L’ACIDOSE HYPERCHLORÉMIQUE
Carole Ichai
Département d’Anesthésie-Réanimation Est. Service de Réanima-
tion. Hôpital Saint-Roch, 5 rue Pierre Dévoluy. 06006 NICE Cédex 1.
INTRODUCTION
L’approche physiopathologique traditionnelle d’Henderson-Hasselbalch d’un
trouble acidobasique fait l’objet de critiques de plus en plus nombreuses. Le
concept de Stewart a permis de mettre en exergue l’entité « acidose hyperchlo-
rémique ». Ce trouble induit par l’hyperchlorémie est fréquemment obseren
période péri-opératoire et en réanimation du fait d’une utilisation très large de
sérum physiologique comme soluté de remplissage.
1. LES GRANDS CONCEPTS D’INTERPRÉTATION D’UN TROUBLE
ACIDOBASIQUE
Si l’approche traditionnelle d’Henderson-Hasselbalch est restée longtemps la
référence, les concepts plus récents de Sigaard-Andersen et de Stewart méritent
une attention particulière.
1.1. L’ÉQUATION D’HENDERSON-HASSELBALCH
L’approche traditionnelle d’Henderson-Hasselbalch, repose sur l’application
de la loi d’action de masse à l’équilibre du CO2 et sur le lien qui existe entre
variation du bicarbonate plasmatique et taux d’acides forts [1-4]. Cette application
conduit à la fameuse équation mathématique d’Henderson-Hasselbalch :
pH = 6,10 + log [HCO3-]/0,03 x PaCO2
A l’équilibre, la quantité d’acides excrétés et celle de bicarbonates produits
par le rein est égale à la production métabolique de protons, d’où le maintien du
pH. Le déséquilibre de cette balance induit une acidose ou une alcalose. Dans ce
concept, les variations de pH sont la conséquence de variations des bicarbonates
plasmatiques (trouble métabolique) ou de la PaCO2 (trouble respiratoire). Malgré
son exactitude mathématique, cette équation ignore :
La dépendance mathématique qui existe entre bicarbonates et PaCO2.
La présence de tampons non volatils non bicarbonates comme les protéines
plasmatiques.
Le rôle des acides faibles (phosphate, albuminate).
MAPAR 2006
204
1.2. LE BASE-EXCESS (BE) DE SIGAARD-ANDERSEN
Le concept du BE se définit comme la quantité d’acides ou de bases fortes
(exprimées en meq) nécessaire pour ramener à un pH à 7,40, un sang oxygéné,
maintenu à température 37°C en présence d’une PCO2 à 40 mmHg [5-7]. Si le
pH sanguin est égal à 7,40 avec une PaCO2 à 40 mmHg, le BE est donc égal à
0. L’avantage du BE est qu’il s’affranchit des variations de PaCO2 [6, 7]. A partir
de nomogrammes de calcul, le BE est donné directement par les machines de
mesure de gaz du sang. Néanmoins le BE reste une mesure « in vitro » et ne
tient pas compte de la continuidu secteur vasculaire avec le secteur interstitiel
dont les capacités tampons sont moindres. Ceci aboutit à une surestimation du
BE. Pour contourner ce problème, il est possible de calculer le BE standard (SBE)
qui prend en compte une concentration en hémoglobine à 5 g.dl-1, censée être la
concentration qu’aurait l’hémoglobine si elle se distribuait dans le même volume
que le bicarbonate. Malgré ces ajustements, le BE ne permet pas la distinction
entre variation d’acides faibles et acides forts.
1.3. LE CONCEPT ÉLECTROCHIMIQUE DE STEWART
Dès les années 1970, P. Stewart remet en question l’approche classique des
troubles acidobasiques (TAB). Le concept physicochimique de Stewart évite les
écueils précédemment cités. Dans ce concept, les variations de pH plasmatique
dépendent du degré de dissociation de l’eau plasmatique, qui doit lui-même obéir
au respect simultané de 3 principes physicochimiques fondamentaux [8-13] :
Le principe de l’électroneutralité.
La conservation de masse.
L’équilibre de dissociation électrochimique.
En tenant compte de ces notions, le pH dépend de 3 variables indépen-
dantes :
La différence de charge entre tous les cations forts et les anions forts plasma-
tiques encore appelée « Strong Ion Difference » (SID).
La PaCO2 qui correspond à un système ouvert via la ventilation.
La masse totale des acides faibles appelée Atot.
