109e session Post d'Scriptum un Congrès à l'autre.. N° 8 Conférence du Président Classification des troubles mentaux et nosographie psychiatrique Hommage à Bleuler : 100 ans de schizophrénie Les Échos du CPNLF Partage et remise en question L'Association du Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française (CPNLF) est une société savante qui, depuis plus de 100 ans, a pour but l'étude et la discussion de questions concernant la psychiatrie, la neurologie, la médecine légale et l'assistance aux malades atteints des maladies du cerveau. C’est une association scientifique sans but lucratif, reconnue d’utilité publique par décret du 23 mars 1932, qui est largement ouverte à différents types de praticiens cliniciens, chercheurs et acteurs de santé des maladies du cerveau, l’essentiel de ses membres étant des médecins psychiatres. Elle comprend aujourd’hui plus de 600 membres actifs, qui sont impliqués dans des approches très diverses : psychiatrie clinique, psychopharmacologie, médecine légale, neurophysiologie, etc. Les informations délivrées lors de son congrès annuel ou sur son site internet (www.cpnlf.fr) répondent à un objectif simple de développement des connaissances, de confrontations des pratiques et de formations médicales professionnelles dans un objectif final commun d’amélioration de la prise en charge et de la qualité des soins. L'Association du Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française (CPNLF) a mis en place une dynamique transdisciplinaire des connaissances sur le cerveau, avec le concours de ses commissions principalement, "Psychiatres en formation", "Relation Internationale", "Neurosciences et Neurologie", "Médecins Libéraux" et la commission du FUAG "Formation d’investigateur de recherche clinique". L’élaboration de référentiels, la Formation Médicale, le Développement Professionnel Continu sont aussi des objectifs prioritaires de l'Association du Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française (CPNLF). Elle cherche à susciter et encourage les vocations dans la diffusion de travaux de recherche dans tous les domaines appliqués aux maladies mentales en accordant trois "Prix de Première Communication du CPNLF" et "Prix du meilleur Poster". Elle se veut regrouper également dans ses démarches scientifiques les pays de langue française. Pour la 109e édition du congrès de l’association, qui s'est déroulée du 7 au 10 juin 2011 au Palais des Congrès de Paris, le comité scientifique et les organisateurs ont élaboré un congrès favorisant les échanges et l’ouverture. Un congrès qui a été ouvert sur des questions d’actualité qui interrogent nos pratiques et qui posent un grand nombre de questions. En effet, bien qu’à l’heure actuelle tout semble mis en œuvre pour améliorer la qualité des soins, on ne peut néanmoins que constater qu’il n’existe que peu de données robustes en santé mentale, sur lesquelles les acteurs de santé, dans cette discipline, puissent s’appuyer pour une meilleure aide à la décision thérapeutique. Cette situation liée à la psychiatrie n’est pas une situation particulière à la France. Le directeur du National Institutes of Mental Health (NIMH) aux États-Unis avait dépeint il y a quelques années "le malheureux état actuel" de la psychiatrie "où trop d’études de recherche offrent peu de pertinence immédiate pour la pratique et trop peu de pratique repose sur des résultats de recherche". Nous pourrions dire sans trop se tromper que cette situation n’a guère évolué, même si des progrès ont été faits. La question primordiale qui pourrait être alors posée serait : quelles sont les répercussions de cette situation pour les patients ? Aussi, à notre époque de médecine factuelle, cette rareté des données probantes de grande qualité a eu pour conséquence la mise en place de nombreux programmes visant à remédier le mieux possible à cette situation. Par exemple, l'une des stratégies a consisté à créer des réseaux de cliniciens dans de nombreux centres de soins, hospitalo-universitaires le plus souvent, et à suivre des cohortes de patients dans ce contexte. La mise en place d’études post-AMM, de type "pragmatique" ou "comme dans la pratique quotidienne" ont commencé à faire leur apparition depuis quelques années, mais demeurent encore trop peu nombreuses et de méthodologie trop peu rigoureuse. Mais il semble évident que de telles études pourraient entraîner des changements importants de la pratique et de la prise en charge des patients souffrant de pathologies mentales. Toutefois, sommes-nous prêts