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109e session
Post d'Scriptum
un Congrès à l'autre..
N° 8
Conférence du Président
Classification des troubles
mentaux et nosographie
psychiatrique
Hommage à Bleuler :
100 ans de schizophrénie
Les Échos du CPNLF
Partage et remise en question
L'Association du Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française (CPNLF) est une société savante qui, depuis plus de
100 ans, a pour but l'étude et la discussion de questions concernant la psychiatrie, la neurologie, la médecine légale et l'assistance
aux malades atteints des maladies du cerveau.
C’est une association scientifique sans but lucratif, reconnue d’utilité publique par décret du 23 mars 1932, qui est largement
ouverte à différents types de praticiens cliniciens, chercheurs et acteurs de santé des maladies du cerveau, l’essentiel de ses membres
étant des médecins psychiatres. Elle comprend aujourd’hui plus de 600 membres actifs, qui sont impliqués dans des approches très
diverses : psychiatrie clinique, psychopharmacologie, médecine légale, neurophysiologie, etc.
Les informations délivrées lors de son congrès annuel ou sur son site internet (www.cpnlf.fr) répondent à un objectif simple de
développement des connaissances, de confrontations des pratiques et de formations médicales professionnelles dans un objectif
final commun d’amélioration de la prise en charge et de la qualité des soins.
L'Association du Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française (CPNLF) a mis en place une dynamique
transdisciplinaire des connaissances sur le cerveau, avec le concours de ses commissions principalement, "Psychiatres en formation",
"Relation Internationale", "Neurosciences et Neurologie", "Médecins Libéraux" et la commission du FUAG "Formation d’investigateur
de recherche clinique".
L’élaboration de référentiels, la Formation Médicale, le Développement Professionnel Continu sont aussi des objectifs prioritaires de
l'Association du Congrès de Psychiatrie et de Neurologie de Langue Française (CPNLF).
Elle cherche à susciter et encourage les vocations dans la diffusion de travaux de recherche dans tous les domaines appliqués aux
maladies mentales en accordant trois "Prix de Première Communication du CPNLF" et "Prix du meilleur Poster".
Elle se veut regrouper également dans ses démarches scientifiques les pays de langue française.
Pour la 109e édition du congrès de l’association, qui s'est déroulée du 7 au 10 juin 2011 au Palais des Congrès de Paris, le comité
scientifique et les organisateurs ont élaboré un congrès favorisant les échanges et l’ouverture.
Un congrès qui a été ouvert sur des questions d’actualité qui interrogent nos pratiques et qui posent un grand nombre de questions.
En effet, bien qu’à l’heure actuelle tout semble mis en œuvre pour améliorer la qualité des soins, on ne peut néanmoins que constater
qu’il n’existe que peu de données robustes en santé mentale, sur lesquelles les acteurs de santé, dans cette discipline, puissent
s’appuyer pour une meilleure aide à la décision thérapeutique.
Cette situation liée à la psychiatrie n’est pas une situation particulière à la France. Le directeur du National Institutes of Mental
Health (NIMH) aux États-Unis avait dépeint il y a quelques années "le malheureux état actuel" de la psychiatrie "où trop d’études
de recherche offrent peu de pertinence immédiate pour la pratique et trop peu de pratique repose sur des résultats de recherche".
Nous pourrions dire sans trop se tromper que cette situation n’a guère évolué, même si des progrès ont été faits.
La question primordiale qui pourrait être alors posée serait : quelles sont les répercussions de cette situation pour les patients ?
Aussi, à notre époque de médecine factuelle, cette rareté des données probantes de grande qualité a eu pour conséquence la mise
en place de nombreux programmes visant à remédier le mieux possible à cette situation. Par exemple, l'une des stratégies a consisté
à créer des réseaux de cliniciens dans de nombreux centres de soins, hospitalo-universitaires le plus souvent, et à suivre des cohortes
de patients dans ce contexte. La mise en place d’études post-AMM, de type "pragmatique" ou "comme dans la pratique quotidienne"
ont commencé à faire leur apparition depuis quelques années, mais demeurent encore trop peu nombreuses et de méthodologie trop
peu rigoureuse. Mais il semble évident que de telles études pourraient entraîner des changements importants de la pratique et de la
prise en charge des patients souffrant de pathologies mentales.
Toutefois, sommes-nous prêts à accepter les résultats obtenus ou à obtenir à partir de certaines de ces études, pour changer nos
habitudes thérapeutiques ou remettre en question les schémas établis de longue date ?
Il apparaît donc de plus en plus important de développer des actions qui vont dans le sens du meilleur traitement au meilleur
moment pour le patient. La psychiatrie doit intégrer la recherche aux soins, translationnelle ou non, en réalisant des études
d’envergure et en appliquant les résultats au moment présent et en continuant à partager les données obtenues au cours de
manifestations scientifiques.
