Le DSM-III a rapidement eu un retentissement mondial en
dépit de nombreuses critiques synthétisées dans le livre de
S. Kirk et S. Kutchins, Professeurs de travail social, intitulé :
The selling of DSM. The rhetoric of Science in Psychiatry en
1992, malencontreusement traduit en français par : Aimez-
vous le DSM-III ? Le triomphe de la psychiatrie américaine
(Les empêcheurs de penser en rond, Institut Synthélabo, Le
Plessis Robinson, 1998).
Les critères ont été revus et améliorés dans le DSM-III-R
publié en 1987 ( traduction française en 1989).
Par la suite, le DSM- IV, dirigé par A. Francès, a été publié en
1994 (traduit en français en 1996). Le DSM-IV TR (Text
Revised) a été publié en 2000 ( traduit en français en 2003).
Cette quatrième édition tient compte de nombreuses
études empiriques et non pas seulement des opinions
d’experts ; d’autre part elle accorde plus d’importance au
jugement clinique et à l’utilité clinique que le DSM- III.
Enfin, si l’optique médicale, catégorielle, dite néo-
kraepelinienne selon l’expression de G. Klerman, est
maintenue dans le DSM- IV, une ouverture croissante à une
perspective dimensionnelle est annoncée. .
L’Organisation Mondiale de la Santé, dans sa dixième
révision de la Classification Internationale des Maladies, la
CIM-10, a adopté le système des critères diagnostiques en
1992, du moins pour la recherche (dont la traduction
française a été coordonnée par C. Pull en 1993).
Les travaux préparatoires au DSM-V ont commencé en 2002
sous la direction de D. Kupfer de Pittsburg. Treize réunions
thématiques organisées conjointement par l’Association
Américaine de Psychiatrie et le NIH, se sont déroulées de
2004 à 2008 , avec des participants invités extérieurs, pour
faciliter la tâche de la Task Force du DSM-V ( 27 membres).
La mise en ligne sur internet des diverses propositions des
groupes de travail désignés par la Task Force en février 2010
a immédiatement donné lieu à de nombreuses critiques,
notamment de la part des responsables des versions
antérieures du manuel : R. Spitzer et A. Francès, reprochant
aux groupes de travail de faire nombre de propositions dont
l’intérêt clinique n’était pas établi et qui allaient, en tout
état de cause, conduire à une inflation des troubles mentaux
dans la population générale.
Le travail de Steeves Demazeux
Une réflexion approfondie sur le DSM par un philosophe
des Sciences a vu le jour en mars 2011 dans une thèse de
Doctorat en Philosophie de 668 pages à Paris I sous la
direction de J. Gayon.
Après un résumé de l’histoire institutionnelle de la
psychiatrie américaine et des classifications psychiatriques
aux Etats-Unis, ce jeune chercheur a développé le débat
contemporain autour de la définition d’un trouble mental et
de ses implications pour la nosologie psychiatrique.
La standardisation de la pratique a d’incontestables
avantages mais elle appauvrit inévitablement la clinique et
elle stérilise la recherche. La nosologie doit bénéficier des
apports des philosophes des Sciences avec des auteurs
anglo-saxons comme C. Boorse, T. Engelhardt, J. Wakefield
ou K. Fulford.
Plutôt que de se reposer à titre principal sur les coefficients
de concordance kappas de Cohen pour améliorer la fidélité
inter-juges des diagnostics, il est sans doute préférable de
tenir compte des jugements de valeur et non de les ignorer.
Les divergences diagnostiques ne tiennent en effet pas
uniquement à l’imprécision ou à l’ambigüité des critères
diagnostiques mais aussi à des désaccords sur les valeurs
sous-jacentes.
Au modèle médical catégoriel kraepelinien de E. Robins et S.
Guze s’oppose le modèle des construits psychologiques
auxquels sont accoutumés les spécialistes des approches
dimensionnelles, surtout dans la sphère de la personnalité et
des déviances de celle-ci, comme T. Widiger, T. Trull, R.
Cloninger ou J. Livesley.
Les principales conclusions de Steeves Demazeux peuvent
être résumées comme suit.
• La quête d’une définition univoque pour le trouble mental
est très vraisemblablement une erreur.
• Le DSM donne l’illusion que tous les troubles mentaux sont
d’une essence commune.
• L’uniformisation des pratiques et de l’enregistrement des
données appauvrit l’ontologie qui doit au contraire pouvoir
bénéficier du pluralisme ontologique.
Il est nécessaire d’accepter l’hétérogénéité de la clinique
comme il est nécessaire de reconnaître l’hétérogénéité du
champ psychiatrique (G. Lantéri-Laura). Il existe sans doute
des frontières naturelles pour délimiter certaines catégories
diagnostiques en psychiatrie mais il existe aussi des
catégories qui ont un intérêt pratique sans valeur
nosographique obligée et des dimensions psychologiques
utiles pour décrire d’autres éléments qui sont des "non-
catégories".
Comment sortir de l’impasse ?
• Il est sans doute temps d’abandonner l’idée selon laquelle
une classification unique doit être utilisée tout à la fois dans
la pratique clinique quotidienne, dans la médecine générale
et dans la recherche clinique en psychiatrie. En cela le
modèle de la CIM-10 est supérieur à celui du DSM.
• Il sera sans doute utile d’employer conjointement aux
critères du futur DSM-V attendu en mai 2013 ceux d’autres
systèmes reposant, eux, sur des hypothèses et des modèles
théoriques dont on cherche à vérifier la validité.
Cette nouvelle voie a été initiée par le National Institute of
Health aux Etats-Unis en 2009 avec des construits
théoriques intégrant les données les plus récemment
acquises dans les domaines des Neuro-Sciences, en
Génétique, Neurobiologie, Neuro-Physiologie ou en
imagerie cérébrale.
• L’adoption d’un pluralisme ontologique doit entraîner les
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