à accepter les résultats obtenus ou à obtenir à partir de certaines de ces études, pour changer nos habitudes thérapeutiques ou remettre en question les schémas établis de longue date ? Il apparaît donc de plus en plus important de développer des actions qui vont dans le sens du meilleur traitement au meilleur moment pour le patient. La psychiatrie doit intégrer la recherche aux soins, translationnelle ou non, en réalisant des études d’envergure et en appliquant les résultats au moment présent et en continuant à partager les données obtenues au cours de manifestations scientifiques. Vous trouverez toutes ces communications, enrichies de nouvelles données sur les mêmes thèmes, chaque mois jusqu’au congrès de 2012 à Montpellier, dans notre revue "PostScriptum" qui assurera le partage de ces informations. Vous pourrez consulter et télécharger la revue "PostScriptum" sur le site de l'Association du Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française, que nous vous invitons d’une manière générale à consulter régulièrement… Pr Patrick Martin Président du Comité d'organisation du 109e congrès 2 N°8 Directeur de la publication : Pierre Thomas - Rédacteur en Chef : Patrick Martin Infographiste : Vivianne Lambert - Photos de ce numéro : Martine Bertheuil Post Scriptum Conférence du Président Classification des troubles mentaux et nosographie psychiatrique Julien Daniel Guelfi* Introduction L’intérêt pour la classification des troubles mentaux et pour la nosographie psychiatrique s’est considérablement accru depuis environ cinquante années. Dans les années 1960-1970 le diagnostic psychiatrique n’intéressait pas grand monde en dehors de quelques auteurs aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. La multiplicité des modèles de référence théorique et la très mauvaise fidélité inter-juges des diagnostics avaient en effet entraîné une insatisfaction générale des chercheurs cliniciens. La deuxième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) était restée fidèle à la tradition psycho-dynamique tout en abandonnant quasiment le concept de réaction cher à A. Meyer qui avait été très central dans la première édition du manuel en 1952. Les diagnostics multiples étaient vivement encouragés dans le DSM II. Plusieurs auteurs de renom avaient fait le constat d’un travail préalable nécessaire pour pouvoir définir ce qu’est un trouble mental comme Joseph Zubin et les maladies mentales comme Samuel Guze. Une réflexion était née qui allait s’amplifier sur les critères qui permettraient de mieux homogénéiser les échantillons de patients dans les recherches cliniques. Le US-UK diagnostic project en est une illustration, à l’initiative de J. Zubin et M. Kramer du NIH aux Etats-Unis, mais aussi de Sir Aubrey Lewis à Londres, de Robert Kendell à Edimbourg et de Norman Sartorius à Genève pour l’OMS. L’article qui est venu symboliser le renouveau a été publié en 1972 dans les Archives of General Psychiatry ( 26, 5763) par six auteurs : J. Feighner, E. Robins, S. Guze, R. Woodruff, G. Winokur et R. Munoz. Il représente les travaux de l’Ecole dite de St Louis (Missouri) et propose des critères diagnostiques pour 14 catégories diagnostiques à des fins de recherche. Ce mouvement a rapidement pris une importance considérable. Six années plus tard, c’est un psychiatre biométricien de New York qui publiera avec Post Scriptum J. Endicott et E. Robins le deuxième article prônant l’utilisation de critères diagnostiques pour les recherches dans la même revue( 35, 773- 82, 1978) : Research Diagnostic Criteria : Rationale and Reliability pour 25 catégories diagnostiques. La troisième édition de la classification américaine a vu le jour en 1980 , dirigée par R. Spitzer, prévoyant l’utilisation systématique de critères diagnostiques pour l’ensemble des catégories descriptives retenues et pour tous les types d’utilisation, ne privilégiant aucune théorie particulière mais choisissant constamment les critères possédant la meilleure Le Pr Jean Daniel Guelfi durant sa conférence fidélité inter-juges, c'est-à-dire, le plus souvent, des critères comportementaux manifestes. Par ailleurs, le DSM III comprend aussi l’enregistrement, conjointement aux symptômes, sur des axes distincts, des données de personnalité et un retard mental éventuel, les affections médicales générales concomitantes des troubles mentaux, les problèmes psychosociaux et comportementaux ainsi que l’évaluation globale du fonctionnement. Le DSM III a été traduit en français et publié en 1983 sous la direction de P. Pichot et de moi-même, avec la collaboration de P. Boyer, J.F. Henry, A. Lisoprawsky, C.B. Pull, M.C. Pull et G. Welsh, M. Bourgeois étant conseiller à la traduction. 