Freins à la déclaration du médecin traitant chez les patients

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FREINS A LA DECLARATION DU MEDECIN TRAITANT CHEZ LES
PATIENTS PRESENTANT UNE MALADIE MENTALE SEVERE :
enquête qualitative auprès de patients hospitalisés en psychiatrie
K. LABAT-VANHOUCKE, L. COBLENTZ-BAUMANN, N. CHAUMARTIN.
Fédération des Spécialités Médicales,
Groupe Hospitalier Paul Guiraud 54 avenue de la République, 94806 Villejuif Cedex
Introduction
Les troubles psychiatriques sont des pathologies fréquentes dans la population générale, raison pour laquelle les médecins généralistes comptent
nécessairement dans leur patientèle de nombreux patients souffrant de troubles mentaux, parfois même sans le savoir!
Cependant, ils ne sont pas toujours bien informés quant aux conséquences de la maladie mentale et de ses traitements sur le corps de leurs patients, et la
coordination entre les médecins généralistes et les psychiatres est loin d’être optimale à l’heure actuelle.
De plus, c’est un fait avéré depuis les années 1980 que les patients porteurs d’une maladie mentale ont fréquemment des comorbidités somatiques
qui ne sont souvent pas prises en charge et qui sont responsables d’une surmortalité par cause « naturelle » en moyenne 2.5 fois plus élevée que
dans la population générale, ainsi que d’une diminution de l’espérance de vie de 10 à 15 ans.
Malgré ce constat, le suivi somatique des patients souffrant de pathologies psychiatriques est loin d’être optimal, notamment en ce qui concerne la
prise en charge extra-hospitalière, et ce même si depuis 2004, le médecin traitant a été placé au cœur de la prise en charge globale de tous les Français.
A l’heure du parcours de soins coordonné par le médecin traitant et de l’organisation de la médecine en réseaux de soins, nous avons par conséquent
voulu nous intéresser aux raisons pouvant expliquer le mauvais suivi somatique ambulatoire de ces patients.
MATERIEL ET METHODE
OBJECTIFS
Réalisation d’une étude qualitative par entretiens semi-directifs avec des questions
ouvertes, au moyen d’un guide d’entretien sur un échantillon de 10 patients souffrant
d’une maladie mentale sévère hospitalisés au sein du Groupe Hospitalier Paul Guiraud
de Villejuif entre 2012 et 2014, et qui déclaraient ne pas avoir de médecin traitant, après
recueil de leur consentement écrit. Chaque entretien a été enregistré, retranscrit dans son
intégralité et analysé selon la méthode de la théorie ancrée (grounded theory). Nous avons
obtenu un avis favorable du Comité de Protection des Personnes d’Ile-de-France.
Identifier les freins émanant des patients souffrant de
troubles psychiatriques sévères (psychoses chroniques et
troubles de l’humeur) à la déclaration et au suivi par le
médecin traitant.
RESULTATS
Rôle du médecin traitant pris en charge par l’hôpital psychiatrique
Peur de la maladie et de la mort
« peut-être qu’il y a une autre raison que je me cache volontiers, c’est que j’ai peur (accentue
l’intonation sur le mot peur) qu’il me trouve quelque chose de très grave »
« Je suis pris en considération par l’hôpital » « d’ailleurs ils font tout : les lunettes, le coiffeur, le dentiste…
C’est gratuit »
Automédication et médecines naturelles
Anosognosie et déni des troubles
« je comprends pas pourquoi les autres docteurs ils me font des piqûres, des choses comme ça je
comprends pas », « Non non j’suis pas schizophrène moi. A chaque fois c’est la police qui me ramène
ici »
« je prenais des plantes », « des ampoules de gelée royale, y avait du ginseng dedans, de l’écorce de kaprika »,
« et puis l’huile d’olive » « s’il y a des calculs, ça dissout les calculs l’huile d’olive. Elle nettoie en profondeur »
Incompétence des MG par rapport aux spécialistes
Place de la maladie psychiatrique
« les angoisses en fait elles préemptent », « C’est-à-dire qu’elles masquent les autres petits bobos que
je pourrais avoir. Donc j’ai pas de petits bobos. »
Symptômes de la maladie mentale: méfiance/angoisses/intolérance à la frustration
« Qu’est-ce-qui vous mettait mal à l’aise (en salle d’attente) R : Oh ben je sais pas, c’était des choses
euh… de timidité, surtout d’impatience quoi. Le fait d’attendre quoi, surtout »
« j’ai pas confiance en leurs compétences, je vous le dis carrément premièrement j’ai pas confiance en leurs
compétences »
La diversité des points de vue garante d’une meilleure prise en charge
« je trouve que quand on va voir des médecins différents, euh leurs approches sont différentes, automatiquement,
et puis ils vous apportent plus de choses, en fait la multiplicité apporte plus de choses. »
Manque de disponibilité/surcharge de travail des MG
Précarité sociale
« Non mais pour avoir un même médecin il faut habiter dans un même quartier, pendant longtemps…
Et moi je déménage tout le temps, donc euh voilà… »
« Pourquoi vous allez pas voir un médecin généraliste ? R : Parce que j’en connais pas et puis euh…
faut payer tout de suite euh… »
« par rapport ils sont souvent trop pris, d’accord ? Et on sent très bien qu’ils travaillent contre la montre, […]
plus contre la montre que pour le patient »
Peur du non-respect du secret médical et caractère intime de la maladie psychiatrique
« ce qu’on dit au psychiatre on n’a pas envie que son médecin généraliste le sache, qui est aussi le médecin
généraliste de son compagnon, qui est aussi le médecin généraliste de je sais pas qui… donc euh… »
Manque d’information sur la déclaration
« je suis pas au courant » « tout ce qui est papiers, administration, j’ai jamais rien compris »
Représentations corporelles de certains patients et pudeur
« Ben déjà j’aime j’aime pas trop me déshabiller… [..] je sais pas pourquoi, j’aime pas »
Discussion et Conclusion
Nous avons mis en évidence que ce n’est pas par défaut d’information que les patients souffrant de troubles mentaux sont moins souvent suivis par un
médecin traitant, même si le versant administratif de la réforme et le parcours de soins coordonnés restent des notions parfois complexes pour eux.
En effet, la plupart des patients interrogés connaissent intuitivement les différents rôles du médecin traitant : un médecin qui s’occupe du « corps », qui assure le
suivi et la coordination des soins de même que le renouvellement des traitements, et qui a un rôle de conseiller voire de confident.
Certaines idées nouvelles sont ressorties de notre étude comme freins émanant des patients: angoisse de mort (qui est probablement en rapport avec le déni de la
maladie), peur de violation du secret médical et diversité des points de vue comme garante d’une meilleure prise en charge.
Mais notre étude a surtout montré que le principal frein au suivi ambulatoire des patients souffrant de pathologies mentales est représenté par la maladie
psychiatrique elle-même et ses symptômes, qui rendent l’accès aux soins très compliqué, d’autant que nombre des freins retrouvés étaient présents tous à
la fois chez les patients souffrant de pathologies psychiatriques, contrairement à leur répartition plus dispersée en population générale, qu’il s’agisse de
troubles anxieux pouvant aller jusque l’angoisse de mort, de la précarité sociale (absence de logement fixe et/ou faibles revenus), de la perception du manque de
disponibilité et de la surcharge de travail des médecins généralistes, ou encore de troubles cognitifs.
14 ème congrès de l’ANP3SM – 28-29-30 Juin 2016 - Paris
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