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L'hommage
des
économistes.
Paul
Samuelson,
qui se
définissait
lui-
même comme « le dernier généraliste de l'économie », est mort le 13 décem-
bre dernier. Aujourd'hui, ses pairs rendent hommage à celui qui fut prix Nobel
en 1970. D'abord Xavier Ragot, chercheur à la Banque de France, qui met son
œuvre en perspective. Puis nos commentateurs réguliers Jacques Grenier
(Toulouse School of Economies) et Bernard Salanié (université de Columbia) qui
insistent sur son exigence de formalisation mathématique.
LE POINT DE VUE DE XAVIER RAGOT
Paul Samuelson, un économiste
à la fois profond, original et influent.
D
ans l'histoire des sciences, peu
d'hommes ont incarné leur discipline
comme Paul Samuelson a incarné l'écono-
mie. L'originalité et la profondeur de ses
contributions ont influence aussi bien les
idées et les théories de l'économie, que ses
méthodes et sa diffusion au sein d'un large
public.
Une manière de percevoir la sensibilité
de Paul Samuelson peut consister à le lire
comme le principal introducteur de Keynes
aux Etats-Unis, ou comme le généralisateur
de la méthode rigoureuse des mathémati-
ques dans l'analyse économique. Pourtant,
Samuelson a d'abord été le meilleur exégète
de ses propres idées. La lecture de son
œuvre montre à quel point les mathéma-
tiques peuvent clarifier les débats et per-
es! devenue un des outils les plus utiles de
la macroéconomie, largement repris par la
suite. Avec son analyse du marxisme et de
la théorie de l'exploitation, il s'est encore
une fois emparé des sujets les plus poli-
tiques et montré comment logique scienti-
fique et rigueur intellectuelle peuvent con-
tribuer au débat. Enfin, son analyse du
multiplicateur montre comment les écono-
mies de marché peuvent induire des fluc-
tuations endogènes, que l'Etat peut limiter.
Ses contributions sont trop variées et trop
étendues pour être résumées en quèlques
lignes : macroéconomie, microéconomie,
économie du bien-être. Il a publié des cen-
taines d'articles. Paul Samuelson a changé
plus qu'aucun autre la façon de poser les
problèmes économiques.
Le pivot d'un courant, celui de la « synthèse »
qui formalise les idées keynésiennes
avec la rigueur des outils modernes.
mettre une discussion argumentée. Paul Sa-
muelson a étudié dans cette perspective
presque tous les champs de l'économie,
dans lesquels il a introduit des outils fonda-
mentaux. Dans le commerce international,
il a démontré un théorème de l'analyse de
Ricardo : chaque pays a intérêt à se spéciali-
ser dans les productions pour lesquelles il
détient un facteur de production relative-
ment abondant, le libre-échange générant
ainsi des gains pour tous. Quelles que
soient les critiques (que lui-même a formu-
lées plus tard) ou l'adhésion que l'on porte
aux hypothèses de ce théorème, l'élégance
et la clarté de l'analyse impressionnent De
même, la formalisation du modèle à géné-
rations imbriquées décrit par Maurice Allais
Fondamentalement, ses conceptions
économiques sont restées keynésiennes.
Les marchés n'obtiennent pas spontané-
ment le niveau d'emploi socialement dési-
rable et l'intervention fiscale et monétaire
est justifiée dans le cycle économique. Ses
travaux publiés en 1960 avec Robert Solow
montrent qu'il peut exister une relation en-
tre niveau d'inflation plus élevé et chômage
plus faible. Cette affirmation a été l'objet de
débats les plus vifs avec le courant monéta-
riste. En effet, selon lui, l'Etat a un rôle à
jouer pour stabiliser les fluctuations écono-
miques. Concernant le commerce interna-
tional, ses travaux plaident pour une ouver-
ture commerciale bien comprise. De fait,
Paul Samuelson est le pivot d'un courant,
celui de la « synthèse », qui formalise les
idées keynésiennes avec la rigueur des
outils modernes. Cela lui donnera le privi-
lège d'être critique à la fois comme mauvais
keynésien par certains et mauvais libéral
par d'autres (au sens français du mot).
Enfin, sa contribution dans le débat pu-
blic et dans la diffusion de la pensée écono-
mique n'a pas d'équivalent. Paul Samuelson
est d'abord connu des étudiants d'écono-
mie pour les manuels traduits dans 40 lan-
gues, « Economies : An introductory Analy-
sis ». Cet ouvrage reste le plus vendu et sans
doute le plus lu à ce jour dans sa catégorie.
À la pédagogie, à la rigueur et à la clarté de
l'analyse s'ajoute la force de l'interprétation
de Samuelson. Cet aspect de sa contribu-
tion est primordial car la Seconde Guerre
mondiale est, selon lui, liée en partie à l'in-
capacité des économistes à préconiser des
solutions efficaces après la crise de 1929.
L'économie doit être ouverte au débat ci-
toyen et aux choix de société. Son œuvre
plus avancée, les Foundations of Economie
Analysis publiés pour la première fois en
1947, propose une unification du langage
des économistes, en utilisant les mathéma-
tiques, pour éviter les faux débats liés aux
approximations de langage. Sa reconnais-
sance lui vaut de devenir le conseiller éco-
nomique de Kennedy dans les années 1960,
où il met à l'épreuve ses convictions keyné-
siennes et prône l'utilisation des dépenses
budgétaires pour réduire le chômage. La
curiosité insatiable de Samuelson ne s'est
jamais satisfaite des conclusions définitives
de sa discipline, c'est dans la vigueur des
débats, aussi longue soient leurs issues,
qu'il trouvait la force de son argumentation.
Xavier Ragot est chargé de recherche
au CNRS et économiste senior à la Banque
de France.