3 Le DSM-III a rapidement eu un retentissement mondial en dépit de nombreuses critiques synthétisées dans le livre de S. Kirk et S. Kutchins, Professeurs de travail social, intitulé : The selling of DSM. The rhetoric of Science in Psychiatry en 1992, malencontreusement traduit en français par : Aimezvous le DSM-III ? Le triomphe de la psychiatrie américaine (Les empêcheurs de penser en rond, Institut Synthélabo, Le Plessis Robinson, 1998). Les critères ont été revus et améliorés dans le DSM-III-R publié en 1987 ( traduction française en 1989). Par la suite, le DSM- IV, dirigé par A. Francès, a été publié en 1994 (traduit en français en 1996). Le DSM-IV TR (Text Revised) a été publié en 2000 ( traduit en français en 2003). Cette quatrième édition tient compte de nombreuses études empiriques et non pas seulement des opinions d’experts ; d’autre part elle accorde plus d’importance au jugement clinique et à l’utilité clinique que le DSM- III. Enfin, si l’optique médicale, catégorielle, dite néokraepelinienne selon l’expression de G. Klerman, est maintenue dans le DSM- IV, une ouverture croissante à une perspective dimensionnelle est annoncée. . L’Organisation Mondiale de la Santé, dans sa dixième révision de la Classification Internationale des Maladies, la CIM-10, a adopté le système des critères diagnostiques en 1992, du moins pour la recherche (dont la traduction française a été coordonnée par C. Pull en 1993). Les travaux préparatoires au DSM-V ont commencé en 2002 sous la direction de D. Kupfer de Pittsburg. Treize réunions thématiques organisées conjointement par l’Association Américaine de Psychiatrie et le NIH, se sont déroulées de 2004 à 2008 , avec des participants invités extérieurs, pour faciliter la tâche de la Task Force du DSM-V ( 27 membres). La mise en ligne sur internet des diverses propositions des groupes de travail désignés par la Task Force en février 2010 a immédiatement donné lieu à de nombreuses critiques, notamment de la part des responsables des versions antérieures du manuel : R. Spitzer et A. Francès, reprochant aux groupes de travail de faire nombre de propositions dont l’intérêt clinique n’était pas établi et qui allaient, en tout état de cause, conduire à une inflation des troubles mentaux dans la population générale. Le travail de Steeves Demazeux Une réflexion approfondie sur le DSM par un philosophe des Sciences a vu le jour en mars 2011 dans une thèse de Doctorat en Philosophie de 668 pages à Paris I sous la direction de J. Gayon. Après un résumé de l’histoire institutionnelle de la psychiatrie américaine et des classifications psychiatriques aux Etats-Unis, ce jeune chercheur a développé le débat contemporain autour de la définition d’un trouble mental et de ses implications pour la nosologie psychiatrique. La standardisation de la pratique a d’incontestables avantages mais elle appauvrit inévitablement la clinique et 4 elle stérilise la recherche. La nosologie doit bénéficier des apports des philosophes des Sciences avec des auteurs anglo-saxons comme C. Boorse, T. Engelhardt, J. Wakefield ou K. Fulford. Plutôt que de se reposer à titre principal sur les coefficients de concordance kappas de Cohen pour améliorer la fidélité inter-juges des diagnostics, il est sans doute préférable de tenir compte des jugements de valeur et non de les ignorer. Les divergences diagnostiques ne tiennent en effet pas uniquement à l’imprécision ou à l’ambigüité des critères diagnostiques mais aussi à des désaccords sur les valeurs sous-jacentes. Au modèle médical catégoriel kraepelinien de E. Robins et S. Guze s’oppose le modèle des construits psychologiques auxquels sont accoutumés les spécialistes des approches dimensionnelles, surtout dans la sphère de la personnalité et des déviances de celle-ci, comme T. Widiger, T. Trull, R. Cloninger ou J. Livesley. Les principales conclusions de Steeves Demazeux peuvent être résumées comme suit. • La quête d’une définition univoque pour le trouble mental est très vraisemblablement une erreur. • Le DSM donne l’illusion que tous les troubles mentaux sont d’une essence commune. • L’uniformisation des pratiques et de l’enregistrement des données appauvrit l’ontologie qui doit au contraire pouvoir bénéficier du pluralisme ontologique. Il est nécessaire d’accepter l’hétérogénéité de la clinique comme il est nécessaire de reconnaître