qui prévaut – et prévaudra toujours – une
bonne partie de l’année en Haute-Norman-
die. En revanche, la vigne, plus tolérante,
pourrait faire un retour remarqué dans
nos vallées. Revers de la médaille, chez les
arbres et arbustes, le débourrement de plus
en plus précoce expose fleurs et jeunes
pousses aux gelées printanières ! Certaines
variétés fruitières risquent de voir leur
production affectée faute d’un froid hiver-
nal suffisant.
Cycles plus rapides
La tendance dominante sera celle d’écosys-
tèmes plus productifs avec des cycles plus
rapides, une inertie diminuée, et une sensi-
bilité au stress accrue. Cela concerne notam-
ment l’agroécosystème et les forêts. L’effet
de « fertilisation carbonée » par le CO2
– matériau de base de la photosynthèse –
augmentera la production végétale, de
façon très variable selon l’adaptation des
espèces. Mais il sera largement modulé par
un contraste saisonnier accru entre excès
d’eau hivernal et assèchement estival.
identiques à celles de la Provence des années
1970, n’offrira jamais le spectacle d’une gar-
rigue ou d’un maquis. La Manche n’est pas
la Méditerranée, et la Normandie n’est pas
abritée, comme la Côte d’Azur ou le Langue-
doc, par des Alpes ou un Massif central !
Nous aurons « quelque chose d’autre ».
Fruits plus précoces
Le changement climatique est déjà une réa-
lité. Au cours du dernier siècle, la tempéra-
ture de la Haute-Normandie s’est ainsi éle-
vée de 1,3 à 1,5 °C pour les températures
minimales, d’un peu moins de 0,3 °C pour
les maximales. La pluviométrie est en haus-
se en hiver.
Les conséquences de cette évolution ne sont
pas encore très palpables. Cependant, les
plantes et les animaux, sentinelles hyper-
sensibles, nous alertent déjà à travers cette
science d’observation qu’est la phénologie,
qui trouve aujourd’hui tout son sens. Les
plantes fleurissent de plus en plus tôt au
printemps. Le paysage végétal que l’on a
maintenant dans son jardin haut-normand
à la mi-avril, par exemple, est celui qu’on
avait début mai dans les années 1980 ! Les
récoltes de fruits ont lieu plus précocement.
La belle saison a tendance à s’allonger… Les
hirondelles reviennent plus tôt de leurs
zones d’hivernage d’Afrique, les cigognes
restent en hiver au marais Vernier au lieu
d’émigrer. Les batraciens se reproduisent
plus tôt en fin d’hiver…
Bien d’autres impact, réels ou potentiels,
sont maintenant documentés : retrait des
glaciers, saisons de croissance plus longue
pour les plantes, cycles végétatifs plus courts,
déplacement des espèces, impacts sur la
santé des vagues de chaleur, augmentation
des risques d’inondation éclair et de l’éro-
sion … Toutes les régions d’Europe seront
affectées négativement, à des degrés divers.
La Haute-Normandie comme les autres.
La redoutable processionnaire
Compte tenu de la rapidité du phénomène,
toutes les espèces vivantes ne pourront
s’adapter. La biodiversité est menacée, le
changement climatique
venant s’ajouter aux fac-
teurs de dégradation
majeurs que sont la pol-
lution et la destruction
des habitats. La nature
peut répondre par des
basculements rapides.
Sont particulièrement
menacées les plantes
endémiques à faibles
effectifs telle la violette
de Rouen ou la lune-
tière de Neustrie. Les
écologues considèrent
que 3 °C de plus dans la
moyenne annuelle de
température correspondent à un
déplacement de 300 à 400 km vers le
nord des aires de répartition des
végétaux. La myrtille, à tendance
boréale, pourrait régresser tandis que
des méridionales comme le souci des
champs, ou encore des invasives comme
la jussie – une plante aquatique – tire-
raient leur épingle du jeu.
