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AGENDA MT 1/2001
POINT DE MIRE
L’ouvrage «Liebe, Luxus und Kapitalismus. Ueber die Ent-
stehung der modernen Welt aus dem Geist der Ver-
schwendung» (Wagebach, Berlin, 1992) ainsi que la publi-
cation plus ancienne «Theorie der feinen Leute» de Veblen,
Kiepenheuer & Witsch; Cologne, Berlin, placent l’économie
sous une perspective différente et qui sonne étonnam-
ment juste à nos oreilles.
vie y est resté pratiquement inchangé au
cours des 2000 dernières années: partir en
mer le matin, jeter ses filets, ramener le pois-
son à terre, avant de le rôtir et de le manger,
puis de jeter les arêtes sur le tas destiné à cet
effet. Le reste de la journée était consacré à
la culture d’un petit champ de millet, à la re-
ligion et surtout à la fa-
mille et aux voisins. Ou-
tre la nourriture, le pal-
mier fournissait, égale-
ment un matériau de
tressage pour les chaus-
sures, les chapeaux, les
corbeilles et les nattes
pour dormir. Mais, mal-
gré la nostalgie éveillée
par de telles images, ceci
n’a sans doute rien à voir avec la vie dont
rêve chacun d’entre nous. L’économie égali-
taire et satisfaite est justement aussi une
économie sans incitation à la recherche et au
développement
Le relèvement des bas salaires sert
aussi la promotion du marché
Avec la concurrence des villes et des régions
courtisant les investisseurs, l’attention est
captivée par les 0,3% de la population qui ne
sont pas tributaires d’un salaire, et dont le re-
venu est de surcroît préservé par des allége-
ments fiscaux.
Ne serait-il pas plus qu’approprié de mé-
nager davantage encore ceux dont le salaire
est situé aux alentours du minimum vital,
voire en dessous. Le système économique
doit être aménagé de façon à ce que les per-
sonnes qui travaillent puissent également se
payer les fruits de ce travail. Quant à savoir
comment réaliser la chose, diverses théories
orientées sur l’économie de marché arrivent
aussi à des conclusions opposées, à savoir
qu’on peut influencer l’offre (chaque offre
trouve sa demande pour un prix approprié),
que toute chose peut être vendue, à condi-
tion qu’on lui attribue une bonne «valeur» –
la publicité n’en vit-elle pas?–, et enfin qu’on
peut aussi influencer la demande, car on pro-
duit ce pour quoi il existe une demande
(l’offre étant déterminée par les souhaits des
consommateurs et leur pouvoir d’achat).
Là où un marché est appelé à naître, les
consommateurs doivent également avoir de
l’argent afin de pouvoir s’offrir ses produits.
C’est là un élément dont avait bien cons-
cience Henry Ford, le magnat américain de
l’automobile, que personne ne songerait à
verser des salaires à l’avenant. Plus les béné-
fices sont modestes, plus les dépenses sont
prépondérantes (voir le cas particulier de Ba-
tigroup). Les valeurs du groupe 2 montrent
quels sont les effets de la concurrence, et mê-
me les géants du commerce de détail doivent
consentir des dépenses énormes malgré des
salaires relativement modestes s’ils enten-
dent pouvoir réaliser leurs bénéfices.
Le graphique représentant les salaires
bruts en fonction des secteurs économiques
et le tableau «Bénéfices et frais de person-
nel» permettent d’établir une règle simple
pour la différenciation des salaires:
I. Plus la concurrence est importante, plus
basses sont les marges bénéficiaires (ce
qui est réjouissant pour le consomma-
teur).
II. Avec des marges bénéficiaires plus bas-
ses, les salaires baissent eux aussi (ce qui
est là moins réjouissant pour les salariés).
Valora constitue ici un cas à part car elle est
parvenue à obtenir d’importants bénéfices
avec de bas salaires. Or, les intérêts des em-
ployés sont ici visiblement mal représentés
et, deuxièmement, le bilan semestriel peu
réjouissant, qui a fait baisser d’un quart la va-
leur actionnariale, montre bien que cette
méthode ne fonctionne que dans une me-
sure limitée.
L’inégalité n’a pas que
des conséquences négatives
Bien que les déséquilibres soient évalués la
plupart du temps de façon critique dans une
perspective sociale, les différences et l’envie
qui leur est liée agissent en tant qu’aiguillon
du succès sur les instincts animant le moteur
de la croissance économique. Depuis des
temps immémoriaux, les paysans veulent
devenir citadins, les bourgeois rêvent d’être
nobles alors que les nobles n’ont de cesse de
devenir encore plus riches – et c’est pré-
cisément pour cela que le monde est monde,
qu’on ambitionne de battre la concurrence à
plate couture, que c’est à celui qui aura le
véhicule le plus beau et le plus cher, la pro-
priété la plus importante et la plus luxueuse,
la maîtresse la plus belle et la plus raffinée…
Mais il n’empêche que l’égalité n’est pas
forcément la clef de tous les problèmes,
comme le montre de façon parlante un
exemple du Yémen où des archéologues
français ont effectué des fouilles dans les
années 90 dans la région de la Tiihama.
L’étude des sédiments a révélé que le style de
qualifier de gauchiste. Soucieux de vendre
ses voitures, il versait en effet à ses em-
ployés des salaires nettement supérieurs au
niveau en vigueur. C’est avant tout l’écono-
miste Britannique John Maynard Keynes qui
a poursuivi le développement de ces bases,
Gunnar Myrdal les ayant quant à lui appli-
qués dans ses théories
économiques sur le plan
de la collaboration au
développement: le pre-
mier pas de l’aide au
développement est selon
lui non pas dans l’ouver-
ture des marchés pour
des importations à bas
prix, car ceci débouche
pratiquement toujours
sur l’endettement. Le premier pas effectif
serait un relèvement du revenu afin de don-
ner un élan suffisant à l’économie locale!
Il est possible de montrer facilement au
moyen de la restauration les différences in-
hérentes en Suisse à chacune des théories.
L’influence de l’offre défendue par le néo-
libéralisme exige des prix plus bas afin de
rendre l’offre accessible à un plus large pu-
blic. L’influence de la demande orientée sur
le développement exige des salaires plus im-
portants, car celui qui travaille et se situe au-
tour du minimum vital, voire en dessous, ne
peut guère s’offrir les prestations, si simples
soient-elles. S’ajoute le fait qu’on souhaite
avoir affaire à des gens plus sympathiques et
plus joyeux au niveau du personnel.
Donnons-leur donc une raison d’être ami-
caux, accordons-leur des salaires convi-
viaux. Donnons une nouvelle signification
au salaire au mérite, devenant un salaire
méritant d’être dépensé. Et les personnes
gagnant moins d’argent utiliseront jus-
tement cet argent pour promouvoir l’éco-
nomie.
En résumé, il convient de remarquer que
l’équité du marché ne répond que très ra-
rement au sentiment d’équité humain. Pour
que tous, en particulier les bas salaires, puis-
sent prétendre satisfaire aux besoins hu-
mains, il faut que la société se serve résolu-
ment du levier dont elle dispose, à savoir la
politique. ❐
L’égalité
n’est pas forcément
la clef de tous
les problèmes