l’hétérogénéité du champ psychiatrique (G. Lantéri-Laura). Il existe sans doute des frontières naturelles pour délimiter certaines catégories diagnostiques en psychiatrie mais il existe aussi des catégories qui ont un intérêt pratique sans valeur nosographique obligée et des dimensions psychologiques utiles pour décrire d’autres éléments qui sont des "noncatégories". Comment sortir de l’impasse ? • Il est sans doute temps d’abandonner l’idée selon laquelle une classification unique doit être utilisée tout à la fois dans la pratique clinique quotidienne, dans la médecine générale et dans la recherche clinique en psychiatrie. En cela le modèle de la CIM-10 est supérieur à celui du DSM. • Il sera sans doute utile d’employer conjointement aux critères du futur DSM-V attendu en mai 2013 ceux d’autres systèmes reposant, eux, sur des hypothèses et des modèles théoriques dont on cherche à vérifier la validité. Cette nouvelle voie a été initiée par le National Institute of Health aux Etats-Unis en 2009 avec des construits théoriques intégrant les données les plus récemment acquises dans les domaines des Neuro-Sciences, en Génétique, Neurobiologie, Neuro-Physiologie ou en imagerie cérébrale. • L’adoption d’un pluralisme ontologique doit entraîner les Post Scriptum chercheurs à revenir sur le plan clinique à l’approche dite polydiagnostique défendue en Europe par des auteurs comme P. Berner et H. Katschnig à Vienne, C. Pull à Luxembourg ou P. Pichot à Paris. Cette procédure permettra de confronter différents schémas diagnostiques issus de la clinique avec des variables biologiques, génétiques, physiologiques ou psycho- sociales issues de la recherche scientifique. Il n’est donc aucunement question de rejeter l’approche proposée par le DSM mais on ne doit attendre aucun progrès de son utilisation isolée dans le domaine de la nosographie psychiatrique. Nous avons impérativement besoin d’utiliser ces données cliniques conjointement à celles des autres données scientifiques disponibles de même qu’à d’autres données cliniques comme l’histoire personnelle de tout un chacun ou des modalités des relations interpersonnelles établies au cours du développement. Pour des auteurs comme J. Foucher et V. Bennouna Greene par exemple, l’utili-sation athéorique d’une classification symptomatique ne peut nous permettre de progresser dans la compréhension des processus pathologiques. Ils prennent l’exemple de la classification des psychoses de K Leonhard qui est certes beaucoup plus complexe que celle du DSM mais qui mérite des travaux empiriques qui auraient, peut- être, un intérêt heuristique plus important que les recherches actuelles sur les catégories du DSM-IV . Dans le domaine des troubles affectifs on pourrait tenir le même raisonnement au sujet des propositions de nouveaux découpages nosographiques dans des directions certes variées, par des auteurs comme G. Parker, D. Watson, J. Angst, H. Akiskal ou F. Benazzi. Conclusion Pour conclure, je reprends volontiers à mon compte la conclusion de J. Foucher et V. Bennouna Greene dans leur Post Scriptum article de 2010 : [il est nécessaire de] "séparer pour un temps les classifications actuelles dont l’utilité descriptive et clinique reste incontestable et des classifications de recherche qu’il serait nécessaire de libérer d’un athéorisme et d’une phénoménologie clinique inadaptée". Le Président Guelfi développe sa conclusion Références DEMAZEUX S. Le lit de Procuste du DSM-III : classification psychiatrique, standardisation clinique et anthropologie médicale. Thèse de Doctorat de Philosophie, Université Paris I, 668 pages GUELFI JD. La classification américaine des troubles mentaux : hier, aujourd’hui et demain. La lettre du psychiatre 6, suppl 2 n°5, 4-9, 2010 FOUCHER J-R, BENNOUNA GREENE V. La CIM et le DSM ou l’impossible validation : pourquoi le ver est dans le fruit Ann Médico- Psychol ( Paris) 168, 609- 15, 2011. * Professeur émérite de Paris Descartes CMME, Service du Pr F ROUILLON, 100 rue de la Santé - 75674, Paris CX 14 5 LES ECHOS DU C P N L F. . . L E S E C H O S DU C P N L F. . . ost Scriptum, ce mois-ci comme chaque mois, rapporte dans la rubrique "Les Échos du CPNLF" une partie des interventions communiquées dans le cadre du 109e congrès du CPNLF et ce numéro est le premier consacré à ce congrès. P Nous avons souhaité commencer cette nouvelle année par l'évocation d'une pathologie qui tient à coeur à nombre d'entre nous, par le biais de l'hommage à Bleuler rendu par les Prs Thérèse Lempérière, Jean Daléry et Guy