Vous trouverez toutes ces communications, enrichies de nouvelles données sur les mêmes thèmes, chaque mois jusqu’au congrès de
2012 à Montpellier, dans notre revue "PostScriptum" qui assurera le partage de ces informations.
Vous pourrez consulter et télécharger la revue "PostScriptum" sur le site de l'Association du Congrès de Psychiatrie et de Neurologie
de Langue Française, que nous vous invitons d’une manière générale à consulter régulièrement…
Pr Patrick Martin
Président du Comité d'organisation du 109e congrès
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N°8
Directeur de la publication : Pierre Thomas - Rédacteur en Chef : Patrick Martin
Infographiste : Vivianne Lambert - Photos de ce numéro : Martine Bertheuil
Post Scriptum
Conférence du Président
Classification des troubles mentaux et nosographie psychiatrique
Julien Daniel Guelfi*
Introduction
L’intérêt pour la classification des troubles mentaux et pour
la nosographie psychiatrique s’est considérablement accru
depuis environ cinquante années.
Dans les années 1960-1970 le diagnostic psychiatrique
n’intéressait pas grand monde en dehors de quelques
auteurs aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne.
La multiplicité des modèles de référence théorique et la très
mauvaise fidélité inter-juges des diagnostics avaient en effet
entraîné une insatisfaction générale des chercheurs
cliniciens. La deuxième édition du Manuel diagnostique et
statistique des troubles mentaux
(DSM) était restée fidèle à la
tradition psycho-dynamique tout
en abandonnant quasiment le
concept de réaction cher à
A. Meyer qui avait été très central
dans la première édition du
manuel en 1952.
Les diagnostics multiples étaient
vivement encouragés dans le
DSM II.
Plusieurs auteurs de renom
avaient fait le constat d’un travail
préalable nécessaire pour pouvoir
définir ce qu’est un trouble
mental comme Joseph Zubin et
les maladies mentales comme
Samuel Guze. Une réflexion était
née qui allait s’amplifier sur les
critères qui permettraient de
mieux
homogénéiser
les
échantillons de patients dans les
recherches cliniques. Le US-UK
diagnostic project en est une
illustration, à l’initiative de J.
Zubin et M. Kramer du NIH aux
Etats-Unis, mais aussi de Sir Aubrey Lewis à Londres, de
Robert Kendell à Edimbourg et de Norman Sartorius à
Genève pour l’OMS.
L’article qui est venu symboliser le renouveau a été publié
en 1972 dans les Archives of General Psychiatry ( 26, 5763) par six auteurs : J. Feighner, E. Robins, S. Guze, R.
Woodruff, G. Winokur et R. Munoz. Il représente les travaux
de l’Ecole dite de St Louis (Missouri) et propose des critères
diagnostiques pour 14 catégories diagnostiques à des fins de
recherche. Ce mouvement a rapidement pris une
importance considérable. Six années plus tard, c’est un
psychiatre biométricien de New York qui publiera avec
Post Scriptum
J. Endicott et E. Robins le deuxième article prônant
l’utilisation de critères diagnostiques pour les recherches
dans la même revue( 35, 773- 82, 1978) : Research
Diagnostic Criteria : Rationale and Reliability pour 25
catégories diagnostiques.
La troisième édition de la classification américaine a vu le
jour en 1980 , dirigée par R. Spitzer, prévoyant l’utilisation
systématique de critères diagnostiques pour l’ensemble des
catégories descriptives retenues et pour tous les types
d’utilisation, ne privilégiant aucune théorie particulière mais
choisissant constamment les critères possédant la meilleure
Le Pr Jean Daniel Guelfi durant sa conférence
fidélité inter-juges, c'est-à-dire, le plus souvent, des critères
comportementaux manifestes. Par ailleurs, le DSM III
comprend aussi l’enregistrement, conjointement aux
symptômes, sur des axes distincts, des données de
personnalité et un retard mental éventuel, les affections
médicales générales concomitantes des troubles mentaux,
les problèmes psychosociaux et comportementaux ainsi que
l’évaluation globale du fonctionnement.
Le DSM III a été traduit en français et publié en 1983 sous la
direction de P. Pichot et de moi-même, avec la collaboration
de P. Boyer, J.F. Henry, A. Lisoprawsky, C.B. Pull, M.C. Pull et G.
Welsh, M. Bourgeois étant conseiller à la traduction.
