fr. Didier van HECKE, GB GSA, Le Pentateuque, 2014/2015.
1
1 INTRODUCTION
À LA LECTURE DU PENTATEUQUE
INTRODUCTION
« Au commencement, l’Exil. Il est tentant de résumer ainsi la naissance de la Bible hébraïque. L’Exil
à Babylone n’a pas provoqué la fin du peuple judéen, mais il a paradoxalement donné naissance au
judaïsme, qui puisera dès le IVe siècle avant notre ère son identité dans la Torah. Car la déportation
de l’intelligentsia juive à Babylone a préparé de manière décisive l’avènement du Livre »
1
.
Voilà ce que dit Thomas Römer, bibliste, spécialiste de l'Ancien Testament, à propos de la naissance
de la Bible hébraïque. Il nous invite ainsi à entrer dans la lecture de ces textes en faisant l'effort de
comprendre comment ils ont été écrits, rédigés, mis en forme et pourquoi, dans quelle perspective et
avec quelle intention. Mais, ce travail est ardu et difficile, du fait de l'extrême complexité de cet
ensemble littéraire : complexité de la composition d'ensemble, complexité des formes littéraires et de
l'histoire du texte, complexité théologique et herméneutique.
1 PRÉSENTATION DU PENTATEUQUE
Le mot “Pentateuque” retranscrit le mot grec Pentateu/coç qui provient de la réunion des deux
termes suivants : pe/nte”, qui signifie “cinq” et teu/conqui désigne une boîte, ou un étui pour
rouleau et finalement le “rouleau” lui-même. “Pentateuque” signe donc les “cinq rouleaux par
excellence, les cinq premiers livres de l’Ancien Testament et du Judaïsme, les cinq livres de la Loi qui
sont appelés du nom de Torah par nos frères Juifs.
Pour les Juifs,; la Bible qu'ils appellent Tanak qAnAt comprend trois parties : la Torah, les
Nebiim (prophètes) et les Ketoubiim (autres écrits).
11 La Torah
On retrouve ce mot hébreu hDrOw;t torah à la fin du Deutéronome il désigne les paroles
prononcées par Moïse :
Et quand Moïse eut fini d'écrire entièrement les paroles de cette Torah (Loi) dans un livre. (Dt 31,24)
Vous prescrirez à vos fils de garder et de mettre en pratique toutes les paroles de cette Torah (Loi).
(Dt 32,46)
Ces mots de Moïse concluent non seulement le Deutéronome, mais également l'ensemble du
Pentateuque, lois et récits, que le lecteur est ainsi invité à considérer comme une Torah. Mais
comment interpréter ce terme ?
Le mot hébreu hDrOw;t torah vient de la racine hDrDy yarah qui a pour sens : jeter,
lancer, montrer de la main, indiquer une direction. Dans la Bible, le sens de torah est donc celui de
direction à prendre, directive, guide, d’où enseignement, instruction, direction droite de vie donnée par
le Seigneur à l’homme. Ainsi, la torah, plus qu’une loi, est un enseignement inspirant une conduite à
tenir
2
.
« Le terme même de Loi est insuffisant pour marquer la plénitude du mot hébreu torah, que l’on n’a
pu réduire à une Loi que par le canal du terme grec nomos qui le traduit dans la Septante. Torah, en
1
T. RÖMER, Naissance de la Bible, Monde de la Bible 137, 18.
2
P. MIQUEL et alii, Les mots-clés de la Bible, Beauchesne, Paris, 1996, 287.
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2
hébreu, ce n’est pas l’ordre, mais l’orientation ; pas la Loi, mais la Voie, la route sur laquelle est
possible un cheminement en commun »
3
.
Dans le Judaïsme, ce qu'on appelle Torah, c'est tout à la fois la parole de Dieu - telle qu'elle est
consignée dans le Pentateuque, la Loi écrite - et le Talmud, comprenant la michna et la guemara, la
Loi orale. C'est cet ensemble qui forme un tout indissoluble : la Torah.
Pour le Judaïsme, la Torah est bien autre chose qu'un récit ou un recueil de rites ou de règles d'éthique,
un code pénal ou une œuvre littéraire ; la Torah est une voix ! Or, la voix, contrairement à l'écriture,
est vivante. Elle se situe à la fois dans le temps et dans l'espace ; ce n'est pas une suite de mots sous
une forme achevée, un discours fixé une fois pour toutes sur le parchemin ; c'est une parole vivante qui
jaillit en permanence. La Torah est une marche vers un accomplissement et non une exégèse de textes
jaunis.