Darcourt, sous forme de conférence débat sur le thème "100 ans de schizophrénie". Vous prendrez également connaissance du rapport du CPNLF sur la psychiatrie en milieu carcéral et des interventions de la session concernant la neurobiologie des affects. Bonne rentrée à tous ! Conférence débat "Hommage à Bleuler : 100 ans de schizophrénie" Il y a exactement 100 ans, en 1911, paraissait le Traité de Psychiatrie, dans lequel Eugène Bleuler consacrait le chapitre 4 aux démences précoces ou schizophrénies. Dans le cadre du centième anniversaire de cet ouvrage, une table ronde a été organisée pour traiter de l’évolution de la conception de la schizophrénie depuis cette époque. distinction entre les symptômes primaires, qui s’expliquent selon lui par un processus pathologique organique, et les symptômes secondaires, qui seraient des tentatives d’adaptation psychologiques aux symptômes primaires. Pour Bleuler, la maladie se développe de manière insidieuse. D’abord latente, elle évolue par poussées aigues qui peuvent être d’origine organique ou suivre un choc psychologique – ainsi, les deux causalités collaborent à l’élaboration du syndrome psychotique. Il concevait des formes multiples de schizophrénie, donnant place Les trois protagonistes de l'hommage à Bleuler Le Pr Guy Darcourt (Nice) a débuté la session par un bref rappel sur le parcours d’Eugène Bleuler et sur son rapport avec les psychanalystes de sa génération tels que Freud, Kraeplin ou Jung. Dans son Traité, l’approche psychanalytique et l’approche clinico-systématique de la schizophrénie étaient à mettre sur un pied d‘égalité. Cependant, à la différence de l’approche freudienne, Bleuler considérait que la schizophrénie découlait d’une causation organique. Au niveau sémiologique, il réalisait deux dichotomies : la première consistait à séparer les signes fondamentaux durables des symptômes accessoires, transitoires. La deuxième dichotomie correspondait à la 6 importante à la forme paranoïde, l’hébéphrénique, ou encore la schizophrénie de forme simple. Le Pr Thérèse Lempérière (Paris) a ensuite présenté l’évolution de la pensée psychiatrique vis-à-vis de la schizophrénie au cours du XXe siècle, mettant l’accent sur le scepticisme grandissant de la communauté face au concept même de schizophrénie. Le Pr Jean Daléry (Lyon) a alors exposé le processus de construction qui a mené au concept actuel schizophrénie, tel qu’il est conçu dans le DSM-4, pour conclure sur les discussions concernant son évolution dans le DSM-5. Post Scriptum LES ECHOS DU C P N L F. . . L E S E C H O S Si les classifications du DSM sont devenues un outil de communication indispensable pour le système médicosocial, il existe cependant un écart toujours plus grand en d’autant plus problématique entre la schizophrénie qu’étudient dans l’abstrait les chercheurs et celle beaucoup plus concrète que soignent les psychiatres en clinique. Les critères diagnostiques de la schizophrénie sont basés sur le postulat que c’est une entité physiopathologique unique, distincte, notamment des psychoses affectives. Pourtant, à ce jour, les frontières nosologiques avec d’autres affections restent floues et le diagnostique chez un patient donné reste souvent incertain. Parmi les critiques portent sur la fragilité conceptuelle de cette définition dominante, et suggèrent que la schizophrénie rassemble surement un groupe hétérogène de maladies d’étiologies diverses. DU C P N L F. . . Pr Thérèse Lempérière Pr Guy Darcourt déconstruire la schizophrénie dans ses différentes composantes dimensionnelles – les dimensions étant transmissibles génétiquement, stables dans le temps, et mesurables selon un score de sévérité. Ce qui sera retenu pour la 5e version du DSM sera une approche mixte, qui devrait permettre de réaliser des meilleurs discriminants de l’évolution et du pronostic que l’un des deux modèles pris isolément. Pr Jean Daléry La préparation du DSM-5 relance ainsi le débat. La première discussion concerne l’intérêt de maintenir cette dichotomie entre schizophrénie et psychoses affectives. Alors que certains proposent de la remanier, d’autres suggèrent tout bonnement d’abandonner ce diagnostique. Dans les propositions actuelles du DSM-5, le groupe d’experts semble cependant considérer son utilité valide. Un autre point de débat important concerne le critère des six mois de persistance des symptômes pour porter un diagnostique. En gardant ce critère, est ce qu’on ne risque pas de porter le diagnostic à un stade tardif, alors qu’on sait désormais que la durée de la