3
Le DSM-III a rapidement eu un retentissement mondial en
dépit de nombreuses critiques synthétisées dans le livre de
S. Kirk et S. Kutchins, Professeurs de travail social, intitulé :
The selling of DSM. The rhetoric of Science in Psychiatry en
1992, malencontreusement traduit en français par : Aimezvous le DSM-III ? Le triomphe de la psychiatrie américaine
(Les empêcheurs de penser en rond, Institut Synthélabo, Le
Plessis Robinson, 1998).
Les critères ont été revus et améliorés dans le DSM-III-R
publié en 1987 ( traduction française en 1989).
Par la suite, le DSM- IV, dirigé par A. Francès, a été publié en
1994 (traduit en français en 1996). Le DSM-IV TR (Text
Revised) a été publié en 2000 ( traduit en français en 2003).
Cette quatrième édition tient compte de nombreuses
études empiriques et non pas seulement des opinions
d’experts ; d’autre part elle accorde plus d’importance au
jugement clinique et à l’utilité clinique que le DSM- III.
Enfin, si l’optique médicale, catégorielle, dite néokraepelinienne selon l’expression de G. Klerman, est
maintenue dans le DSM- IV, une ouverture croissante à une
perspective dimensionnelle est annoncée.
.
L’Organisation Mondiale de la Santé, dans sa dixième
révision de la Classification Internationale des Maladies, la
CIM-10, a adopté le système des critères diagnostiques en
1992, du moins pour la recherche (dont la traduction
française a été coordonnée par C. Pull en 1993).
Les travaux préparatoires au DSM-V ont commencé en 2002
sous la direction de D. Kupfer de Pittsburg. Treize réunions
thématiques organisées conjointement par l’Association
Américaine de Psychiatrie et le NIH, se sont déroulées de
2004 à 2008 , avec des participants invités extérieurs, pour
faciliter la tâche de la Task Force du DSM-V ( 27 membres).
La mise en ligne sur internet des diverses propositions des
groupes de travail désignés par la Task Force en février 2010
a immédiatement donné lieu à de nombreuses critiques,
notamment de la part des responsables des versions
antérieures du manuel : R. Spitzer et A. Francès, reprochant
aux groupes de travail de faire nombre de propositions dont
l’intérêt clinique n’était pas établi et qui allaient, en tout
état de cause, conduire à une inflation des troubles mentaux
dans la population générale.
Le travail de Steeves Demazeux
Une réflexion approfondie sur le DSM par un philosophe
des Sciences a vu le jour en mars 2011 dans une thèse de
Doctorat en Philosophie de 668 pages à Paris I sous la
direction de J. Gayon.
Après un résumé de l’histoire institutionnelle de la
psychiatrie américaine et des classifications psychiatriques
aux Etats-Unis, ce jeune chercheur a développé le débat
contemporain autour de la définition d’un trouble mental et
de ses implications pour la nosologie psychiatrique.
La standardisation de la pratique a d’incontestables
avantages mais elle appauvrit inévitablement la clinique et
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elle stérilise la recherche. La nosologie doit bénéficier des
apports des philosophes des Sciences avec des auteurs
anglo-saxons comme C. Boorse, T. Engelhardt, J. Wakefield
ou K. Fulford.
Plutôt que de se reposer à titre principal sur les coefficients
de concordance kappas de Cohen pour améliorer la fidélité
inter-juges des diagnostics, il est sans doute préférable de
tenir compte des jugements de valeur et non de les ignorer.
Les divergences diagnostiques ne tiennent en effet pas
uniquement à l’imprécision ou à l’ambigüité des critères
diagnostiques mais aussi à des désaccords sur les valeurs
sous-jacentes.
Au modèle médical catégoriel kraepelinien de E. Robins et S.
Guze s’oppose le modèle des construits psychologiques
auxquels sont accoutumés les spécialistes des approches
dimensionnelles, surtout dans la sphère de la personnalité et
des déviances de celle-ci, comme T. Widiger, T. Trull, R.
Cloninger ou J. Livesley.
Les principales conclusions de Steeves Demazeux peuvent
être résumées comme suit.
• La quête d’une définition univoque pour le trouble mental
est très vraisemblablement une erreur.
• Le DSM donne l’illusion que tous les troubles mentaux sont
d’une essence commune.
• L’uniformisation des pratiques et de l’enregistrement des
données appauvrit l’ontologie qui doit au contraire pouvoir
bénéficier du pluralisme ontologique.
Il est nécessaire d’accepter l’hétérogénéité de la clinique
comme il est nécessaire de reconnaître l’hétérogénéité du
champ psychiatrique (G. Lantéri-Laura). Il existe sans doute
des frontières naturelles pour délimiter certaines catégories
diagnostiques en psychiatrie mais il existe aussi des
catégories qui ont un intérêt pratique sans valeur
nosographique obligée et des dimensions psychologiques
utiles pour décrire d’autres éléments qui sont des "noncatégories".
