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LA MYTHOLOGIE PROGRAMMEE
L'économie des croyances dans la société moderne
Par - M.D.
PERROT
-
G.
RIST
- F. SABELLI
. PUF.
Col
Economie en liberté
Paris 1992 - 217 pages.
Ce livre étonnant ne manquera pas de surprendre le lecteur
parce qu'il s'attaque aux croyances les plus profondes mais aussi les
plus inconscientes de notre société.
Poutant
l'analyse des fondements de la modernité et du
développement comme une religion n'est pas nouvelle. Les auteurs
assoient leur
problématique
sur l'autorité difficilement
recusable
de
Durkheim.
Pour ce sociologue, le religieux peut exister hors de toute
institution spécialisée, hors de toute reconaissance formelle d'une
divinité. Le sacré est la base du lien social. "Quiconque vit au sein
d'une société développée", selon nos auteurs, est soumis à ce
système de croyances et aux libertés contraignantes qu'il décline au
quotidien
"(p.15).
De là, l'idée d'une mythologie programmée qui
agit nos contemporains sans qu'ils en soient conscients.
L'ouvrage comprend trois parties bien distinctes et d'inégale
importance ; la première, "arguments", est une analyse théorique
brillante de cette religion méconnue de notre temps. La seconde est
un examen systématique des principaux mythes qui la constituent
et la manifestent concrètement. Le troisième, "pratique", conclut par
l'analyse exemplaire du champ synthétique du "développement".
*
*
L'établissement de la religion dissimulée s'appuie sur les
analyses de DURKHEIM, une lecture critique de GAUCHET et
l'utilisation judicieuse de quelques bons auteurs (Michel de
CERTEAU, Marc GUILLAUME
etc.).
Derrière l'apparent
désenchantement du monde, "l'évocation de la raison et de la
science manifeste la foi religieuse qu'on leur accorde, le refus du
traditionnalisme
marque le respect d'une tradition et la dérision
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dans laquelle on tient les mythes ne vise qu'à assurer leur
efficacité" (p. 27).
Le fonctionnarisme et l'utilitarisme reposent ainsi sur un
ensemble de pratiques et de croyances partagées, situées au delà de
la contestation et ce sont elles qui assurent la cohésion sociale.
Reprennant une idée de Marc GUILLAUME et s'appuyant sur
les analyses de Roland BARTHES, les auteurs opposent la mythologie
moderne, extériorisée dans les pratiques, mais intériorisée
subjectivement en tant qu'ensemble de croyances inconscientes aux
discours mythique traditionnel. Son contenu est "récité" à travers
les choses et les événement en apparence les plus banals de la
quotidienneté" (p. 47). Pour reprendre la définition qu'en donnent
nos auteurs
(p.54),
"la mythologie programmée est un système de
croyances socialement partagées, collectivement construit par
l'imaginaire social, à partir de matériaux fournis par l'histoire, qui
permet de rendre socialement acceptable les pratiques modernes et
de les orienter en fonction d'un avenir présenté comme légitime et
nécessaire".
La deuxième partie, "Figures de la mythologie programmée",
nous fournit des illustrations concrètes de cette analyse. Sous les
titres,
le grand ordonnateur, l'éthique de la vénalité, la noblesse
d'argent, la bioéthique ou la part du feu, la célébration du
programme, exposer et s'exposer, le concubinage des déclarations,
l'amour de l'humanité, sont produites des analyses de ces mythes.
Le
grand
ordinateur s'attaque, par exemple, au mythe de
l'ordinateur dans ou même en dehors de la grande église
informatique". L'éthique de la vénalité s'intéresse aux fondements
de la "culture d'entreprise", la noblesse d'argent aux cartes de
crédits. Le concubinage des déclarations analyse le rôle de la
prolifération de déclarations solennelles de droits et en particulier
celle du droit au développement. L'amour de l'humanité montre la
contruction
d'un mythe vivant :
mère Theresa
qui cumule les signes
traditionnels de la sainteté.
Dans une troisème partie, tous ces mythes se retrouvent et
manifestent la religion moderne dans l'analyse du champ de la
solidarité Nord-Sud. C'est au sein de ce champ que prend sens
l'invention du développement. Rester dans le champ, c'est se
condamner à reproduire l'ordre mondial
inégalitaire
et injuste. En
sortir est proprement hérétique. Le développement
alternatif,
en
tentant de changer le contenu des pratiques, sans sortir du champ,
est voué à 1' impasse et condamné au dilemne de la stérilité ou la
complicité.
3
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Cette lecture est stimulante mais difficile. Elle nous paraît
convaincante dans les première et troisième parties. La seconde
partie représente un effort méritoire d'illustrer les analyses
abstraites de la première partie. Elle comporte le risque d'arbitraire
dans le choix des thèmes et des interprétations. Le lecteur a
souvent du mal à se convaincre d'être en face d'une véritable figure
de la mythologie programmée. Par quelle grace mystérieuse nos
auteurs détiendraient-ils les clefs pour décrypter des croyances
qu'ils nous montrent cachées, enfouies, inaccessibles ? "Au nom de
quel principe, l'anthropologie des sociétés modernes", disent nos
auteurs, devrait-elle se borner à prendre au mot les informations
distillées par les sociologues ou les philosophes ? (p.43)".
Certes, mais comment y échapper ?
Il reste que ie tenter, comme ils le font avec courage et
honnêteté,
est un exercice de salubrité publique. Il serait
souhaitable que tous les spécialistes du développement (sans parler
des autres "social scientists)" méditent ce bel exemple d'auto-
réflexion.
Serge LATOUCHE
IV - Avis de parution :
LA TECHNOSCIENCE
Les fractures des discours
Sous la direction de Jacques PRADES
Avec la participation de : Philippe Breton (CNRS Strasbourg),
Patrick Cohendet et Patrick Llerena (Université L. Pasteur de
Strasbourg), Dominique Foray (Ecole Centrale de Paris), Gilbert
Hottois (Université Libre de Bruxelles), Bruno Latour (Ecole des
Mines de Paris), Pierre
Lévy
(Université de Paris X), Jacques Perrin
(CNRS Lyon), Daniel Sibony (Psychanalyste Paris), Franck Tinland
(Unviversité P. Valéry de Montpellier) et André Vitalis (Université
de Rennes 2).
Collection : LOGIQUES SOCIALES L'HARMATTAN,
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