De la mécanique des fluides de l’environnement à la prévision du Système Terre Philippe Bougeault Météo-France Ecole Polytechnique, 6 mai 2011 Quatre grands pionniers de la prévision environnementale Le Verrier (1811-1877) Astronome, directeur de l’Observatoire de Paris, crée en 1854 le premier réseau d’observations météorologiques après la destruction de la flotte française en Mer Noire Vilhelm Bjerknes (1862-1951) affirme en 1904 que la prévision météorologique est un problème scientifique qui peut être mis en équations Lewis Fry Richardson (1881-1953) réalise en 1920 le premier essai de calcul « à la main » de l’évolution de l’atmosphère à partir des équations de la mécanique des fluides Jules Charney (1917-1981) réalise la première prévision météorologique « numérique » en 1950 sur la machine « ENIAC » La vision est devenue réalité Proportion des très mauvaises prévisions à 7 jours (Corrélation d’anomalie pour la température à 850hPa inférieure à 50%) Exemple de la prévision de Nargis, mai 2008 Nargis le 2 mai 0600UTC ! Positions observées du cyclone Nargis Formation le lundi 28 Avril Nargis touche les côtes birmanes le samedi 3 mai Les prévisions faites le lundi 28 avril montrent un événement très prévisible 5 jours à l’avance J+5 du 23 avril 00z (28 avril)! Premières observations du cyclone le 28 avril! J+9 du 23 avril 00z (2 mai)! Un signal utile 10 jours à l’avance Probabilités de formation dʼun cyclone! Les modèles numériques Équations des fluides de l’environnement P : pression ρ : densité U : énergie interne T : température q : concentration en vapeur d’eau Puissance de calcul et finesse de la grille au Centre Européen de Prévisions Météorologiques à Moyen Terme Année Puissance soutenue TFlops Finesse de la grille globale (km) 1990 0.001 130 1995 0.01 (x10) 62 2000 0.3 (x30) 40 2005 2.5 (x8) 25 2010 20 (x8) 16 2015 160 (x8) ?? 10 ?? 320-km resolution 80-km resolution 20-km resolution Simulations sur grille 1km et grands domaines (la routine dans 10 ans) Prévisions pour Katrina le 12 UTC, Lundi 29 Aout 2006 prévision 36h + + 40km 60N prévision 72h 25km 91N + + 40km 60N 25km 91N Quelques défis actuels en modélisation Trouver des schémas numériques performants, conservatifs, précis Diminuer encore les biais des modèles en améliorant les lois de comportement (frottements au sol, effets des nuages, etc…) Organiser les calculs et transferts de données pour tirer pleinement parti des machines pétaflopiques et exaflopiques, dont les architectures évoluent très vite Les observations et leur utilisation Les satellites d’observation de la Terre Source: WMO Mission AEOLUS: la première mesure directe du vent par faisceau laser depuis l’espace (2013?) La beauté de l’assimilation variationnelle On définit une fonction “coût” qui pénalise l’écart aux observations et l’écart à l’état a priori du modèle La minimisation de la fontion coût par contrôle optimal donne l’incrément qu’il faut ajouter à l’état a priori du modèle pour obtenir la meilleure estimation de la réalité increment y: array of observations x: represents the model/analysis variables H: linearized observation operators B: background error covariance matrix R: observation error covariance matrix Background error Vecteur innovation covariance in terms of the observed quantities Principe du calcul du vecteur “innovation”! Model T and q H Model radiance compare Observed satellite radiance Quelques défis actuels sur les observations Fiabiliser la technique laser dans l’espace Développer les méthodes adaptatives pour ne réaliser que des observations utiles La représentation des incertitudes par la méthode des ensembles Le chaos et sa traduction en météorologie: l’effet papillon Edward Lorenz (1917-2008) Les « détails » de l’écoulement atmosphérique (dépressions, nuages) ne sont pas prévisibles au delà de 10 jours Mais si on cherchait seulement à caractériser l’écoulement de plus grande échelle? Principes de la prévision d’ensemble Au lieu d’une prévision unique « déterministe », on fait un ensemble de prévisions (par exemple, 50) L’état initial de l’atmosphère est légèrement perturbé de manière différente pour chaque membre de l’ensemble Lors du calcul, on ajoute des petites perturbations aléatoires pour faire diverger encore plus les différentes prévisions L’ensemble représente les différentes évolutions possibles compte tenu des incertitudes La moyenne de l’ensemble est une assez bonne prévision déterministe La distribution des membres de l’ensemble permet de calculer des probabilités qu’un événement donné se produise La tempête Lothar de Décembre 1999 100 morts 400 millions d’arbres abattus L’église de Balliveirs et le Parc de Versailles Prévision d’ensemble à 48h du 24/12/99 Quelques défis actuels pour la prévision d’ensemble Représenter l’incertitude propre au modèle par des méthodes « stochastiques » Calibrer les ensembles par des prévisions rétrospectives Développer l’utilisation des prévisions probabilistes par tous les secteurs économiques (méthodes de support à la décision) Au delà de 15 jours? L’exemple du phénomène El Nino Décembre 97 Situation de type « La Nina » printemps 98 Un couplage entre l’atmosphère et l’océan température de surface => vent=>température de surface l’océan impose des constantes de temps longues => prévisibilité augmente Les réseaux de bouées ancrées: exemple du réseau TAO On sait maintenant prévoir « El Nino » trois mois à l’avance Le développement de l’océanographie opérationnelle: les flotteurs Argo Mercator Océan, premier centre opérationnel de prévisions océanographiques Modèle de l’océan global à résolution 10km Chaque semaine, une prévision à quinze jours de l’état de l’océan