Comment sortir de l’impasse ?
• Il est sans doute temps d’abandonner l’idée selon laquelle
une classification unique doit être utilisée tout à la fois dans
la pratique clinique quotidienne, dans la médecine générale
et dans la recherche clinique en psychiatrie. En cela le
modèle de la CIM-10 est supérieur à celui du DSM.
• Il sera sans doute utile d’employer conjointement aux
critères du futur DSM-V attendu en mai 2013 ceux d’autres
systèmes reposant, eux, sur des hypothèses et des modèles
théoriques dont on cherche à vérifier la validité.
Cette nouvelle voie a été initiée par le National Institute of
Health aux Etats-Unis en 2009 avec des construits
théoriques intégrant les données les plus récemment
acquises dans les domaines des Neuro-Sciences, en
Génétique, Neurobiologie, Neuro-Physiologie ou en
imagerie cérébrale.
• L’adoption d’un pluralisme ontologique doit entraîner les
Post Scriptum
chercheurs à revenir sur le plan clinique à l’approche dite
polydiagnostique défendue en Europe par des auteurs
comme P. Berner et H. Katschnig à Vienne, C. Pull à
Luxembourg ou P. Pichot à Paris.
Cette procédure permettra de confronter différents
schémas diagnostiques issus de la clinique avec des
variables
biologiques,
génétiques, physiologiques
ou psycho- sociales issues de
la recherche scientifique.
Il n’est donc aucunement
question
de
rejeter
l’approche proposée par le
DSM mais on ne doit
attendre aucun progrès de
son utilisation isolée dans le
domaine de la nosographie
psychiatrique. Nous avons
impérativement
besoin
d’utiliser ces données cliniques
conjointement à celles des
autres données scientifiques
disponibles de même qu’à
d’autres données cliniques
comme l’histoire personnelle
de tout un chacun ou des
modalités des relations interpersonnelles établies au
cours du développement.
Pour des auteurs comme
J. Foucher et V. Bennouna
Greene
par
exemple,
l’utili-sation
athéorique
d’une classification symptomatique ne peut nous
permettre de progresser dans
la
compréhension
des
processus pathologiques. Ils
prennent l’exemple de la
classification des psychoses de K Leonhard qui est certes
beaucoup plus complexe que celle du DSM mais qui mérite
des travaux empiriques qui auraient, peut- être, un intérêt
heuristique plus important que les recherches actuelles sur
les catégories du DSM-IV .
Dans le domaine des troubles affectifs on pourrait tenir le
même raisonnement au sujet des propositions de nouveaux
découpages nosographiques dans des directions certes
variées, par des auteurs comme G. Parker, D. Watson,
J. Angst, H. Akiskal ou F. Benazzi.
Conclusion
Pour conclure, je reprends volontiers à mon compte la
conclusion de J. Foucher et V. Bennouna Greene dans leur
Post Scriptum
article de 2010 : [il est nécessaire de] "séparer pour un
temps les classifications actuelles dont l’utilité descriptive
et clinique reste incontestable et des classifications de
recherche qu’il serait nécessaire de libérer d’un athéorisme
et d’une phénoménologie clinique inadaptée".
Le Président Guelfi développe sa conclusion
Références
DEMAZEUX S. Le lit de Procuste du DSM-III : classification
psychiatrique, standardisation clinique et anthropologie
médicale. Thèse de Doctorat de Philosophie, Université Paris
I, 668 pages
GUELFI JD. La classification américaine des troubles
mentaux : hier, aujourd’hui et demain. La lettre du
psychiatre 6, suppl 2 n°5, 4-9, 2010
FOUCHER J-R, BENNOUNA GREENE V. La CIM et le DSM ou
l’impossible validation : pourquoi le ver est dans le fruit Ann
Médico- Psychol ( Paris) 168, 609- 15, 2011.
* Professeur émérite de Paris Descartes
CMME, Service du Pr F ROUILLON,
100 rue de la Santé - 75674, Paris CX 14
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LES
ECHOS
DU
C P N L F. . . L E S E C H O S
DU
C P N L F. . .
ost Scriptum, ce mois-ci comme chaque mois, rapporte dans la rubrique "Les Échos du CPNLF" une partie
des interventions communiquées dans le cadre du 109e congrès du CPNLF et ce numéro est le premier
consacré à ce congrès.
P
Nous avons souhaité commencer cette nouvelle année par l'évocation d'une pathologie qui tient à coeur à
nombre d'entre nous, par le biais de l'hommage à Bleuler rendu par les Prs Thérèse Lempérière, Jean Daléry
et Guy Darcourt, sous forme de conférence débat sur le thème "100 ans de schizophrénie". Vous prendrez
également connaissance du rapport du CPNLF sur la psychiatrie en milieu carcéral et des interventions de
la session concernant la neurobiologie des affects.
