L’économie gabonaise souffre du syndrome hollandais, dit-on ! Jacques Janvier Rop’s Okoué Edou L’économie gabonaise souffre du syndrome hollandais, dit-on ! Essai Editions Persée Du même auteur Livres et articles scientifiques déjà publiés Livre : Pourquoi la dévaluation du franc CFA était-elle vouée à l’échec au ­Gabon ?, L’Harmattan, Paris, 05/01/2007. Article scientifique : Le Marché Financier de Libreville : gains dynamiques attendus, Enjeux n° 8, FPAE, juillet-septembre 2001, p. 48. Livres et articles scientifiques à paraître Livre : L’économie gabonaise souffre du syndrome hollandais, dit-on !, Persée Article scientifique : « Pression sociale et apparence physique : une vérification statistique des théories fonctionnaliste et marxiste au programme « ­sciences humaines » du cégep Limoilou (campus de Québec) », Revue Organisations et Territoires Article scientifique : « Gouvernance et Démocratie : une mise à l’épreuve de la théorie du choix rationnel », Revue Polis Article scientifique : « Déficit budgétaire et endettement public du Québec », Revue Interventions Économiques Article scientifique : « L’état des finances publiques : une analyse comparée Québec – Canada – États-Unis », Revue Actualité Économique Article scientifique : « Le rôle des firmes multinationales dans l’élaboration d’ententes régionales et multinationales », Revue Interventions Économiques Consultez notre site internet © Editions Persée, 2014 Pour tout contact : Editions Persée — 38 Parc du Golf — 13856 Aix-en-Provence www.editions-persee.fr Jacques Janvier Rop’s Okoué Edou1 L’économie gabonaise souffre du syndrome hollandais2, dit-on ! 1. J.J.R. Okoué Edou, canadien d’origine gabonaise, est enseignant à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) et au Cégep de Limoilou depuis 2008. Il a enseigné pendant deux ans à l’ENAP de Québec. Il est par ailleurs membre de l’association des économistes du Québec. 2. Cette étude de cas de « syndrome hollandais » sur le Gabon peut être transposée sur le Canada dont l’économie repose pour partie sur les ressources naturelles (pétrole, bois…) à l’instar de celle gabonaise. Elle peut être menée au Canada en termes d’effet d’attraction que l’Alberta (province d’exploitation du pétrole) exercerait (en sa faveur) sur les ressources productives (travail, capital…) des autres provinces (effet de déplacement des facteurs de production vers l’Alberta). De même, elle peut l’être en termes d’effet de dépense au sens des rentrées massives de devises issues des exportations pétrolières qui exerceraient des pressions à la baisse (surévaluation) sur le taux de change réel du huard et sur la compétitivité-prix internationale des produits d’exports canadiens hors-boom (produits forestiers et industriels). 5 En mémoire de mon grand frère NGUEMA EDOU Alain Cédric et de ma petite sœur NDZOUGOU EDOU Chéronne. Avant-propos Cet ouvrage constitue ma modeste contribution à l’analyse d’impact de la politique (publique) pétrolière gabonaise de la décennie 1970 qui a généré, comme conséquences imprévues et négatives sur l’économie nationale, le « mal néerlandais » ou « dutch disease » caractérisé par les effets de déplacement des ressources productives (resource movement effect) et de dépense (spending effect). L’extraction du pétrole s’est en effet accompagnée, sur la décennie 1970-2000, d’un déclin du niveau relatif des exports traditionnels (café, cacao, bois, manganèse, uranium…) dans le total des exports et de la valeur ajoutée (PIB). L’application de cette théorie de la « maladie néerlandaise » au Gabon fournit d’assez bons résultats aussi bien au niveau macroéconomique et sectoriel qu’économétrique. Pour mener à bien cette étude, nous avons été amenés à scinder notre travail en cinq chapitres. Le premier chapitre présente la situation de l’économie gabonaise avant le boom pétrolier de la décennie 1970. Le deuxième chapitre expose le modèle de référence du « syndrome hollandais » de W. M. Corden et J.P. Neary. Le troisième chapitre procède à la vérification macroéconomique et sectorielle de la théorie du « syndrome hollandais » au Gabon sur la période 1970-2000. Le quatrième chapitre procède à la vérification économétrique de la théorie du « syndrome hollandais » au Gabon sur la même période 1970-2000. Le cinquième et dernier chapitre propose quelques solutions ou thérapies de lutte contre cette « maladie néerlandaise ». 