12 Les noms des cinq livres du Pentateuque
La liste des cinq livres du Pentateuque (avec leurs noms breux puis grecs) est traditionnelle au
moins depuis la traduction de la Septante - LXX - (vers 300 avant J.C.) et sans doute déjà auparavant
vers 400 au temps d’Esdras et de sa promulgation de la Loi (Ne 8).
Depuis leur traduction par la LXX, les cinq livres sont désignés par leur contenu général. Leur titre
vient donc du grec :
1- Genesi/ç : Genèse, origines du monde, de l’homme et du Peuple d’Israël.
2- Exodo/ç : Exode, sortie d’Égypte…
3- Leuitiko/n : Lévitique, traite des prêtres et lévites, des sacrifices, rites et règles liturgiques.
4- Ari/qmoi : Nombres, avec des séries de généalogies et listes de tribus, clans et familles.
5- Deutero/nomion : Deutéronome ou “deuxième loi”.
Au contraire, en hébreu, on continue à les désigner par un de leurs premiers mots, un peu comme pour
les encycliques, les documents conciliaires ou certains cantiques bibliques (Magnificat) :
1- tyIcarV;b Bere’shît “Au COMMENCEMENT…”.
2- tOmVc Shemot “Voici les NOMS des fils d’Israël…”.
3- aDrVqIyAw Wayyiqera’ “Et IL APPELA Moïse…”.
4- rA;bVdImV;b Bemidebar : “Le Seigneur parla à Moïse DANS LE DÉSERT…”.
5- mIyrDbV;d Debarîm : “Voici LES PAROLES que dit Moïse…”.
13 Une Loi et des récits
On appelle Pentateuque la LOI par excellence, ou Livre de la Loi, ou Livre de la Loi de Moïse. Celui-
ci était en effet considéré comme l’auteur de tout le Pentateuque, comme David des Psaumes,
Salomon des écrits de Sagesse et Isaïe de tout le livre mis sous son nom :
Ils dirent à Esdras, le scribe, d’apporter le livre de la Loi de Moïse que le Seigneur avait prescrite à
Israël. (Ne 8,3) - Cf. Esd 6,18 ; 2 Chr 25,4.
Dans l’ensemble de la Torah, les rabbins ont relevé six cent treize commandements
4
. Mais, la plupart
de ces commandements sont regroupés dans des recueils législatifs dont trois grandes collections de
lois :
3
A. NEHER, Moïse, PUF, Paris, 104.
4
G. WIGODER dir., Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Cerf, Paris, 1993, 255-267.
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- le Code de l’Alliance (Ex 20-23),
- le Code de sainteté (Lv 17-26).
- le Code Deutéronomique (Dt 12-26),
À côté de ces trois grandes collections, on trouve trois petites collections :
- deux versions du Décalogue (Ex 20,2-17 et Dt 5,6-21),
- un Décalogue cultuel (Ex 34,10-26).
Ainsi, ce n’est qu’à partir d’Ex 20 que nous trouvons des commandements dans le Pentateuque. La
Torah n’est donc pas constituée que de traditions législatives. Elle relate aussi, sous forme de récits,
une grande histoire qui part de la création du monde et arrive à la mort de Moïse.
Tel est le premier trait qui apparaît quand on examine la physionomie littéraire du Pentateuque : une
alternance singulière de récits et de textes législatifs. La Loi est fondée sur une histoire et l’histoire
conduit à la réponse prescrite par la Loi. Pour bien comprendre la Torah, il ne faudra jamais oublier
cette articulation lois/récits, clairement exprimée en Dt 6,20-24 :
20Et demain, quand ton fils te demandera : "Pourquoi ces exigences, ces lois et ces coutumes que le
SEIGNEUR notre Dieu vous a prescrites ?" 21Alors, tu diras à ton fils : "Nous étions esclaves du
Pharaon en Égypte, mais, d'une main forte, le SEIGNEUR nous a fait sortir d'Égypte… 24Le
SEIGNEUR nous a ordonné de mettre en pratique toutes ces lois et de craindre le SEIGNEUR notre
Dieu, pour que nous soyons heureux tous les jours, et qu'il nous garde vivants comme nous le sommes
aujourd'hui.
14 Structure du Pentateuque
On peut relever deux structures d’ensemble du Pentateuque : une première structure interprétant le
livre de la Genèse comme le livre introductif à l’histoire de Moïse et une seconde structure
concentrique autour du livre du Lévitique.
