Les débuts de la Révolution industrielle
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II La place de la France dans les débuts de la Révolution industrielle
Avant 1789, dans toute l’Europe, la langue française était la langue des élites, jusqu’en
Turquie et en Russie. Le royaume de France était le pays le plus riche, la première puissance
économique (loin devant l’Angleterre) et militaire du monde. La Royale et le corps expéditionnaire de
Rochambeau ont battu les Anglais. Dans une somme consacrée à la gloire de la Royal Navy, To Rule
the Waves, Hodder, Londres, 2004, p.554, l’historien anglais Arthur Herman constate, que l’art de la
construction navale était en France, à cette époque, considéré comme le meilleur du monde. Des
canons légers et maniables mis au point en 1776 allaient dominer les champs de batailles jusqu’en
1815. On sait aussi grâce à des historiens britanniques : Peter Mathias, Patrick O’Brien et Calgar
Keyder notamment, que la France était aussi la première puissance industrielle, que notre industrie
progressait presque deux fois plus vite que l’anglaise. En 1786, est le traité Eden de libre-échange,
signé avec Londres, amorçait la première mondialisation des temps modernes. La pression fiscale n’a
cessé de diminuer depuis Louis XIII et la dépense publique est l’une des plus basses d’Europe. Peut-
être 3 ou 4% du PIB contre 55% en 2007. La liberté économique est peu entravée par les
corporations, abolies par Turgot, puis mollement rétablies, mais bien moins contraignantes qu’à
l’époque de Colbert. La France est aussi le pays le plus instruit et de loin le premier pays pour la
science et la technique. Buffon et Lamarck s’imposent dans les sciences de la nature. En moins de
quinze ans, la France invente à la fois l’automobile (dont on peut voir un exemplaire construit par
Cugnot, datant de 1771, au musée des Arts et Métiers à Paris), le bateau à vapeur (en 1780, Jouffroy
d’Abbans remonte la Saône à Lyon avec le premier bateau à vapeur) et le transport aérien. Entre
1777 et 1781, Lavoisier, financier et savant, analyse l’air et l’eau pour la première fois. En 1783,
devant Louis XVI à Versailles, s’élève pour la première fois un ballon emportant des êtres vivants. Le
premier décembre, des hommes s’envolent du parc des Tuileries dans un ballon à hydrogène. Deux
ans plus tard, le français Jean-Pierre Blanchard traverse le premier la Manche en ballon, de Douvres à
Calais. Mais ce capital va être détruit en quelques années. Après Aboukir et Trafalgar, la marine qui a
gagné la guerre d’Amérique est anéantie. Jamais plus la Royale ne dominera les mers comme elle
l’avait fait de l’Amérique à l’Inde. Après Waterloo, la France s’est mutilée et perd pour toujours son
statut de superpuissance. Alors qu’il n’y avait pas eu d’invasion de la France entre 1712 et 1792, il
faudra de nouveau entourer Paris de murs à partir de 1840. Après le ruineux blocus continental, elle
ne sera plus jamais la première puissance économique.
Cette rupture historique s’explique par le fait que la Révolution ne s’est pas faite au profit
des entrepreneurs, commerçants, financiers et industriels, dont beaucoup furent guillotinés, mais
surtout au bénéfice des propriétaires fonciers, petits et grands. Cette idée fut reprise dans les années
soixante par François Furet et Denis Richet.
Des statistiques illustrent le fait que la France n’est plus la première puissance européenne.
La première statistique concerne la longueur des chemins de fer dans le monde, qui a centuplé de
1840 à 1900. Les Etats-Unis en ont toujours détenu la moitié. L’Angleterre, qui possédait en 1840 un
réseau sextuple du français, a tenu le premier rang européen, puis le second quand l’Allemagne (plus
vaste) l’a dépassé vers 1870-1880 ; la France venait loin derrière, et la Russie la dépassa même en
1900 (mais les distances y sont toutes autres!). Car, comme l’ensemble de son démarrage industriel,
le démarrage ferroviaire de la France a été tardif : en gros, le Second Empire. Une seconde série de
statistiques est tirée d’une publication de la S.D.N., qui en 1945, fournissait une estimation de la
répartition (en valeur) de la production industrielle mondiale. L’Angleterre figura longtemps au
premier rang ; en 1870, elle produisait encore 31 à 32% de l’industrie mondiale. La France, trois fois
moins, en tenant alors le quatrième rang. Dès 1885, les Etats-Unis figurent en tête, et l’Allemagne