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A few things you should
know (and see)
about Kathakali
Textes et photos de Swen
Il a gravi, comme nous, les niveaux de conscience et d’entendement le
menant à un univers symbolique cohérent, avec ses concepts et ses références, mais plus ou moins différent du nôtre. Il a, en d’autres termes, exploré une autre contrée du monde des idées que nous, contrée à laquelle
nous n’aurions jamais eu accès, dont peut-être nous n’aurions jamais
pris connaissance. Rien ne permet de supposer que l’univers psychique
de l’étranger soit moins performant, moins créatif, moins bouleversant
que celui qui fonde la culture des miens, celle qui, en interaction avec
mes propres particularités, m’a fait ce que je suis et ce que je pense.
Axel Kahn, L’homme, ce roseau pensant…
Essai sur les racines de la nature humaine (2007)
L’Inde est vaste et épicée, riche et colorée. Les dieux y sont
nombreux et omniprésents. Un peu partout, on trouve des
temples et des espaces sacrés qui parfois ne fleurissent que
pour quelques jours ou quelques mois. Brahma, Vishnu, Shiva
et des millions d’autres divinités vivent sur la péninsule. Des
asuras (démons), des devas (des manifestations bienveillantes),
des nagas et des animaux sacrés peuplent l’imaginaire et le
quotidien des hindous. Dans la région du Kerala, au sud, il faut
encore ajouter à cette esquisse du syncrétisme les églises et les
mosquées. On ne dira rien des petites animosités qui persistent
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entre hindous et musulmans : dans le Kerala, la cohabitation
fonctionne plutôt bien.
Du côté de la philosophie, de l’art et de la culture, le tableau
est tout aussi chamarré. Depuis la fin du xviiie siècle, l’occident
s’est employé à en traduire les textes et à en comprendre le génie. Goethe lui-même s’est inspiré de l’œuvre du poète Kalidasa,
L’anneau de Sakuntala, dans l’écriture de Faust.* De son côté,
Schlegel s’initie au sanskrit à Paris. Peu à peu, tous les principaux textes sont traduits : les deux grandes épopées (Mahabharata, Ramayana), des pièces de théâtre (Mrcchakatika « Le petit
chariot de terre cuite »…), les textes religieux (Védas, Bhagavad Gita, Puranas…), les traités d’esthétiques et de philosophie
(Upanishad, Natya Shastra…). Aujourd’hui, des instituts d’ « indologie » ont fleuri un peu partout en Occident et l’influence de
la pensée indienne sur l’occident, bien qu’inégale selon les domaines, n’est plus à démontrer (Yoga, tantrisme, théâtre, musique, danse, cuisine, médecine ayurveda. . .). En 2001, l’UNESCO
inscrivait le Kutiyattam, une forme de théâtre sanskrit dont la
tradition reste vivante depuis près de 2000 ans, sur la liste des
« chef d’œuvre du Patrimoine oral et immatériel de l’humanité ».†
Ce qui est déconcertant avec l’Inde, c’est que ses catégories
et ses modes de pensée n’ont rien à voir avec celles de l’occident.
La notion de « réalité », par exemple, ne revêt pas la même importance qu’en Europe où l’on exige des faits tangibles et des
existences positives. L’évidence de la « maya », ce voile de l’illusion qui recouvre tout le monde manifesté et dont font partie
les dieux eux-mêmes, entraîne la culture indienne à mélanger
systématiquement la théologie avec la philosophie et l’art avec
* Goethe : « Willst du, was reizt und entzückt, willst du, was sättigt und
nährt, / Willst du den Himmel, die Erde mit Einem Namen begreifen, /
Nenn ich Sakuntala, dich, und so ist alles gesagt. »
† www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=FR&topic=mp&cp=IN
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la science. L’histoire se confond ainsi avec le mythe : le poète
devient plus important que l’historien et le théâtre plus important que l’architecture.
Le mythe de la création du théâtre raconte que cet art, qui intègre dès le début tous les éléments d’expression (poésie, danse,
pantomime, peinture — notamment dans les maquillages, musique), a été créé afin de transmettre au peuple l’enseignement
des védas.‡ Il montre ainsi la voie vers la vertu et le vice, la richesse, la gloire, dispense de bons conseils, guidera les hommes
dans toutes leurs actions, et passe en revue tous les métiers.
Dès le début, le théâtre est ainsi pensé pour enseigner tout en
divertissant (le but du théâtre est de dispenser le « rasa », c’està-dire le suc, la saveur esthétique). Si certaines formes sacrées
comme le Kutiyattam ne sont jouées qu’à l’intérieur du temple,
de nombreuses autres formes sont ouvertes au public et sont
gratuites. C’est le cas aujourd’hui du Kathakali, qui rassemble
toujours une large audience avec son cortège de photographes,
de journalistes et de « fans »§ qui, armés de leur téléphone portable, se bousculent pour prendre des photos.