psychose non-traitée a une valeur pronostique très importante? Enfin, le débat porte aussi sur la forme catégorielle de la classification. Certains proposent au contraire de Post Scriptum 7 LES ECHOS DU C P N L F. . . L E S E C H O S DU C P N L F. . . Thème du premier rapport du CPNLF : la Psychiatrie en milieu carcéral du Pr Pierre Thomas (Lille) qui présentait son ouvrage éponyme réalisé avec la participation de Catherine Adins, Etre psychiatre en milieu carcéral (Prologue); Sébastien Bisac, Prises en charge des patients en milieu pénitentiaire; Eric Piquet et Véronique Cousin, Les Addictions en milieu carcéral; Valentine Rhiel et Camille Rémy, Suicide en milieu carcéral; Benjamin Traynard, À propos du quartier disciplinaire des prisons; Georgia Schiza, Être mère en prison; Lisbeth Merotte, La sexualité en prison; Delphine Garay, Articulation des professionnels de la santé et de la justice; Maud Bertrand, Les psychothérapies en prison; Aurély Ameller, Isabelle Bosseman, Léonie Fontaine, Marion Hage, Emilie Poulin, Maxime Valdès, Véronique Vespa, Articulation soins et projets éducatifs, préparation à la sortie; Lisbeth Mérotte &Tiphaine Seguret, Prise en charge des auteurs de violence sexuelle en prison ; Franz Kaltenbeck, Catherine Adins, Anne Adens, Enseignement et recherche psychanalytiques dans le cadre du SMPR. Un rapport sur la psychiatrie en milieu carcéral : y a-t-il plusieurs pratiques de la psychiatrie, en milieu ouvert et ailleurs ? La psychiatrie s’est éloignée de son image carcérale. Les besoins affluent en prison. La prison est-elle devenue le lieu de vie des patients marginalisés ? Qu’ont en commun les patients qui rentrent en prison, des actes médico-légaux dont la pénalisation peut parfois paraître démesurée par rapport à l’acte et le contexte dans lequel il a été commis ? De quels outils disposent les équipes soignantes en prison ? Psychothérapie, dispositifs pour la prise en charge des addiction, articulation avec l’administration pénitentiaire, liaison avec les secteurs de psychiatrie et services éducatifs et sociaux Comment la psychiatrie en milieu carcéral se voit impliquée dans la prise en charge des auteurs de violence sexuelles dans un cadre légal plus flou qu’en milieu ouvert. Puis, sous la présidence des Prs Pierre Thomas (Lille), Pierre Moron (Toulouse) & Laurent Schmitt (Toulouse) sont présentées les communications sur le thème du rapport. Le Pr Laurent Schmitt (Toulouse) a évoqué "La psychiatrie en milieu pénitentiaire" en offrant à son audience une présentation sur le fonctionnement, les thèmes et enjeux pédagogiques abordés à l’Institut de Formation à la Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire, mis en place à Toulouse en 1995 par Pierre Moron et Yves Thirode. Prévu à l’origine pour durer deux ou trois ans, l’Institut en est à sa 15e année d’existence. Cette structure organise chaque année une session de formation générale, d’une semaine, qui réunit des intervenants des facultés de médecine mais aussi des facultés de droit ou des instituts de science criminelle. Il s’agit de faire le point sur des notions 8 Le Pr Pierre Thomas lors de sa présentation et le Dr Catherine Adins, l'un des coauteurs de l'ouvrage Post Scriptum LES ECHOS DU C P N L F. . . L E S E C H O S indispensables concernant la médecine pénitentiaire, mais qui ne sont pas pour autant connus de tous les professionnels de la santé. Par exemple, quelle est l’organisation de la justice ? Du système pénitentiaire et de ses structures ? Du système des plaintes, de la hiérarchie des juridictions ? D’autres thèmes portent sur la souffrance psychique spécialement liée aux conditions de détention – il s’agit des automutilations, des tentatives de suicide, des refus de réintégration dans la cellule d’affectation, de grèves de la faim, mais aussi de troubles psychiatriques. Durant cette formation, les participants évaluent et discutent de sujets tels que la définition de la dangerosité, de la toxicomanie en milieu pénitentiaire, etc. Au cours de la même semaine se déroule aussi une formation complémentaire, qui prend en compte des réalités spécifiques du soin en milieu pénitentiaire : on aborde alors des thèmes selon l’actualité. Tandis que le Dr Mathieu Lacambre (Montpellier) a traité "Du bon usage des psychotropes en prison" La prison sert à exécuter une peine. L’hôpital quant à lui est un lieu où l’on soigne une souffrance. Cette dichotomie rend donc l’articulation entre les deux institutions très complexe. Lors de sa présentation, le Dr Lacambre