Évolution
La durée moyenne d’un épisode dépressif à l’adolescence est
de 32 à 36 semaines, les plus longues durées d’évolution se
retrouvant généralement chez les adolescents dont les parents
ont présenté des troubles de l’humeur
[27]
.
Le retentissement scolaire (allongement de la scolarité ou
interruption), ainsi que les perturbations dans les relations
sociales et interpersonnelles semblent liés à la sévérité des
symptômes et plus marqués chez les jeunes filles
[31]
.
Rao et son équipe retrouvent que 69 % des adolescents
déprimés avaient au moins une fois rechuté sur le même mode
dans les sept années suivantes et que 95 % des adolescents
ayant fait une dépression à 17 ans rechutaient à l’âge adulte
[31]
.
Ainsi, l’évolution vers un trouble de l’humeur à l’âge adulte
est fréquente et celle vers d’autres troubles mentaux aussi
[2]
.
On considère classiquement que l’évolution vers une patho-
logie unipolaire ou bipolaire de type I est de 19 %
[18]
. Ce risque
évolutif se retrouve principalement en cas de début précoce,
d’importance des signes de ralentissement psychomoteur, de
l’existence de signes psychotiques, de troubles bipolaires dans la
famille, d’antécédents personnels sévères de trouble de l’humeur
et de virage hypomaniaque sous traitement.
■Traitement et prise en charge
L’abord médicamenteux n’est jamais de première intention
chez l’adolescent avant 15 ans. Après, il ne peut être justifié
d’emblée que par la sévérité des symptômes ou le danger
immédiat pour le sujet, par exemple en cas de risque suicidaire
élevé. L’évaluation du risque suicidaire est un impératif devant
toute dépression (cf. chapitre correspondant).
La reconnaissance des états dépressifs chez l’adolescent est
particulièrement importante pour les médecins non psychiatres
dans la mesure où ce sont souvent les services de soins géné-
raux ou les services d’urgences qui sont sollicités en premier,
voire exclusivement. Une étude finlandaise vaste et récente en
population générale indiquait que seuls 20 % des adolescents
ayant des idées suicidaires étaient adressés à un spécialiste en
santé mentale et que seulement 8 % des sujets ayant fait une
tentative de suicide avaient vu un psychiatre avant
[33]
.
Les symptômes sévères, les conflits exacerbés, le risque
suicidaire peuvent conduire à proposer, voire à imposer une
hospitalisation qu’il faut toujours discuter.
Il est fondamental d’associer la famille de l’adolescent à sa
prise en charge et d’informer l’adolescent à toutes les étapes de
son traitement de façon à obtenir son adhésion, les difficultés
liées à une compliance fluctuante étant fréquentes à cet âge.
Traitement médicamenteux
Les traitements antidépresseurs ont été peu évalués en
psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Longtemps il a été
considéré qu’il s’agissait de la même pathologie que chez
l’adulte. De plus, des raisons éthiques et légales rendent
difficiles les études en double aveugle contre placebo. Il existe
cependant quelques travaux concernant la fluoxétine, ainsi que
la paroxétine qui montrent une efficacité significative de ces
produits par rapport au placebo et une étude contre un
tricyclique
[34-36]
. Notons qu’une étude de Simeon en 1990 a
échoué à montrer l’efficacité de la fluoxétine et qu’une étude de
Mandoki a échoué pour la venlafaxine : pour une revue com-
plète, voir McClellan et al., 2003
[36]
. Une étude française de
Bracconier et al., 2003, montre une efficacité similaire entre
paroxétine et clomipramine sans groupe contrôle
[37]
.
Des études plus anciennes évaluant les antidépresseurs
tricycliques ne montrent pas d’efficacité significativement
supérieure contre le placebo, en particulier en raison d’un effet
important de ce dernier. Il est donc peu justifiable de les utiliser
d’autant plus que leurs effets indésirables sont plus importants
et que les risques en cas de surdosage accidentel ou volontaire
sont plus élevés
[36]
.