Bonne rentrée à tous !
Conférence débat "Hommage à Bleuler : 100 ans de
schizophrénie"
Il y a exactement 100 ans, en 1911, paraissait le Traité de
Psychiatrie, dans lequel Eugène Bleuler consacrait le
chapitre 4 aux démences précoces ou schizophrénies. Dans
le cadre du centième anniversaire de cet ouvrage, une table
ronde a été organisée pour traiter de l’évolution de la
conception de la schizophrénie depuis cette époque.
distinction entre les symptômes primaires, qui s’expliquent
selon lui par un processus pathologique organique, et les
symptômes secondaires, qui seraient des tentatives
d’adaptation psychologiques aux symptômes primaires.
Pour Bleuler, la maladie se développe de manière
insidieuse. D’abord latente, elle évolue par poussées
aigues qui peuvent être d’origine organique ou suivre un
choc psychologique – ainsi, les deux causalités collaborent
à l’élaboration du syndrome psychotique. Il concevait des
formes multiples de schizophrénie, donnant place
Les trois protagonistes de l'hommage à Bleuler
Le Pr Guy Darcourt (Nice) a débuté la session par un bref
rappel sur le parcours d’Eugène Bleuler et sur son rapport
avec les psychanalystes de sa génération tels que Freud,
Kraeplin ou Jung.
Dans son Traité, l’approche psychanalytique et l’approche
clinico-systématique de la schizophrénie étaient à mettre
sur un pied d‘égalité.
Cependant, à la différence de l’approche freudienne, Bleuler
considérait que la schizophrénie découlait d’une causation
organique. Au niveau sémiologique, il réalisait deux
dichotomies : la première consistait à séparer les signes
fondamentaux durables des symptômes accessoires,
transitoires. La deuxième dichotomie correspondait à la
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importante à la forme paranoïde, l’hébéphrénique, ou
encore la schizophrénie de forme simple.
Le Pr Thérèse Lempérière (Paris) a ensuite présenté
l’évolution de la pensée psychiatrique vis-à-vis de la
schizophrénie au cours du XXe siècle, mettant l’accent sur
le scepticisme grandissant de la communauté face au
concept même de schizophrénie.
Le Pr Jean Daléry (Lyon) a alors exposé le processus de
construction qui a mené au concept actuel schizophrénie,
tel qu’il est conçu dans le DSM-4, pour conclure sur les
discussions concernant son évolution dans le DSM-5.
Post Scriptum
LES
ECHOS
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Si les classifications du DSM sont devenues un outil de
communication indispensable pour le système médicosocial, il existe cependant un écart toujours plus grand en
d’autant plus problématique entre la schizophrénie
qu’étudient dans l’abstrait les chercheurs et celle beaucoup
plus concrète que soignent les psychiatres en clinique.
Les critères diagnostiques de la schizophrénie sont basés sur
le postulat que c’est une entité physiopathologique unique,
distincte, notamment des psychoses affectives. Pourtant, à
ce jour, les frontières nosologiques avec d’autres affections
restent floues et le diagnostique chez un patient donné
reste souvent incertain.
Parmi les critiques portent sur la fragilité conceptuelle de
cette définition dominante, et suggèrent que la
schizophrénie rassemble surement un groupe hétérogène
de maladies d’étiologies diverses.
DU
C P N L F. . .
Pr Thérèse Lempérière
Pr Guy Darcourt
déconstruire la schizophrénie dans ses différentes
composantes dimensionnelles – les dimensions étant
transmissibles génétiquement, stables dans le temps, et
mesurables selon un score de sévérité. Ce qui sera retenu
pour la 5e version du DSM sera une approche mixte, qui
devrait permettre de réaliser des meilleurs discriminants de
l’évolution et du pronostic que l’un des deux modèles pris
isolément.
Pr Jean Daléry
La préparation du DSM-5 relance ainsi le débat. La première
discussion concerne l’intérêt de maintenir cette dichotomie
entre schizophrénie et psychoses affectives. Alors que
certains proposent de la remanier, d’autres suggèrent tout
bonnement d’abandonner ce diagnostique. Dans les
propositions actuelles du DSM-5, le groupe d’experts semble
cependant considérer son utilité valide.
Un autre point de débat important concerne le critère des
six mois de persistance des symptômes pour porter un
diagnostique. En gardant ce critère, est ce qu’on ne risque
pas de porter le diagnostic à un stade tardif, alors qu’on sait
désormais que la durée de la psychose non-traitée a une
valeur pronostique très importante?
