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L’HISTOIRE
David entretient une relation par mail avec une jeune Française, Sandrine. Ils se sont
rencontrés pendant un congrès d’entreprises à Londres. Ils ont passé une nuit ensemble.
Pour eux deux, cela a compté.
Mais une révélation soudaine va mettre fin à cette histoire naissante. Peu à peu, David se
livre. Il n’a pas toujours travaillé dans la vente. A une époque, il était prof, de lettres. Et
marié, à Jess, dont il était fou amoureux. Mais sa femme avait des dettes. De très, très
grosses dettes. Alors, entre l’amour et l’argent, il a fallu choisir.
Véritable mosaïque, Love & Money retrace à rebours l’histoire de David et Jess, de la
brutale explosion de leur couple à la demande en mariage. Dennis Kelly y interroge notre
rapport à l’argent, la place que nous lui accordons, la hiérarchisation de nos valeurs,
dans un monde où, paraît-il, le bonheur s’achète. Une œuvre fascinante, complexe,
terriblement drôle et sombre à la fois.
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L’AUTEUR
en 1970, dans une famille Irlandaise de cinq
enfants, Dennis Kelly grandit à Barnet, dans la
banlieue nord de Londres. Son père était chauffeur
de bus, et Kelly quitte l’école à 16 ans pour
travailler dans un supermarché. C’est à cette
époque qu’il découvre le théâtre, en intégrant le
Barnet Drama Center, une jeune compagnie locale.
Il se lance quelques années plus tard dans des
études théâtrales universitaires, au Goldsmiths
College de Londres.
Il affirme n’y avoir rien appris en matière d’écriture
dramatique, et affiche très rapidement une volonté
de rompre avec le théâtre social réaliste anglais
qu’il a étudié, pour expérimenter de nouvelles
formes d’écriture, tout en traitant de sujets brûlants
d’actualité. Adepte d’une écriture volontiers
provocatrice, avec ces dialogues extrêmement
rythmés, ces mots crus, ces situations souvent
violentes et ce regard sans complaisance porté sur
nos sociétés, il s’inscrit dans le courant
dramaturgique britannique du théâtre dit « in-yer-
face », qui s’emploie à montrer l’inhumani de l’être humain et les dérives de notre
monde.
Sa première pièce, Débris, est créée à Londres en 2003. Suivront Oussama, ce héros en
2004, Love & Money en 2006, ou encore Occupe-toi du bébé, joué au Théâtre de la
Colline en février 2011. Son œuvre est désormais traduite et jouée dans le monde entier.
Dennis Kelly a par ailleurs été élu meilleur auteur dramatique de l’année 2009 par la
revue allemande Theater Heute.
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NOTE D’INTENTION
« Vous voulez sentir que chaque journée de travail peut être autre chose que
patauger dans le sang ».
Il y a quelques années, quand j’étais étudiant, j’ai travaillé au service contentieux d’une
société de crédit une grosse boite, une de celles que tout le monde connait. J’étais
chargé de recouvrement : toute la journée, un automate composait pour moi des
numéros de téléphone et me mettait en relation avec des gens qui, pour une raison ou
pour une autre, avaient cessé de rembourser leurs dettes. En un minimum de temps, je
devais m’informer de leur situation financière, comprendre la raison pour laquelle ils ne
payaient plus, et passer avec eux un nouvel accord de remboursement, à hauteur d’au
moins 3% de leur dette chaque mois. Si cela s’avérait impossible, ou s’ils n’étaient pas
assez coopératifs, je transférais leur dossier à un huissier chargé, à leurs frais, de saisir
leurs biens.
Je traitais des dizaines de dossiers chaque jour : des étudiants sans revenus, des mères
célibataires en pleurs, des chômeurs en fin de droits, des gens tombés malades et qui
avaient perdu leur emploi, des gens qui ne parlaient pas un mot de Français et dont on
se demandait comment ils avaient pu comprendre le contrat qu’ils avaient signé, des
veuves qui découvraient à la mort de leur mari que celui-ci avait des dettes, quelques
escrocs aussi, et puis beaucoup, beaucoup de gens qui travaillaient et qui, simplement,
ne s’en sortaient pas. J’avais appris à ne plus parler de personnes, mais de « db », pour
débiteurs. Aux menaces de suicide, je devais répondre que cela n’est jamais une solution
et faire en sorte que la discussion tourne court.