9 Ce travail d’analyse d’impact (effet imprévu en évaluation des politiques publiques) de la politique (publique) pétrolière gabonaise sur la période 1970-2000 ne va pas forcément répondre aux espérances ou attentes du lecteur. S’il est vrai, comme le dit N. Avril, que : « chacun a raison selon son point de vue », il est tout aussi vrai que toute œuvre humaine ne peut être parfaite. Aussi, le lecteur doit contribuer à l’amélioration de ce travail en faisant des critiques constructives. Quoi qu’il en soit, nous assumons les imperfections qu’il ne manquera certainement pas de déceler. 10 Introduction générale « Like New-York’s psychiatrits, norways economists find themselves specialising in the diseases of the rich »3, voici en quels termes la revue The Economist choisit de commencer, dans son numéro du 18 avril 1981, un article consacré aux problèmes posés à la Norvège par les revenus tirés du pétrole. Quelques années plutôt, cette même revue avait présenté le cas des Pays-Bas et décrit les conséquences que les exportations massives de gaz naturel avaient entraîné sur son économie, proposant même pour les désigner l’expression, désormais célèbre, de « dutch disease ». Cette expression de « dutch disease », « syndrome hollandais » ou encore « mal néerlandais » est apparue vers 19754, au moment où eurent lieu les débats relatifs aux problèmes que le pétrole de la mer du Nord risquait de poser à la Grande-Bretagne. Elle fait référence aux difficultés rencontrées par la Hollande suite à l’exploitation, dans les années 1970, des réserves de gaz naturel du gisement Slochteren. Cette référence à une certaine morbidité associée à l’exploitation d’une ressource naturelle peut surprendre et paraître paradoxale5 au sens où les expériences de la plupart des pays pétroliers et miniers révèlent que la possession des richesses naturelles n’a pas toujours l’effet favorable escompté sur l’évolution économique. 3. Nowak, J-J. (1994), « Le boom du café et du cacao en Côte-d’Ivoire : une étude de cas de syndrome néerlandais », Revue Économique du Développement, pp. 52-75. 4. Campan, E. et Grimaud, A. (1989), « Le syndrome hollandais », Revue d’Économie Politique, n° 6, pp. 810-834. 5. L’or noir n’est-il pas synonyme de richesse, de devises abondantes ? 11 La possession ou l’exploitation d’une ressource naturelle déclenche un processus d’ajustement aboutissant généralement au déclin des branches exposées à la concurrence internationale et à l’expansion des branches qui en sont abritées. Un boom6 (pétrolier ou minier) tendrait donc spontanément à compromettre tout projet d’industrialisation ou de diversification des exports, aggravant ainsi la vulnérabilité de l’économie. Toutefois, le « mal néerlandais » n’est pas l’apanage des pays pétroliers ou miniers. Ses symptômes ont été également identifiés dans des économies affectées par des chocs aussi différents que le développement rapide de secteurs à haute technologie et dans les pays à dominante agricole lorsqu’ils connaissent une brusque valorisation de leurs produits primaires agricoles. Dès lors, dans une première acception, le terme de « dutch disease » peut être assimilé à la « pétrolisation » dans le cas où la ressource naturelle serait le pétrole. Il s’agit alors de démontrer le caractère excluant des exports du pétrole vis-à-vis des autres exports. Cependant, comme cette maladie ne résulte pas uniquement de l’exportation du pétrole7 mais également de l’exportation d’autres produits de base (cacao, café, cuivre…), elle désigne alors ­l’ensemble des effets préjudiciables créés dans une économie par l’expansion du secteur qui produit une ressource naturelle. Selon P. Daniel8 : « il se traduit par de brusques modifications dans l’attribution des ressources, par des changements de la 6. Parallèlement à la notion de « dutch disease » mise en évidence aux Pays-Bas, naissaient en Australie des modèles dits de booming sector (secteur en boom) qui illustraient les effets adverses des booms de certains secteurs sur d’autres dans une même économie. R.G. Grégory montra en particulier que le développement du secteur minier (en Australie) s’était accompagné d’un déclin relatif de l’industrie manufacturière. Ses conclusions avaient rejoint celle de la revue anglaise The Economist selon laquelle la découverte d’une ressource naturelle finit paradoxalement par appauvrir le pays qui en bénéficie. 7. Ce, même si dans la plupart des cas observés, le secteur en boom est de type extractif. 8. Daniel, P. (1985), « Problèmes d’ajustements consécutifs au mal néerlandais », OCDE. 12 s­ tructure sectorielle du système productif, les mouvements des prix relatifs étant au centre de ces distorsions sectorielles ». Relativement au Gabon, c’est précisément un choc de ce type qu’il subit depuis la décennie 1970 à la suite de la flambée des cours internationaux du brut. Après la brusque montée des prix des produits pétroliers du début des années 1970, ce pays a en effet connu, à l’instar des autres pays producteurs de pétrole, les effets bénéfiques du transfert de revenus (rentrées massives de devises) en provenance des pays acheteurs. Cependant, cet effet d’enrichissement global du Gabon suite à la hausse du cours de l’or noir s’est très vite paradoxalement accompagné d’effets sectoriels pervers se traduisant par un déclin des branches exposées à la concurrence internationale hors-boom comme le bois, les mines (manganèse et uranium), l’agriculture. Face au dépérissement de la filière agricole par exemple, la demande interne stimulée par l’augmentation du revenu réel s’est tournée vers les biens étrangers similaires plus compétitifs, provoquant au passage une explosion des importations et une dégradation du solde extérieur en biens alimentaires. L’ensemble de ces effets préjudiciables créés au sein de l’économie par le boom pétrolier pousse à dire que le Gabon connaît un « syndrome néerlandais » d’autant que l’application de cette théorie y fournit d’assez bons résultats macroéconomiques9, sectoriels et économétriques. Dans ce cadre, cet ouvrage présente d’abord la situation de l’économie gabonaise avant le boom pétrolier de la décennie 1970 (premier chapitre). Puis, il expose le modèle théorique de référence du « syndrome hollandais » de W. M. Corden et J.P. Neary (deuxième chapitre). Ensuite, il procède à la vérification empirique (macro­ économique, sectorielle et économétrique) de cette théorie du « mal 9. L’expansion pétrolière s’est accompagnée, dans ce pays, d’un déclin de la part ­relative des exportations traditionnelles (café, cacao, bois, manganèse…) dans le total des exports et de la valeur ajoutée (PIB). 13 néerlandais » au Gabon (troisième et quatrième chapitres) sur la période 1970-2000. Et enfin, il propose quelques solutions de lutte contre cette « maladie néerlandaise » ou « malédiction du pétrole » aux effets pervers sur l’économie gabonaise (cinquième chapitre). 14 Chapitre 1 : L’économie gabonaise avant le boom pétrolier de la décennie 1970 1.1. La structure de l’économie gabonaise avant le boom du pétrole Au Gabon, le hors-pétrole regroupe l’ensemble de toutes les autres activités économiques (bois, mines, agriculture…) en dehors du pétrole. En 1960, il représentait 79,7 % des exportations gabonaises contre 20,3 % pour le pétrole. Graphique 1 : Exportations du Hors-Pétrole et Pétrole (en %), 1960 Graphique élaboré à l’aide des données de la DGE, DGSEE et de la BEAC. 15