Enfin, le débat porte aussi sur la forme catégorielle de la
classification. Certains proposent au contraire de
Post Scriptum
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LES
ECHOS
DU
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Thème du premier rapport du CPNLF : la Psychiatrie en
milieu carcéral du Pr Pierre Thomas (Lille) qui présentait son
ouvrage éponyme réalisé avec la participation de Catherine
Adins, Etre psychiatre en milieu carcéral (Prologue);
Sébastien Bisac, Prises en charge des patients en milieu
pénitentiaire; Eric Piquet et Véronique Cousin, Les Addictions
en milieu carcéral; Valentine Rhiel et Camille Rémy, Suicide
en milieu carcéral; Benjamin Traynard, À propos du quartier
disciplinaire des prisons; Georgia Schiza, Être mère en prison;
Lisbeth Merotte, La sexualité en prison; Delphine Garay,
Articulation des professionnels de la santé et de la justice;
Maud Bertrand, Les psychothérapies en prison; Aurély
Ameller, Isabelle Bosseman, Léonie Fontaine, Marion Hage,
Emilie Poulin, Maxime Valdès, Véronique Vespa, Articulation
soins et projets éducatifs, préparation à la sortie; Lisbeth
Mérotte &Tiphaine Seguret, Prise en charge des auteurs de
violence sexuelle en prison ; Franz Kaltenbeck, Catherine
Adins, Anne Adens, Enseignement et recherche psychanalytiques dans le cadre du SMPR.
Un rapport sur la psychiatrie en milieu carcéral : y a-t-il
plusieurs pratiques de la psychiatrie, en milieu ouvert et
ailleurs ?
La psychiatrie s’est éloignée de son image carcérale. Les
besoins affluent en prison. La prison est-elle devenue le lieu
de vie des patients marginalisés ?
Qu’ont en commun les patients qui rentrent en prison, des
actes médico-légaux dont la pénalisation peut parfois
paraître démesurée par rapport à l’acte et le contexte dans
lequel il a été commis ?
De quels outils disposent les équipes soignantes en prison ?
Psychothérapie, dispositifs pour la prise en charge des
addiction, articulation avec l’administration pénitentiaire,
liaison avec les secteurs de psychiatrie et services éducatifs
et sociaux
Comment la psychiatrie en milieu carcéral se voit impliquée
dans la prise en charge des auteurs de violence sexuelles
dans un cadre légal plus flou qu’en milieu ouvert.
Puis, sous la présidence des Prs Pierre Thomas (Lille), Pierre
Moron (Toulouse) & Laurent Schmitt (Toulouse) sont
présentées les communications sur le thème du rapport.
Le Pr Laurent Schmitt (Toulouse) a évoqué "La psychiatrie
en milieu pénitentiaire" en offrant à son audience une
présentation sur le fonctionnement, les thèmes et enjeux
pédagogiques abordés à l’Institut de Formation à la
Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire, mis en place à Toulouse
en 1995 par Pierre Moron et Yves Thirode.
Prévu à l’origine pour durer deux ou trois ans, l’Institut en
est à sa 15e année d’existence. Cette structure organise
chaque année une session de formation générale, d’une
semaine, qui réunit des intervenants des facultés de
médecine mais aussi des facultés de droit ou des instituts de
science criminelle. Il s’agit de faire le point sur des notions
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Le Pr Pierre
Thomas lors de sa
présentation et le
Dr Catherine
Adins, l'un des coauteurs de
l'ouvrage
Post Scriptum
LES
ECHOS
DU
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indispensables concernant la médecine pénitentiaire, mais
qui ne sont pas pour autant connus de tous les
professionnels de la santé. Par exemple, quelle est
l’organisation de la justice ? Du système pénitentiaire et de
ses structures ? Du système des plaintes, de la hiérarchie
des juridictions ? D’autres thèmes portent sur la souffrance
psychique spécialement liée aux conditions de détention –
il s’agit des automutilations, des tentatives de suicide, des
refus de réintégration dans la cellule d’affectation, de grèves
de la faim, mais aussi de troubles psychiatriques. Durant
cette formation, les participants évaluent et discutent de
sujets tels que la définition de la dangerosité, de la
toxicomanie en milieu pénitentiaire, etc.
Au cours de la même semaine se déroule aussi une
formation complémentaire, qui prend en compte des
réalités spécifiques du soin en milieu pénitentiaire : on
aborde alors des thèmes selon l’actualité.
Tandis que le Dr Mathieu Lacambre (Montpellier) a traité
"Du bon usage des psychotropes en prison"
La prison sert à exécuter une peine. L’hôpital quant à lui est
un lieu où l’on soigne une souffrance. Cette dichotomie rend
donc l’articulation entre les deux institutions très complexe.