141 Le livre de la Genèse comme introduction au Pentateuque
On peut déceler une première organisation du Pentateuque qui fait du livre de la Genèse le prélude ou
l’introduction à la grande épopée de la constitution d’Israël comme peuple de YHWH sous la conduite
de Moïse, du livre de l’Exode au livre du Deutéronome. Moïse est la figure qui unifie ces quatre livres,
de sa naissance, en Ex 2, à sa mort, en Dt 34. Le livre de la Genèse, quant à lui, présente d'une part
l'histoire des origines de l'humanité (Gn 1-11) et d'autre part les récits des patriarches (Gn 12-50).
Ben Zvi montre de quelle manière les conclusions des quatre livres (Ex, Lv, Nb, Dt) se terminent tous
par une référence au peuple d’Israël et se répondent deux à deux. Les derniers versets de Ex et de Dt
se rejoignent comme ceux de Lv et de Nb
5
:
Il y avait en elle du feu, aux yeux de toute la maison d’Israël. (Ex 40,38)
Ce Moïse qui avait agi avec toute la puissance de sa main, en suscitant toute cette grande terreur,
sous les yeux de tout Israël. (Dt 34,12)
Tels sont les commandements que le Seigneur donna à Moïse pour les fils d’Israël, sur la montagne
du Sinaï. (Lv 27,34)
Tels sont les ordres et les règles que le Seigneur prescrivit aux fils d’Israël par l’intermédiaire de
Moïse. (Nb 36,13)
142 Le Lévitique au cœur du Pentateuque
Dans une autre perspective, le livre du Lévitique apparaît clairement comme le centre du Pentateuque.
Les livres de la Genèse et du Deutéronome ont été conçus en parallèle comme le cadre extérieur de la
Torah. Ils contiennent tous les deux dans leur avant-dernier chapitre une bénédiction sur les douze fils-
tribus d’Israël. Cette bénédiction est donnée en Gn 49 par Jacob et en Dt 33 par Moïse, deux figures
qui définissent l’identité d’Israël et qui meurent tout de suite après (Gn 49,28-33 et Dt 34) :
5
E. BEN ZVI, The Closing Words of the Pentateuchal Books : A Clue for the Historical Status of the Book of Genesis within the Pentateuch, BN 62,
1992, 7-10.
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Jacob convoqua ses fils et leur dit : Réunissez-vous et écoutez, fils de Jacob, écoutez Israël votre
père… Par le Dieu puissant, qu’il te bénisse ! Les bénédictions des cieux d’en haut, les bénédictions
de l’abîme étendu sous terre. (Gn 49,1-2.25)
Voici la bénédiction que Moïse l’homme de Dieu, prononça sur les fils d’Israël avant de mourir. (Dt
33,1)
Enfin, le dernier discours de YHWH à Moïse en Dt 34,4 est une reprise de Gn 12,7 :
Le Seigneur apparut à Abram et dit : c’est à ta descendance que je donnerai ce pays. (Gn 12,7)
Et le Seigneur dit : c’est le pays que j’ai promis par serment à Abraham, Isaac et Jacob en leur
disant : c’est à ta descendance que je le donne. (Dt 34,4)
Les livres de l’Exode et des Nombres sont également en lien l’un avec l’autre formant le cadre
intérieur de la Torah. On retrouve le même itinéraire de l’Exode (Egypte-Désert-Sinaï) inversé en
Nombres (Sinaï-Désert-Moab). On trouve également des cits et thèmes parallèles (le thème des
murmures). Dans les deux livres, la révélation de la Loi au Sinaï est centrale (Ex 19 et Nb 10).
Le livre du Lévitique, situé au centre de ce double cadre intérieur et extérieur, apparaît comme le cœur
du Pentateuque dont le point culminant est constitué en Lv 16 par le rituel du Yom Kippur :
Genèse
Gn 12,7 :
première promesse
Gn 49 :
bénédiction de Jacob
Deutéronome
Dt 34,4 :
dernière promesse
Dt 33 :
bénédiction deMoïse
Exode
Egypte-désert-Sinaï
Ex 12 : Pâque
Ex 15-17 : murmures
Ex 25-40 :
le sanctuaire
Nombres
Sinaï-désert-Moab
Nb 9 : Pâque
Nb 11-20 : murmures
Nb 1-9 : le camp
Lévitique
Lv 1-15 : sacrifices et
prescriptions
Lv 16 : grand pardon
Lv 17-26 :
prescriptions et
sacrifices
143 Conclusion
Les deux organisations du Pentateuque ne s’opposent pas, mais se complètent au contraire et donnent
à l’ensemble une cohérence certaine :
Moïse donne à Israël son identité en tant que médiateur de la Loi et de l’Alliance.