C’est à cette période de ma vie que la lecture de Love & Money m’a renvoyé, et c’est
pour cela, je crois, que j’ai d’abord eu envie de prendre en charge ce texte. J’ai
découvert la pièce par hasard à la fin du mois de juin 2012. Depuis des mois, je
cherchais une pièce à monter, une bonne pièce, une de celles dont j’aurais l’impression
qu’elle avait réellement quelque chose à dire sur le monde tel qu’il est aujourd’hui. Je l’ai
lue, et j’ai su que j’avais entre les mains un matériel exceptionnel. Ce jour-là, les infos
ont parlé d’un Grec qui s’était suicidé, écrasé par la crise.
Au centre de Love & Money, il y a un couple, Jess et David. Ils sont jeunes, fraichement
mariés, fous amoureux. Ils sont citadins, modernes, un peu bobos. Lui est prof, elle on
ne sait pas ; ils font partie de la fameuse middle class. Seulement, Jess a des dettes. De
grosses dettes. 70 000 livres. Elle doit prendre un deuxième boulot, lui doit quitter
l’enseignement pour entrer dans la vente. Cela ne suffit pas. Alors, pour David, il
apparait qu’entre l’amour et l’argent, il faudra faire un choix. Le couple explose. Et de
quelle manière.
Si nous choisissons de nous attaquer à ce texte, c’est parce que nous sentons qu’il
soulève des questions fondamentales et passionnantes sur le fonctionnement de nos
sociétés occidentales contemporaines. La place que nous accordons à l’argent. Notre
besoin maladif de posséder. Notre peur perpétuelle du déclassement, dans une période
de crise. Notre capacité à nous adapter ou non à un système économique de plus en plus
complexe, dont le fonctionnement nous échappe inévitablement, à moins d’avoir
« l’instinct du tueur ». La question de cette capacid’adaptation se pose d’ailleurs pour
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tous les personnages de la pièce. Tous essaient juste de s’en sortir, dans cette société
britannique extraordinairement violente qui ne leur laisse pas le choix. Certains y
arrivent, à la condition d’abandonner tout idéal (la religion, les idéaux politiques,
l’amour) au profit d’une croyance unique : le fric. Certains deviennent des monstres à
force d’essayer de s’en sortir. D’autres, enfin, échouent, tout simplement.
Et puis il y a Jess. Cette jeune femme perdue, qui n’a jamais trouvé sa place dans le
monde. Cette fille que la puissance de son amour transperce, qui dit qu’elle pourrait
« dégueuler d’amour ». Cette fille qui s’émerveille de l’existence de l’univers, des étoiles
et de la gravité, de l’improbabilide la vie, de la sienne et de celle des autres, et qui ne
comprend pas, face à tant de mystères et de hasards, que l’on accorde tant d’importance
à cette chose morte, irréelle, à cette convention qu’est, au fond, l’argent.
A l’heure j’écris ces lignes, nous répétons depuis plusieurs mois, et je commence à
voir à quoi le spectacle ressemblera. Nous avons fait le choix de la plus grande simplicité
possible. Parce que ce texte est fort, parce que ces personnages sont complexes, nous
essayons d’éviter les effets de manche, les numéros d’acteurs. Parce que nous
souhaitons avant tout être porteurs de cette histoire et des problématiques qu’elle
soulève, nous nous adresserons la plupart du temps directement au public. Il ne s’agira
pas tant de dénoncer que de poser des questions. Je ne crois pas que le théâtre puisse
changer quoique ce soit au monde, mais du moins peut-il permettre de prendre
conscience de certaines choses. Nous essaierons de ne pas être moralisateurs. Aucun des
personnages de Kelly n’entre en révolte contre ce que, pour simplifier, nous appelons le
« système ». Jess le dit : « je déteste quand les gens sont juste à critiquer et tout parce
qu’on porte tous des chaussures, bon Dieu, alors vous voyez mais parfois je me pose des
questions ». Il y a là une clef. Nous nous poserons des questions.
Alexandre Lhomme
Collectif Les Âmes Visibles
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