a commencé par rappeler que le rôle des psychiatres en milieu pénitentiaire n’est pas de prévenir une quelconque récidive, mais que l’objet de la psychiatrie est de soigner, de créer un lien, pour d’éviter l’aliénation des détenus. C’est pourquoi le Dr Lacambre insiste sur l’utilisation de l’expression "psychiatrie en milieu carcéral" au lieu de l’expression sommaire souvent entendue : "psychiatrie carcérale". Les psychotropes prescrits par les psychiatres en milieu DU C P N L F. . . carcéral servent, dans le bon usage, à corriger des réactions anxieuses, surtout chez les primo-arrivants, ou chez des détenus ayant reçu une mauvaise nouvelle au parloir, ou par courrier. Ils sont aussi administrés pour aider au sevrage de certains détenus, ou pour le traitement spécifique d’un trouble psychiatrique. La première dérive de cette utilisation correspond au mésusage, qui peut revêtir plusieurs formes. Il y a d’une part la modification des horaires de prise ; par exemple lorsque le détenu prend son somnifère au moment de la sieste au lieu du coucher. Il y a aussi l’utilisation de psychotropes comme monnaie d’échange, pour acheter du tabac par exemple. Pour améliorer l’utilisation de ces substances, des stratégies entre autre éducatives peuvent être axées sur les détenus mais aussi sur l’équipe de soignants, pour qui plusieurs questions se posent : combien de temps prescrit-on ? Quel est le bon intervalle entre les consultations ? Quelle devrait être la quantité de traitements délivrée ? Quelle est la conduite à tenir en cas de non présentation ? Etc. Enfin, existe aussi, bien sûr, le phénomène d’abus de psychotropes. Cela peut être lié à une recherche d’anesthésie, de "défonce", de sédation prolongée de la part du détenu, mais il existe aussi des problèmes d’interactions médicamenteuses imprévues, ou de surdosages. Le Dr Lacambre a aussi présenté une étude transversale qu’il a réalisée à la maison d’arrêt de Villeneuve-les-Maguelones, où il exerce. Il a étudié 677 dossiers d'individus incarcérés à l’instant t. Sur le plan médicamenteux : seul un tiers des détenus bénéficiaient d’un traitement psychotrope. Il a confirmé la place prépondérante des benzodiazépines, puis des antidépresseurs, et enfin des hypnotiques. Le Pr Laurent Schmitt et le Dr Mathieu Lacambre, lors de la discussion qui a suivi les communications sur le thème du rapport. Post Scriptum 9 LES ECHOS DU C P N L F. . . L E S E C H O S Dans le cadre de la session thématique "Neurobiologie des affects : sensations & émotions", sous la présidence des Prs Patrice Boyer (Paris) & Patrick Martin (Paris), le Pr Bruno Falissard de Paris a traité de la "Neurobiologie de la Subjectivité". Les représentations neuroscientifiques de la subjectivité les plus classiques tendent à présenter l’homme comme un système traitant l’information de manière algorithmique, telle une "machine de Turing". En d’autres termes, le cerveau fonctionnerait comme un ordinateur ayant à opérer des choix catégoriels, dénombrables et finis. Cette approche soulève de toute évidence de nombreuses critiques. Certains accusent la neurobiologie d’effectuer un glissement épistémologique lorsqu’elle traite du sujet pensant : les neurosciences s’intéressent au fonctionnement d’un organe alors que le sujet pensant, celui de la subjectivité, est un objet radicalement différent de l’organe "cerveau". Cependant, il existe d’autres représentations neurobiologiques, qui permettent d’avoir des visions plus souples de ce qu’est un sujet pensant. Il s’agit notamment du courant connectionniste des neurosciences cognitives. Dans ce modèle, le cerveau est considéré comme une entité homogène constituée de cellules qui interagissent massivement les unes avec les autres. Le sujet pensant est une propriété émergeante de cet ensemble d’automates cellulaires. Il est assimilé à un relief très compliqué, dans lequel existent des empreintes correspondant à des souvenirs, qui sont modelés continuellement par l’expérience. La mémoire est un processus associatif et non pas un phénomène localisable. A la question "Est ce que les neurosciences ont quelque chose à apporter dans la compréhension du sujet pensant ?" le Pr Fossati répond que oui, ajoutant que la discipline est 10 DU C P N L F. . . susceptible d’ouvrir de nombreuses portes dans le domaine de la psychopathologie. Il cite en exemple les études de eyetracking réalisées avec des patients autistes, qui permettent, en clinique, de se faire une meilleure représentation de ce qui se passe dans l’univers de ces