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les individus dans des cadres sociologiques rigides éveillent dans la personnalité de base la crainte et l'hostilité. Dans ce
système austère, la soumission est préférable à la haine. Comme institutions secondaires, la religion et la magie traduisent
la nécessité de s'adapter par l'obéissance. Le culte des ancêtres est à l'image de la contrainte paternelle. S'y conformer,
c'est garantir à terme sa propre sécurité. Cette recherche de la sécurité par la soumission caractérise la personnalité de
base des Tanala.
Comme chez les Marquisiens, les institutions fondamentales sont celles qui modèlent l'éducation des enfants. Elles se
caractérisent donc par leur antécédence, qui ne va pas sans faire problème. La distinction du primaire et du secondaire a
suscité, en effet, de nombreuses critiques. Claude Lefort relève, dans son introduction à la traduction française de l'ouvrage
de Kardiner, l'imprécision des concepts : pourquoi la jalousie figure-t-elle dans les institutions primaires, alors que
l'homosexualité relève des institutions secondaires ?
On peut aussi s'interroger sur le type de causalité qui lie la religion et le système de croyances aux données du
psychisme. Les institutions dites secondaires, qui englobent en fait l'idéologie d'une société, apparaissent comme la
projection des affects ou des frustrations propres à la personnalité de base. Mais il semble impensable, dans le schéma de
Kardiner, que l'élément idéologique ait un impact sur la formation de la personnalité de base. La causalité du primaire sur le
secondaire par l'intermédiaire de la personnalité de base n'est pas réversible. Dans des recherches ultérieures, Kardiner a
nuancé quelque peu sa position ; il n'en reste pas moins que la tendance à chercher la clé de la culture dans la psychologie
des individus demeure prépondérante dans son œuvre.
Au-delà des critiques qu'il a suscitées, le culturalisme a su imposer, en théorie – par l'introduction de concepts inédits –
et en pratique – par un renouvellement des méthodes ethnographiques –, un décloisonnement des sciences sociales. Alors
que l'anthropologie tendait à s'enfermer dans l'étude de l'organisation sociale, les culturalistes surent montrer que le
psychique et l'institutionnel ne sont que les deux faces d'une même réalité. Le culturalisme est à l'origine d'œuvres
importantes comme celles des psychanalystes Eric Fromm et Karen Horney et du philosophe Herbert Marcuse. Les études
des années soixante et soixante-dix consacrées à la modernité et au changement social portent l'empreinte de ce
mouvement de pensée.
Marc ABELES
Bibliographie
• R. BENEDICT, Patterns of Culture, Houghton Mifflin, 1934 (Échantillons de civilisation, trad. W. Raphaël, Gallimard, Paris, 1950) ; Race, Science and
Politics, Modern Aeg Book, 1940
• S. CLAPIER VALLADON, Panorama du culturalisme, Epi, Paris, 1976
• A. KARDINER, The Individual and his Society. The Psychodynamics of the Social Organization, Columbia Univ. Press, 1939 (L'Individu dans sa société,
trad. T. Prigent, préf. R. Linton, Gallimard, 1969) ; The Psychological Frontiers of Society, Columbia Univ. Press, 1945
• R. LINTON, The Study of Man ; an Introduction, Appleton Century, 1936 (De l'homme, Y. Delsaut éd., Éd. de Minuit, Paris, 1968) ; The Tree of Culture,
A. A. Knopf, New York, 1955
• M. MEAD, Coming of Age in Samoa : a Psychological Study of Primitive Youth et Sex and Temperament in Three Primitive Societies, Morrow, 1928 et
1935 (Mœurs et sexualité en Océanie, trad. G. Chevassus, Plon, Paris, 1963) ; Male and Female : a Study of the Sexes in a Changing World, Morrow,
1949 (L'Un et l'Autre Sexe, Gonthier, Paris, 1966).