perspectives anthropologiques - u n e s d o c . u n e s c o . o

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CLT-99/CONF.601/CPL-7
Paris, janvier 1999
Original anglais
Organisation des Nations Unies
pour léducation, la science et la culture Secrétariat des pays du Commonwealth
Colloque
VERS UN PLURALISME CONSTRUCTIF
(Siège de lUNESCO, Paris, 28-30 janvier 1999)
Contribution au débat LEtat et une vision positive du pluralisme
LE MULTICULTURALISME, LEDUCATION ET LETAT :
PERSPECTIVES ANTHROPOLOGIQUES
E. Liza Cerroni-Long
Présidente, Commission de 1UISAE sur les relations interethniques
Professeur danthropologie, Eastern Michigan vniversity
(CLT-99KONF.60lKLD.3)
Les termes employés et la présentation des contenus dans le présent document ne reflètent pas
lexpression dune quelconque opinion du Secrétariat de lUNESCO concernant le statut légal
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frontières. Lauteur est seul responsable du choix et de la présentation du contenu de ce
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de lUNESCO et nengagent pas lOrganisation.
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Limpact du multiculturalisme
CLT-9-9/CONF.601/CPL-7
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La relation entre ethnicité et nationalisme dune part, et démocratie, dautre part, est lun
des plus grands problèmes de notre époque(Plattner 1998 : 16 1) ; le multiculturalisme, défini
comme correspondant à la reconnaissance du fait que la variation intraculturelle, en général, et
lethnicité, en particulier, exercent une influence majeure sur le gouvernement démocratique,
concerne directement cette question.
Lhétérogénéité culturelle nest certes pas un phénomène nouveau, mais daucuns ont fait
valoir que le type dhétérogénéité décrit dans le contexte du multiculturalisme est directement
issu des circonstances historiques créées par lexpansion mondiale du capitalisme dune part,
et la mise en œuvre de plus en plus fréquente de principes démocratiques de gouvernement,
dautre part (par exemple, Glazer 1975, Moynihan 1993). Selon cet argument, le
multiculturalisme est favorisé par trois grandes tendances sociales : (1) les changements dans
lorganisation économique mondiale, qui déclenchent des mouvements de migrations massifs
en réponse à lévolution des perspectives demplois, (2) la formidable expansion des moyens
de transport et de communications, qui facilitent grandement la circulation de par le monde
des populations et des informations, et (3) lattention croissante portée aux droits de lhomme,
qui se traduit par la formation dune série de groupes culturels exigeant reconnaissance sociale
et protection politique (Goldberg 1994, Gordon et Newfield 1996).
Ces différentes tendances, dont il est peu probable quelles satténuent dans un proche
avenir, jouent à lévidence un rôle majeur, en favorisant et en mettant en relief la diversité.
Toutefois, un certain nombre de chercheurs en sciences sociales (dont beaucoup ont une
formation danthropologues) font depuis longtemps remarquer que la gestion de
lhétérogénéité culturelle préoccupe les dirigeants politiques depuis la formation des premiers
grands Etats, il y un de cela plus de cinq mille ans (Bodley 1994, Cameiro 1970, Harris 1989,
Smith 1981 ; 1986, Walzer 1997). De ce point de vue, le multiculturalisme nest assimilé à un
phénomène nouveau que du fait des oeillères idéologiques particulières mises en place par le
nationalisme occidental moderne. En greffant des représentations romantiques de ce devait
être un volk sur les visions du Siècle des Lumières de la manière dont la société civile
devait fonctionner, cette idéologie a fini par créer, soit lhypothèse dune homogénéité
culturelle fictive (Anderson 1983), soit la nécessité de construire une nation par le biais
defforts très peu démocratiques - et tout à fait vains - dacculturation de masse (Fox 1990,
Toland 1993).