global Quelques défis pour la prévision à longue échéance Améliorer la prévision saisonnière sur l’Europe – Les modèles couplés sous-estiment actuellement le lien statistique entre la température de surface de l’océan Atlantique et la températire moyenne de l’hiver suivant en Europe Mieux représenter l’oscillation de Madden-Julian dans les modèles (océan Indien-continent maritime-océan Pacifique) Pérenniser le réseau d’observations in situ des océans L’état chimique de l’atmosphère Southern Hemisphere Ozone Hole, Oct 2003 - Operational Assimilation of MIPAS & SBUV 1 October 2003 Horizontal Ozone distribution Ozone cross section Sonde and model at Neumayer antarctic station (70.7S 8.3W) Les aérosols désertiques Les incendies californiens d’Octobre 2002 Le CO2 a de multiples sources, sa distribution est assez variable, et son impact radiatif est fort CO2 simulé à 5km d’altitude le 20 Aout 2003, en imposant les émissions des feux de forêt africains Section verticale du CO2 reconstitué à partir des mesures de l’instrument AIRS (NASA), le long de l’axe du panache Quelques défis pour la prévision de l’état chimique de l’atmosphère Mettre en place un système d’observation de l’état chimique de l’atmosphère (satellites+sondages+mesures au sol) grâce à la collaboration internationale – La mission Earthcare de l’ESA, prévue pour 2014, sera la première associant un lidar et un radar, permettant de mesurer la distribution verticale des aérosols, et de déduire leur composition chimique de leurs propriétés radiatives. – La mission OCO (Orbiting Carbon Observatory) de la NASA, prévue pour 2013, fournira les première mesures spatiales détaillées du CO2 dans les basses couches de l’atmosphère Reconstituer les sources de CO2 à partir de ces mesures Le « Système Terre » est-il prévisible? Les modèles couplés du Système Terre Forçages externes Aérosols Gaz à effet de serre Insolation Aérosol-Chimie MOCAGE O3 (MOBIDIC) + GES (IMAGE) La composante atmosphérique des Modèles Climatiques est similaire aux Modèles de Prévision Météorologiques Les modèles climatiques sont similaires aux modèles de prévision saisonnière Atmosphère ARPEGE-Climat Surfaces continentales ISBA Biogéochimie Glace de mer Océan OPA Icebergs Calottes GRISLI GREMLINS Fleuves TRIP Variations de la température moyenne globale en surface simulées et observées sur 1850-2010 Observations Simulations avec Simulations forçages naturels Simulations de contrôle pour le 5ème rapport du GIEC avec augmentation observée de la teneur atmosphérique en gaz à effet de serre + aérosols + variabilité solaire + effet des volcans Les éruptions volcaniques majeures modifient la température de la stratosphère pendant 2 à 3 ans MSU-4 data (TIROS-N to NOAA-14; Mears et al., 2003) Equivalent from ERA-40 re-analysis (Santer et al., 2004) « Prévisions » versus « Scénarios » Une « prévision » est basée sur un état initial observé de l’atmosphère et de l’océan à un instant donné, et représente ce qui va se passer à un instant ultérieur. – Les prévisions sont interprétées de manière « absolue » – Leur qualité est limitée par les incertitudes sur l’état initial, par les imprécisions du modèle numérique, et par la prévisibilité limitée de certains phénomènes Un « scénario » est basé sur un état initial représentatif du climat actuel, mais dont le détail a peu d’importance, et des « forçages » imposés au modèle numérique (par exemple différents scénarios d’émission de Gaz à Effet de Serre GES) – Les scénarios sont interprétés de manière « relative »: on regarde les différences entre les températures et précipitations moyennes obtenues dans deux scénarios différents – Leur qualité est limitée par l’incertitude sur les forçages, les imprécisions du modèle numérique, et la connaissance insuffisante de certains mécanismes du système climatique Anomalies de température et de précipitation pour la fin du 21ème – Scénario A2 La nécessité d’une descente d’échelle pour apprécier les impacts Scénarios climatiques globaux ~ 300km Scénarios climatiques régionaux ~ 20-50 km Résultat à l’échelle des territoires et meilleure simulation des événements extrêmes, qui ont un poids dominant sur les impacts Modèles d’impacts ~qq m - qq km Pour chaque domaine d’application, nécessité d’une coopération entre les experts pour déterminer les meilleurs modèles d’impacts Neige et changement climatique : impact sur le débit de la haute Durance (GICC Rhône) Débit mensuel de la Hte Durance (m3/s) 3 semaines de décalage environ sur le pic printanier Débits moyens observés Débits moyens simulés pour le climat présent Débits moyens simulés en cas de doublement de CO2 par différents modèles Aire de répartition climatique potentielle du hêtre (CARBOFOR: Loustau et al, 2004) Climat actuel observée Climat actuel Modélisée Climat de la fin du XXIe siècle Quelques défis pour les prévisions climatiques Représenter la « cascade d’incertitudes »: – – – – Incertitude sur les scénarios d’émission des GES Variabilité naturelle du climat et l’activité volcanique Incertitudes propres aux modèles du système Terre Incertitudes de conceptualisation des modèles d’impacts Explorer la prévisibilité décennale en l’absence d’activité volcanique majeure – Le GIEC a décidé pour la première fois d’explorer la prévisibilité décennale pour son rapport de 2013 Etudier l’interaction changement climatique/qualité de l’air Conclusion: les fondamentaux Importance du réseau d’observations Importance de la puissance de calcul, pour permettre – La finesse du maillage (effets non linéaires) – La complexité physique et les interactions entre milieux – Les ensembles pour évaluer les incertitudes Merci de votre attention