Sous cet angle, l'idiosyncrasie – l'écriture singulière – d'Alain Fourchotte reçoit
une signification sui generis du fait même de la crise – latente – qu'elle tend à
réactiver, chaque fois par exemple qu'un tempo lent est subitement secoué par
quelque lévitation – ou encore par quelque interpolation tremblante, voire plus
ou moins incantatoire (ce qui arrive assez fréquemment quel que soit l'effectif
instrumental utilisé, mais plus spécifiquement dans les duos pour clarinette et
piano). Les grandes pièces virtuoses comme l'Impromptu de 1982 ou Loa, de
1980, écrites à l'intention d'un violon ou d'un violoncelle solistes, induisent de
leur côté une tension qui peut se situer à la limite de la violence, et qu'elles
laissent transparaître par volutes, ou par bouffées; mais qui travaille en réalité
toute l'étendue de la partition, laquelle s'en trouve affectée en sous-main, comme
par une fièvre. Plus décontractées, les quatre superbes Etudes pour piano, dont
la composition, étagée de 1972 à 1986, déborde l'empan chronologique dans
lequel sont venues se ranger les autres partitions, semblent prendre quelque
distance par rapport aux paroxysmes, ou simplement aux climats incertains ou
brouillés des autres œuvres. Mais il arrive aussi que les énoncés sonores qui s'y
distillent, pour limpides qu'ils soient, bronchent, se crispent et dérapent sur des
contrastes inattendus, notamment entre valeurs longues, étales, et mini-traits
zébrant le clavier, au cœur de la Troisième étude. Le hiératisme contemplatif qui
s'y déploie n'est pas brisé pour autant, alors que la saturation par les trilles, ou
les clusters, suffit à peine à calmer le jeu dans certains passages agités de
l'admirable Quatrième.
On n'évoquera pas pour autant les "sismogrammes" dont parlait Adorno à
propos de l'Erwartung de Schönberg. Mais c'est tout de même à Schönberg, au
Schönberg de l'"émancipation de la dissonance", et à l'idéal de la "libre
atonalité", que fait songer assez souvent la poétique d'Alain Fourchotte. Ne lui
est-il pas arrivé d'écrire, en réplique à un texte bien connu (et, de l'avis des
contemporains, quelque peu déplacé) de Boulez, un article intitulé "Schönberg
n'est pas mort" (1987)? Ce qu'il retient de Schönberg pour son usage propre peut
se formuler en termes d'espace. Car si l'intervalle vaut, plutôt que la note isolée,
pour signifier l'élément linéaire qui va permettre tous les tronçonnements sériels
à venir dans l'économie de la dodécaphonie, c'est que, déjà chez le Schönberg de
la "libre atonalité" (ou plutôt, selon le mot de Lou Harrison, de la prototonalité),
l'œuvre se proposait à la lecture et pas seulement à l'audition. Or il en va de
même chez Alain Fourchotte. S'érigeant en un hypercode capable de filtrer des
nuances autant que d'égrener hauteurs ou durées, son écriture donne à regarder
des mouvements et à suivre des impulsions, lesquels entraînent le corps
musicien hors de lui-même, multipliant par là les primes de séduction pour
interprètes doués. Un Lethiec, un Denis Weber, un Alain Meunier, trouveront
sous la plume de Fourchotte tous les ingrédients nécessaires à l'exercice de leur
virtuosité. A la croisée des portées, des effets spectaculaires de timbres sont au