Ces différentes tentatives ont revêtu une importance particulière dans deux types dEtats
modernes : ceux qui ont repris le gouvernement dun empire éloigné - comme lUnion
soviétique - et ceux issus dun processus dinvasion territoriale, dannexion militaire et
dimmigration massive - comme lAustralie ou les Etats-Unis, par exemple. Cest dans ce
contexte que lon trouve lapplication politique la plus rigide de la théorie de la modernisation
et lerreur quelle renferme : lillusion que lethnicité, en tant que forme dattachement
primordial, sera rapidement et facilement remplacée par la citoyenneté, assimilée à la fierté
dappartenir à une société civile nombreu.se, moderne, complexe. Les évolutions historiques
récentes, ainsi que les tendances actuelles, révèlent lampleur de cette erreur, et indiquent
clairement quelle est née dune méconnaissance de la corrélation entre culture et ethnicité
(voir Cerroni-Long 1986).
CLT-99/CONF.601/CPL-7 - page 2
Culture et multiculturalisme
Même si elle reste largement mal comprise et souvent utilisée à mauvais escient, la
notion anthropologique de culture a eu une influence majeure sur les conceptions actuelles du
comportement humain. Jusquà un certain point, lattention même portée à la question du
multiculturalisme tient de linfluence omniprésente de ce que lon a appelé le paradigme
culturel (Goldschmidt 1985). A cet égard, il est ironique de constater que; sous linfluence du
postmodemisme, certains anthropologues ont récemment mis en question la définition
fondamentale donnée par leur discipline de la culture, juste à un moment elle est de plus en
plus acceptée et utilisée, quoique superficiellement, au niveau populaire. Heureusement,
toutefois, le postmodemisme est de plus en plus assimilé à phénomène auto-limitant, à un
épisode de nihilisme du tournant du siècle dont le principal héritage naura peut-être été que
davoir contribué à reconfigurer les limites et les approches de la discipline.
Dans le cas de lanthropologie, lattention portée par le postmodemisme aux questions de
variation intraculturelle, dune part, et à lactivité culturelle, dautre part, tout en donnant
naissance au domaine des ktudes culturelles (lequel semble en concurrence directe avec
lanthropologie socioculturelle), a peut-être en réalité planté le décor dévolutions théoriques
de grande importance. Lune dentre elles concerne la clarification de la question de
lappartenance culturelle, sagissant particulièrement de la diversité sous-culturelle et
ethnique (Cerroni-Long 1995). Mais cette clarification exige une définition plus précise de ce
quest la culture, et de la manière dont elle est exprimée, transmise, entretenue et modifiée. En
dautres termes, à présent quil existe un consensus presque général sur le fait que la culture est
constituée à la fois de schémas de comportement et de schémas pour les comportements,
et que ces schémas sont perpétués même dans les situations les membres dune culture
donnée ont été intégrés à une autre culture, les anthropologues doivent encore faire la part des
mécanismes qui assurent la continuité culturelle et, surtout, des stratégies dapaisement des
conflits entre différents groupes culturels liés les uns aux autres dans un cadre social commun.
Une première étape en ce sens suppose une meilleure compréhension de la dimension
politique de lappartenance culturelle. A cette fin, il ne sagit pas simplement de reconnaître
que la souveraineté est une composante typique de lorganisation culturelle. Il convient
également de se livrer à une analyse de lincidence régulière que peuvent avoir les différences
daccès au pouvoir politique sur lorganisation hiérarchique des groupes ethniques et sous-
culturels dans un cadre démocratique. Cette analyse révèle que le multiculturalisme définit
généralement des structures politiques multi-ethniques mais caractérisées par lhégémonie
dune seule culture. Ainsi, le multiculturalisme doit toujours être évalué en référence à son
contexte culturel. Encore une fois, il faut pour cela avoir une compréhension plus précise des
mécanismes par lesquels les divers facteurs à lorigine de cet ensemble complexe de
contraintes comportementales que nous appelons culture se traduisent .en formes spécifiques
daction individuelle (voir Cerroni-Long 1997).
Cette compréhension peut effectivement mener à une insertion de la culturedans le
multiculturalisme (Wadi et Khan 1997), et cest uniquement en regardant ce dernier au
travers du prisme de la culture que lexpertise anthropologique pourra être mise au service des
débats actuels sur la diversité. En particulier, on pourrait ainsi plus facilement appliquer les
perspectives anthropologiques au développement de léducation multiculturelle, un domaine
en croissance rapide dintervention pédagogique qui, pour lheure, semble marqué
essentiellement par linégalité des approches adoptées.