Lors de sa présentation, le Dr Lacambre a commencé par
rappeler que le rôle des psychiatres en milieu pénitentiaire
n’est pas de prévenir une quelconque récidive, mais que
l’objet de la psychiatrie est de soigner, de créer un lien, pour
d’éviter l’aliénation des détenus. C’est pourquoi le Dr
Lacambre insiste sur l’utilisation de l’expression "psychiatrie
en milieu carcéral" au lieu de l’expression sommaire souvent
entendue : "psychiatrie carcérale".
Les psychotropes prescrits par les psychiatres en milieu
DU
C P N L F. . .
carcéral servent, dans le bon usage, à corriger des réactions
anxieuses, surtout chez les primo-arrivants, ou chez des
détenus ayant reçu une mauvaise nouvelle au parloir, ou par
courrier. Ils sont aussi administrés pour aider au sevrage de
certains détenus, ou pour le traitement spécifique d’un
trouble psychiatrique.
La première dérive de cette utilisation correspond au
mésusage, qui peut revêtir plusieurs formes. Il y a d’une part
la modification des horaires de prise ; par exemple lorsque
le détenu prend son somnifère au moment de la sieste au lieu
du coucher. Il y a aussi l’utilisation de psychotropes comme
monnaie d’échange, pour acheter du tabac par exemple.
Pour améliorer l’utilisation de ces substances, des stratégies
entre autre éducatives peuvent être axées sur les détenus
mais aussi sur l’équipe de soignants, pour qui plusieurs
questions se posent : combien de temps prescrit-on ? Quel
est le bon intervalle entre les consultations ? Quelle devrait
être la quantité de traitements délivrée ? Quelle est la
conduite à tenir en cas de non présentation ? Etc.
Enfin, existe aussi, bien sûr, le phénomène d’abus de
psychotropes. Cela peut être lié à une recherche
d’anesthésie, de "défonce", de sédation prolongée de la part
du détenu, mais il existe aussi des problèmes d’interactions
médicamenteuses imprévues, ou de surdosages.
Le Dr Lacambre a aussi présenté une étude transversale qu’il
a réalisée à la maison d’arrêt de Villeneuve-les-Maguelones,
où il exerce. Il a étudié 677 dossiers d'individus incarcérés à
l’instant t. Sur le plan médicamenteux : seul un tiers des
détenus bénéficiaient d’un traitement psychotrope. Il a
confirmé la place prépondérante des benzodiazépines, puis
des antidépresseurs, et enfin des hypnotiques.
Le Pr Laurent Schmitt et le Dr Mathieu Lacambre,
lors de la discussion qui a suivi les communications
sur le thème du rapport.
Post Scriptum
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LES
ECHOS
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C P N L F. . . L E S E C H O S
Dans le cadre de la session thématique "Neurobiologie des
affects : sensations & émotions", sous la présidence des Prs
Patrice Boyer (Paris) & Patrick Martin (Paris), le Pr Bruno
Falissard de Paris a traité de la "Neurobiologie de la
Subjectivité".
Les représentations neuroscientifiques de la subjectivité les
plus classiques tendent à présenter l’homme comme un
système traitant l’information de manière algorithmique,
telle une "machine de Turing". En d’autres termes, le
cerveau fonctionnerait comme un ordinateur ayant à opérer
des choix catégoriels, dénombrables et finis.
Cette approche soulève de toute évidence de nombreuses
critiques. Certains accusent la neurobiologie d’effectuer un
glissement épistémologique lorsqu’elle traite du sujet
pensant : les neurosciences s’intéressent au fonctionnement
d’un organe alors que le sujet pensant, celui de la
subjectivité, est un objet radicalement différent de l’organe
"cerveau".
Cependant, il existe d’autres représentations neurobiologiques, qui permettent d’avoir des visions plus souples
de ce qu’est un sujet pensant. Il s’agit notamment du
courant connectionniste des neurosciences cognitives. Dans
ce modèle, le cerveau est considéré comme une entité
homogène constituée de cellules qui interagissent
massivement les unes avec les autres. Le sujet pensant est
une propriété émergeante de cet ensemble d’automates
cellulaires. Il est assimilé à un relief très compliqué, dans
lequel existent des empreintes correspondant à des
souvenirs, qui sont modelés continuellement par
l’expérience. La mémoire est un processus associatif et non
pas un phénomène localisable.
A la question "Est ce que les neurosciences ont quelque
chose à apporter dans la compréhension du sujet pensant ?"
le Pr Fossati répond que oui, ajoutant que la discipline est
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DU
C P N L F. . .
susceptible d’ouvrir de nombreuses portes dans le domaine
de la psychopathologie. Il cite en exemple les études de eyetracking réalisées avec des patients autistes, qui permettent,
en clinique, de se faire une meilleure représentation de ce
qui se passe dans l’univers de ces patients.
