Liberté et réserve
Rendre anonyme la grande ville amène une «réserve», une indifférence entre
les citadins. Mais cette réserve est aussi synonyme de liberté morale. «La
promiscuité physique y fait apparaître la distance morale entre individus.» (La
liberté n'implique pas forcément le bien-être ; en effet, on peut se sentir
«solitaire» ou «abandonné» dans la grande ville.) Au contraire, dans les
petites villes, la liberté de l'individu est réduite, malgré un rapport nombre de
personnes/espace physique plus grand.
Concurrence entre esprits
La grande ville dépasse ses frontières physiques en gagnant un rôle national
et international, par son importance économique d'abord, puis intellectuelle: la
croissance économique de la grande ville, qui offre par sa taille et sa diversité
«les conditions nécessaires à la division du travail,» force les métiers et les
produits à se spécialiser. De la même manière, au niveau intellectuel, la
croissance permanente de la ville amène des relations toujours plus
anonymes, une «réserve» toujours plus grande (d'où la liberté morale des
citadins). L'importance quantitative, donc l'énergie d'un individu ne peut pas
progresser en permanence. L'individu aura alors «recours aux distinctions
qualitatives,» c'est-à-dire tout ce qui peut attirer l'attention sur lui. Ainsi
l'homme de la grande ville peut-il préserver sa propre estime et sa place au
sein de son milieu social, à travers le regard des autres.
Régression du citadin
Prédominance de l'esprit objectif par rapport à l'esprit subjectif: dans tous les
objets et toutes les sciences est cristallisée toujours plus d'intelligence, mais
le niveau intellectuel des individus ne suit pas, à cause de la division (et de la
spécialisation) du travail. Il s'agirait même d'une régression, en particulier
pour les couches les plus hautes de la société! L'individu est noyé dans une
civilisation objective toujours plus envahissante, incarnée par la grande ville.
Le progrès rend la vie facile, par toutes les «occasions de combler le temps
et la conscience» mais «les éléments personnels doivent, pour subsister,
faire un effort extrême.»
Conclusion
Deux formes d'individualisme: indépendance individuelle et développement de
l'originalité.
L'homme du XVIIIe se libère des liens traditionnels: politiques, agraires,
corporatifs et religieux. Ceux-ci entraînent au XIXe la volonté de distinction
des uns par rapports aux autres.