Dans ce concept, le pH et les bicarbonates sont des variables obligatoirement
dépendantes des modifications des 3 autres variables indépendantes. Du fait
des 3 grands principes énoncés, les ions forts peuvent être produits ou détruits,
mais les ions faibles H+ et OH- sont générés ou consommés en fonction du degré
de dissociation de l’eau plasmatique. Ainsi, une augmentation de Cl- entraîne
une augmentation de H+, et une augmentation de Na+ conduit à une baisse de
H+. L’approche de Stewart n’a pas qu’un intérêt conceptuel, car elle permet une
compréhension exacte des mécanismes physiopathologiques des TAB et donc
des traitements les plus adaptés.
1.4. LES OUTILS DU DIAGNOSTIC
1.4.1. LES GAZ DU SANG [1, 2, 13, 14]
La mesure du pH sanguin est faite de façon fiable par une électrode de
verre, alors que celle de la PaCO2, réalisée par micro-électrode, peut comporter
jusqu’à 10 % de marge d’erreur en pratique quotidienne. Sa valeur normale se
situe entre 38 et 42 mmHg. La gazométrie donne aussi accès aux bicarbonates
calculés (HCO3-c) à partir de l’équation d’Henderson-Hasselbalch, c’est-à-dire
du pH et de la PaCO2 mesurés par les appareils d’analyse des gaz du sang. Sa
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valeur normale est de 24 ± 2 mmHg. Le BE et SBE sont aussi fournis par calcul
à partir des autres paramètres.
1.4.2. LE IONOGRAMME SANGUIN [1, 2, 13, 14]
Il doit impérativement être pratiqué sur sang artériel prélevé au même
moment que celui de la gazométrie [14]. Il fournit les paramètres suivants :
Le CO2 total artériel (CO2T) : il correspond à la somme des concentrations en
bicarbonates réels (HCO3-), en acide carbonique (H2CO3) et en CO2 dissout.
Sa valeur normale est de 26 ± 1 mmHg. La mesure du seul HCO3- est techni-
quement impossible.
La chlorémie : le chlore est le principal anion fort plasmatique. Il est donc un élé-
ment essentiel du diagnostic étiologique des TAB. Cependant, la chlorémie peut
varier de façon indépendante d’un TAB dans certaines dysnatrémies [15, 16].
La kaliémie : ce n’est pas à proprement parler un élément du diagnostic des
TAB, mais il est plutôt utile à établir l’étiologie du trouble. Sa mesure est
néanmoins nécessaire au calcul du SID.
La natrémie : le sodium est le cation fort le plus important du secteur plasma-
tique. La natrémie est donc un paramètre nécessaire au diagnostic d’un TAB
abordé par le concept de Stewart. Elle est également indispensable au calcul
du trou anionique plasmatique (cf infra).
L’albumine et le phosphore : l’albumine et le phosphore, principaux acides
faibles plasmatiques, représentent respectivement environ 78 % et 20 % de
ces charges négatives. Selon le modèle de Stewart, une élévation d’un de ces
paramètres entraîne une acidose métabolique et inversement [13, 17].
Les autres paramètres : le calcium, le magnésium, ainsi que le lactate sont
des ions forts qui entrent dans le calcul du SID. Leur dosage, bien que non
routinier, doit toujours être réalisé (au même titre que l’albumine) chez des
malades complexes de réanimation avec des TAB sévères.
1.4.3. LES PARAMÈTRES URINAIRES [1, 2, 14]
Le pH urinaire : il reflète le degré d’acidification des urines en l’absence de
problèmes infectieux. C’est essentiellement un outil du diagnostic étiologique
de certaines acidoses métaboliques.
Les électrolytes urinaires : la mesure de la concentration urinaire de sodium,
potassium et chlore sont les principaux éléments utiles à l’évaluation de la
réponse rénale à un TAB déterminé.
1.4.4. LES CALCULS
1.4.4.1. Le trou anionique plasmatique (TA) [1, 2, 4, 14, 18]
Le TA est basé sur le principe de l’électroneutralité du plasma selon lequel
la somme des charges positives (cations) est égale à la somme des charges
négatives (anions). Le TA n’est qu’un artifice de calcul, car le dosage usuel des
ions Na+, K+, Cl- et HCO3- méconnaît les autres ions qui assurent eux aussi
l’électroneutralité : cations indosés tels que Ca++, Mg++ et anions indosés tels
que protéinates, sulfates, phosphates et autres acides organiques (Figure 1).
Le TA, reflet des anions indosés, peut être calculé au lit du patient selon la for-
mule [1, 2, 14] :
TA (meq.l-1) = Na+ - (Cl- + HCO3-) = 12 ± 2 meq.l-1
.
