionnement social, professionnel ou dans
d’autres domaines importants.
Spécifier si :
 aigu : si la durée des symptômes est de moins
de trois mois ;
 chronique : si la durée des symptômes est de
trois mois ou plus.
Spécifier si :
survenue différée : si le début des symptômes
survient au moins six mois après le facteur de
stress.
Introduction à la Victimologie – cours de C. Bouchard, MC Université Rennes 2
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Annexe 3
Syndrome de répétition traumatique
et névrose traumatique
d’après Briole, Lebigot & coll., 1994, p. 125
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