Une alternative non documentée aux inhibiteurs sélectifs de
recapture de la sérotonine (ISRS), évaluée par des études contre
placebo, est un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de
la noradrénaline, la venlafaxine, qui a des propriétés similaires
sans effet anticholinergique, histaminique et alphadrénergique.
Les doses utilisées sont alors les mêmes que chez l’adulte.
L’objectif après la posologie initiale est de diminuer rapidement
le traitement afin d’obtenir la dose minimale efficace.
Rappelons que les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine
(IRS) se différencient par leur spécificité et leur potentiel
inhibiteur sans pour autant que ces caractéristiques aient une
réelle traduction clinique connue. Le métabolisme des IRS est
hépatique par l’intermédiaire des isoenzymes du cytochrome
P450. Il est possible que des interactions existent avec des
médicaments utilisant la même voie métabolique, cette inhibi-
tion est plus importante avec la fluoxétine et la paroxétine
qu’avec la sertraline et la fluvoxamine.
Ces produits sont bien tolérés. On observe des effets indési-
rables dans 10%à30%descaschez l’adolescent. Ceux-ci sont
transitoires en début de traitement. Il s’agit de troubles digestifs
aspécifiques, de variation pondérale (diminution avec la
fluoxétine et augmentation avec la paroxétine en raison
d’action spécifique sur des zones différentes du thalamus, centre
de la satiété), d’irritabilité, d’insomnie, de sédation, de bouche
sèche et d’impatience motrice. Enfin, on décrit un syndrome
sérotoninergique imposant l’arrêt du traitement devant l’appa-
rition de fièvre, de syndrome confusionnel, voire d’un coma et
de crise d’épilepsie.
Seul un antidépresseur tricyclique, le Laroxyl
®
dispose de
l’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour l’EDM chez
l’enfant de moins de 15 ans. D’autres produits sont utilisables
pour d’autres indications avant 15 ans, l’Anafranil
®
pour les
énurésies ou la sertraline pour les troubles obsessionnels
compulsifs (TOC). Il est important d’en avertir les parents et
l’adolescent.
On considère qu’il faut essayer 10 semaines, en raison des
réponses tardives, puis modifier la posologie avant d’envisager
un changement de molécule. Un ISRS est la règle désormais. En
cas d’échec de ces traitements antidépresseurs, certains auteurs
préconisent l’association de lithium. La recherche de signes de
troubles bipolaires est importante, elle peut amener à prescrire
un thymorégulateur.
Ces dernières années, l’utilisation des antidépresseurs chez
l’enfant et l’adolescent a donné lieu à une polémique. En effet,
il est apparu qu’en raison d’un très faible nombre d’études et de
données non publiées par les laboratoires pharmaceutiques, le
risque de suicide avait été sous-estimé avec les inhibiteurs de la
recapture de la sérotonine. Les données sur plus de 13 000
patients faisaient état d’une augmentation du risque de suicide
sous IRS (comparé au placebo) de 2,4 pour les TS et de
4,62 pour les suicides réussis
[38, 39]
. En 2003, la Food and Drug
Administration interdit l’utilisation des IRS chez l’enfant, à
l’exception de la fluoxétine. En effet, l’étude de Whittington,
une méta-analyse des données publiées et non publiées
[40]
,ne
montrait aucune augmentation significative du risque pour ce
“Points importants
• L’existence d’une comorbidité avec les troubles du
comportement ou des conduites augmente le risque
d’évolution vers une personnalité antisociale
[32]
.
• L’existence d’antécédent personnel de dépression de
l’enfant ou d’antécédents familiaux est un facteur de
risque de dépression à l’adolescence.
• La période adolescente est une période à risque en ce
qui concerne la dépression qui est la deuxième cause de
mortalité à cet âge.
• L’évolution vers un trouble bipolaire de type 1 (proche
de 20 %) doit être connue. Il est également important
d’évaluer le diagnostic différentiel d’une entrée dans la
schizophrénie.
États dépressifs à l’adolescence
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5Traité de Médecine Akos