Ce paramètre est largement utilisé dans l’approche classique d’Henderson-
Hasselbalch comme marqueur des acidoses métaboliques. On distingue ainsi les
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206
acidoses métaboliques à TA élevé (ou organiques) des acidoses métaboliques
hyperchlorémiques à TA normal (minérales) (Figure 2). Le TA connaît cependant
des limites d’interprétation [11, 17-20]. L’hypoalbuminémie, présente chez 50 %
des patients de réanimation, est la cause la plus fréquente de diminution du TA.
Pour s’affranchir de cette erreur, Figge et al [17] ont proposé de corriger la valeur
du TA en tenant compte de l’albuminémie selon la formule :
TA corrigé (meq.l-1) = TA calculé + 0,25 x (albumine normale – albumine
mesurée (g.l-1) = TA calculé + 0,25 (40 – albumine mesurée)
Figure 1 : représentation de la balance des charges positives et négatives
dans le plasma.
TA : trou anionique plasmatique; SIDa : « strong ion difference » apparent ; SIDe :
« strong ion difference » effectif; SIG : « strong ion gap »; Alb : albuminate,
Ph : phosphates
Les cations indosés comprennent le Ca++ et Mg++; Le SID est toujours positif,
normalement égal à 40 meq/l. La différence entre SIDe et SIDa est normalement
égale à 0 sauf s’il y accumulation d’anions indosés dont la présence sera attestée
par la présence d’un SIG. Le trou anionique est constitaussi d’anions indosés
mais aussi d’acides organiques faibles, c’est à dire albuminate et phosphate.
Ce TA est normalement égal à 12 meq/l; il est normalement augmenté en cas
d’accumulation plasmatique acides organiques (lactate, corps cétoniques).
CATIONS
Albumine
Na+
140
ANIONS
Cl-
105
HCO3-
25 SIDe
Autres
anions
indosés
Phosphore
Cations
indosés
SIDa
TA
SIG
CATIONS ANIONS
HCO3-
25
Anions
indosés
(Xa-, lactate)
K+
Ca++
Mg++
Albumine
Phosphore
Na+
140
Cl-
105
Questions pour un champion en réanimation 207
1.4.4.2. Le strong ion difference (SID) [8, 9, 11, 13, 14, 20-23].
Le SID peut être calculé de différentes façons. Le SID effectif (SIDe) corres-
pond à la somme du bicarbonate et des 2 principaux anions faibles plasmatiques
que sont l’albuminate et le phosphate (Figure 1) :
SIDe (meq.l-1) = HCO3- + albuminate + phosphate.
La concentration en HCO3- est calculée dans les gaz du sang à partir de
l’équation d’Henderson-Hasselbalch. La concentration en albuminate et en
phosphate (Atot) peut se calculer à partir de leur pH et leur pK respectifs. Ces
données permettent au final de calculer le SIDe selon la formule :
SIDe (meq.l-1) = [HCO3-] + [albumine (g.l-1) x (0,123 x pH – 0,631)] +
phosphore (meq.l-1) x (0,309 x pH – 0,469)] = 40 ± 2 meq.l-1
Bien qu'étant la plus juste, l'utilisation pratique de cette formule reste limitée.
Le calcul du SIDa semble plus facile et accessible au lit du patient. Il s'agit néan-
moins d'un calcul approximatif qui ne tient compte que des principaux cations
et anions forts plasmatiques que l'on a courramment dans le ionogramme san-
guin. Ainsi, selon que l'on ait la mesure de la lactatémie ou non, il est possible
d'utiliser deux formules :
Figure 2 : représentation schématique des 2 grandes catégories d’acidose
métabolique
A : Normalement : le trou anionique plasmatique (TA) correspond à la différence
entre la somme des indosés anioniques et des indosés cationiques.
B : Dans les acidoses métaboliques minérales, chaque HCl en excès libère un
ion H+ tamponné par un ion HCO3
- et un Cl- ; le TA est donc normal.
C : Dans les acidoses métaboliques organiques, chaque acide organique en
excès libère un ion H+ tamponné par un ion HCO3
- et un sel d’acide+ qui est un
anion ; le TA est donc élevé > 12 mmol.l-1.
CATIONS
Acides
organiques
HCO3-
15
Cl-
105
TA=10
Cations
indosés
Na+
140
A
ANIONS
C
B
-
+
-+
Anions
indosés
TA=10 TA=20
Cations
indosés
Anions
indosés
Cations
indosés
Anions
indosés
Cl-
115
Na+
140
Cl-
105
Na+
140
HCO3-
15
HCO3-
25
NORMAL ACIDOSE METABOLIQUE
MINERALE
ACIDOSE METABOLIQUE
ORGANIQUE
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