La Genèse, par contre, fournit au judaïsme, par l’intermédiaire des patriarches son identité
généalogique.
C’est ainsi que dans le Pentateuque, ces deux sources de l’identité juive, la Loi et la généalogie,
cohabitent et se complètent.
« Le Pentateuque contient donc les commencements fondateurs, c’est-à-dire les événements et les
paroles qui ont donné naissance et sens à l’histoire d’Israël et à l’histoire du fait Chrétien. L’intrigue
narrative tient en deux mots : une alliance à vivre et une terre »
6
.
2 GENÈSE DU PENTATEUQUE
La tradition juive, suivie de la tradition chrétienne, a toujours vu en Moïse l’auteur des cinq premiers
livres de la Bible. Cette conception devait cependant très tôt poser nombre de problèmes : Moïse
6
A. MARCHADOUR, Genèse, Bayard/Centurion, Paris, 1999, 15.
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5
pouvait-il avoir été inspiré au point de pouvoir décrire à l’avance sa propre mort (Dt 34,5-12) ? Le
Talmud, déjà se permit d’en douter, suggérant que les huit derniers versets du Pentateuque avaient été
ajoutés par Josué.
Ce n'est au XVIe siècle qu'apparaissent en Europe les premières remises en cause de l'attribution du
Pentateuque à Moïse. Ces ouvrages seront mis à l'index. Mais c'est au XVIIe siècle qu’apparaissent les
grands fondateurs de l’exégèse scientifique moderne : Richard Simon, Baruch Spinoza et Jean Astruc
pour qui la Bible a été composée au cours des siècles avec des additions et des modifications.
21 La question des sources et la critique littéraire
Si ce sont des anachronismes qui ont en premier éveillé la méfiance à l’égard de l’attribution
traditionnelle à Moïse, ce sont des observations relevant de la logique littéraire qui amenèrent les
exégètes à se poser la question des “sources”. On observe en effet de nombreuses tensions dans le
déroulement du texte.
211 La présence de répétitions et de doublets
De nombreux passages semblent faire double emploi :
- Deux récits de la création : Gn 1,1-2,4a et 2,4b-25.
- Deux récits de l’Alliance avec Abraham : Gn 15 et 17.
- Deux récits de l’expulsion de Hagar : Gn 16 et 21,9-21.
- Deux récits de vocation de Moïse : Ex 3,1-4,17 et 6,2-7,7.
- Deux versions du Décalogue : Ex 20,2-17 et Dt 5,6-21.
- Trois cits de la femme du patriarche livré au harem d’un roi étranger : Gn 12,10-20 ; 20 ;
26,6-14.
212 De nombreuses contradictions
À plusieurs reprises surgissent des incohérences ou des contradictions qui étonnent s’il s’agissait d’un
auteur unique, mais que l’on comprend si un compilateur avait puisé dans différentes traditions :
- Le nombre de paires d’animaux de chaque espèce que Noé emporte dans son arche :
Une : « Ils vinrent à Noé dans l’arche, couple par couple de toute créature animée de vie » (Gn 7,15).
Sept : « Tu prendras sept couples de tout animal » (Gn 7,2).
- Le nombre de jours que dura le déluge :
Quarante : « Or, au bout de quarante jours, Noé ouvrit la fenêtre de l’Arche… » (Gn 8,6).
Cent cinquante : « Au bout de cent cinquante jours, les eaux diminuèrent » (Gn 8,24).
- La caravane qui emmène Joseph en Égypte :
Une caravane d’Ismaélites : « Allons le vendre aux Ismaélites » (Gn 37,27).
Une caravane de Madianites : « Des marchands Madianites qui passèrent hissèrent Joseph hors de la
fosse (Gn 37,28).
213 Les noms propres ne sont pas unifiés
- Le nom du beau-père de Moïse :
Il est appelé Jethro (Ex 3,1 ; 4,18), Réuel le Madianite (Ex 2,18) ou Hobab le Qénite (Jg 1,16).
- Le nom de la montagne de l’Alliance :
C'est le « Mont Sinaï » (Ex 19,11.18 ; Lv 7,38 ; Nb 3,1), mais d'autres textes parlent de la montagne de
l’Horeb (Dt 1,6 ; 4,15 ; 5,2 ; etc.).
- Le nom de Dieu :
Parmi ces différences onomastiques, la plus importante à être relevée est le recours variable des
narrateurs à “YHWH” et à “Élohim” pour parler de Dieu.
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