Le saumon atlantique ne trouvera plus en
Haute-Normandie les conditions climati-
ques correspondant à ses exigences. Le cor-
moran huppé s’est déjà raréfié au bord de la
Manche, comme d’autres oiseaux de mer,
faute de lançons, petits poissons qui
constituent l’essentiel de sa nourriture.
La modification du plancton est en cau-
se, en relation avec le réchauffement de
l’eau. De nouveaux ravageurs se pré-
sentent à nos frontières régionales, telle la
redoutable processionnaire du pin…
Eucalyptus et mimosa
Hivers plus doux, étés plus chauds, rayon-
nement solaire en hausse… Notre paysage
va changer. Nos traditionnelles essences de
plaines et de collines, voire de montagnes –
hêtre, sycomore, tilleuls, bouleaux, charme,
chêne pédonculé, noisetier… – se trouve-
ront progressivement inadaptées et seront à
terme concurrencées par d’autres typiques
des zones atlantiques (châtaignier, chêne
tauzin, pin maritime, par exemple),
voire, dans nos secteurs littoraux
ou le sud-est du département de
l’Eure, méditerranéennes, telles
que le cyprès, l’arbre de Judée, le
chêne vert. Certains arbres et
arbustes à feuilles larges et persis-
tantes – laurier-cerise, laurier noble…
– progressent vers le nord-est, devenant
spontanés chez nous. On commence à
voir de beaux sujets de mimosa, palmier et
eucalyptus, essences réputées frileuses.
Cela peut déjà influencer nos choix végé-
taux et modifier les façons de jardiner ou
de concevoir les espaces verts en Haute-
Normandie. L’artichaut, le figuier, retrou-
vent leur cycle végétatif méditerranéen !
L’olivier et l’abricotier profiteraient bien
de quelques degrés en plus, mais ils ont
le tort de ne pas supporter l’humidité
3
dossier
Par quel miracle les scientifiques parviennent-ils à
nous donner une idée du climat qui règnera dans
un siècle, alors que les météorologues ne sont
jamais sûrs du temps qu’il fera le lendemain ?!
C’est toute la distinction qu’il faut faire entre
le temps qu’il fait et le climat, le travail des
prévisionnistes de Météo France et celui des
climatologues. A la différence des premiers,
qui travaillent sur des variations à court ter-
me de l’état de l’atmosphère, les seconds
s’intéressent à des tendances, à des moyen-
nes sur le moyen ou le long terme. On sait
par exemple que le climat de Montpellier est
plus ensoleillé que celui de Rouen, n’empê-
che qu’il peut faire mauvais temps à Montpel-
lier et beau temps à Rouen !
Météorologie et climat
Qui a vu du réchauffement en Haute-Normandie durant l’été
2008, caractérisé de l’avis de tous par une météorologie
« médiocre ? Et pourtant, la température moyenne a été légè-
rement supérieure aux chiffres de référence dans la plus
grande partie de la région ! Il peut « faire moins chaud »
avec pourtant une moyenne plus élevée si les minimales
sont plus élevées et les maximales plus basses. Un été
peut être perçu comme « pourri » avec des précipita-
tions fréquentes mais pas nécessairement abondantes.
L’être humain est plus sensible aux extrêmes (vagues
de froid ou canicules) qu’aux moyennes, qui sont l’es-
sence même du climat. Plus généralement, les varia-
tions interannuelles du climat – années plus ou moins
« chaudes », « fraîches », « humides » – masquent aux
yeux du profane le réchauffement du climat. Bref, seuls
les chiffres peuvent parler.
Climat ressenti, climat réel
* Collectif d’architectes « Et alors ? », in « Ça chauffe
adaptons-nous », actes des 9e Assises de l’énergie
2008.
** C’est le propos des 5e Journées des pratiques du
développement durable en Haute-Normandie
(Parc expo de l’Agglo. de Rouen, 10-13 octobre 2008),
dont il sera rendu compte dans un prochain dossier
d’AREHN infos.
Paysage méditerranéen : nous aurons « quelque chose d’autre ».
J.-P. Thorez / AREHN