Avec l’influence des anglais, d’autres dramaturgies ont bien
sûr éclos. Shakespeare est connu et il existe même des adaptations de ses pièces en Kathakali. Il existe à New Delhi la prestigieuse « National School of Drama » qui explore des techniques
et des esthétiques plus modernes. Mais la tradition est restée
profondément ancrée et, autour de l’indépendance indienne,
certaines écoles se sont créées pour réanimer des formes tom‡ Les védas, au nombre de quatre, sont les textes considérés comme révélés
commun au védisme, au brahmanisme et à l’hindouisme. Ils ont été écris
entre 1800 et 1500 avant J-C. Dès le début, le natya shastra est considéré
comme le cinquième véda. Il a la parole rythmée du Rig Véda, la musique
incantatoire du Sama Véda, la gestuelle de l’Ayur Véda et l’expression dramatique de l’Atharva Veda.
§ « Kathakali bhranta » : « fou de Kathakali ».
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bées en déclin. C’est le cas par exemple du kalamandalam (créé
en 1930) qui est l’école la plus importante pour tous les arts traditionnels du Kerala ou de la « Sadanam Kathakali Akademy »
(créé en 1945), deux lieux que j’ai eu l’occasion de fréquenter.
Le Kathakali est une forme de théâtre stylisé qui mélange le
sanskrit et la langue malayalam (nous sommes toujours dans
le Kerala)¶. Sa forme actuelle remonte au XVIIe siècle. Son répertoire d’environ une centaine de pièces raconte l’histoire des
héros mythiques de l’Inde des grandes épopées. L’histoire est
chantée et jouée par des acteurs dont le jeu est le fruit d’une dizaine d’années de travail pour les rôles principaux. Malgré des
règles strictes, l’improvisation tient une place très importante
car la nouveauté n’est jamais attendue au niveau de la forme,
mais au niveau de l’interprétation.
Le jeu des acteurs se structure ainsi d’après une classification des états psychiques (bhava) dont naissent les sentiments et
qui permettent de créer différents « rasas ». Les acteurs suivent
une sorte de partition dont une tonalité est fixée, par exemple,
l’amour, qui correspond à une expression déterminée du visage.
Sur cette tonalité viennent ensuite se greffer des sentiments secondaires, plus fugitifs. La musique (carnatique) suit cette évolution. Le texte quant à lui est récité par un chanteur et illustré
ou complété par les « mudras » des acteurs, sortes de langages
des signes qui représentent la langue des dieux. Il s’agit d’une
véritable science de la dramatisation.
De la même manière, chaque personnage du drame est identifiable par son maquillage dans lequel le jeu des couleurs a une
signification (le vert pour le bien, rouge pour le mal…). Le décor,
enfin, se limite à une lampe à huile à l’avant-scène (kali Villaku),
¶ Description du Kathakali : www.lebacausoleil.com/SPIP/article.
php3?id_article=257
Vidéo de kathakali : http : //tinyurl.com/yfs5jxy
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un tabouret et un rideau (tirassila) que des assistants tiennent
quand cela est nécessaire.
Au-delà de ces aspects formels qui peuvent sembler rébarbatifs à ceux qui n’y ont jamais assisté, il y a une dimension sociale et culturelle très instructive dans ces méthodes artistiques
qui dépasse le cadre du théâtre. Milena Salvini en dit qu’elles
« s’inspiraient du comportement animal, le chat et autres félins,
le lion, le serpent, l’oiseau, l’éléphant, le crapaud, le coq étaient
des modèles courants. Ces pratiques conduisaient l’élève vers
une connaissance affirmée de soi et d’autrui, sensibilisaient
ses facultés d’intuition et aboutissaient à une forme de sagesse
exempte de désir et de violence »**. Plus qu’un art, le kathakali
ne pourrait-il pas être une science de la nature ? i
** Milena Salvini, l’histoire fabuleuse du Kathakali à travers le Ramayana,
préface de Felix Giacomoni, Introduction de Jeanine Auboyer, Edition Jacqueline Renart 56 bis, rue du Louvre Paris ii e, 1990.
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Photo 1: In the beginning of a whole night of Kathakali, deep in the country of Kerala. The performance begins
at sunset and finishes at dawn. The audience floats between dream and reality. In the foreground zous see
pictures of the Master who creates the School (I lost the name). On the left, burns the oil lamp (Kali Villaku)
with a sacred fire. In a Back, two students hold the curtain (Tirassila) behind which will appear progressively
the Gods and the characters. The god invoked here is often Sarasvati, goddess of the arts and knowledge.
Photo 2: This picture was taken prior to the performance,
during the preparation of the costume and the make-up of
the actors. Exceptionally, the place was open for the public.
Photo 3: A few hours before the show, the performer are dressed up.
Photo 4: During the first part of the night, the “orchestra” is still crowded. In all, there were around 300 people under the tent.
Photo 5: The backstage...
Photo 6: In the Kerala Kalamandalam, The State Academy of
Arts. Students rehearse a choreography of a traditionnal dance.
Photo 7: In the Kerala Kalamandalam, a short seance of making up of Kuchupudy.
Photo 8: Kerala Kalamandalam. Rehearsal of a Mohiniyattam student.
Photo 9: In Ottapalam (Kerala). In a frame of a festival sponsored by a bank and an insurance company, the beginning
of a Kathakali play performed by the Sadanam Kathakali Akademy. The character on the photo is Krishna.
Photo 10: The Kathakali Performer Sadanam K. Harikumar, disciple of Sadanam
Balakrishnan & Kizhpadam Kumaran Nair. He is also scluptor, painter and musician.
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