CLT-99/CONE.601/CPL-7 - page 3
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Léducation multiculturelle interprétations actuelles
Dans la mesure lEtat-nation moderne tire son contenu et son inspiration du type
populaire de lethnie et quil a, en fait, pris exemple sur la manière dont certaines nations
européennes ont été bâties autour daxes ethniques forts, cohésifs (Smith 1986 : 2), son
administration nest généralement par caractérisée par le pluralisme culturel. Ceci na rien de
surprenant, étant donné que la question de lhégémonie culturelle est ineXtricablement liée au
processus dédification de la nation, mais cette situation comporte un certain nombre de
conséquences graves, au vu du fait que la dissonance culturelle au sein dentités politiques
hiérarchiques, centralisées, déclenche un puissant processus centrifuge. Ce dernier mène
souvent à lauto-ségrégation des groupes et à des mouvements de sécession, deux phénomènes
de plus en plus fréquents de par le monde, amplifiés dautant plus par une réduction du
pouvoir coercitif des gouvernements dEtat, auquel le contrôle de leurs ressources échappent
en raison de la mondialisation économique.
Pour tenter de faire échec au type de conflit interne qui mène au séparatisme, certains
Etats ont mis en œuvre une politique officielle de multiculturalisme, visant à protéger
lintégrité culturelle de tous les groupes ethniques dont ils sont constitués, tout en les intégrant
à un tissu social aussi souple que possible. Lexemple le plus connu dune telle démarche est
peut-être celui du Canada, inaugurée en octobre 1971 par celui qui était alors Premier
ministre, M. Trudeau et codifiée par ladoption de la Loi sur le multiculturalisme (Projet de loi
C-93) en juillet 1988. Toutefois, les innovations de ce type sinscrivent généralement dans une
tradition lhégémonie culturelle et la forte doctrine assimilatrice qui sen est dégagée ont
joué un rôle crucial dans la définition de la citoyenneté. Par conséquent, les politiques
multiculturelles font apparaître une stratégie daccommodation, visant à désamorcer le conflit
en portant lattention des populations non dominantes sur les questions didentité culturelle,
plutôt que sur les réalités actuelles de linégalité socio-politique.
Cest lorsque lon sintéresse à son impact sur léducation que les ambiguïtés de la
politique du multiculturalisme ressortent le plus clairement. Les résultats dune récente étude
internationale commanditée par la Commission de IUISAE sur les relations interethniques
(COER) sur le rôle de lanthropologie dans léducation multiculturelle font état dune
situation très confuse (Cerroni-Long 1998). Tout dabord et comme on pouvait sy attendre,
compte tenu de ce qui a
été avancé
ci-dessus, il nexiste pas de consensus sur ce quest
léducation multiculturelle, sur la manière dont il convient de la mettre en œuvre et sur les
résultats quil convient den attendre. En fait, le terme même d
éducation multiculturelle
nest pas utilisé ou compris partout de la même manière. On parle aussi déducation
interculturelle, multinationale, pluraliste, interraciale, ethnique, et à lintention des
minorités, ce qui montre que la diversité ne fait pas lobjet dune définition uniforme. Ceci est
lié au deuxième point mis
en
évidence par cette même étude : les circonstances historiques
donnant lieu à lhétérogénéité dans un contexte culturel donné exercent une puissante
influence sur la définition de la diversité. Enfin, lenquête montre aussi clairement que, dune
manière générale, lanthropologie na pour linstant joué quun rôle très marginal dans le
développement de léducation multiculturelle.
Dans lensemble, les interprétations actuelles de léducation multiculturelle font
intervenir deux types dapproches différentes : celle dite managériale et la thérapeutique.
Lapproche managériale, qui comporte une forte composante linguistique, vise à encourager
lacquisition daptitudes, ou de compétences, susceptibles de servir au niveau interpersonnel
pour éviter les malentendus ou désamorcer le conflit issu de différences culturelles, ethniques
ou sous-culturelles. Il sagit dune approche généralement axée sur les modes de
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