patients. C’est le rapport thématique "Propriétés intersubjectives de l’effet caméléon" que le Pr Philippe Fossati, de Paris, a présenté cette année aux congrès de l’association du CPNLF. Dans son introduction, le Pr Fossati a rappelé l’importance pour un individu de se connecter socialement. D’une part pour se maintenir inclus dans un groupe, mais aussi pour sa santé – une étude récemment publiée dans Science rapportait que les individus ayant un sentiment chronique de solitude, indépendamment de leur réelle situation sociale, présentent un plus grand risque de maladies cardiovasculaires, de maladies infectieuses, inflammatoires et de maladies mentales comme la dépression. Pour se connecter à autrui, l’individu possède un certain nombre d’outils – des outils cognitifs, comportementaux, biologiques. Parmi les outils purement comportementaux l’effet caméléon correspond à la tendance spontanée de chaque individu à imiter, consciemment ou inconsciemment, l’attitude et la posture générale de la personne avec laquelle il ou elle interagit. Cet effet caméléon aiderait à procurer un sentiment de proximité, de connexion, de fluidité entre les deux protagonistes. Quelles sont les bases neuronales de ce type de comportement ? Des études suggèrent que les systèmes neuronaux impliqués dépassent largement ceux des neurones miroirs. Des expériences récentes rapportent que lorsqu’un sujet est Post Scriptum LES ECHOS DU C P N L F. . . L E S E C H O S imité, on retrouve dans son cerveau une activation des régions du dorsal singulaire supérieur et de l’insula – régions impliquées dans les comportements d’approche et les comportements dirigés vers des groupes. De plus, elles rapportent une désactivation du réseau du mode par défaut, qui comprend le cortex médial préfrontal, le cortex singulaire postérieur et une partie du cortex pariétal, et qui est souvent impliqué quand on est focalisé sur soi-même ou quand on fait des taches de mémoire autobiographique. C’est comme si une décentration vis a vis de soi s’opérait dans ces situations, permettant de se connecter plus facilement à autrui. D’autres études montrent que les régions activées sont clairement différentes qu’il s’agisse de l’être imité ou celui qui imite. La mesure de l’interconnexion à autrui peut être intéressante en psychiatrie car on sait que les malades se sentent souvent exclus, isolés. Ce sentiment pourrait résulter, en partie, d’un déficit dans les réseaux fonctionnels d’imitation. DU C P N L F. . . pas une lecture consciente, ont révélé la capacité des individus à extraire un attribut sémantique, une valence émotionnelle, indépendamment de la perception consciente. Dans les entretiens suivant ces expériences, les sujets n’avaient aucune conscience de la perception des mots, pourtant leurs enregistrements cérébraux montraient une modulation dans les régions témoignant d’une extraction du sens des mots. Le Dr Gaillard a aussi abordé la question du devenir des représentation conscientes – les représentations conscientes ont-t-elle vocation à devenir inconsciente ? Si oui, comment, et quelle en sera l’utilisation possible ensuite par le sujet ? Des expériences décrites lors de cette session ont permis de montrer que la répétition d’une action mène à l’automatisation – les circuits neuronaux sollicités ne sont plus les mêmes qui ont permis l’élaboration du comportement. Cette automatisation devrait permettre de créer des processus non-conscients à l’infini, ou presque. Quant au Dr Raphaël Gaillard (Paris), il pose la question : "Qu’en est-il des neurosciences de l’inconscient ?" Au cours de cette session, le Dr Raphaël Gaillard a passé en revue quelques-unes des approches expérimentales utilisées dans les neurosciences récemment mis en œuvre qui permettent de mettre en évidence diverses dimensions de l’inconscient. Le Dr Gaillard a notamment insisté sur l’apport de l’utilisation du paradigme de la présentation subliminale masquée – une approche qui a permis de mettre en évidence l’existence d’une perception inconsciente de l’environnement indépendante de la perception consciente. Par exemple, des expériences dans lesquelles des mots neutres et des mots à connotation émotionnelle étaient présentés à des sujets de manière subliminale c’est-à-dire en leur “flashant” brièvement des mots (quelques millisecondes), avec une durée d'apparition ne permettant Aux côtés de deux des intervenants, les présidents de session : les Prs Patrick Martin (micro) et Patrice Boyer Post Scriptum 11 Le CPNLF remercie ses partenaires 2011