C’est le rapport thématique "Propriétés intersubjectives de
l’effet caméléon" que le Pr Philippe Fossati, de Paris, a
présenté cette année aux congrès de l’association du CPNLF.
Dans son introduction, le Pr Fossati a rappelé l’importance
pour un individu de se connecter socialement. D’une part
pour se maintenir inclus dans un groupe, mais aussi pour sa
santé – une étude récemment publiée dans Science
rapportait que les individus ayant un sentiment chronique
de solitude, indépendamment de leur réelle situation
sociale, présentent un plus grand risque de maladies
cardiovasculaires, de maladies infectieuses, inflammatoires
et de maladies mentales comme la dépression.
Pour se connecter à autrui, l’individu possède un certain
nombre d’outils – des outils cognitifs, comportementaux,
biologiques.
Parmi les outils purement comportementaux l’effet
caméléon correspond à la tendance spontanée de chaque
individu à imiter, consciemment ou inconsciemment,
l’attitude et la posture générale de la personne avec laquelle
il ou elle interagit. Cet effet caméléon aiderait à procurer un
sentiment de proximité, de connexion, de fluidité entre les
deux protagonistes.
Quelles sont les bases neuronales de ce type de
comportement ?
Des études suggèrent que les systèmes neuronaux
impliqués dépassent largement ceux des neurones miroirs.
Des expériences récentes rapportent que lorsqu’un sujet est
Post Scriptum
LES
ECHOS
DU
C P N L F. . . L E S E C H O S
imité, on retrouve dans son cerveau une activation des
régions du dorsal singulaire supérieur et de l’insula – régions
impliquées dans les comportements d’approche et les
comportements dirigés vers des groupes. De plus, elles
rapportent une désactivation du réseau du mode par défaut,
qui comprend le cortex médial préfrontal, le cortex
singulaire postérieur et une partie du cortex pariétal, et qui
est souvent impliqué quand on est focalisé sur soi-même
ou quand on fait des taches de mémoire autobiographique.
C’est comme si une décentration vis a vis de soi s’opérait
dans ces situations, permettant de se connecter plus
facilement à autrui. D’autres études montrent que les
régions activées sont clairement différentes qu’il s’agisse de
l’être imité ou celui qui imite.
La mesure de l’interconnexion à autrui peut être
intéressante en psychiatrie car on sait que les malades se
sentent souvent exclus, isolés. Ce sentiment pourrait
résulter, en partie, d’un déficit dans les réseaux fonctionnels
d’imitation.
DU
C P N L F. . .
pas une lecture consciente, ont révélé la capacité des
individus à extraire un attribut sémantique, une valence
émotionnelle, indépendamment de la perception
consciente.
Dans les entretiens suivant ces expériences, les sujets
n’avaient aucune conscience de la perception des mots,
pourtant leurs enregistrements cérébraux montraient une
modulation dans les régions témoignant d’une extraction
du sens des mots.
Le Dr Gaillard a aussi abordé la question du devenir des
représentation conscientes – les représentations
conscientes ont-t-elle vocation à devenir inconsciente ? Si
oui, comment, et quelle en sera l’utilisation possible ensuite
par le sujet ? Des expériences décrites lors de cette session
ont permis de montrer que la répétition d’une action mène
à l’automatisation – les circuits neuronaux sollicités ne sont
plus les mêmes qui ont permis l’élaboration du
comportement. Cette automatisation devrait permettre de
créer des processus non-conscients à l’infini, ou presque.
Quant au Dr Raphaël Gaillard (Paris), il pose la question :
"Qu’en est-il des neurosciences de l’inconscient ?"
Au cours de cette session, le Dr Raphaël Gaillard a passé en
revue quelques-unes des approches expérimentales utilisées
dans les neurosciences récemment mis en œuvre qui
permettent de mettre en évidence diverses dimensions de
l’inconscient.
Le Dr Gaillard a notamment insisté sur l’apport de
l’utilisation du paradigme de la présentation subliminale
masquée – une approche qui a permis de mettre en
évidence l’existence d’une perception inconsciente de
l’environnement indépendante de la perception consciente.
Par exemple, des expériences dans lesquelles des mots
neutres et des mots à connotation émotionnelle étaient
présentés à des sujets de manière subliminale c’est-à-dire
en leur “flashant” brièvement des mots (quelques
millisecondes), avec une durée d'apparition ne permettant
Aux côtés de deux
des intervenants,
les présidents de session :
les Prs Patrick Martin
(micro) et Patrice Boyer
Post Scriptum
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Le CPNLF remercie ses partenaires 2011
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