► NOTE D’INTENTION
► « Vous voulez sentir que chaque journée de travail peut être autre chose que
patauger dans le sang ».
Il y a quelques années, quand j’étais étudiant, j’ai travaillé au service contentieux d’une
société de crédit – une grosse boite, une de celles que tout le monde connait. J’étais
chargé de recouvrement : toute la journée, un automate composait pour moi des
numéros de téléphone et me mettait en relation avec des gens qui, pour une raison ou
pour une autre, avaient cessé de rembourser leurs dettes. En un minimum de temps, je
devais m’informer de leur situation financière, comprendre la raison pour laquelle ils ne
payaient plus, et passer avec eux un nouvel accord de remboursement, à hauteur d’au
moins 3% de leur dette chaque mois. Si cela s’avérait impossible, ou s’ils n’étaient pas
assez coopératifs, je transférais leur dossier à un huissier chargé, à leurs frais, de saisir
leurs biens.
Je traitais des dizaines de dossiers chaque jour : des étudiants sans revenus, des mères
célibataires en pleurs, des chômeurs en fin de droits, des gens tombés malades et qui
avaient perdu leur emploi, des gens qui ne parlaient pas un mot de Français et dont on
se demandait comment ils avaient pu comprendre le contrat qu’ils avaient signé, des
veuves qui découvraient à la mort de leur mari que celui-ci avait des dettes, quelques
escrocs aussi, et puis beaucoup, beaucoup de gens qui travaillaient et qui, simplement,
ne s’en sortaient pas. J’avais appris à ne plus parler de personnes, mais de « db », pour
débiteurs. Aux menaces de suicide, je devais répondre que cela n’est jamais une solution
et faire en sorte que la discussion tourne court.
C’est à cette période de ma vie que la lecture de Love & Money m’a renvoyé, et c’est
pour cela, je crois, que j’ai d’abord eu envie de prendre en charge ce texte. J’ai
découvert la pièce par hasard à la fin du mois de juin 2012. Depuis des mois, je
cherchais une pièce à monter, une bonne pièce, une de celles dont j’aurais l’impression
qu’elle avait réellement quelque chose à dire sur le monde tel qu’il est aujourd’hui. Je l’ai
lue, et j’ai su que j’avais entre les mains un matériel exceptionnel. Ce jour-là, les infos
ont parlé d’un Grec qui s’était suicidé, écrasé par la crise.
Au centre de Love & Money, il y a un couple, Jess et David. Ils sont jeunes, fraichement
mariés, fous amoureux. Ils sont citadins, modernes, un peu bobos. Lui est prof, elle on
ne sait pas ; ils font partie de la fameuse middle class. Seulement, Jess a des dettes. De
grosses dettes. 70 000 livres. Elle doit prendre un deuxième boulot, lui doit quitter
l’enseignement pour entrer dans la vente. Cela ne suffit pas. Alors, pour David, il
apparait qu’entre l’amour et l’argent, il faudra faire un choix. Le couple explose. Et de
quelle manière.
Si nous choisissons de nous attaquer à ce texte, c’est parce que nous sentons qu’il
soulève des questions fondamentales et passionnantes sur le fonctionnement de nos
sociétés occidentales contemporaines. La place que nous accordons à l’argent. Notre
besoin maladif de posséder. Notre peur perpétuelle du déclassement, dans une période
de crise. Notre capacité à nous adapter ou non à un système économique de plus en plus
complexe, dont le fonctionnement nous échappe inévitablement, à moins d’avoir
« l’instinct du tueur ». La question de cette capacité d’adaptation se pose d’ailleurs pour